Non seulement à la mémoire, mais à l'intention de Jean Pl. (1929-1975).

 

Prologue

 

"Les fautes d'orthographe constituent un énorme acte de vandalisme qui menace l'esthétique de la langue française" (Étienne Souriau, in Le Monde du 30 août 1952).

 

ENSEIGNEMENT (programmes)

 

M. Michel Debré demande à M. le ministre de l'éducation nationale quelles mesures il envisage de prendre pour rétablir dans les écoles, collèges et lycées la connaissance de l'orthographe. Il souligne qu'en effet l'évolution depuis une quinzaine d'années aboutit à un véritable massacre de la langue française. Qu'au surplus, cette ignorance des règles élémentaires a de graves conséquences sur le retard et l'insuffisance de la formation professionnelle des jeunes Françaises et des jeunes Français. Il serait heureux de savoir si, dans les projets du Gouvernement, ce rétablissement de base de l'éducation et de la culture est considéré comme prioritaire.

Réponse. - Les évaluations successives du niveau orthographique des élèves du système éducatif français sont rares, partielles et parfois contradictoires. Elles ne permettent actuellement de tirer aucune conclusion globale et catégorique. En toute hypothèse, et sans préjudice des éclairages nouveaux que pourra apporter l'évaluation nationale des élèves de cours élémentaire deuxième année qui sera conduite dans le premier trimestre de l'année scolaire prochaine, la maîtrise de l'orthographe est une composante décisive de la maîtrise de l'expression écrite. Son importance est soulignée par les programmes et instructions de chaque niveau scolaire. Les instituteurs, les professeurs de lettres notamment, les corps d'inspection y attachent en permanence une attention particulière. S'il n'est pas envisagé, pour le moment, de modifier les horaires d'enseignement ni d'adresser aux enseignants d'instructions nouvelles sur ce point, le ministre, qui partage les préoccupations de l'honorable parlemantaire, attend de la communauté éducative tout entière qu'elle conjugue ses efforts, pour inciter constamment, par de justes exigences, à l'exactitude orthographique indispensable.

(Journal Officiel du 26 mai 1986, p. 1441 - Orthographe respectée).

 

Introduction

 

Il a été beaucoup écrit sur l'orthographe, et plus particulièrement sur l'exercice de dictée ; tant il est vrai que ces deux concepts semblent se recouvrir largement : comme on peut le remarquer, d'ailleurs, l'orthographe est rarement notée, c'est-à-dire sanctionnée, en dehors de la dictée. Bien davantage, on passe aujourd'hui encore allègrement d'un : "il est bon en orthographe" à un "il est bon Français" ; c'est la tendance bien connue au scriptocentrisme scolaire(1) que la timide réhabilitation de l'oral, en particulier à travers les travaux jadis poursuivis autour du plan Rouchette, n'a nullement entamée.

Il a été également beaucoup écrit sur la notation de la dictée ; mais toutes les démonstrations de la profonde injustice de cette notation n'ont servi à ébranler ni le système, ni surtout la bonne conscience des notateurs, c'est-à-dire de nous-mêmes, enseignants de toutes catégories : et les études pionnières concernant la docimologie sont largement entrées dans l'oubli, si tant est qu'elles aient eu en leur temps quelque impact que ce soit.

Or, pour ce qui concerne les études critiques d'épreuves d'examen, elles portent essentiellement sur la fin de la scolarité obligatoire, c'est-à-dire sur la dictée du BEPC ancienne mouture. Aussi tenterons-nous, en nous inspirant de quelques-unes d'entre elles, d'analyser à notre tour une épreuve d'entrée au collège, c'est-à-dire située à la charnière de l'école élémentaire et de l'enseignement du second degré.

Il va de soi que nous avons parfaitement conscience de la faible étendue de notre corpus (16 copies), mais cela n'interdit nullement de tirer de son étude des enseignements. Il nous semble en effet qu'une description, que nous avons voulue relativement minutieuse, des faits relatés, se suffira, à cet égard, à elle-même. Elle constituera l'essentiel de ce mémoire.

