Je viens de visiter successivement une grande ville et un village. Dans la grande ville les écoles sont vieilles ; elles sont étroites et sombres. Dans le village l'école est neuve ; elle est spacieuse, claire, riante. Ce contraste est fréquent à l'heure qu'il est dans notre France.

Et pourtant la grande ville a de gros revenus, et les ressources du village sont bien restreintes. Mais au village l'école est vraiment la maison commune où tous vont ; tous s'y sont intéressés ; on a fait effort pour l'avoir aussi belle que possible ; on y a mis son point d'honneur. On est fier maintenant de l'école, on la montre ; on la compare, on l'oppose à celle du voisinage. La grande ville, en outre de son école, a son lycée, ses facultés peut-être, ses musées ; elle a ses monuments ; elle construit des palais, elle construit des casernes ; elle ouvre des rues, des boulevards, elle trace et entretient des squares, elle s'agrandit, elle s'embellit, elle veut suivre le progrès (cela se dit ainsi), elle veut faire figure de grande ville.

J'essaie d'expliquer le contraste, mais je ne puis me défendre de cette pensée, que la grande ville avec ses gros revenus ressemble fort à plus d'un des ménages qu'elle abrite, riches et gênés, qui ont toujours de l'argent pour les dépenses superflues et qui toujours en manquent pour les nécessaires. - L'école, n'est-ce pas le nécessaire ?

 

Les écoles de cette ville sont affreuses ; on n'y voit pas, on n'y respire pas ; les enfants s'y étiolent, les maîtres s'y tuent : les braves maîtres qui, dans ces conditions, font pourtant de leur mieux ! Il y a deux ans que je demande à la municipalité d'autres écoles et je n'obtiens rien ; d'autres sans doute avaient demandé avant moi. L'indignation finit par déborder. Quoi ! vous faites profession de démocratie et vous supportez de telles écoles ! Quoi ! vous vous dites les amis, les serviteurs du peuple et vous traitez ainsi les enfants du peuple ! Pourquoi ne crierait-on pas bien haut le nom de cette ville ? On affiche à la porte de la mairie le nom du père de famille qui envoie irrégulièrement son fils ou sa fille à l'école. Pourquoi ne publierait-on pas chaque année, à titre infamant, la liste des municipalités qui refusent aux enfants de toute une ville l'école saine à laquelle ils ont droit, une école où ils puissent vivre en même temps que s'instruire ?

 

E. A., in Revue pédagogique, 2e semestre 1884