Le texte qui va suivre est peut-être d'un autre temps. Il est en tout cas marqué du sceau des débats qui, dans l'immédiat après-guerre, firent rage autour de l'école. Il s'agissait, n'en doutons pas, pour certaines élites "issues de la Résistance", de dresser ce grand corps unifié d'Éducation nationale sur la constitution duquel, des années après, Mitterrand devait se casser les dents... et faire payer l'addition à l'immense Savary. Mais ceci est une autre histoire.
L'auteur, Jean Rolin, dont l'anti-marxisme est une seconde nature, entend d'abord lutter contre les conséquences du Plan Langevin-Vallon et contre le monde "sans épaisseur" (G. Thibon) du marxisme (il devait d'ailleurs consacrer un petit opuscule à une violente critique de ce plan - dont l'inspiration "étatique" ne fait pas le moindre doute). D'où des positions fort tranchées, et qu'on qualifiera peut-être, aujourd'hui, de caricaturales.
On ajoutera qu'un peu plus tard, la revue Esprit, dans sa livraison de Mars/avril 1949 (à laquelle participa Jean Rolin, justement, aux côtés de... Marceau Pivert !), et sous le titre "Propositions de paix scolaire", présentera des proposition certes plus nuancées, mais sans rien céder de ce qui fait (faisait ?) la spécificité de l'école libre.

 

 

 

À l'intention souriante de J.-F. Jaf.

 

L'école libre est l'objet d'un débat qui la dépasse et dans lequel nous ne voulons pas nous engager sans avertir que nous viserons plus haut. Dans la défense de l'enseignement libre, c'est la liberté de l'enseignement que nous envisagerons. Nous ne défendrons pas une boutique, mais un principe.

Il est vrai que le principe de la liberté scolaire ne s'incarne plus guère aujourd'hui que dans l'école chrétienne. C'est regrettable. Si la liberté d'enseigner avait donné ou conservé la vie à de nombreuses et considérables institutions non confessionnelles, l'école chrétienne serait en meilleure position pour se défendre. Elle ne se trouverait pas réduite à la seule compagnie des boîtes à bachot et marchands de soupe dont l'existence, si honorable qu'elle puisse être, n'apporte tout de même pas d'argument très fort en faveur du libre droit d'éduquer. Elle aurait à côté d'elle des institutions dont les mérites reconnus auraient du poids dans le débat. Elle verrait sa défense propre faire bloc dans la défense plus générale de tout ce qui doit à la liberté d'exister, et qui en est digne. Elle se défendrait mieux en défendant plus qu'elle-même. Et comme l'école chrétienne ne serait pas seule à avoir usé de la liberté d'enseigner et seule menacée de se la voir retirer, le débat sur l'école libre ne se trouverait pas étriqué à la mesure d'une polémique antireligieuse. Ceux qui mettent en cause l'enseignement libre devraient avouer que c'est à la liberté de l'enseignement qu'ils en ont. Et les atteintes qu'ils s'efforcent de porter à ce qui est un droit essentiel du citoyen ne pourraient pas se masquer du prétexte de la défense laïque.

Il n'en est, hélas, pas ainsi. Et puisque l'école libre se confond pratiquement avec l'école confessionnelle, il nous faut accepter le débat sur le terrain où il se trouve si malencontreusement enfermé. Nous défendrons donc l'école chrétienne. Mais nous visons plus haut qu'elle. Avec elle, c'est toute école libre que nous défendons ; et, dans l'école libre, c'est à la liberté de l'école que nous tenons.

 

Totalité et Liberté

 

Les raisons pour lesquelles les catholiques tiennent à leurs écoles se sont trouvées assez souvent et assez nettement précisées pour qu'il n'y ait plus d'équivoque à leur sujet. Leur force vient de ce qu'elles sont de principe. Ce serait les affaiblir que de les appuyer seulement sur des faits.

Il est, certes, un fait historique de prime abord assez frappant : la régression du catholicisme dans les âmes depuis soixante ans est assez fâcheusement parallèle à l'institution et aux progrès de l'école laïque dans le même temps. Pourtant il est difficile d'établir entre deux phénomènes aussi complexes une relation précise de cause à effet. Les causes de la déchristianisation de la France sont multiples. Il n'est pas douteux que l'école y ait joué son rôle. Mais on peut discuter sur l'étendue de ce rôle, qui ne fut pas le seul, si ce fut peut-être le principal.

On ne se trouverait pas sur un terrain plus solide en arguant de cet autre fait que la mentalité de l'ensemble des instituteurs a progressivement évolué vers des positions politiques qui comportent le laïcisme agressif et l'anti-religion. Si ce fait est constatable dans leur vie publique, il ne l'est pas dans leur vie professionnelle. Et les catholiques ne sauraient, sans une injustice qui nuirait à leur propre cause, accuser tous les maîtres de l'école publique de faire de l'anticléricalisme en classe. On peut même tenir, pour certain que ce serait plutôt une exception, et que, quelles que soient leurs positions politiques, les instituteurs ont conservé le sens de leur responsabilité devant l'âme de l'enfant.