On voudra bien, d'autre part, nous pardonner le jeu de mots de notre titre, discret hommage de reconnaissance au grand didacticien suisse, Samuel Roller(2), et allusion aux résultats de l'examen : ça saigne, en effet, puisque tous les élèves ont échoué. Sans doute est-ce là une manière de prendre parti en évitant, autant que faire se peut, tout parti pris.

Nous nous attacherons ensuite à rechercher divers modes de recensement des cacographies, c'est-à-dire, au vrai, des taxinomies ; il s'agira d'un inventaire rapide des travaux de chercheurs qui, de P. Bovet à N. Catach, ont essayé de mettre au point une nouvelle approche des "fautes" afin de prévenir, dans la mesure du possible, leur apparition, suivie d'une tentative de synthèse.

Il sera alors temps de revenir à notre corpus, et d'examiner les résultats numériques obtenus, sorte de prolongement de la première partie, qui aura à montrer s'il existe une corrélation avec les études analogues concernant le Second Degré.

On tâchera enfin d'ouvrir quelques perspectives sur une étude à venir, davantage tournée vers la didactique de l'orthographe.

Mais on posera, au départ, connus les travaux concernant les fréquences lexicales et les échelles de difficulté orthographique : ceux des chercheurs qui, de V.A.C. Henmon à F. Ters, en passant par les équipes anglaises, belges ou suisses, ont à des degrés divers apporté des éclairages sur ces questions ; connues, également, les controverses que ces recherches ont fait naître. C'est assez dire qu'on ne trouvera pas ici (sauf dans l'annexe 1, à la fin de cette étude) l'écho des discussions sur la valeur relative de ces outils qui ont au moins - même s'ils sont assez anciens - le mérite d'exister, et dont le plus grave défaut est sans doute de n'être point utilisés. La première partie de la bibliographie recense donc un certain nombre de ces travaux, qu'on se contentera de citer à travers leurs abréviations.

 

I. Taxer les fautes

 

"Il y a en matière d'orthographe, de la part de l'institution scolaire, une attitude sélective si forte qu'elle conduit à sanctionner tout élève qui n'est pas anormalement doué"

Jean Guion

 

I - ÉTUDES ANTÉRIEURES

 

Plusieurs chercheurs se sont essayé à l'analyse de corpus dictés à des examens : nous retiendrons trois études concernant le 1er cycle du Second Degré.

 [NB Les ancres paraissent ne pas fonctionner : dès lors, se rendre directement à la fin de l'article...]

I. Article de Cl. Buridant, in Bref n° 5, février 1976 (pp. 7-26).

 

Cet enseignant à la Faculté des Lettres de Lille III examine 500 copies d'une dictée donnée à la session de 1973 du B.E.P.C., dans les Académies de Lille et d'Amiens. Il s'agit d'un texte de Paul Valéry, Inspirations méditerranéennes (extrait d'une conférence prononcée à l'Université des Annales - Paris - le 24 novembre 1933, sous le même titre, dans laquelle le poète évoquait son enfance à Sète) dont nous donnons ci-après le "squelette" (cf. figure 3

Cl. Buridant "mesure" le texte (uniquement en ce qui concerne l'orthographe d'usage), à l'aide de cinq points de référence :

- le Vocabulaire fondamental (3) de F. Ters (570 mots : 70 mots-outils et 500 mots fondamentaux. (Note : la composition de cette liste - dite aussi Reichenbach - est discutée dans l'annexe I).

 

  Ters-Reichenbach Corpus (Valéry)
Les 35 premiers mots-outils 44 % 42 %
Les 35 derniers mots-outils 13 % 8, 60 %
Les 500 mots fréquents 35 % 19, 60 %

 

Cela donne un recouvrement de 70,20 % du texte de Valéry, alors que les comptages de Ters indiquent un taux moyen de 91 %. D'où la difficulté lexicale de"Un navire en feu", mots-outils exceptés .

- le lexique du Français fondamental 1 (1 445 mots) : 73 % des termes de la dictée y figurent.

