On connaît le procédé qui suit : un sujet étant donné, faire chercher par la classe les développements qu'il comporte ; celui-ci trouve une idée, celui-là une autre ; toutes sont recueillies et inscrites au tableau noir à mesure qu'elles se présentent ; il s'agit ensuite de les classer ; nouvel effort fait en commun ; de là sort le canevas sur lequel les élèves auront à travailler, chacun alors en particulier.

Je viens de voir ce procédé employé par deux maîtres ; les résultats ont été très différents. Chez le premier l'exercice a d'abord été froid, pénible, traînant, les élèves ne parlant pas, ne trouvant rien ; puis il est devenu confus, tous voulant parler, l'un répétant ce que l'autre avait déjà dit ; ce qui était mal venu se débrouilla mal ; le canevas manqua de netteté. Chez le second, tout s'est déroulé avec suite et ordre : de l'animation, mais point de confusion. Ce qui me frappa surtout, ce fut le travail final d'arrangement ; les idées se démêlèrent à souhait : sous nos yeux naquit un plan simple, clair, d'une bonne ordonnance.

Je réfléchissais ; je me demandais d'où venait cette différence de résultats ; on m'assurait que les deux classes - les deux divisions d'un même cours d'une école nombreuse - étaient composées d'élèves de même valeur. Au moment de sortir, m'approchant de la table du dernier de ces maîtres, je vis parmi ses notes le plan écrit de sa main, qu'il avait apporté tout rédigé. Ce fut un trait de lumière ; je m'informai, et je ne tardai pas à apprendre que le premier maître, soit qu'il voulût conserver à l'exercice son caractère de spontanéité, soit qu'il se fiât trop à lui-même, n'avait à l'avance rien écrit, rien arrêté et fixé. Celui-ci allait au hasard ; son collègue savait où il allait. L'un, sollicité et tiraillé en tous sens, déconcerté par des suggestions qu'il n'avait pas prévues, était resté jusqu'à la fin hésitant, incertain ; l'autre tranquille, sûr de se retrouver, n'avait pas cessé d'être maître de lui-même et de sa classe qu'il avait laissée trotter devant lui. Le premier avait été mené par ses élèves ; le second les avait menés. Voilà bien, me disais-je, le secret de faire aisément et comme en se jouant les choses difficiles : s'y être préparé ! Que nos maîtres ne s'y trompent pas ; il en est de nos procédés d'enseignement comme des outils de l'ouvrier : ils valent moins par eux-mêmes que par la main qui les emploie. Que dis-je ? plus ces outils sont délicats, plus ils veulent être maniés délicatement ; plus ils sont perfectionnés, et plus ils exigent d'attention, d'adresse, d'habileté.

 

E. A., in Revue pédagogique, 1885