Lorsque parurent les premières études bourdivines, aussi péremptoires que fortement argumentées, du moins en apparence, ce fut un véritable coup de tonnerre pour nombre de ceux qui croyaient en l'idéologie de l'école libératrice (j'en faisais, j'en fais toujours, partie). Car du coup, ils se voyaient accusés, sans ménagement aucun, d'émarger aux chiens de garde du capitalisme.
Rien de moins.

 

 

Les affirmations cinglantes prétendant mettre au jour les comportements objectifs des enseignants - malgré, peut-être, qu'ils en aient - au service de la reproduction d'une société très fortement inégalitaire avaient, en effet, de quoi déstabiliser même les âmes les plus trempées à l'idéologie protestante et ferryste du progrès de l'homme par l'avancement des esprits - selon la belle (trop belle, peut-être) formule de Victor Hugo.
Pour faire bonne mesure, le tandem Bourdieu-Passeron fut ensuite doublé sur sa gauche par deux cyclistes encore plus acharnés (Beaudelot-Establet) qui se ridiculisèrent bientôt, selon moi, lorsqu'ils tentèrent de démontrer qu'avec l'arrivée de la gauche au pouvoir, toutes les difficultés s'étaient d'elles-mêmes aplanies (je vais très vite). Il a donc fallu faire avec ces briseurs de mythes.
Et même l'ouvrage documenté de Raymond Boudon ne parvenait pas à contrebalancer la véritable propagande qui tenta d'ériger les thèses bourdivines au rang de vérités intangibles, sinon révélées.
Lisons donc quelques pages de Bourdieu, mais n'oublions pas de méditer les bémols que Jean-François Revel, en quelques lignes (hélas peu connues) plaça sur le mythe de l'école conservatrice....

 

Les inégalités devant l'école et devant la culture

 

C'est sans doute par un effet d'inertie culturelle que l'on peut continuer à tenir le système scolaire pour un facteur de mobilité sociale, selon l'idéologie de "l'école libératrice",(1),alors que tout tend à montrer au contraire qu'il est un des facteurs les plus efficaces de conservation sociale en ce qu'il fournit l'apparence d'une légitimation aux inégalités sociales et qu'il donne sa sanction à l'héritage culturel, au don social traité comme don naturel. […]

Mais il ne suffit pas d'énoncer le fait de l'inégalité devant l'école, il faut décrire les mécanismes objectifs qui déterminent l'élimination continue des enfants des classes les plus défavorisées. Il semble en effet que l'explication sociologique puisse rendre raison complètement des inégalités de réussite que l'on impute le plus souvent à des inégalités de dons. L'action du privilège culturel n'est perçue, la plupart du temps, que sous ses espèces les plus grossières, recommandations ou relations, aide dans le travail scolaire ou enseignement supplémentaire, information sur l'enseignement et les débouchés. En fait, chaque famille transmet à ses enfants, par des voies indirectes plutôt que directes, un certain capital culturel et un certain ethos, système de valeurs implicites et profondément intériorisées, qui contribue à définir entre autres choses les attitudes à l'égard du capital culturel et à l'égard de l'institution scolaire. L'héritage culturel qui diffère, sous les deus aspects, selon les classes sociales, est responsable de l'inégalité initiale des enfants devant l'épreuve scolaire et par là des taux inégaux de réussite. […]

 

1. La transmission du capital culturel

 

Les recherches sur les étudiants des facultés de lettres tendent à montrer que la part du capital culturel qui est la plus directement rentable dans la vie scolaire est constituée par l'information sur le monde universitaire et sur le cursus, par l'aisance verbale et par la culture libre acquise dans des expériences extra-scolaires. […]

