On veut espérer que l'auteur de l'article qu'on va lire - article qui donne des leçons à l'école, cela est incontestable - ne connaît pas l'origine du mot qu'il utilise dans son titre. Car c'est ainsi que s'intitule (à peu de mots près) un ouvrage horrible écrit par un instituteur remplaçant (son nom ne sera pas retenu par l'Histoire) qui avait fait, immédiatement après 1968, de l'épanouissement des fantasmes sexuels des élèves qui lui avaient été confiés, son credo. Avec, au passage, des caresses pédophiliques.
Honte soit à l'Inspecteur primaire qui osa mettre rapidement fin à la carrière de ce sire ! Mais le Journal d'un éducastreur a été publié, et a été lu : ce n'est pas d'aujourd'hui que datent la revendication permissive et le mélange des genres. Ajoutons que le même triste sire a collaboré à la réalisation d'un film ma foi non dénué d'intérêt, dans lequel Coluche apparaît en maître d'école et prépare, en se rasant, une savoureuse leçon d'orthographe.
Espérons donc que le parent d'élève (confédéré) qui s'exprime ci-dessous n'est pas au courant de cette pitoyable histoire, et utilise ce terme dans une autre acception...
En tout état de cause, la question posée, à la suite du père, par la Rédaction de la Revue, "Ne serait-il pas temps de rendre aux parents la responsabilité de l'éducation de leurs enfants?" est, à commencer dans notre propre pays, parfaitement cruciale. Et la (re)lecture de l'ouvrage capital d'Ivan Illich, Une société sans école (dont on trouvera sous ce lien la version originale Deschooling Society), s'impose.

 

 

 

Cité Épanouie, le 6 novembre 1999

 

Mesdames, Messieurs de l'Instruction publique,

Mesdames et Messieurs les Enseignants,

 

 

Je me retiens d'écrire en saignant, car c'est de saignée que je veux vous entretenir ici. Du sang de nos enfants vampirisés par l'institution scolaire... Mais commençons par le début.

Il y a de cela 10 ans, nous vous avons confié notre fils Kevin. Après de longues hésitations, parce que, voyez-vous, nous n'accordions pas grand crédit à l'instruction publique, nous avons choisi, avec ma compagne, de le mettre à l'école officielle pour ne pas le marginaliser, quand bien même notre préférence allait à des écoles alternatives, parallèles ou perpendiculaires. Il devait bénéficier d'une meilleure intégration en restant dans son quartier avec ses camarades de jeu, alors que l'école privée l'obligeait à un arrachement que nous jugions néfaste. Nos orientations politiques ont aussi joué un rôle dans la mesure où nous ne souhaitions pas donner de nous une image élitaire.

Soyons honnêtes, au début, nous avons été agréablement surpris. L'école maternelle était à deux pas, les enseignantes laissaient aux enfants le temps et l'espace nécessaires à leur développement harmonieux. Les effectifs légers favorisaient une attention individualisée aux élèves à un âge où la confiance en soi se forge. Kevin partait donc décontracté sur le chemin de l'école et rentrait à la maison avec le sourire. Il aimait les chansons et les comptines qu'il nous récitait avec fierté, il ramenait des dessins pleins de fraîcheur, des objets amusants confectionnés en classe.

Mais, déjà au cours de la seconde année, les choses se sont gâtées. Une des classes a été fermée et Kevin s'est retrouvé avec vingt-sept autres enfants dans une école située à un quart d'heure - ce qui n'est pas énorme, certes, mais avec trois artères importantes à franchir, ce qui a suffi à créer un sentiment de déracinement - et, depuis, l'idylle scolaire s'est changée en une véritable phobie pour notre fils. Les nouveaux et trop nombreux camarades lui faisaient peur, beaucoup d'entre eux étaient des immigrés ne parlant pas français, l'institutrice débutante - pourquoi confie-t-on une classe si difficile à une fille sans expérience de la vie et du métier ? - a été rapidement débordée par la situation. Elle devenait agressive et intolérante. Le climat de travail s'est irrémédiablement détérioré. D'ailleurs, conscientes du problème, les autorités l'ont remplacée en cours d'année par un véritable dragon censé reprendre en main cette classe à la dérive.

Après l'anarchie, la dictature. Cette personne s'était mise en tête d'apprendre à lire à tous les enfants avant la fin de l'année, ce qui est contraire à toutes les directives et aux théories pédagogiques unanimement acceptées. Les problèmes de lecture de Kevin remontent à cette période. Il n'était pas prêt et sa curiosité pour l'écrit s'est transformée en aversion panique. Alors qu'il aurait suffi de laisser mûrir l'intérêt naturel qu'ont tous les enfants pour les affaires des grands, cette femme autoritaire et prétentieuse a détruit chez Kevin et quelques autres l'appétit inné de connaissances qui habite tout petit d'homme raisonnablement stimulé.

Nous avons pensé le retirer de l'école, mais, entre-temps, notre situation financière s'était dégradée et une institution privée n'était plus dans nos moyens. Nous avons donc laissé Kevin dans cette classe jusqu'à la fin de l'année, non sans avoir essayé de mobiliser d'autres parents pour dénoncer le scandale et exiger la nomination d'une enseignante compétente. Le problème, c'est que la plupart des familles approuvait les méthodes de cette maîtresse et se réjouissait que l'on cesse de s'amuser pour enfin apprendre à lire et à écrire. Isolés, nous avons dû faire le poing dans notre poche et nous résoudre à espérer des jours meilleurs.