- le Dictionnaire de Juilland (5 083 mots) : 91,10 % des termes de la dictée s'y trouvent.

- l'Échelle Dubois-Buyse (3 725 mots) : 76 % des termes y figurent, occupant les échelons 1 à 30(4).

- le Vocabulaire orthographique de Base (dit V.O.B., 8 902 mots) : 94, 5 % des termes y figurent, dont 94, 26 % dans les groupes l et 2 (base essentielle de 3 783 mots).

De cette confrontation, l'auteur tire la conclusion qu'il s'agit d'une épreuve disparate : à côté de termes connus ou supposés tels, d'un élève parvenu en fin de 3ème, figurent un certain nombre de vocables appartenant à un champ lexical très spécifique (ici, le monde de la mer et des bateaux) et n'ayant donc guère de chance d'avoir été rencontrés par les adolescents (ce sont les 14 termes hors V.O.B. soulignés dans la Figure 3 ) : "à ce niveau, le jeu… semble faussé, toute sanction risque d'être une injustice"(5).

Cl. Buridant s'attache ensuite à l'examen des cacographies occasionnées par ces vocables : retenons le cas de cargos, correctement écrit dans 25 % des copies seulement (on trouve * cargots dans 72,20 % des copies). D'où cette proposition d'établir un barème de correction qui sanctionne les erreurs constatées en fonction de leur appartenance à un groupe de fréquence(6), ce qui implique évidemment une correction moins automatique que celle habituellement pratiquée, ou encore un choix plus réfléchi des textes soumis à l'examen.

 

II. L'Analyse de J. Guion (in Ateliers lyonnais de pédagogie n° 5, mai 1974).

 

Elle est infiniment plus sévère, dans la mesure où elle remet en cause la notation, point que l'étude précédent n'aborde qu'in fine. En effet, ce chercheur commence, au sujet de la dictée du B.E.P.C. donnée à la même session (1973), mais dans l'Académie de Lyon (texte comportant 330 occurrences, extrait des Caves du Vatican ; remarquons, à cet égard, sur le strict plan de la "longueur", la différence avec le texte de Valéry, qui en compte 264), par s'interroger sur les résultats obtenus : la moyenne, demande-t-il naïvement, n'est-ce pas 10 sur 20 ? Or, pour ce qui concerne les 148 copies qui ont fait l'objet de son étude - et dont 80, soit 54 %, récoltent un zéro, la moyenne s'établit à 3, 49... A partir de cette première constatation, son étude prend le ton d'une véhémente dénonciation : comme la passion ne l'emporte jamais sur la démonstration méthodique, ce travail nous paraît aller plus loin que la dissection un peu froide de Cl. Buridant.

Les conclusions tirées sont au nombre de cinq :

- l'épreuve n'était pas étalonnée (la moyenne est 10, et non 3, 49 sur 20).

- elle était mal choisie, car les dix occurrences les plus difficiles (objectivement, c'est-à-dire ayant entraîné plus de 75 % de graphies erronées), ont fait perdre 39 % de leurs points aux candidats : la dictée était en fait notée sur 12, 24, et non sur 20.

- le barème l'accompagnant était incohérent : en effet, s'il établit bien une judicieuse hiérarchie entre mots courants (erreurs sanctionnées par une faute entière) et mots non courants(7) , il devient anarchique au regard de l'orthographe phonétique :

une faute pour * courrir

une demi-faute pour * facade (mais une entière pour : ou/où, a/à)

un quart de faute pour deux * etages

un quart de faute pour . il a * dechiré

un quart de faute pour . il * disparait

Toutes ces considérations conduisent notre auteur à mettre en cause la compétence technique de l'Éducation Nationale en matière de contrôle de l'orthographe dans les examens. Il ajoute même : "l'ignorance qui sous-tend la pédagogie actuelle et... (ses) corollaires, la mauvaise foi et la passion, sont les deux obstacles à vaincre pour une réelle rénovation pédagogique"(8).

