Agir sans avoir réfléchi, c'est se mettre en voyage sans avoir fait de préparatifs.
N'entreprenez jamais rien sans y avoir réfléchi avec prudence. Mais quand votre résolution est prise, exécutez-la avec courage.

 

Le soir de ce jour, Francinet veilla encore jusqu'à dix heures. M. Clertan l'avait prévenu que ce serait pour la dernière fois.

C'était une nécessité impérieuse qui avait décidé M. Clertan à faire travailler le jeune apprenti pendant la veillée. Francinet devait être payé très avantageusement : les heures de veille devaient lui être comptées au même taux qu'à un homme.

L'enfant s'en réjouissait beaucoup, et au lieu de s'ennuyer tout seul, il regrettait que cette soirée fût la dernière qu'on lui fît passer.

Phanor venait de temps en temps se coucher à ses pieds et lécher ses mains ; mais il repartait bientôt, allant, venant, furetant d'un air inquiet. Il flairait l'air comme s'il sentait quelque chose d'inaccoutumé.

Francinet, qui l'observait, finit par trouver qu'il y avait comme une odeur de brûlé. Plus la soirée s'avançait, plus l'enfant était frappé de cette odeur.

Il en fit part au contremaître. Celui-ci passa une revue dans l'atelier et n'aperçut rien. En ouvrant la porte voisine de la cave de Francinet, il sembla bien que l'odeur de roussi se prononçait. Le contremaître examina tous les recoins sans lumière. S'il y avait eu du feu, on l'aurait vu ; il n'y avait rien.

M. André déclara qu'il fallait aller se coucher, que Francinet rêvait, que cette odeur de roussi venait de quelques allumettes brûlées l'instant d'auparavant.

Bref, on ferma les portes, Francinet rentra chez lui et se coucha.

 

Mais il ne put réussir à trouver le sommeil. Il était inquiet, il écoutait, et le plus léger bruit lui arrivait au milieu du silence de la nuit.

La largeur de la rue séparait seule le portail de M. Clertan du pauvre rez-de-chaussée qu'habitait Francinet ; de son lit, il entendait l'intelligent Phanor courir à travers la cour en jetant une sorte d'aboiement plaintif comme un avertissement.

L'enfant agité regrettait de n'avoir pas insisté davantage auprès du contremaître. D'autre part, il ne s'expliquait pas comment cette longue pièce toute noire, remplie de sacs de coton posés sur le sable même de la cave, eût pu offrir quelque danger d'incendie. On ne pénétrait jamais le soir dans l'atelier qu'avec une lanterne ; il était défendu de fumer dans les pièces où l'on ployait les cotons ; enfin toutes les précautions étaient prises.

À ce moment même, Francinet se ressouvint qu'un des ouvriers, le père Léon, chargé précisément du soin des cotons dans le séchoir à la vapeur, avait la mauvaise habitude de fumer, malgré les réprimandes qu'il recevait à cet égard. Le soir même, Francinet l'avait vu la pipe à 1a bouche, lorsqu'il rapportait les sacs de coton sur son épaule ; puis, ayant cru entendre M. Clertan, le père Léon avait précipitamment fourré sa pipe dans sa poche en disant : - Ah ! voilà le patron ; petit Cinet, ne parle pas de ma pipe.

À mesure que Francinet se rappelait toutes ces choses, il lui semblait de plus en plus certain qu'un accident avait pu avoir lieu, et qu'un danger menaçait le grand-père d'Aimée.

Néanmoins le jeune garçon n'osait se décider à retourner chez M. Clertan :

- Tout le monde est couché, pensait-il ; comment oser réveiller les gens sans savoir si mes craintes sont fondées ?

Mais bientôt une pensée plus désintéressée l'enhardit :

- Qu'est-ce que je risque en y allant ? se dit-il. Qu'on se moque de moi, si je me trompe, et qu'on me gronde ? Eh bien ! J'aime mieux risquer cela que d'exposer à un danger mademoiselle Aimée et son grand-père si je ne me trompe pas.