Les enfants originaires des milieux les plus favorisés ne doivent pas seulement à leur milieu des habitudes et des entraînements directement utilisables dans les tâches scolaires et l'avantage le plus important n'est pas celui qu'ils retirent de l'aide directe que leurs parents peuvent leur accorder(2). Ils héritent aussi des savoirs et un savoir-faire, des goûts et un "bon goût" dont la rentabilité scolaire est d'autant plus grande que ces impondérables de l'attitude sont le plus souvent mis au compte du don. La culture "libre", condition implicite de la réussite en certaines carrières scolaires, est très inégalement répartie entre les étudiants originaires des différentes classes sociales… Le privilège culturel est manifeste lorsqu'il s'agit de la familiarité avec les œuvres que seule peut donner la fréquentation régulière du théâtre, du musée ou du concert (fréquentation qui n'est pas organisée par l'école ou seulement de façon sporadique). Dans tous les domaines de la culture, théâtre, musique, peinture, jazz, cinéma, les étudiants ont des connaissances d'autant plus riches et plus étendues que leur origine sociale est plus élevée. Mais il est remarquable que la différence entre les étudiants originaires de milieux différents soit d'autant plus marquée que l'on s'éloigne des domaines directement enseignés et contrôlés par l'école, c'est-à-dire par exemple quand on passe du théâtre classique au théâtre d'avant-garde ou au théâtre de boulevard ou encore à la peinture qui ne fait pas directement l'objet d'un enseignement ou à la musique classique ou encore au jazz et au cinéma… De tous les obstacles culturels, ceux qui tiennent à la langue parlée dans le milieu familial, sont sans doute les plus graves et les plus insidieux, surtout aux premières années de la scolarité, où la compréhension et le maniement de la langue constituent le point d'application principal du jugement des maîtres…

La part la plus importante et la plus agissante (scolairement) de l'héritage culturel, qu'il s'agisse de la culture libre ou de la langue, se transmet de façon osmotique, même en l'absence de tout effort méthodique et de toute action manifeste, ce qui contribue à renforcer les membres de la classe cultivée dans la conviction qu'ils ne doivent qu'à leurs dons ces savoirs, ces aptitudes et ces attitudes qui ne leur apparaissent pas comme le résultat d'un apprentissage. […]

 

2. Le choix du destin

 

Le capital culturel et l'ethos concourent à définir, en se composant, les conduites scolaires et les attitudes devant l'école qui constituent le principe de l'élimination différentielle des enfants des différentes classes sociales. Bien que la réussite scolaire, directement liée au capital culturel légué par le milieu familial, joue un rôle dans les choix d'orientation, il semble que le déterminant premier de la poursuite des études soit l'attitude de la famille à l'égard de l'école, elle-même fonction … des espérances objectives de réussite scolaire qui définissent chaque catégorie sociale... En fait, cela signifie que les handicaps sont cumulatifs puisque les enfants des classes populaires et moyennes qui obtiennent globalement un taux de réussite plus faible doivent avoir une réussite plus forte pour que leur famille et leurs maîtres envisagent de leur faire poursuivre leurs études. Le même mécanisme de sur-sélection s'exerce selon le critère de l'âge : les enfants des classes paysanne et ouvrière, généralement plus âgés que les enfants de milieux plus favorisés, sont plus fortement éliminés, à âge égal, que les enfants de ces milieux. Bref, le principe général qui conduit à la sur-sélection des enfants des classes populaires et moyennes s'établit ainsi : les enfants de ces classes sociales qui, faute de capital culturel, ont moins de chances que les autres de témoigner d'une réussite exceptionnelle doivent pourtant témoigner d'une réussite exceptionnelle pour accéder à l'enseignement secondaire. […]

 

3. Le fonctionnement de l'école et sa fonction de conservation sociale

 

Si l'on prend vraiment au sérieux les inégalités socialement conditionnées devant l'école et devant la culture, on est obligé de conclure que l'équité formelle à laquelle obéit tout le système d'enseignement est injuste réellement et que, dans toute société qui se réclame d'idéaux démocratiques, elle protège mieux les privilèges que la transmission ouverte des privilèges.

En effet, pour que soient favorisés les plus favorisés et défavorisés les plus défavorisés, il faut et il suffit que l'école ignore dans le contenu de l'enseignement transmis, dans les méthodes et les techniques de transmission et dans les critères de jugement, les inégalités culturelles entre les enfants des différentes classes sociales : autrement dit, en traitant tous les enseignés, si inégaux soient-ils en fait, comme égaux en droits et en devoirs, le système scolaire est conduit à donner en fait sa sanction aux inégalités initiales devant la culture.