Et comme on ne manquerait pas d'ajouter que l'administration a respecté les libertés du jeudi et du dimanche pour permettre aux enfants de recevoir l'éducation religieuse, on conclurait que, sur ce terrain, les répugnances des catholiques à se servir de l'école neutre ne sont pas justifiées.

 

 

Sur le terrain des principes, c'est autre chose. Le reproche principal est précisément qu'elle est neutre. Et que christianisme et neutralité s'excluent absolument. Abâtardissement certain que la conception d'une vie chrétienne qui s'ajouterait à la vie simplement humaine et "neutre" comme une partie rapportée, limitée à tels moments de l'existence, arrêtée à tels registres de l'activité ! Le christianisme authentique informe la vie entière, à tout instant et dans tous ses actes. Il exige que rien de l'homme ne lui échappe, que rien en lui ne soit "neutre".

Cette exigence de totalité fait aussi le caractère de l'éducation chrétienne. Le jeune chrétien ne se forme pas au catéchisme du jeudi et aux exercices du dimanche ajoutés à tout le reste d'une existence non chrétienne. Toute sa vie, et par conséquent sa vie scolaire elle-même, doit concourir à faire de lui un chrétien. De toutes les disciplines et de toutes les leçons, auprès de tous ses maîtres et de tous ses camarades, il doit recevoir ces influences permanentes et convergentes qui aboutissent à l'imprégnation chrétienne de tout l'être. L'enfant chrétien doit grandir en climat chrétien. Transplanté pour sa vie scolaire en climat neutre, il y gagne cette habitude de considérer la vie chrétienne comme une partie cloisonnée de son existence. Le christianisme cesse d?être pour lui la sève de la totalité de sa vie. En fait, il n'est plus chrétien et, le resterait-il en apparence, il ne l'est plus en profondeur.

Comme il exige tout l'homme, le christianisme veut tout l'enfant. C'est la raison d'être essentielle de l'école chrétienne.

 

 

On aurait tort de se récrier. Que peut-on redire à une telle conception ? Quant à ce qui est de leur vie personnelle, nul n'a le droit de reprocher aux chrétiens de tenir à cette puissante unification de leur être. Cela ne regarde qu'eux.

Quant aux incidences sociales de cet idéal chrétien, que ceux qui seraient prêts à protester au nom de la liberté sachent bien qu'ils retardent. Nous ne sommes plus aux temps où l'emprise, chrétienne sur les vies n'était, dit-on, qu'un moyen détourné de la domination politique du cléricalisme. Depuis qu'a été jeté le cri : "Le cléricalisme, voilà l'ennemi", on a vu des événements, on en peut prévoir encore, qui montrent où se trouvent pour la liberté les véritables périls. Ce n'est plus le christianisme qui la menace, c'est lui qui la défend, au contraire. Car on voit maintenant assez clairement ce qui se passe quand les âmes sont vidées de la foi chrétienne. C'est dans la mesure où elles se sont "libérées" - comme on disait - de la croyance religieuse qu'elles se sont ouvertes aux plus monstrueuses crédulités et aux plus barbares succédanés de la vraie foi. Quand l'homme ne trouve plus dans la religion l'aliment de son besoin de croire, il va le chercher ailleurs, et lorsque lui manque le christianisme, c'est à d'autres objets qu'il demande d'assurer l'unité de ses aspirations. C'est alors qu'il est prêt à toutes les fausses mystiques de la Nation, de la Race, de la Classe, de l'État, de la Révolution. C'est alors que son âme, vidée de la plénitude chrétienne, se trouve vouée à toutes les idoles dont le culte est le signe de la servitude intellectuelle et politique dans le monde moderne. "Les idoles, sont par nature exclusives. Elles possèdent des appétits totalitaires" (G. Thibon). Là où n'est plus la totalité de la foi chrétienne, c'est la totalité des mythes barbares qui s'appesantit.

C'est par là que le christianisme constitue le principal point de résistance à toutes les entreprises de servitude politique. Devant la tyrannie de l'État, il l'este la digue la plus solide. C'est dans la mesure où il occupe tout l'homme qu'il ne laisse plus de place en lui aux emprises des mystiques totalitaires ; c'est dans la mesure où il exige tout l'homme qu'il le détourne et le défend de ces engagements sans retour où s'abandonne au profit des puissances terrestres une liberté que le chrétien n'aliène qu'en Dieu. C'est le totalisme chrétien qui barre la route au totalitarisme politique.

Voilà par quel détour on peut dire que l'école chrétienne, par une exigence de totalité en apparence fort peu libérale, travaille en fait à la défense de la liberté. Aujourd'hui qu'on peut constater sans plus de doute où sont les vraies forces d'asservissement, il n'est plus possible de contester que les chrétiens, en refusant l'école neutre et en exigeant, par l'école chrétienne, que le christianisme assure son emprise totale sur les âmes, ne contribuent effectivement à la libération de l'homme.

