Si vous prenez l'habitude de jouer sans cesse, le travail vous sera pénible, et le jeu lui-même finira par vous ennuyer. Vous n'aurez donc des deux côtés, au travail comme au jeu, que de l'ennui.
Mais si vous prenez l'habitude de travailler, le travail vous deviendra peu à peu agréable, et le jeu qui sera votre récompense vous sera agréable aussi. Vous n'aurez alors que de l'agrément.

 

M. Clertan s'était éloigné, et Francinet s'était remis au travail, continuant à regarder par la lucarne.

Il faisait grand soleil. C'était une de ces belles matinées de mars qui annoncent le printemps, et de sa place Francinet voyait briller, comme des perles, les gouttes de rosée sur le gazon de la pelouse.

Tout à coup une petite fille vêtue de blanc, avec de longs cheveux flottant en boucles sur ses épaules, s'avança dans l'allée qui bordait la pelouse. Elle semblait avoir de huit à dix ans.

Un grand chien de fine race épagneule, aux longues soies noires et blanches, accourut aussitôt, saluant sa petite maîtresse par de folles gambades, et aboyant pour lui manifester sa joie de la revoir.

- A bas, Phanor ! disait-elle, chut ! taisez-vous, ne me salissez pas.

Et quand l'inte1ligent animal, pour lui complaire, s'éloignait docilement, la petite fille aussitôt, du geste, le rappelait. Tous les deux alors, l'un courant après l'autre, faisaient le tour de la pelouse. Et c'étaient des éclats de rire sans fin, puis des commandements faits de cette petite voix d'enfant qui se grossit pour paraître importante. En revanche, Phanor, adoucissant la sienne, aboyait discrètement, et agitait en signe de joie sa longue queue noire dont l'extrémité avait une tache blanche.

La petite demoiselle prit un cercle, l'éleva à la hauteur de son épaule, et se mit à crier : hop, hop ! Phanor !

Phanor, aussitôt, d'un bond s'élança à travers le cercle. Puis ce fut le foulard de sa maîtresse qu'il courut chercher et que, fièrement, la tête la tête droite, il lui rapporta.

Francinet ne perdait rien de cette scène. Il suivait chaque mouvement du bel épagneul aussi bien que les moindres gestes de la jeune demoiselle ; et dans la contemplation de ce gai spectacle, son cœur se mit à battre démesurément. Il avait une envie folle d'aller, lui aussi, courir avec le docile Phanor et s'ébattre en plein soleil autour de la pelouse.

Francinet n'avait pas été habitué à travailler longtemps de suite, car sa mère n'avait jamais le temps de le surveiller. La veuve Roullin partait à sa journée dès sept heures du matin ; elle ne rentrait que le soir, quelquefois bien tard. Pendant ce temps, Francinet et son petit frère, toujours seuls, flânaient dans la rue entre les heures de classe.

On comprend combien un travail assidu devait être difficile à Francinet. Rien, en effet, n'est plus difficile que de se délivrer d'une habitude prise, et c'est pour cela qu'il n'en faut prendre que de bonnes. Francinet eut beau résister d'abord à l'envie de laisser là son travail, il finit par oublier la tâche qui lui était assignée, quitta son moulin, courut à petits pas vers la lucarne, et se consola de ne pouvoir jouer en regardant du moins le jeu de plus près.