L'égalité formelle qui règle la pratique pédagogique sert en fait de masque et de justification à l'indifférence à l'égard des inégalités réelles devant l'enseignement et devant la culture enseignée ou, plus exactement, exigée. Ainsi, par exemple, la "pédagogie" qui a cours dans l'enseignement secondaire et supérieur apparaît objectivement comme une "pédagogie du réveil", comme dit Weber, visant à "réveiller" les "dons" enfouis en quelques individus d'exception par des techniques incantatoires, telles que la prouesse verbale du maître. Par opposition à une pédagogie rationnelle et réellement universelle qui, ne s'accordant rien au départ, ne tenant pas pour acquis ce que quelques-uns seulement ont hérité, s'obligerait à tout en faveur de tous et s'organiserait méthodiquement par référence à la fin explicite de donner à tous les moyens d'acquérir ce qui n'est donné, sous l'apparence du don naturel, qu'aux enfants de la classe cultivée, la tradition pédagogique ne s'adresse en fait, sous les dehors irréprochables de l'égalité et de l'universalité, qu'à des élèves ou des étudiants qui sont dans le cas particulier de détenir un héritage culturel conforme aux exigences culturelles de l'école. Non seulement elle exclut l'interrogation sur les moyens les plus efficaces de transmettre complètement à tous les savoirs et le savoir-faire qu'elle exige de tous et que les différentes classes sociales ne transmettent que très inégalement, mais encore elle tend à dévaloriser comme "primaires" (au double sens de primitives et de vulgaires) et, paradoxalement, comme "scolaires", les actions pédagogiques tournées vers de telles fins. Ce n'est pas un hasard si l'enseignement primaire supérieur qui, lorsqu'il était en concurrence avec le lycée classique, dépaysait moins les enfants originaires des classes populaires, s'attirait le mépris de l'élite, précisément parce qu'il était plus explicitement et plus méthodiquement "scolaire"... Il faudrait aussi s'interroger sur les fonctions que remplit pour les professeurs et les membres de la classe cultivée l'horreur sacrée du bachotage, opposé à la "culture générale". Le bachotage n'est pas le mal absolu lorsqu'il consiste seulement à s'avouer que l'on prépare des élèves au bachot et de les déterminer par là à s'avouer qu'ils se préparent au bachot. La dévalorisation des techniques n'est que l'envers de l'exaltation de la prouesse intellectuelle qui est en affinité structurale avec les valeurs des groupes privilégiés au point de vue culturel ; les détenteurs statutaires de la bonne manière sont toujours enclins à dévaluer comme laborieuses et laborieusement acquises des qualités qui ne valent que sous les espèces de l'innéité. Produits d'un système voué à transmettre une culture aristocratique dans son contenu et dans son esprit, les enseignants sont enclins à en épouser les valeurs avec d'autant plus d'ardeur peut-être qu'ils lui doivent plus complètement leur réussite universitaire et sociale. En outre, comment n'engageraient-ils pas, même et surtout à leur insu, les valeurs de leur milieu d'origine ou d'appartenance dans leurs manières de juger et dans leurs façons d'enseigner ? Ainsi, dans l'enseignement supérieur, l'étudiant originaire des classes populaires et moyennes sera jugé selon l'échelle des valeurs de la classe cultivée que de nombreux enseignants doivent à leur origine sociale et qu'ils reprennent volontiers à leur compte, surtout peut-être si leur appartenance à "l'élite" date de leur ascension au "magistère". Le renversement de la table des valeurs qui, par un changement de signe, transforme le sérieux en esprit de sérieux et la valorisation de l'effort en mesquinerie besogneuse et laborieuse, suspecte de compenser l'absence de dons, s'opère dès que l'ethos petit-bourgeois est jugé du point de vue de l'ethos de l'élite, c'est-à-dire mesuré au dilettantisme de l'homme cultivé et bien né. Tout à l'opposé, le dilettantisme que les étudiants des classes favorisées expriment en mainte conduite et le style même de leur rapport avec une culture qu'ils ne doivent jamais complètement à l'école répondent aux attentes, souvent inconscientes, des enseignants et plus encore aux exigences objectivement inscrites dans l'institution. Il n'est pas jusqu'à des indices de l'appartenance sociale, comme la "tenue" corporelle et vestimentaire, le style de l'expression ou l'accent, qui ne fassent l'objet de "petites perceptions" de classe et qui ne contribuent à orienter, le plus souvent de manière inconsciente, le jugement des maîtres(3). Le professeur qui, sous apparence de juger des "dons innés", mesure aux critères de l'ethos de l'élite cultivée des conduites inspirées par un ethos ascétique du travail accompli laborieusement et difficilement oppose deux types de rapport à la culture auquel des individus de milieux différents sont inégalement promis par leur naissance : la culture de l'élite est si proche de la culture de l'école que les enfants originaires d'un milieu petit-bourgeois (ou, a fortiori, paysan et ouvrier) ne peuvent acquérir que laborieusement ce qui est donné aux fils de la classe cultivée, le style, le goût, l'esprit, bref, ces attitudes et ces aptitudes qui ne semblent naturelles et naturellement exigibles aux membres de la classe cultivée que parce qu'elles constituent la "culture" (au sens des ethnologues) de cette classe. Ne recevant de leur famille rien qui puisse leur servir dans leur activité scolaire, sinon une sorte de bonne volonté culturelle vide, les fils des classes moyennes sont contraints de tout attendre et de tout recevoir de l'école, quitte à se voir reprocher par l'école des conduites trop "scolaires". […]