Il entreprend alors une étude des notes obtenues et introduit la notion de "courbe d'accidents"(9), pour qualifier celle qui traduit les résultats : la distribution des notes est tout à fait "anormale", quelle que soit la méthode de présentation : "ce qui est en cause, ici, c'est le principe même de la dictée"(10) . Il s'efforce enfin de faire entrer les notes obtenues par les candidats dans différents systèmes de classement(11), proposés par d'autres chercheurs :

 

Distribution en sept catégories :

 

  20 18 14 12 9 6 3 0
% observé 1,35 2,02 6,75 8,1 10,13 11,48   60,13

 

Distribution en cinq catégories :

 

  20-A-15 15-B-13 13-C-11 11-D-9 9-E-0  
Distribution "normale" (Gauss) 10 20 40 20 10 %
Distribution observée 3,37 4,05 4,40 5,40 81,75 %
Nombre de copies attendues 15 30 59 30 15  
Nombre réel de copies 5 6 8 8 121  

 

La lecture, même rapide, de ces tableaux semble devoir se passer de tout commentaire...

Mais une autre étude du même chercheur(12) nous permettra d'aller plus avant : elle concerne les résultats obtenus par les trente-neuf candidats à l'examen d'entrée en 4ème d'accueil(13) à la session de 1964.

À ce sujet, J. Guion compare les résultats réellement obtenus à ceux auxquels les élèves auraient pu prétendre avec l'adoption d'un barème "statistique"(14), établi à partir des données de l'échelle Dubois-Buyse. Les résultats sont éloquents, même si on s'accommode d'une comparaison des moyennes respectives de l'ensemble du corpus (1, 46 sur 20 et 8, 90), du pourcentage de zéros (79 % et 0 %), de la note obtenue dans les deux cas par la meilleure copie (12 et 17, 5 sur 20), enfin du profil des deux courbes (courbe d'accidents et courbe de Gauss).

En fait, on pourrait envisager une autre manière de notation ne faisant pas référence à l'Échelle Dubois-Buyse, ni à quelque liste de mots plus ou moins fréquents que ce soit : il suffirait de chercher, la correction des copies achevée, la valeur moyenne des erreurs commises, et d'appliquer à partir de là une notation exponentielle(15) : la moyenne obtenue par l'ensemble des copies s'établirait alors à 9,94 sur 20, et les notes attribuées seraient celles mentionnées par la colonne 5 du tableau ci-après :

 

Nombre d'erreurs Nombre de sujets Note réelle obtenue Note "statistique" Notation "exponentielle"
2 1 12 17,5 17
4 2 14,7 15,5 14
6 2 0 12 12
7 7 9-3-3-1-0... 11,5 12
8-9 12 8-0-0... 10 11
11 3 0 7 9
12-13 7 0 5,5 8
14 3 0 4 7
15 1 0 2 6
17 1 0 0,5 5
  39      

 

Examen d'entrée en quatrième d'accueil, Lyon, 1973.

 

La même étude analyse aussi la distribution des notes obtenues au Concours d'entrée à l'École Normale d'Institutrices de Lyon (session de 1972), et aboutit à des conclusions analogues (moyenne réelle 4, 83 /20 ; moyenne "statistique" 12, 5 /20).

 

III. Les réflexions de Bernard Coppey

 

Nous conclurons ce premier point en rapportant les observations d'un IPR de Lettres, aujourd'hui disparu(16), qui prend l'exemple d'un texte de dictée de niveau sixième. Pour expliciter la remarque qu'il émet à ce sujet ("Est-il honnête, est-il pédagogique d'accumuler dans un texte les mots nouveaux et les mots rares ?"), nous proposons le squelette du texte qu'il reproduit (extrait de Vie et mort d'un étang , de Marie Gevers). Ce texte comporte 175 occurrences, ce qui permet tout d'abord de mettre en cause sa longueur (la dictée de l'examen d'entrée en sixième ne dépassait pas, réglementairement, 80 mots) ; les occurrences peuvent être regroupées en 121 entrées différentes : si l'on exclut les 44 mots-outils présents (cf. figure 6), pour l'essentiel accessibles aux élèves de sixième(17), on est donc en présence de 77 mots. Or, 17 d'entre eux, soit 22,07 %, sont déjà absents du Vocabulaire orthographique de base(18) : nous les avons soulignés dans la figure 2.1 ; pour les autres, leur appartenance aux échelons V.O.B. s'établit ainsi :

