Fi des formules apprises et des phrases toutes faites !

- Mais, me répondrez-vous, on veut que nous sachions beaucoup ; or, beaucoup savoir, n'est-ce pas avoir beaucoup lu, beaucoup retenu, emprunter beaucoup à droite et à gauche ? On n'exige pas sans doute que nous inventions tout ce qui nous est demandé ?

- Non, certes ; mais allez moins vite, ne prétendez pas préparer en six mois, en un an, au milieu des occupations souvent multiples que vous imposent vos fonctions, un difficile examen comme celui du professorat des écoles normales ou de l'inspection ; lisez doucement et relisez ; laissez votre science descendre en vous, vous pénétrer comme fait la pluie dans la terre, la pluie qui vraiment fertilise. Intervenez dans ce que vous apprenez ; ne vous contentez pas de noter, de recueillir en passant la pensée d'autrui ; pensez-y et, s'il est possible, repensez-la ; soumettez à votre propre jugement les jugements des plus autorisés ; repassez seul par les chemins où vous avez passé une première fois conduit. Toutes ces notions acquises, après avoir séjourné un certain temps en vous, le travail de la réflexion personnelle aidant, prendront quelque chose de vous, se feront vôtres ou à peu près. Et cela se sentira bien vite, quand vous devrez vous en servir, à la manière dont vous en disposerez, dont vous les présenterez, à un ton, à un tour plus vif, à une image imprévue, familière, mais ingénieuse, empruntée au milieu où vous vivez, à un détail, à un rien ; mais ce détail, ce rien, est précisément ce qui vous gagnera, vous attachera ceux qui vous lisent ou vous entendent, qui donnera à votre enseignement ce je ne sais quoi qui fait qu'il est écouté, qu'il agrée, qu'il reste dons les esprits.

 

E. A. , in Revue pédagogique, 1885