 

Laïcité et Laïcisme

 

A qui sait comprendre et mesurer ce terrible danger du totalitarisme d'État, l'épouvantail du "péril clérical" et de la "défense laïque" apparaît assez risible. Personne ne menace la laïcité de l'État, - les catholiques moins que personne, et l'école libre moins que quiconque.

Quelles sont les exigences de la laïcité ? Que l'État soit indépendant de la religion, qu'il soit souverain dans son domaine et ne reconnaisse aucune emprise cléricale ; qu'il ne favorise aucun culte et assure la liberté de tous. Mais qui discute de cela ? En ce sens précis, la laïcité de l'État est reconnue comme élément intégrant de toute constitution moderne et le chrétien lui-même n'y trouve rien à redire.

Certes, il ne peut que se féliciter lorsque les croyances religieuses d'une nation lui assurent une unité chrétienne qui peut se refléter dans les institutions et dans les manifestations de la vie publique. Mais quand cette unanimité vient à être rompue, il n'a qu'à constater le fait, et ne saurait attendre autre chose de l'État que les garanties nécessaires à l?exercice de son propre culte qui, s'il ne peut par sa nature cesser d'être public, n'a rien en soi qui exige d'être officiel (Pourvu que les catholiques conservent le droit de se réunir, ils n'ont aucune raison de demander ni de désirer que ce soit sous la présidence des préfets).

Cette indépendance de l'État et de la religion n'est d'ailleurs pas incompatible avec ce que nous avons appelé plus haut l'exigence chrétienne de totalité. Car celle-ci concerne la vie personnelle et la vie de l'esprit. Elle interdit de concevoir une région de l'âme chrétienne et une zone de son activité qui ne soit inspirée et informée par la loi chrétienne ; elle n'interdit pas de concevoir un ordre politique qui soit en son principe laïc et dont le chrétien ne voit aucune difficulté à admettre les injonctions, si, restant dans leur ordre, elles ne touchent pas à sa vie personnelle et spirituelle, du moment que ce n'est que pour lui intimer des formes de conduite qui sont compatibles avec sa foi et que, de l'intérieur, il peut adopter en esprit chrétien et conformément au principe de l'unité de sa vie. C'est ce qui explique que le christianisme dans l'histoire ait pu tout à la fois dresser la résistance la plus intraitable aux empiétements spirituels de la puissance étatique et en même temps s'accommoder aisément, selon les temps et les lieux, des plus diverses formes d'État.

Nous dirons plus encore. La laïcité de l'État, en tant qu'elle assure que l'État ne professe aucune religion ni philosophie, est en même temps pour chaque citoyen la garantie qu'aucune contrainte politique ne saurait lui en faire adopter une. Elle est l'expression constitutionnelle du principe de la liberté de conscience. Or le chrétien ne peut que se féliciter de cet engagement que l'État prend à son égard de respecter ses libertés religieuses. Et la laïcité, promesse de l'indépendance totale du spirituel à l'égard de la puissance temporelle, apparaît finalement comme exactement conforme au principe évangélique de la distinction de Dieu et de César.

Les chrétiens n'ont donc point de raison générale, au contraire, de combattre la laïcité exacte exactement entendue. Et pour ce qui concerne plus précisément l'école libre, rien ne permet de dire qu'elle est un instrument de combat contre la laïcité. Quelqu'un demande-t-il que l'école chrétienne devienne école officielle, école de l'État, école forcée de tous les Français, institution gratuite et obligatoire ?

Bref, tant que nous restons en face de la notion bien précise de la laïcité de l'État, nous ne trouvons aucune raison, ni de principe ni de fait, pour soulever à son sujet aucun débat sur l'école chrétienne. Entre l'existence de l'école chrétienne et la laïcité de l'État on ne saurait trouver aucune incompatibilité.

 

 

Les difficultés apparaissent lorsque, par une équivoque insidieuse ou inconsciente, on fait glisser le débat du plan de la laïcité à celui du laïcisme, c'est-à-dire lorsque, d'un principe de droit constitutionnel devenu. un fait inéluctable de l'histoire politique, on passe à une philosophie dont les principes engagent la vie personnelle du citoyen et qui, tout aussi contestables que les principes de n'importe quelle philosophie, prétendent pourtant s'imposer comme philosophie d'État, sous prétexte qu'elle serait laïque comme l'État est laïque.

Ce jeu de mots ne saurait en imposer à aucun esprit réfléchi. Car le laïcisme est bien une philosophie. Dans un document dont l'intention générale était d'ailleurs de modérer ses prétentions, le laïcisme fut un jour défini par M. de Monzie, comme "une certaine façon de penser objectivement"(1). C'est une plaisanterie. Si le laïcisme n'était que l'esprit d'objectivité, il ne trouverait son application que dans le domaine des sciences positives - où il serait superfétatoire évidemment. Pour s'étendre comme il le fait à toute une conception de la vie et de la destinée (naturalisme, morale indépendante, etc.), il faut qu'il s'érige en un objectivisme essentiellement caractérisé par le refus de toute métaphysique. Or le refus de métaphysique est encore une métaphysique, de sorte que les principes du laïcisme n'ont aucun droit particulier à se présenter comme indiscutables. Il en faut conclure qu'un État n'est plus laïc dès qu'il professe une philosophie laïque ; il quitte son domaine propre et empiète sur le spirituel. Le laïcisme d'État est contraire à la laïcité de l'État.

