Dix ans auront donc été nécessaires pour adopter la convention des Nations unies sur les droits de l'enfant. Certes, des compromis se sont imposés pour réunir les meilleures chances d'obtenir la ratification de vingt États nécessaire à son entrée en application. Pour autant - et on ne manquera pas de le constater au fil des temps, tellement elle est riche dans sa philosophie et ses dispositions - la convention apparaît bien le texte de référence des prochaines décennies.

Elle est dominée par cette idée simple, et pourtant tellement nouvelle au regard de l'histoire, que l'enfant est d'abord un être humain. A ce titre, il doit jouir d'une protection renforcée et de prestations spécifiques justifiées par sa vulnérabilité, mais d'abord bénéficier de tous les droits et libertés fondamentales : les droits de l'homme ne visent pas que les adultes.

Personne ne s'offusquera que l'enfant mineur de dix-huit ans doive être respecté dans son intégrité physique et protégé contre les violences de toutes natures - y compris celles qui ne se justifient que par des motifs culturels - quand on sait ce que des centaines de millions d'enfants endurent quotidiennement sur la planète.

En revanche, les articles consacrant la liberté d'expression individuelle ou collective et, plus encore, parce que première, la liberté de pensée et d'opinion des enfants nous déroutent plus car ils contiennent un autre regard sur l'enfance. Au point que l'on peut se demander s'il existe encore un état de minorité. Ne s'engage-t-on pas dans une voie où ces enfants sacrés rois supporteraient plus de responsabilités qu'ils ne peuvent réellement en porter ?

Ainsi, les États signataires devront garantir à l'enfant "le droit d'exprimer son opinion sur toutes les questions l'intéressant" (art. 12). "L'enfant a droit à la liberté d'expression" (art. 13-1). Elle affirme que "les États parties respectent le droit de l'enfant à la liberté de pensée, de conscience et de religion" (art. 14-1), pour ajouter : "La liberté de manifester sa religion ou ses convictions ne peut être soumise qu'aux seules restrictions qui sont prescrites par la loi et qui sont nécessaires pour préserver la sûreté publique, l'ordre public, la santé et la moralité publiques, ou les libertés et droits fondamentaux d'autrui" (art. 14-3), et de conclure sur ces points : "Les États parties reconnaissent les droits de l'enfant à la liberté d'association et à la liberté de réunion publique".

Admettre que l'enfant puisse avoir son mot à dire sur ce qui le concerne, s'exprimer individuellement ou collectivement sans avoir à demander une autorisation préalable et sans se voir opposer de veto est bien une inversion de l'ordre des choses. Imagine-t-on des enfants décrivant, dans un livre ou une émission de radio, la dure condition de l'élève-travailleur ou encore des jeunes créant des mouvements dans lesquels il n'y aurait que des mineurs, des adhérents au président ?

L'enfant est donc tenu, a priori, non seulement comme un être capable d'affects, mais aussi d'une réflexion et d'une expression propres. Jusque-là, on le tenait pour un être fragile qu'il fallait protéger contre lui-même et surtout contre autrui.

Bien sûr, soyons réalistes, des enfants ne manqueront pas de subir des influences négatives : bien évidemment, certains déraperont, comme dans l'exercice de toute liberté ; ils devront alors rendre compte humainement, pénalement ou civilement, mais comme enfant mineur, c'est-à-dire en bénéficiant d'un système adapté. N'est-ce pas le prix à payer pour leur donner les meilleures chances d'accéder progressivement à une pleine responsabilité civile, sociale et civique ?

S'il faut rassurer les parents, rappelons que leur propre responsabilité ne sera pas engagée s'ils démontrent ne pas avoir commis de faute dans l'éducation ou la surveillance de leur enfant (art. 1384 du code civil).

La vraie responsabilité des adultes restera bien en amont. La convention réaffirme le rôle premier des parents dans l'éducation et l'orientation de l'enfant (art. 18). La charte des droits de la famille adoptée par l'Union des associations familiales le 10 juin 1989 ne dit pas autre chose.

a France, par la voix du président de la République, ayant annoncé publiquement le 10 juin dernier qu'elle signera et ratifiera rapidement ce texte, une adaptation de nos textes internes s'imposera. Le gouvernement, sous la responsabilité de Mme H. Dorlhac de Borne, secrétaire d'État chargée de la famille, s'est engagé dans cette voie, qui passe d'abord par une mise à plat de nos textes en référence à la convention. Déjà, le Conseil d'État, dans un rapport remis en mai dernier, proposait au gouvernement de reconnaître une réelle liberté d'expression et une défense aux enfants en justice dans toutes les situations où ils sont en jeu.

Mais la loi, nul n'en doute, ne suffira pas. À chacun, il appartiendra, à la maison, à l'école, dans la cité, de réviser ses attitudes et notamment de préparer les enfants à se saisir de leurs droits et d'intégrer les responsabilités qui en découlent. Les parents et les pédagogues privilégient déjà une démarche d'éveil et de responsabilisation des enfants au quotidien.

Nous n'en sommes plus à opposer les droits des enfants à ceux des parents. Notre devoir d'éducation doit nous conduire à les préparer à l'exercice de leurs responsabilités qui, au fur et à mesure de leur développement, prendra plus d'ampleur, mais dans le même temps à exercer les nôtres. Les rapports adultes-enfants ne sont déjà plus fondés sur le pouvoir hiérarchique, mais sur la capacité et l'autorité que reconnaissent les uns envers les autres ; cette capacité étant désormais partagée, même si elle n'est pas égale. Il ne suffira plus d'aimer les enfants - et, si certains enfants manquent d'affection, d'autres en débordent au point d'en étouffer ; il faudra encore les respecter dans leur personne, leurs pensées, voire leurs initiatives. Respectés, les enfants seront moins fréquemment maltraités. En contrepartie, ils pourront mieux se préparer à une pleine vie familiale et sociale... Et, après tout, n'est-ce pas ce que nous affirmions quotidiennement comme relevant de notre rôle d'adulte ?

En d'autres termes, par-delà l'affirmation de droits nouveaux, c'est bien à une démarche culturelle qu'invite cette convention. Elle offre simplement un cadre juridique, donc politique. Beau pari, difficile certes et qui ne manquera pas d'ouvrir de vrais débats.

 

©  Jean-Pierre Rosenczveig, magistrat, Directeur de l'institut de l'enfance et de la famille, in Le Monde du 22 novembre 1989, p. 2

 

 


 

 

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