Quel est le temps de travail des enseignants ? Peut-on en parler entre collègues ou faut-il laisser ce problème à 1'autorité ? Les enseignants préfèrent le flou. Est-ce bien raisonnable?

 

 

Ma collègue Catherine en fait vraiment le minimum. Elle est correcte, ponctuelle ; elle tient sa classe, fait son programme, comme on dit. Mais en dehors des heures de classe elle n'est tout simplement pas disponible. Ses préparations ne lui prennent pas plus d'une demi-heure par jour ; les corrections, elle les fait en classe ; vis-à-vis des parents elle fait toujours remarquer qu'elle est très pressée. Elle n'a surtout jamais le temps pour venir aux réunions de concertation entre collègues qui se sont peu à peu instituées. On la connaît à peine ; impossible de construire une équipe avec elle. Elle n'a pas le temps ; en réalité, je pense qu'elle ne donne pas le temps, même pas celui qu'elle doit à l'institution.

J'ai essayé d'aborder la question à la réunion de concertation, mais un collègue m'a fait remarquer qu'on ne doit pas parler des absents. Après la réunion, deux collègues sont venues me dire qu'elles partageaient mon impression, qu'elles aussi "la trouvaient saumâtre", qu'à leur avis Catherine ne faisait tout simplement pas ses heures de travail, mais voilà... que faire. "On ne va tout de même pas aller rapporter à l'inspecteur !" Le lendemain, une autre collègue m'a demandé d'être compréhensive. "Catherine a deux enfants de 8 et 10 ans et un mari." Et alors ? Moi aussi. D'ailleurs j'ai su que les enfants n'ont pas de "problèmes", ce qui aurait peut-être pu l'excuser.

Je n'ose pas en parler directement avec Catherine ; de quel droit le ferais-je ? J'ai peur qu'elle me prenne de haut, genre "de quoi tu te mêles ?". C'est souvent comme ça à l'école... la situation est bloquée et ça m'énerve. Mais je ne vois pas ce que je pourrais faire sans compromettre la paix entre collègues.

J'aurais envie d'aborder la question du temps de travail des enseignants en réunion de concertation. J'aimerais en avoir le cœur net.

Il m'a fallu beaucoup de courage pour proposer de mettre cette question délicate à l'ordre du jour. Je ne sais même pas si tout le monde pense qu'on doit bien quarante heures par semaine à notre "patron" et que c'est notre responsabilité professionnelle librement consentie de donner ce temps et de bien l'employer. La question du temps de travail fait partie des non-dit ; il n'est pas convenable de l'aborder, pas très "syndical" non plus.

Quand même, je veux en avoir le cœur net. J'ai préparé mes arguments :

1) si nous ne réglons pas cette question entre nous, elle sera réglée par l'autorité un jour ou l'autre ;

2) le laxisme sur le temps de travail nuit à l'image de la profession (on est déjà connus pour être toujours en vacances) ;

3) il y va d'un partage équitable du travail entre collègues, particulièrement les tâches collectives ;

4) on ne peut pas construire une équipe si à tout moment quelqu'un peut prétendre de bon droit qu'il n'a pas le temps, s'il n'y a pas un accord entre nous sur le temps qu'on doit à notre travail, aux élèves, aux parents, aux collègues, à l'équipe, aux tâches collectives.

 

Il faut qu'on clarifie cette question entre nous avant de s'engager dans un projet pédagogique qui prendra nécessairement du temps. Une fois qu'on sera au clair dans la concertation, on pourra aussi plus facilement aborder Catherine. Faut devenir adulte !

 

 

© L'Éducateur (suisse) n° 7, octobre-novembre 1995, pp. 12

 


 

 

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