Quand la conscience n'est point tranquille, on ne peut goûter aucun repos.

 

Lorsque les ouvriers arrivèrent après leur déjeuner, Aimée se trouva sur leur passage.

Elle espérait que Francinet lui ferait quelque excuse, ou qu'elle-même aurait le courage de lui adresser la parole ; mais Francinet se contenta d'ôter sa casquette devant elle sans la regarder, et Aimée ne put jamais se décider à lui accorder d'autre bonjour qu'un petit signe de tête tout à fait protecteur.

Dès qu'Aimée eut donné cette pauvre victoire à son orgueil, son âme se remplit de tristesse, car elle eut la conscience plus troublée encore.

Son grand-père, la voyant toute soucieuse, l'emmena après déjeuner à la campagne pour la distraire ; mais l'enfant ne put jouir du plaisir de la promenade. Les paroles du livre bourdonnaient à son oreille, et tout ce qui l'entourait semblait prendre à tâche de les lui rappeler encore. Le gai soleil, qui se jouait sur la prairie uniforme et calme aussi bien que sur les cimes escarpées des collines, semblait lui dire :

- "Vois, petite Aimée, je brille pour tous, je prodigue ma chaleur et ma lumière aux humbles comme aux audacieux, aux bons comme aux méchants. Je suis le soleil du bon Dieu. On appelle Dieu le bon Dieu, parce qu'il est la bonté même. Petite Aimée, tous les hommes doivent s'efforcer d'être parfaits comme leur Père céleste est parfait".

Puis, c'était le blé qui, vert comme l'émeraude, ondulait sur les sillons, et semblait murmurer :

- "Petite Aimée, je pousse mes tiges fécondes tant que je puis ; mais ce n'est pas pour toi seule que je croîs, car je suis la plante bénie qui nourrit l'humanité entière. Le pauvre, le riche, l'homme bon, l'homme méchant, tous s'alimenteront de mon grain : je suis le blé du bon Dieu ! Je me dois à tous, parce que tous les hommes sont frères, et que Dieu est leur père commun. Il les aime tous, et le premier des commandements, c'est l'amour : - Mes petits enfants, aimez-vous tous comme je vous ai aimés !"