On entrevoit aussitôt les conclusions que nous devons en tirer quant à ce qui concerne l'école. Bien loin que ce soit l'école libre, c'est l'école d'État qui contredit la laïcité de l'État. Si l'État ne doit enseigner aucune philosophie, même laïque, il ne doit avoir aucune école, même laïque. Dès qu'un État laïc ouvre une école laïque, il n'est plus laïc. Le principe de la laïcité de l'État interdit toute institution d'école d'État, exige la liberté totale de l'enseignement. Seule l'école libre est vraiment conforme au principe de la laïcité de l'État.

 

 

Une histoire de l'école laïque, s'il nous était loisible de l'entreprendre, viendrait confirmer ce simple raisonnement. Il n'est pas douteux que, pour les fondateurs de l'école laïque, le laïcisme fut une philosophie et qu'ils assignaient à l'école la mission de propager des vérités libératrices(2). En tant quc philosophes et apôtres du laïcisme, leur droit était évident d'ouvrir une école. Mais ils n'avaient pas celui d'ouvrir une école d'État, c'est-à-dire de se servir de la puissance de l'État pour propager leur philosophie laïque. Des éducateurs, qui se proposaient la libération des consciences, commettaient une erreur de principe en instituant pour cela une école d'État. Il était inévitable que tôt ou tard cette école manquât à sa mission et devînt un instrument de domination intellectuelle du parti au pouvoir. Une école libératrice devait d'abord être une école libre.

Nous ne dirons pas qu'il n'y ait eu là que de noires intentions. La nécessité d'assurer à l'école le caractère d'un service public, afin que l'enseignement fût répandu partout, pouvait faire penser que le laïcisme assurerait cette neutralité nécessaire pour que, dans un pays divisé de croyances, l'école publique assurât l'accord des esprits et l'unité morale de la nation. Au fond du laïcisme, en ce qu'il a de valable et de sincère, il n'est pas douteux qu'on trouverait ce souci d'assurer l'intégration dans l'école de toutes les forces morales du pays. L'équivoque, c'est qu'au lieu d'offrir l'école laïque comme un service public mais libre, on l'imposa comme une institution d'État. Ici encore l'erreur était au principe. Appeler à l'appui de l'école laïque toute l'influence et la puissance de l'État, c'était la faire apparaître comme l'école du parti au pouvoir et lui faire ainsi manquer, dès l'origine, à sa mission d'intégration de toutes les forces morales de la nation. Une école "intégrante" devait d'abord être une école indépendante.

Tout cela fera bien exactement comprendre ce que les chrétiens - au même titre, d'ailleurs, que tous citoyens libres - ont le droit de considérer comme abusif dans l'institution de l'école laïque d'État : c'est l'utilisation, au service du laïcisme, de l'influence de l'État. Ils ne reprochent pas à l'école laïque d'être laïque, mais d'être d'État. Ils n'en veulent pas au laïcisme d'être un laïcisme, mais d'être un étatisme. Une école laïque libre ne poserait aucun problème. Dans le problème du laïcisme, l'étatisme seul est en question.

 

 

Donc, le laïcisme est le masque de l'étatisme, le détour par lequel un État, rompant avec la laïcité, impose une influence spirituelle. Vue qui se trouve exactement confirmée par l'évolution de l'usage politique de cette notion.

Pour ce qui est des fondateurs de l'école laïque, on peut penser que de solides convictions concernant la valeur de la liberté personnelle (et d'ailleurs des mœurs politiques et sociales encore saines les y contraignaient) les ont gardés de toute tentation consciente d'utiliser l'école laïque comme un moyen d'assurer l'emprise spirituelle du pouvoir temporel ; ils se proposaient sincèrement d'entreprendre une libération des esprits et même de les exercer à l'indépendance à l'égard du pouvoir. Pourtant, le laïcisme n'a pas tardé à dégénérer en instrument d'influence politique, à servir de point de ralliement à un parti intellectuel dont Péguy dénonçait justement l'équivoque entreprise de domination spirituelle par des moyens politiques. On disait alors que l'école laïque assurait la défense des libertés républicaines, ce qui pouvait à la rigueur se justifier au temps où ces libertés républicaines avaient encore quelque chose de commun avec les libertés tout court. Aujourd'hui qu'on peut apercevoir sans trop de peine ce que recouvre cette expression de la défense républicaine et constater qu'elle ne fait plus que servir de prétexte à des tentatives de prise du pouvoir par tous les moyens, on ne peut plus se faire d'illusions sur l'usage qu'entendent faire du laïcisme et de l'école laïque leurs plus ardents défenseurs. En passant du radicalisme libéral au communisme totalitaire, le laïcisme est en train de prendre son véritable visage. Apparent instrument de libération des esprits, il n'était, il n'est plus que l'insidieux détour par lequel un État totalitaire prétend assurer son emprise sur les âmes.