 

Échelons 1 à 7 8 à 11 12 à 15 16 à 19 20 à 23 24 à 27 sup. à 27
Niveaux CP CE1 CE2 CM1 CM2 6e  
% 3 5 37 17 28 7 3
Nbre de mots 2 3 22 10 17 4 2

 

Ce texte est donc un mélange de termes très spécialisés statistiquement hors de portée "orthographique" d'élèves de sixième , et de vocables plus fréquents et relevant de la connaissance d'enfants de 8 à 9 ans. Ce qui en dit long sur la réflexion pédagogique qui a présidé à son choix ! Et B. Coppey de conclure : "Acharnons-nous à ouvrir l'esprit des enfants, non à leur enseigner l'orthographe par la dictée"19).

Notes

(1) Formule empruntée à J.-F. Halté (in Pratiques nº 25, page 74). Selon L. Poriniot (cf. Bibl. nº 12, p. 9), c'est là le signe de la "paresse d'esprit des appréciateurs".
(2) Roller S., Les enseignements d'une dictée. Bibl. nº 14.
(3) Dont la liste est donnée à la page 87 de Orthographe et Vérités. Il s'agit pour l'essentiel d'une reprise (de seconde main) des travaux d'Henmon. Cf. aussi Bibl. n° 17.
(4) Rappelons que les acquisitions prévues fin 3e concernent les échelons 1 à 39 (sur une échelle qui en comprend 43). L'échelle Dubois-Buyse peut être consultée sur le site : http://o.bacquet.free.fr/db2.htm.
(5) Article cité, p. 20.
(6) Article cité, p. 21, note 14.
(7) J. Guion ne précise pas les critères retenus pour cette partition.
(8) Art. cit., p.42.
(9) C'est-à-dire qu'il est tout à fait accidentel de ne pas obtenir un zéro.
(10) Art. cit., p.44.
11) J. Guion rappelle à ce sujet les conclusions de Piéron (in Examens et docimologie) : on n'augmente pas la précision en multipliant les intervalles, c'est-à-dire par exemple en passant d'une notation en cinq catégories à une notation sur 20.
(12) Ateliers Lyonnais de Pédagogie, 3/4, Mars 1973, pp. 45-69.
(13) On sait qu'avant l'arrivée massive des élèves de CM 2 en 6ème, aujourd'hui entrée dans les faits, un second recrutement avait autrefois lieu, s'appuyant sur les meilleurs élèves des classes de fin d'études - ou les meilleurs candidats au C.E.P.
(14) Cf. l'Échelle Dubois-Buyse, page 85, tableau IV b.
(15) Nous avons emprunté cette notion, que nous développons plus loin (cf. partie III, Pomme et les corrections, paragraphe 2) à un article de A. Ruhlman, publié dans Réponses nº 2 d'octobre 1981 (supplément Afrique/Océan indien du Français dans le Monde), pp. 17-18.
(16) B. Coppey, R. Feix, L'orthographe, la dictée, le devoir sur la dictée, Hatier, 1971. Le texte de M. Gevers - lui aussi caviardé - y figure à la page 13.
(17) Encore que le verbe aller soit actualisé dans une flexion de toute évidence difficile : "Il ne se passait pas de jour sans que l'un ou l'autre n'allât observer ... " !
(18) Le V.O.B. comprend pourtant près de 9 000 entrées....
(19) Art. cit., page 20.

 

S. H., mai 1986

 

 

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1. Inspirations méditerranéennes

 

Le navire en feu

 

Sur la colline à mi-hauteur, se trouvait mon collège... Les cours dominaient la ville et la mer... Les spectacles ne manquaient donc pas à nos récréations, car il se passe tous les jours quelque chose sur les frontières de la vie terrestre et de la mer.