Mais revenons-en à Kevin. Non seulement, il n'a pas acquis la lecture et l'écriture, mais encore il a perdu la spontanéité, la créativité, la joie de vivre qui l'habitaient. Ses dessins étaient devenus stéréotypés, ses bricolages bâclés, que d'ailleurs il ne ramenait parfois même pas à la maison, s'en débarrassant à la sortie de l'école. Ne pouvant échapper à cet univers scolaire hostile, il s'est réfugié dans des maladies psychosomatiques : asthme, eczéma, sans parler des insomnies et de l'énurésie apparues à ce moment-là.

Nous attendions avec anxiété la fin de cette année funeste avec l'espoir que le passage à l'école primaire apporterait une solution à ce problème devenu monstrueux.

Hélas, nous allions déchanter une fois encore. La classe de madame Charybde, dans laquelle Kevin a passé deux interminables années, n'a fait que l'enfoncer davantage encore dans sa dépression, car c'est bien de dépression qu'il s'agissait. Largué dans tous les domaines, incapable de lire, fâché avec les chiffres, Kevin a vu son retard se creuser de façon irrémédiable. Je vous épargne les détails consternants sur les méthodes humiliantes de cette dame qui faisait de la moquerie un principe pédagogique. Et Kevin était devenu le souffre-douleur de la classe entière.

Enfin, ce calvaire s'est achevé et nous avons placé de grands espoirs en monsieur Scylla, pensant qu'un homme serait plus apte à résoudre le conflit devenu chronique entre notre enfant et le savoir. Tout semblait annoncer une embellie dans un ciel noir : lors de la réunion de parents, monsieur Scylla et ses collègues avaient affirmé haut et fort que les parents seraient des partenaires écoutés, que les projets pédagogiques individualisés tiendraient compte des particularités de chaque enfant. Mais, très vite, nous avons découvert, dans l'apparente bonne volonté de cet enseignant, un goût du pouvoir, une propension à la manipulation des plus détestables. Il s'était mis en tête, après un week-end de formation en thérapie systémique, que le problème de Kevin était l'expression d'un dysfonctionnement de notre couple auquel, en toute humilité, il se proposait de remédier. Je ne vous raconte pas les entretiens intrusifs, les remarques humiliantes, les questions déplacées. Lorsque, excédés, nous rejetions cette "thérapie sauvage", monsieur Scylla nous culpabilisait en prétendant que nous refusions d'aider notre fils, que nous portions l'entière responsabilité de l'échec qui se profilait à l'horizon, que, s'il existait un brevet de parents, nous ne l'obtiendrions pas. Ce cauchemar éveillé a heureusement pris fin avec l'élection de l'enseignant au Conseil national sous la bannière du Parti liberté et renouveau. Son remplaçant, que je qualifierais d'insignifiant, ne faisait au moins aucun mal, car nous avons pu constater que les enseignants qui en faisaient trop étaient bien plus néfastes que ceux qui se contentaient du minimum. La pression avait baissé, mais les problèmes d'apprentissage de notre fils restaient sans réponse.

Finalement, lorsque nous avons accepté de mettre Kevin dans une classe spéciale dit d'intégradaptation, nous avons pu souffler un peu. Non que les choses se soient franchement améliorées, mais nous avions jeté l'éponge et, quand on n'attend plus rien, on n'est pas déçu : sagesse orientale à quatre roupies à l'intention des parents désabusés.

Maintenant, Kevin accomplit sa dernière année de scolarité obligatoire et il s'apprête à entrer dans la vie active. Diable ! Serait-ce que ces bientôt onze ans passés à l'école doivent être qualifiées d'inactives ? Il fera un apprentissage de boulanger-pâtissier dans un centre d'adaptation professionnelle en internat. Il ne se réjouit pas de quitter le foyer familial, mais l'internat, nous a-t-on assuré, est une mesure indispensable pour couper Kevin de son milieu familial. Serions-nous des pestiférés à mettre en quarantaine ?

Je conclus cette lettre sur cette dépossession de notre enfant. Sommes-nous d'incorrigibles ingénus, puisqu'une fois encore, nous faisons confiance à une institution ? Nous commençons à nous demander s'il ne serait pas temps de rendre aux parents la responsabilité de l'éducation de leurs enfants... Nous venons de finir la lecture d'Une société sans école, d'Ivan Illich (Seuil, 1971), et nous restons songeurs...

 

Votre désabusé

G. Nitör

 

L'école a-t-elle quelque chose à dire pour sa défense ? Certainement, et ce sera l'objet d'une prochaine lettre. En attendant, nous recommandons à chacun la lecture de trois réquisitoires terribles contre l'institution scolaire :
- Henri Roorda, Le pédagogue n'aime pas les enfants, Payot, 1918
- Edmond Gilliard, L'école contre la vie, F. Roth, 1942
- Claude Duneton, Je suis comme une truie qui doute, Seuil, 1978

Comme on voit, notre interrogation est de toutes les époques.

 

© L’Éducateur n° 13-99, 26 novembre 1999, pp. 28-29

 


 

 

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