Nous dirons donc pour la seconde fois que les chrétiens qui refusent au laïcisme et qui dénient à l'école laïque le droit de s'imposer comme une institution d'État sont dans ln plus pure tradition de la résistance à l'étatisme. 11s travaillent à défendre contre l'État totalitaire les libertés de l'esprit.

 

L'École fermée

 

Mais tous les chrétiens sont-ils d'accord dans cette résistance avertie ? Il nous arrive de nous demander si ce n'est pas d'abord à l'intérieur de la communauté chrétienne qu'il importe parfois de défendre la liberté de l'école. Des catholiques, soit par opportunisme politique, soit par incertitude à l'égard des principes que nous avons dégagés, se sentent et se disent prêts à abandonner des positions traditionnelles jusque-là considérées comme capitales.

Quelle raison donnent-ils surtout à cet abandon ? C'est qu'en des circonstances aussi dramatiques que celles où nous vivons et qui sont décisives pour la rénovation du pays, il importe que les chrétiens, sous peine de se mettre à l'écart du nouvel ordre social, soient mêlés intimement à l'ensemble de la nation et intégrés à l'effort unanime. Or l'école libre les sépare et les distingue, son opposition à l'école officielle les enferme dans une sorte de ghetto dont il convient de sortir.

Sur la présence nécessaire des chrétiens au monde qui se fait, personne n'émettra un doute. Mais nous croyons que l'école libre, en restant, elle-même, représente un élément de salut, de liberté. Cette affirmation de soi ne doit pas être division ni désunion. Alors, et contrairement à l'individualisme qui ne ferait qu'aggraver le mal, puisqu'il en est la cause, elle peut lutter contre les puissances d'uniformisation qui menacent les justes libertés de l'esprit. Ce résultat heureux ne saurait être atteint toutefois que si l'école libre évite soigneusement de s'isoler, de se "fermer". Et c'est ce qu'il nous faut expliquer.

 

 

Essayons d'abord de déterminer de façon générale quel est le contenu de cette notion de groupe social fermé.

Il nous paraît beaucoup plus simple et plus objectif de le faire, non pas en fonction de la mystique qui anime le groupe considéré, mais en fonction du nombre et de la qualité des échanges qu'il entretient avec les autres groupes. Une mystique peut dégénérer et n'être plus qu'un masque ; même largement rayonnante en son essence, elle peut servir de prétexte aux comportements sociaux les plus mesquins et les plus étroits : l'idéal démocratique peut se dégrader en parades verbales, en agitations vaines, et masquer la pire tyrannie contre les personnes, celle du parti anonyme et irresponsable ; l'hitlérisme, qui ne parlait que d'honneur, de grand Reich, de libération, d'Europe..., fut la plus féroce entreprise d'égoïsme qu'une nation orgueilleusement repliée sur elle-même ait jamais tentée. On n'est donc jamais sûr de la qualité d'une mystique ; on ne peut pas prévoir exactement si elle n'entraînera pas, plutôt que le rayonnement, la sclérose du groupe qu'elle anime.

De l'extérieur, par contre, il est possible de définir plus sûrement ce qu'est un groupe fermé. Un groupe se fermes dès qu'il ne se reconnaît plus une place exactement définie dans l'articulation organisée et hiérarchisée que constitue l'ensemble des groupes avec lesquels il entretient des rapports. On connaît le cas le plus typique : un État qui refuse de reconnaître les principes du droit des gens et de s'intégrer à une organisation internationale ne peut que s'ériger dans une autarcie égoïste et dominatrice, même s'il affiche une mystique universaliste ; et si, en dessous de lui, il supprime ou réduit les groupes sociaux intermédiaires où s'encadre le vie concrète des individus (famille, profession, cité, etc.), il est inévitable qu'il devienne accaparant et écrasant, professerait-il officiellement les plus bruyantes libertés démocratiques. Ce qu'on appelle fascisme ou totalitarisme n'est pas autre chose que ce phénomène d'exaspération égotique dans lequel sombre à peu près fatalement un État que le refus de s'intégrer à une hiérarchie des groupes, au-dessus et en dessous de lui, conduit à l'isolement, et de là, par un réflexe inéluctable, à la volonté de domination, On ferait les mêmes remarques en ce qui concerne les autres groupes sociaux : familles étouffantes comme des serres chaudes et que n'aère aucun sens civique, corporations refermées sur leur égoïsme et qui organisent le malthusianisme économique, syndicats de luttes des classes qui cristallisent le mécontentement et la revendication, on trouverait dans chaque cas un phénomène de désorganisation, au sens très précis de ce terme : un groupe social ayant coupé les liens qui le situent parmi d'autres groupes et, dans une œuvre d'ensemble, s'érige en bloc indépendant, n'ayant plus sa fin qu'en lui-même ; et par le fait même qu'il ne reconnaît plus aux individus qui le composent le droit de se situer hors de lui, dans des groupes différents et des activités diverses, il devient accaparant et tyrannique. Dans un groupe qui se ferme vont toujours de pair séparation et domination.