Un certain jour, du haut de ces cours bien placées, nous vîmes s'élever dans le ciel une fumée prodigieuse, bien plus épaisse et étendue que les fumées accoutumées des paquebots et des cargos qui fréquentaient le port.

À peine la cloche sonnée qui nous ouvrait à midi les portes des études, les externes, en masses hurlantes, coururent vers le môle, d'où la foule, depuis quelques heures, regardait brûler un assez grand navire, déjà retiré des bassins et abandonné à son sort contre une jetée assez écartée. Les flammes, tout à coup, s'élevèrent jusqu'aux hunes, et les mâts, sapés à la base par le feu qui agissait furieusement dans les cales, s'effondrèrent aussitôt, avec tous leurs gréements, comme fauchés, dérobés, abolis, tandis qu'un immense bouquet d'étincelles jaillissait et qu'un fracas sinistre et sourd venait sur le vent jusqu'à nous. Vous pensez bien que plus d'un élève manqua la classe de l'après-midi. Vers le soir, ce beau trois-mâts était réduit à une coque sombre et d'apparence intacte, mais pleine, comme un creuset, d'une masse incandescente, dont l'ardent éclat s'accusait avec le progrès de la nuit. On finit par remorquer au large cette épave d'enfer et l'on parvint à la couler.

Paul Valéry, Inspirations méditerranéennes

 

Compléments

 

["Je suis né dans un port de moyenne importance, établi au fond d'un golfe, au pied d'une colline ; dont la masse de roc se détache de la ligne générale du rivage. Ce roc serait une île si deux bancs de sable - d'un sable incessamment charrié et accru par les courants marins qui, depuis l'embouchure du Rhône, refoulent vers l'ouest la roche pulvérisée des Alpes - ne le reliaient ou ne l'enchaînaient à la côte du Languedoc. La colline s'élève donc entre la mer et un étang très vaste, dans lequel commence - ou s'achève le canal du Midi. Le port qu'elle domine est formé de bassins et des canaux qui font communiquer cet étang avec la mer"...

[Après avoir, au début de sa conférence, indiqué : "Je commence par mon commencement", Paul Valéry s'attarde à décrire ses années de collège, à Sète]

"Ce collège avait des charmes sans pareil. Les cours dominaient la ville et la mer. C'étaient trois terrasses d'élévation croissante; les petits, les moyens, les grands, jouissaient d'horizons de plus en plus vastes, ce qui n'est pas si vrai dans la vie ! Les spectacles ne manquaient donc pas à nos récréations, car il se passe tous les jours quelque chose sur les frontières de la vie terrestre et de la mer.

Un certain jour, du haut de ces cours bien placées, nous vîmes s'élever dans le ciel une fumée prodigieuse, bien plus épaisse et étendue que les fumées accoutumées des paquebots et des cargos qui fréquentaient le port. À peine la cloche sonnée qui nous ouvrait à midi les portes des études, les externes, en masse hurlante, coururent vers le môle, d'où la foule, depuis quelques heures, regardait brûler un assez grand navire, déjà retiré des bassins et abandonné à son sort contre une jetée assez écartée. Les flammes, tout à coup, s'élevèrent jusqu'aux hunes, et les mâts, sapés à la base par le feu qui agissait furieusement dans les cales, s'effondrèrent aussitôt, avec tout leur gréement, comme fauchés, dérobés, abolis, tandis qu'un immense bouquet d'étincelles jaillissait et qu'un fracas sinistre et sourd venait sur le vent jusqu'à nous. Vous pensez bien que plus d'un élève manqua la classe de l'après-midi. Vers le soir, ce beau trois-mâts était réduit à une coque sombre et d'apparence intacte, mais pleine, comme un creuset, d'une masse incandescente, dont l'ardent éclat s'accusait avec le progrès de la nuit. On finit par remorquer au large cette épave d'enfer et l'on parvint à la couler.

