Le Docteur Vermeil a été un pionnier de la lutte contre le malmenage scolaire (il est vrai qu'il était particulièrement bien placé pour en parler) tout au long de sa vie active, et a publié plusieurs ouvrages sur ce thème. C'est l'exemple-type de l'honnête homme prêchant dans le désert. Pour autant, ne mérite-t-il pas d'être au moins écouté ? Cet article de vulgarisation - au sens noble - de sa croisade peut constituer une bonne introduction à sa pensée. Car les problèmes demeurent, on ne cessera de le répéter

 

Je pense réussir, bien que je n'aie pas toujours réussi jusqu'à maintenant. Avant au C.E.S., on ne faisait pas ce qu'on voulait. C'était déplorable. C'était mort. Il n'y avait pas d'activités. Les activités m'aident à être dans le bain. Il y a une bonne ambiance avec les copains à l'internat. Les activités sont indispensables pour éviter l'ennui (L. G., 4e préparatoire mécanique)

 

Parmi toutes les conditions qui permettent ou qui facilitent la réussite scolaire, je mettrai en priorité la qualité des relations entre adultes et enfants, et l'adaptation des exigences de l'école aux possibilités des enfants.

 

Changer le climat éducatif

 

S'ils s'opposent aujourd'hui sur bien des points, parents et enseignants restent complices dans le maintien d'une conception générale de l'éducation qui fait que, à partir de l'âge de 6 ans (et même avant), l'enfant n'est plus un enfant mais n'est plus qu'un écolier, n'est plus qu'une machine à apprendre. Si on veut changer ce climat éducatif, il y a un énorme travail d'information à entreprendre, en direction des enseignants et en direction des parents.

En ce qui concerne les enseignants, cela suppose de profondes modifications de leur mode de recrutement, de leur mode de formation et des conditions de leur fonctionnement :

- Savoir n'est pas savoir enseigner et il faut cesser de recruter des enseignants uniquement sur des connaissances livresques mais tenir compte des autres qualités nécessaires à ce métier si difficile.

- Il faut introduire une initiation à la relation enseignant-enseigné (qui est tout autre chose que l'enseignement du développement psychologique des enfants) dans les programmes des formations initiale et continue des enseignants.

- II faut reconsidérer le mode d'évaluation du travail dû par les enseignants qui ne prend en compte actuellement que le nombre d'heures de cours ; il faut y substituer la notion de temps de présence dans l'établissement en ajoutant aux heures de présence en classe celles qui sont nécessaires à la concertation entre enseignants, aux entretiens avec les parents, à la participation, à la gestion de l'établissement, etc.

Il faudrait aussi que les enseignants aient la possibilité, lorsqu'ils ont affaire à des élèves en difficulté, de s'adresser à d'autres "spécialistes de l'enfance" (conseillers pédagogiques, psychologues, médecins) : le Service de Santé Scolaire pourrait être la plaque tournante d'un tel système de consultations.

Auprès des parents, il faudrait entreprendre une campagne d'information utilisant tous les médias, parmi lesquels la télévision devrait jouer le rôle principal.

 

Adapter les exigences de l'école aux possibilités des enfants.

 

Les apprentissages scolaires commencent trop tôt et vont trop vite ; la moitié des enfants de 6 ans ne sont pas mûrs pour l'apprentissage du langage écrit ; la durée moyenne réelle du parcours de l'enseignement élémentaire est de 6 ans et demi et pas de 5 ans. Il faut tuer ces personnages mythiques que sont "l'Enfant de 6 ans" ou "l'Enfant de 7 ans", etc., et remplacer ces créations abstraites par la réalité des enfants de 6 ans, des enfants de 7 ans, etc. Il faut prendre conscience que les aptitudes de ces enfants se situent dans un éventail de 4 ans, allant de deux ans avant à deux ans après les standards actuellement adoptés.

Il faut cesser de régler la vitesse de progression "normale" sur celle des élèves les plus rapides en faisant redoubler (acte pédagogiquement absurde) ceux qui ne suivent pas le train ; il faut que cette vitesse soit réglée sur les possibilités du plus grand nombre en permettant aux plus rapides de doubler les étapes.

Il faut enfin que les rythmes de vie, la répartition des heures de travail scolaire dans la journée, dans la semaine et dans l'année correspondent aussi aux possibilités de la majorité des enfants. La France détient à l'heure actuelle le record d'absurdité dans l'organisation de la vie scolaire avec un système qui, dans l'année, comporte moins de jours de classe que de jours de congé (175 contre 190). La majorité des élèves perdent la moitié ou les deux tiers du temps qu'ils passent à l'école, au collège ou au lycée, parce qu'ils sont soumis à des séquences d'enseignement qui dépassent de beaucoup leurs facultés d'attention. Le système scolaire commet là une véritable escroquerie à l'égard de la plupart des enfants.

Se limiter à deux conditions fondamentales ne signifie pas que l'on doive oublier ou négliger bien d'autres problèmes de très grande importance comme : les méthodes pédagogiques, le comportement des familles, le rôle des milieux socio-culturels, les modes de vie et de distraction des adultes, le rôle des moyens d'information audio-visuels, le manque de sommeil des trois quarts des écoliers, la mauvaise répartition de l'alimentation, etc.

Les problèmes de l'éducation sont à aborder dans leur globalité, et c'est aller à un échec certain que de les isoler les uns des autres.

 

 

Dr Guy Vermeil, Chef du service pédiatrie au Centre Hospitalier d'Orsay, in Animation et éducation (OCCE) n° 50, septembre/octobre 1982, p. 27.


On pourra lire, dans Le Monde du jeudi 14 novembre 1985, un article de F. Gaussen, Trop tôt, trop vite, qui résume les prises de position de trois médecins (dont G. Vermeil) réunis dans un groupe de travail de la Société française de Pédiatrie.

 

 


 

 

Texte soumis aux droits d'auteur - Réservé à un usage privé ou éducatif.