 

 

Cette analyse s'applique-t-elle au groupe social plus particulier qu'est l'école ? Oui, quoique de façon moins tragique et plus nuancée.

Ce n'est pas en raison de la mystique dont elle se réclame que nous pouvons être assurés qu'une école ne va pas dégénérer en école fermée : la preuve en est que l'esprit chrétien, essentiellement ouvert et rayonnant, n'a pas suffi à empêcher certaines écoles chrétiennes de se-dégrader en écoles de caste, et que le laïcisme, en son fond, il ne faut pas le nier, tentative de libération intellectuelle, a fini par donner naissance à l'école la plus fermée que nous puissions voir.

Car c'est bien l'école laïque d'État qui donne l'exemple le plus frappant et le plus malheureux qui soit d'une école fermée. Cherchons comment cela s'est produit. L'analyse du mal dans ce cas particulier nous fera comprendre ce qu'est de façon générale une école qui se ferme.

Nous ne méconnaîtrons pas qu'il est dans la nature même du groupe social scolaire de tendre à se fermer. L'école est une société artificielle, sinon par son but, du moins par ses méthodes. Pour assurer une éducation que les groupes naturels de la famille et de la profession (pour ne citer qu'eux) n'ont pas les moyens d'assurer convenablement, l'école doit en détacher et en isoler l'enfant. Elle se situe donc en marge des communautés naturelles ; c'est une communauté d'enfants ayant son esprit, ses lois, ses buts propres. Par définition et par nécessité, l'école est un groupe social séparé. Pourtant, cette séparation ne devrait pas entraîner nécessairement la rupture de tous échanges et un isolement complet, comme nous le voyons trop, à l'égard des cadres naturels de la vie de l'enfant. Il faut qu'une autre cause, qui n'était pas dans sa nature, ait fait d'un groupe scolaire normalement séparé un groupe anormalement fermé. Quelle cause ?

C'est ici que nous retrouvons à nouveau la néfaste influence de l'étatisme. Une école d'État, qui ne dépend plus que d'une autorité centrale et d'une administration uniformisante, se trouve nécessairement isolée de cet ensemble hiérarchisé que constituent, entre l'individu et l'État, les groupes sociaux intermédiaires. Son organisation étatique coupe les liens qu'elle devrait normalement entretenir avec les autres cellules sociales (familles, professions, mouvements de jeunesse, cité, église) qui constituent les autres milieux de vie de l'enfant et les autres cadres éducatifs. Il est inévitable alors que l'enfant soit par elle plus qu'isolé, accaparé, et que la vie scolaire tende à devenir artificielle et comme en vase clos, abstraite et livresque, imperméable à tout ce qui fait la vie réelle de l'enfant, coupée de toutes les influences qui sont indispensables pour faire un homme concret et complet (expérience des métiers, coutumes et langages des pays, contact direct avec la nature, vie collective de la cité, pratiques religieuses...). C'est ainsi que l'école d'État déracine et déclasse l'enfant.

Et c'est ainsi encore que, dans la cité, elle se ferme, s'isole et se dresse. Ne recevant plus son impulsion que d'en haut, ne dépendant plus ni des familles, ni des corporations, ni des pays, elle rompt avec ces derniers des échanges qui, loin d'entraver sa liberté, lui assureraient au contraire une influence accrue et un rayonnement plus étendu. Dans ces conditions, il est inévitable que se dégrade son idéal de libération des esprits et que sa volonté de séparation dégénère en volonté de domination. La sève qu'elle ne puise plus par un enracinement naturel dans les groupes sociaux de base, il faut qu'elle lui trouve un succédané et une compensation, car aucun groupe social ne saurait vivre sans une âme. Elle va la chercher artificiellement dans une idéologie. Cela fait d'elle un instrument de conquête politique des consciences, un moyen de domination du parti au pouvoir.

Qu'on nous pardonne ce long détour s'il a pu faire comprendre de façon précise comment nous posons le problème de l'école fermée.

Lorsque nous parlons d'école fermée, nous l'entendons quant à la mission propre de l'école, c'est-à-dire sur le plan de l'éducation et de l'enseignement, et à l'égard des cadres naturels de la vie de l'enfant et des autres cadres éducatifs. Nous ne l'entendons pas en fonction d'aucune influence politique, par rapport à nous ne savons quelle mission extra ou supra scolaire qu'il incomberait à l'école d'assumer. Une école fermée n'est pas, pour nous, une école qui se refuse à devenir l'instrument d'une idéologie et de sa propagande. Et quand nous demanderons à l'école de "s'ouvrir", cela ne veut pas dire que nous inviterons ses maîtres, en plus de leur mission éducative, à se faire les agents d'une politique. Puisque justement nous considérons qùe c'est cela qui ferme l'école.