D'autres fois, nous guettions de notre collège l'arrivée des escadres qui venaient chaque année mouiller à un mille de la côte. C'étaient d'étranges navires que les cuirassés de ce temps-là, les Richelieu, les Colbert, les Trident, avec leur éperon en soc de charrue, leur crinoline tôle à l'arrière et, sous le pavillon, le balcon de l'amiral qui nous faisait tant envie. Ils étaient laids et imposants, ils portaient encore une mâture considérable, et leurs bastingages étaient, à la mode du vieux temps, bordés de tous les sacs de l'équipage. L'escadre envoyait à terre des embarcations merveilleusement tenues, parées et armées. Les canots-majors volaient sur l'eau ; six ou huit paires d'avirons, rigoureusement synchrones, leur donnaient des ailes brillantes qui jetaient au soleil, toutes les cinq secondes, un éclair et un essaim de gouttes lumineuses. Ils traînaient à l'arrière, dans l'écume, les couleurs de leur drapeau et les pans du tapis bleu à bordure écarlate, sur lequel des officiers noirs et dorés étaient assis.

Ces splendeurs engendraient bien des vocations maritimes ; mais, entre la coupe et les lèvres, entre l'état de collégien et la glorieuse fonction de l'aspirant de marine s'élevaient des obstacles très sérieux : les figures incorruptibles de la géométrie, les pièges et les énigmes systématiques de l'algèbre, les tristes logarithmes, les sinus et leurs cosinus fraternels décourageaient plus d'un, qui voyait avec désespoir, entre la mer et soi, entre la marine rêvée et la marine vécue, s'abaisser (comme un rideau de fer infranchissable) l'inexorable plan d'un tableau noir. Il fallait bien, alors, se contenter de tristes regards sur le large, ne jouir que des yeux et de l'imagination, et dériver cette passion marine malheureuse vers les lettres ou vers la peinture, car il semble d'abord que le désir suffise à ouvrir ces carrières qui séduisent par leur facilité apparente. Ce ne sont que les prédestinés qui en soupçonnent de bonne heure et en exigent d'eux-mêmes toutes les difficultés indéterminées. Il n'est pas programme ni de concours.

Ces rêveurs se satisfaisaient, poètes ou peintres naissants, des impressions que prodigue la mer si riche en événements […] " (in La Pléiade, Œuvres I, pp. 1084-1086)

 

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Figure 2. Mots-outils de Un navire en feu

 

a
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Figure n° 2 - Dans le texte "Un navire en feu", les mots-outils représentent 53 % du corpus

 

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Figure 3. Les "entrées" du texte "Un navire en feu"

 

a 1 il 1
à 9 immense 1
abandonné 1 incandescente 1
abolis 1 intacte 1
accoutumées 1 jaillissait 1
accusait 1 jetée 1
agissait 1 jour 1
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colline 1 ouvrait 1
comme 2 paquebots 1
contre 1 par 2
coque 1 parvint 1
couler 1 pas 1
coup 1 passe 1
cours 2 peine 1
coururent 1 pensez 1
creuset 1 placées 1
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déjà 1 portes 1
depuis 1 prodigieuse 1
dérobés 1 progrès 1
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dominaient 1 que 2
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écartée 1 qui 3
éclat 1 récréations 1
effondrèrent 1 réduit 1
élève 1 regardait 1
élever 1 remorquer 1
élevèrent 1 retire 1
en 2 s 4
enfer 1 sapés 1
épaisse 1 se 2
épave 1 sinistre 1
et 10 soir 1
était 1 sombre 1
étendue 1 son 1
étincelles 1 sonnée 1
études 1 sort 1
externes 1 sourd 1
fauchés 1 spectacles 1
feu 2 sur 3
finit 1 tandis 1
flammes 1 terrestre 1
foule 1 tous 2
fracas 1 tout 1
fréquentaient 1 trois-mâts 1
frontières 1 trouvait 1
fumée 1 un 6
fumées 1 une 4
furieusement 1 venait 1
grand 1 vent 1
gréements 1 vers 2
haut 1 vie 1
heures 1 ville 1
hunes 1 vîmes 1
hurlantes 1 vous 1

 

 

Figure n° 3 - Valnavir/MF 10/12/85 18:17:49. - Soit 170 entrées pour 264 occurrences.

