Il n'est pas de riche qui n'ait parmi ses aïeux quelque pauvre ; il n'est pas de pauvre qui n'ait parmi ses aïeux quelque riche.
Les fils du riche deviendront pauvres s'ils sont prodigues ; les fils du pauvre deviendront riches s'ils savent épargner.
Pourquoi donc le riche mépriserait-il le pauvre, et pourquoi le pauvre haïrait-il le riche ?

 

Aimée continua :

- À ton âge, Francinet, mon grand-père marchait pieds nus et ne portait de sabots que quand il gelait très fort. Il ne savait ni lire ni écrire, et ce n'est qu'à l'âge de dix-huit ans qu'il lui a été possible de s'instruire. Il était colporteur ; il portait sa petite boutique à son cou, et commença son métier à neuf ans avec cinquante sous de marchandises. Il dormait la nuit dans les granges, dînait d'un morceau de pain sec, et buvait dans le creux de sa main aux fontaines de la rue.

Il a mené, vingt ans durant, cette existence de travail sans relâche et de privations continuelles, avant de se décider à jouir un peu de la fortune qu'il avait si péniblement amassée.

Il s'est marié alors, et a monté une manufacture, continuant à travailler et épargnant toujours.

Enfin Francinet, mon grand-père a soixante-quinze ans ; en voilà soixante-six qu'il travaille. S'il est riche, il ne le doit qu'à lui seul. Ne trouves-tu pas qu'il a mérité le bien-être qui l'entoure, et penses-tu qu'on doive le regarder de travers, parce qu'il peut se servir d'une voiture, maintenant qu'il n'a plus assez de forces pour faire de longues marches à pied ?

- Oh ! dit Francinet, M. Clertan est un fier homme ! Mais comment tout cela peut-il être vrai ?

- Francinet, fit Aimée, c'est mon grand-père lui-même qui me l'a dit, et comment mon grand-père mentirait-il, lui qui m'a inspiré tant d'horreur du mensonge ?

- Pardonnez-moi, mademoiselle Aimée ; mais je trouve cela si singulier de penser que vous êtes la petite-fille d'un ouvrier, et que vous ne vous en cachez pas ! Cela me rend bien honteux du mauvais accueil que je vous ai fait la première fois.

- Ah ! dit la petite fille gaiement, n'en parlons plus.

Puisque nous ne sommes plus ennemis, c'est l'essentiel. Je vais vite dîner à présent, car mon grand-père aime l'exactitude, et j'entends la cloche du dîner.