En accordant aux individus des espérances de vie scolaire strictement mesurées à leur position dans la hiérarchie sociale et en opérant une sélection qui, sous les apparences de l'équité formelle, sanctionne et consacre les inégalités, réelles, l'école contribue à perpétuer les inégalités en même temps qu'elle les légitime. Conférant une sanction qui se prétend "neutre" et qui est très largement reconnue comme telle, à des aptitudes socialement conditionnées qu'elle traite comme inégalités de "dons" ou de mérite, elle transforme les inégalités de fait en inégalités de droit, les différences économiques et sociales en distinction de qualité, et légitime la transmission de l'héritage culturel. Par là, elle exerce une fonction mystificatrice. Outre qu'elle permet à l'élite de se justifier d'être ce qu'elle est, l'idéologie du don, clé de voûte du système scolaire et du système social, contribue à enfermer les membres des classes défavorisées dans le destin que la société leur assigne en les portant à percevoir comme inaptitudes naturelles ce qui n'est qu'un effet d'une condition inférieure et en les persuadant qu'ils doivent leur destinée sociale (de plus en plus étroitement liée à leur destin scolaire à mesure que la société se rationalise) à leur nature individuelle, à leur manque de dons ; les succès d'exception des quelques individus qui échappent au destin collectif donnent une apparence de légitimité à la sélection scolaire et accréditent le mythe de l'école libératrice auprès de ceux-là même qu'elle a éliminés, en laissant croire que la réussite n'est affaire que de travail et de dons. Enfin, ceux que l'école a "libérés", instituteurs ou professeurs, mettent leur foi en l'école libératrice au service de l'école conservatrice qui doit au mythe de l'école libératrice une part de son pouvoir de conservation. Ainsi, le système d'éducation peut, par sa logique propre, servir la perpétuation des privilèges culturels sans que les privilégiés aient à se servir de lui. En conférant aux inégalités culturelles une sanction formellement conforme aux idéaux démocratiques, il fournit la meilleure justification à ces inégalités. […]

[© Pierre Bourdieu, "L'école conservatrice",  in  Revue française de sociologie, Année 1966, Volume 7, Numéro 3 p. 325 - 347]

 

L'intégralité de l'article bourdivin originel peut être trouvée sous ce lien

 

 

Petite réponse aux affirmations assénées par Pierre Bourdieu...

 