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4. Vie et mort d'un étang

 

La Sagittaire

 

Après ces trois personnages végétaux prépondérants - les nénuphars, les roseaux et les iris - que de fées florales, d'elfes feuillus, d'ondines malicieuses habitèrent notre étang ! Il y eut des visiteuses rares et précieuses, comme parmi les oiseaux, le jaseur de Bohême, le bec-croisé ou le magnifique Alcyon. Ainsi, une année, à côté du pont, presque en face du cytise, une sagittaire fut signalée. Au début il ne se passait pas de jour que l'un ou l'autre n'allât observer la tige d'or d'où se détachaient les belles feuilles en forme de fer de lance. La sagittaire grandissait lentement. Accoutumé à sa présence, on cessa d'y faire attention, et soudain, un matin de mai, ma mère, qui s'intéressait le plus à la sagittaire parce que cette plante portait le nom d'un signe du zodiaque, la trouva tout ornée de ses jolies fleurs à trois pétales blancs. On eut beau la protéger, marquer sa place pour ne pas la blesser par mégarde, elle ne reparut plus l'année suivante.

Marie Gevers (1883-1975) - Vie et mort d'un étang, Éd. Jacques Antoine, Bruxelles, 1979 (p. 226)

 

 

Figure n° 4 - Le texte de la dictée

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Figure 5. Les "entrées" du texte "Vie et mort d'un étang"

 

à 4 malicieuses 1
accoutumé 1 marquer 1
ainsi 1 matin 1
alcyon 1 mégarde 1
allât 1 mère 1
année 2 n 1
après 1 ne 3
attention 1 nom 1
au 1 notre 1
autre 1 nénuphars 1
beau 1 observer 1
bec-croisé 1 oiseaux 1
belles 1 on 2
blancs 1 ondines 1
blesser 1 or 1
bohème 1 ornée 1
ces 1 ou 3
cessa 1 1
cette 1 par 1
comme 1 parce 1
cytise 1 parmi 1
côté 1 pas 2
d 6 passait 1
de 7 personnages 1
des 1 place 1
du 3 plante 1
début 1 plus 2
détachaient 1 pont 1
elfes 1 portait 1
elle 1 pour 1
en 2 presque 1
et 2 protéger 1
étang 1 précieuses 1
eut 2 prépondérants 1
face 1 présence 1
faire 1 pétales 1
fer 1 que 3
feuilles 1 qui 1
feuillus 1 rares 1
fleurs 1 reparut 1
florales 1 roseaux 1
forme 1 s 1
fut 1 sa 2
fées 1 sagittaire 3
grandissait 1 se 2
habitèrent 1 ses 1
il 2 signalée 1
intéressait 1 signe 1
iris 1 soudain 1
jaseur 1 suivante 1
jolies 1 tige 1
jour 1 tout 1
l 3 trois 2
la 6 trouva 1
lance 1 un 3
le 5 une 2
lentement 1 visiteuses 1
les 5 végétaux 1
ma 1 y 2
magnifique 1 zodiaque 1
mai 1    

 

 

Figure n° 5 - Gemersma/MF 28/04/86 20:05:54. - Soit 121 entrées pour 175 occurrences.

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Figure 6. Mots-outils de Vie et mort d'un étang

 

à
4
allât
1
au
1
autre
1
ces
1
cette
1
comme
1
d
6
de
7
des
1
du
3
elle
1
en
2
et
2
eut
2
faire
1
fut
1
il
2
jour
1
l
3
la
6
le
5
les
5
ma
1
ne
3
notre
1
on
2
ou
3
1
par
1
pas
2
plus
2
pour
1
que
3
qui
1
s
1
sa
2
se
2
ses
1
tout
1
un
1
une
2
y
2

121 entrées - 175 occurrences - 43 mots-outils différents

Figure n° 6 - Dans le texte "Vie et mort d'un étang", les mots-outils représentent 53 % du corpus

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