Quand nous parlons d'école fermée, nous l'entendons, en second lieu, non pas par rapport à l'État, mais par rapport à la nation, à la nation soigneusement distinguée de l'État. Car la nation, c'est l'ensemble coordonné et hiérarchisé de toutes les activités sociales élémentaires, la communauté des familles, des métiers, des paroisses, des cités. Comment la confondrions-nous avec cet organisme central, pléthorique et impotent, envahissant mais paralytique, qui devrait être un cerveau et qui n'est plus qu'un cancer ? C'est donc sur cette vie sociale de base que l'école doit s'ouvrir, c'est en elle qu'elle doit s'intégrer, c'est elle qu'elle doit contribuer à animer. Et c'est par là qu'elle sera facteur d'unité nationale. L'unité française, en effet, est de trop vieille texture historique, linguistique, territoriale, ethnique pour se trouver menacée d'en haut ; les pires soubresauts peuvent bien raviver nos divisions idéologiques, ils ne mordent absolument pas sur l'unité de cette entité corporelle et spirituelle qu'on appelle France. Ce qui menace le pays, ce n'est pas une dislocation des membres, c'est une dégénérescence des cellules. C'est un abaissement de la vitalité des groupes sociaux de base, une diminution de l'intensité de leurs échanges qui risquent de tarir peu à peu les sources de la vie nationale et de dissiper le pays en une poussière d'éléments inorganiques. Alors il n'y aura plus d?unité nationale, mais seulement une unification étatique. Voilà à quelle sorte d'unité organique doit s'intégrer l'école en prenant ses racines dans les cellules élémentaires de la vie nationale. Alors elle ne sera plus une école fermée.

 

 

Appliquons ces remarques générales au cas particulier de l'école libre.

Que lui veut-on lorsqu'on lui demande de ne pas se fermer ? Qu'elle ne fasse pas comme l'école d'État.

Or elle l'imite, ce n'est guère douteux. Elle a pourtant moins d'excuses. L'école officielle, ligotée par la tyrannie administrative, ne subit son isolement que comme l'irrémédiable conséquence de son caractère étatique. L'école libre, si elle s'isole, ne doit s'en prendre qu'à elle. Et si elle ne sait pas utiliser sa liberté à briser cet isolement, à renouer ces liens coupés avec le dehors, à se situer à nouveau dans l'ensemble de l'organisme social de la nation, plus précisément dans l'ensemble des cadres éducatifs et des groupes sociaux naturels qui constituent les milieux de vie de l'enfant, alors nous dirons qu'elle est vraiment une école fermée, qu'elle s'isole de la nation, qu'elle manque à sa mission d'école nationale, qu'elle ne s'intègre pas à la volonté commune des Français.

Nous reprendrons dans une étude ultérieure l'examen plus approfondi de ce que devrait être cet effort pour une école ouverte ; car nous estimons que cette question se trouve à la clef de tout le complexe des problèmes qu'on nomme réforme de l'enseignement. Pour le moment, notons seulement qu'elle domine aussi tout le problème de la liberté de l'école. École libre et école ouverte sont pour nous deux expressions équivalentes. Car nous estimons qu'en s'intégrant dans la nation par toutes ces multiples racines que sont les cellules sociales intermédiaires, l'école réussirait enfin à s'assurer une véritable liberté.

Il en est de même en effet pour une institution que pour un homme. La liberté ne résulte pas de l'indépendance et de l'absence d'attache, mais de la multiplicité des liens organiques et de l'entrecroisement d'une multitude de dépendances qui, entre elles, se tempèrent et s'annulent. C'est cela qui fait qu'un individu est d'autant plus libre qu'il appartient à des cellules élémentaires plus nombreuses : la famille lui est un refuge contre les empiétements de la vie publique, mais la cité l'arrache à l'étouffement d'une vie familiale trop étroite ; les associations professionnelles lui permettent de défendre la dignité et le fruit de son travail, mais le syndicat ou la corporation lui imposeraient un caporalisme insupportable si le souci de sa famille, de son club, de sa paroisse ne lui imposait de tenir disponible toute une partie de ses activités. Et c'est par son attachement à tous ces groupes ensemble qu'il peut préserver sa vie personnelle et la défendre contre l'emprise étatique. Lorsque ces groupes intermédiaires s'affaiblissent ou s'effacent, lorsque l'individu se trouve isolé en face de l'État, celui-ci, peut bien lui garantir par les plus solennelles déclarations le respect de ses libertés ; pratiquement, elles sont réduites à rien. Une liberté qui ne dépend que du bon vouloir d'un État omnipotent et qui ne s'incarne pas dans des organismes capables de lui résister est une illusion de liberté. Il en est de même pour une institution comme l'école. Si elle ne tient sa liberté que de la permission de l'État, elle pourra bien recevoir de lui toutes sortes de promesses ; c'est liberté précaire et à tout instant révocable. Dans la mesure, au contraire, où l'école libre se liera organiquement à un grand nombre de groupes sociaux de base (familles, métiers, paroisses, pays, associations diverses), dans la mesure où elle cherchera à s'ouvrir à eux, à collaborer avec eux, ensuite à se fonder sur eux, dans cette mesure aussi, dépendant de beaucoup, elle ne dépendra d'aucun ; elle trouvera dans chaque groupe où elle aura pris racine le point d'appui nécessaire pour résister aux empiétements des autres et, en dernier ressort, à la tyrannie de l'État.