[...] Au XXe siècle on aura vu des sociologues aménager les résultats de certaines enquêtes afin de démontrer par des chiffres que, par exemple, les élèves des classes terminales de l'enseignement secondaire qui accédaient ensuite à l'enseignement universitaire provenaient tous de la "bourgeoisie". On accréditait ainsi l'idée que l'éducation dans les sociétés libérales, loin de remplir la fonction égalisatrice qu'on lui prête depuis qu'elle se démocratise, ne constitue en fait qu'un instrument de passation du pouvoir entre générations au sein de la classe dominante. On s'abstenait, bien entendu, de remonter jusqu'à la génération des grands-parents, dans l'échantillon scolaire choisi, ce qui eût achevé de détruire une thèse déjà fragile sans discrète épuration des données au stade des parents. En particulier, l'enquêteur ne tenait pas compte des éléments "bourgeois" qui ne parvenaient pas à terminer leurs études secondaires et donc, à plus forte raison, à suivre l'enseignement supérieur. Un tableau honnête et complet étalé sur deux ou trois générations aurait mis en évidence un double mouvement : un mouvement ascensionnel depuis les catégories plus pauvres vers les diplômes donnant accès aux carrières moyennes ou supérieures, et un mouvement de chute des enfants nés dans des familles aisées vers des occupations médianes, ou médiocres, en tout cas moins bonnes que celles de leurs parents, faute des diplômes nécessaires pour faire mieux. Cette peinture exacte aurait révélé, dans l'ascension professionnelle liée aux études, l'action de deux facteurs : un facteur social indéniable, procurant aux enfants de milieux aisés et cultivés des conditions plus favorables qu'aux autres, et un facteur personnel, exprimant le don, l'intelligence, le goût d'apprendre. Le second facteur, au fil de l'évolution historique et au fur et à mesure de la démocratisation de l'enseignement, devient-il peu à peu plus déterminant que le premier ? C'est toute la question. Or la théorie de l'origine purement socio-économique du succès scolaire et universitaire s'accompagne d'un postulat qui consiste à nier toute inégalité de dons intellectuels entre les enfants et même toute diversité de ces dons. Il n'y a pas, il ne doit pas y avoir de bons et de mauvais élèves, il n'y a que des victimes ou des bénéficiaires des injustices sociales. On voit comment le premier mensonge, niant tout effet égalisateur d'une éducation démocratisée, conduit au second, niant qu'il existe des dispositions plus ou moins prononcées pour le travail intellectuel. Il faut à tout prix masquer le fait que de nombreux enfants issus de milieux modestes réussissent dans leurs études et dans leur carrière mieux que nombre d'enfants issus des milieux aisés. Pour y parvenir, on est même allé, passant de la théorie à la pratique, jusqu'à proposer des réformes de l'enseignement expressément conçues pour empêcher les enfants les plus doués et les plus travailleurs de progresser plus vite que les autres. Tout bon élève étant suspect de ne l'être que parce qu'il appartient aux classes privilégiées, et le bon élève qui n'y appartient pas ayant le tort d'infirmer la théorie, la justice exige...  que tous les élèves deviennent mauvais, afin que tous puissent repartir ensemble et du bon pied vers un avenir égalitaire et radieux. Bien que la frontière reste assez floue, dans les sciences sociales, entre le mensonge flagrant et la déformation idéologique plus ou moins consciente, qui constitue un phénomène différent, nous pouvons parler de mensonge quand nous avons affaire à une falsification palpable des chiffres, des données, des faits(4) .

 

[© Jean-François Revel, "Du mensonge simple", in La connaissance inutile, pp. 27-28]

 

 

Notes

 


(1) Pierre Bourdieu fait ainsi une allusion explicite à L'Ecole libératrice, organe hebdomadaire (corporatiste et pédagogique) du Syndicat des instituteurs (SNI), publié depuis 1931 et jusqu'en 1992, date de la fin de la main-mise des socialistes sur le Syndicat, bousculés par la tendance communiste [Note SH].
(2) Paul Clerc observe que la surveillance exercée par les parents sur le travail des enfants est d'autant plus fréquente que l'on s'élève dans la hiérarchie sociale, sans qu'il existe un lien direct entre la fréquence de l'intervention des parents et le niveau de réussite scolaire ("Nouvelles données sur l'orientation scolaire au moment de l'entrée en sixième, II Les élèves de nationalité étrangère", Population, oct.-déc. 1964, note 2, pp. 635-636).
(3) De même les jugements que les instituteurs, imprégnés des valeurs des classes moyennes auxquelles ils appartiennent et dont ils proviennent de plus en plus souvent, portent sur leurs élèves, prennent toujours en compte la coloration éthique des conduites et l'attitude à l'égard du maître et des disciplines scolaires.
(4) Dans un autre passage du même ouvrage, on peut lire :
"Tout ce qui se passe à l'école découle de facteurs extérieurs à l'école : le théoricien attitré de cette théorie est Pierre Bourdieu, notamment dans les Héritiers (1964) et la Reproduction (1970). Pour mesurer la fragilité de la base sociologique de cette thèse, et l'arbitraire de son abstraction idéologique, on lira, non sans ahurissement, Philippe Bénéton qui, dans le Fléau du Bien (1983) met à nu (chapitres I et IV) l'indigence scientifique et le support empirique dérisoire d'une prétendue "enquête" de Bourdieu dans un lycée parisien. Raymond Boudon avait déjà montré l'impuissance de ce dogmatisme à rendre compte des faits dans L'inégalité des chances, la mobilité sociale dans les sociétés industrielles (1973)" [Note SH]-

 


 

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