L'ignorant est destiné à jouer toute sa vie, au milieu de ses semblables, le rôle d'un enfant.

 

- Mais moi qui suis pauvre, moi qui dois passer ma vie à labourer les champs, ou à travailler le fer dans la forge en feu, ou à élever pierre par pierre la maison du riche, ai-je besoin d'étudier ? La science est-elle faite pour moi ? Mes mains n'ont-elles pas plutôt besoin de savoir manier les lourds outils du travail que les feuillets délicats des livres ?

- Mon enfant, le pauvre doit s'instruire aussi bien que le riche ; car le pauvre a, comme le riche, des devoirs à remplir ici-bas pour devenir bon, sage, vertueux ; et il est à propos qu'il puisse sans cesse se rappeler ces devoirs en lisant et relisant les lois morales.

Mais les lois morales ne sont pas les seules qui intéressent le travailleur ; il est soumis aux lois de la société dans laquelle il vit, et s'il viole ces lois, il peut être traduit devant les tribunaux. N'est-ce pas une inconséquence attrayante que de ne pas savoir lire ces lois humaines qui peuvent vous condamner à l'amende, à la prison, ou même à la mort ?

Mon enfant, que vous travailliez la terre, ou le fer, ou le bois, il vous faudra prendre des engagements avec vos semblables et en recevoir : ne devez-vous pas être en état de donner à ces engagements une fixité certaine au moyen de l'écriture ?

Jeune ouvrier qui vivras de ton salaire, si tu n'as pas appris à compter, si tu ne sais pas calculer ce que tu as le droit de réclamer, tu ignores les conditions mêmes auxquelles l'existence du travailleur est attachée.

Le travailleur qui ne sait ni lire ni écrire est destiné à jouer toute sa vie, au milieu de ses semblables, le rôle d'un enfant.

À trente ans comme à dix, il sera encore sous tutelle. Il faudra que chacun pense, parle, lise, écrive, compte pour lui, fasse ses affaires et le dirige de ses conseils.

Naître pauvre, mon enfant, est regardé comme un malheur. Eh bien ! enfant du pauvre, le premier remède à ce malheur, c'est de t'instruire. L'ouvrier qui a un bon fonds d'éducation sent bientôt que sa valeur a doublé. Il s'estime davantage et il est aussi estimé davantage par tous ceux qui le connaissent.

- Mais j'ai si peu de temps à passer à l'école ! Je ne pourrai jamais savoir grand-chose ?

- Le temps est comme l'étoffe, mon enfant : celui qui ne le gaspille pas, taille un vêtement tout entier, là où le prodigue ne trouve pas même de quoi draper son pourpoint. Sois donc économe de ton temps, cher petit enfant du travailleur ! Ne perds pas une minute lorsque tu viens t'asseoir sur les bancs de l'école.

Aime le livre où tu essaies d'éclairer ton intelligence, arrache-lui un à un tous ses enseignements. Qu'il soit pour toi comme une promesse de délivrance pour l'avenir ! Va, cela est plus vrai que tu ne le crois. Ton livre t'aime sans que tu t'en doutes. C'est un ami qui te parle et veut t'éclairer . Ces lignes régulières de petits points noirs qui se déroulent sous tes yeux, qui donc les aurait tracées, sinon la main de quelqu'un qui t'aime ? Va, cher enfant du peuple, ta mère n'est pas la seule à suivre d'un œil attendri ton jeune visage dans la foule. Celui qui te parle ici, par la voix de ton livre, est un ami inconnu, mais dévoué, qui voudrait te voir heureux. Écoute donc les leçons de ton livre, mon enfant ; étudie tant que tu pourras. La sagesse arrive à mesure que l'ignorance s'enfuit ; et la sagesse, c'est le bonheur !