Ce faisant, elle ne sera pas seulement une école libre par son statut et sa constitution ; elle le sera par sa mission d'école libératrice, au sens exact de ce terme. Au lieu de déraciner l'enfant de ses cadres éducatifs naturels, elle s'efforcera au contraire, par la synthèse de toutes les influences qui contribuent à le former, d'assurer dans son éducation cet équilibre des diverses dépendances sociales qui définissent la vraie liberté de l'homme. Au lieu de contribuer à livrer à la domination de l'État des hommes seuls qui ne communient plus que dans les idéologies artificielles et les disciplines mécaniques, elle formera des hommes, fortement enracinés dans leurs milieux sociaux naturels et capables de résister à ces influences redoutables qui mènent vers la servitude les masses inorganisées. C'est en cet autre sens qu'on pourra dire encore que l'école libre aura formé des hommes libres.

 

 

Nous voudrions voir l'enseignement libre, bien qu'écrasé de soins matériels, se charger par surcroît du souci spirituel de cet enracinement de l'école dans la nation. Ce serait la meilleure façon de briser ce quant à soi où semble l'enfermer la seule revendication de ses droits et d'affirmer par ses actes qu'elle a compris qu'elle a des devoirs.

Car l'école libre - on ne le dit pas assez - a surtout des devoirs, Liberté oblige. "La liberté !... diront certains, l'école chrétienne en sent assez cruellement le poids, réduite à cause d'elle à des conditions de vie qui touchent à l'héroïsme quotidien. Si déjà elle pouvait vivre !... Que lui veut-on de plus ?" C'est vrai. Nous irons pourtant jusqu'au bout de notre pensée. L'école libre ne défendra utilement sa liberté qu'en prenant bien conscience des exigences qu'elle comporte. Une institution, comme un individu, affirme plus sûrement la valeur de son existence en assumant des devoirs qu'en revendiquant des droits. La liberté ne se justifie que par l'usage qu'on en fait. Et si l'école libre n'en fait rien, que pour imiter l'école qui n'est pas libre, quelle raison aura-t-elle d'empêcher qu'on la lui retire ? Ne peut-on croire, d'ailleurs, qu'un surcroît de soucis spirituels, loin de l'aggraver, viendrait alléger, au contraire, le poids qui fait peser sur l'école libre la précarité de son existence matérielle ?

Que l'école libre donc reprenne avec courage la conscience claire de sa mission. Et avec fierté. Il nous arrive de nous demander si elle ne souffre pas d'une espèce de complexe d'infériorité : institution qu'on tolère impatiemment et qui doit défendre âprement son existence contre ses ennemis et ses mauvais amis, elle semble condamnée à choisir entre la revendication acrimonieuse et la résignation à se faire toute petite. II faut que l'école libre reprenne confiance en elle-même et dans sa mission. Loin de se considérer comme le pis aller qu'on tolère et la survivance que le progrès des temps doit faire disparaître, qu'elle se persuade qu'elle est aujourd'hui le témoin et pour demain la ressource du principe fondamental de la liberté de l'école. Et qu'elle en est comptable.

Et maintenant que nous savons ce que c'est qu'une école fermée, nous n'aurons pas la crainte vaine que cette rigoureuse affirmation de soi l'entraîne à se fermer et à s'isoler. Au contraire. Il en est des institutions sociales comme des individus : seules les personnalités fortes sont capables de communion profonde ; seules les communautés vivantes, fortement animées de l'intérieur, puissamment conscientes de leur mission propre, savent rester ouvertes, donner et recevoir, et contribuer efficacement à cet échange entre cellules sociales élémentaires d'où résulte la vitalité d'une nation. C'est une erreur de suggérer à l'école libre qu'elle ne peut travailler au bien de la nation qu'en se reniant, en s'effaçant, en se mêlant. C'est au contraire en ne craignant pas de penser qu'elle tient dans ses mains l'avenir des libertés chrétiennes et des libertés civiques, et en agissant en conséquence, qu'elle servira le pays. Ce sera aussi le plus sûr moyen d'assurer son existence et de porter plus allégrement le dur fardeau que la liberté fait peser sur elle.

 

Notes

 

(1) A. de Monzie, Projet de loi tendant à la réorganisation générale de l'enseignement public (Imprimerie nationale, 1927).
(2) On sait que, dès ce moment, l'intention de J. Ferry était de supprimer les "béquilles théologiques", comme il disait entre amis.

 

 

Jean Rolin, in Études, tome 251, octobre 1946, n° 9, pp. 47-64

 

 

 


 

 

Texte soumis aux droits d'auteur - Réservé à un usage privé ou éducatif.