Divisez les difficultés si vous voulez les résoudre ; divisez les travaux si vous voulez les rendre faciles

 

- Monsieur, dit le lendemain Francinet, je suis loin de désirer, comme Monsieur Henri, d'aller vivre tout seul dans les îles désertes. Je trouve qu'on a déjà bien assez de mal à vivre en se prêtant tous un appui.

 

Seulement, je trouve que c'est très ennuyeux de travailler à la manière de tout le monde, c'est-à-dire chacun faisant toujours une même chose. Moi, par exemple, je tourne un moulin ; le père Jacques trempe ses écheveaux dans la cuve de campêche, de cochenille ou de garance. Ma mère tisse continuellement ; le boulanger, notre voisin, fait cuire du pain depuis le matin jusqu'au soir ; le cordonnier d'en face est toujours assis vis-à-vis d'une paire de souliers. Ne serait-il pas plus agréable de faire soi-même ses chaussures, son pain, sa blouse et tout ce dont on a besoin ? Quand on fait une chose nouvelle, c'est toujours amusant ; si l'on changeait toujours de travail, on s'amuserait toujours en travaillant.

M. Edmond. - Cela serait fort bien trouvé, Francinet, si nous n'avions ici-bas qu'à nous amuser. Les hommes sont forcés de rechercher pour travailler, non la manière la plus amusante, mais celle qui produit le plus travail avec le moins de fatigue possible.

CuveTa mère, Francinet, s'il lui fallait boulanger votre pain, coudre et tailler tous vos vêtements, fabriquer vos chaussures, tricoter vos bas, semer les légumes que vous mangez, le blé avec lequel vous faites le pain, couper le bois qui vous chauffe, réparer votre toiture quand la pluie la dérange, fabriquer enfin toutes les choses dont vous jouissez ; ta mère, dis-je, même aidée par ta sœur, ne trouverait ni le temps ni la force de faire tout. Eût-elle le temps et la force, comment se procurerait-elle le coton, le lin ou le chanvre de vos vêtements, les matières premières dont sont faits vos meubles et votre maison, puisqu'elle n'a pour tout bien que son travail de chaque journée ? Évidemment ce serait impossible, et ta mère serait dans une misère effrayante.

Eh bien ! mon enfant, grâce à la division des métiers, tout cela s'arrange. Ta mère et ta sœur ont choisi l'état pour lequel elles avaient du goût et de l'aptitude : elles ont appris à tisser. L'excellence de leurs yeux leur permet de distinguer rapidement l'ordre dans lequel les fils doivent être passés entre les dents des peignes, et l'adresse de leurs doigts leur permet d'exécuter ce travail minutieux avec rapidité. En échange du service qu'elles rendent ainsi à la fabrique, elles gagnent à elles deux des journées tantôt de trois francs, tantôt de quatre. Avec cela, elles se procurent leur pain tout fait chez le boulanger, et meilleur qu'elles ne pourraient le réussir. Elles achètent tout faits la blouse, les bas et les sabots que tu portes ; et la blanchisseuse, pour quelques sous, entretient vos vêtements propres.

"À chacun métier", dit le proverbe, et le proverbe a raison. J'ajoute :
- Chacun doit aimer le métier qu'il a choisi, et chercher à le remplir de son mieux.