Un Ministre de l'Éducation ose enfin s'attaquer à un serpent de mer : la durée des vacances dites "scolaires". Mais c'est en Allemagne. Ouf, en France, nous pouvons respirer. Nos vacances à nous ne sont que les plus longues de la planète...

 

 

 

I. Vacances "scolaires" en Rhénanie-Westphalie

 

Six semaines de vacances en été, quinze jours en automne, deux semaines à Noël, plusieurs jours à Carnaval, trois semaines à Pâques et d'innombrables jours fériés au joli mois de mai : les vacances scolaires allemandes sont longues, beaucoup trop longues, estime le ministre régional de l'Éducation du Land de Rhénanie-Westphalie.

Hans Schwier, ce social-démocrate bon teint, n'est pas un bourreau d'enfants. Il ne veut pas raccourcir les vacances des chères têtes blondes, mais il entend que les professeurs ne confondent pas vacances scolaires et vacances tout court. M. Schwier vient de rappeler que, comme tous les fonctionnaires allemands, les enseignants ont droit à trente jours ouvrables de congé par an ; le reste des vacances scolaires, les professeurs doivent le consacrer à préparer leurs cours, à étudier les nouvelles méthodes pédagogiques, à se familiariser avec les manuels les plus récents, à concocter leurs horaires, en un mot à être des enseignants qualifiés et efficaces.

Dans un catalogue de mesures qui pourrait s'intituler : "Les profs au boulot !", et qu'il veut voir appliquer dès l'année prochaine, le ministre exige que les professeurs soient présents dans les écoles une semaine au moins avant la rentrée scolaire d'automne et trois jours avant les rentrées de Noël et de Pâques. Les examens de rattrapage doivent avoir lieu pendant les vacances et non à la fin ou au début de chaque année scolaire.

En outre, M. Schwier a décidé de multiplier les stages de formation permanente et les cours de recyclage pour enseignants pendant les vacances de Noël et de Pâques, ajoutant que l'avancement des professeurs serait lié à la fréquentation de tels stages. Il n'y a pas encore de réactions aux mesures prises par le ministre. Gageons qu'elles ne vont pas tarder.

Mais M. Schwier a déjà une réponse toute prête à donner à ceux qui le critiqueront : "Vous dites que vous travaillez dur, lance-t-il aux enseignants. Montrez-le !"

 

 

 

© D'après Ouest-France, du 6 septembre 1990

 

 

II. Un coup de gueule d'Antoine Prost

 

Allez-y, mesdames et messieurs les adultes, ne vous gênez pas. Et vous, inspecteurs d'académie, évêques et parents d'élèves, dormez tranquilles. Les enfants ne manifestent pas dans les rues, ils ne bloquent pas les routes et ils ne votent pas. Vous pouvez à loisir démolir leur avenir pour assurer votre confort : ils sont sans défense.

Pourquoi cette indignation subite ? Pour une chose très simple. Élémentaire. La France, tout le monde le sait, est le pays d'Europe où il y a le moins de jours de classe et le plus de jours de vacances. À l'école primaire, il y a normalement cinq matinées et quatre après-midi de classe par semaine.

Mais voilà. Les cadres veulent le samedi matin pour partir en week-end et les évêques le mercredi matin pour le catéchisme. Résultat, dans le Rhône, on a établi la semaine de quatre jours, en se disant qu'on récupérerait les journées perdues en raccourcissant les petites vacances. Mais, très vite, l'expérience a montré que des petites vacances d'une semaine étaient trop courtes pour que les élèves " récupèrent ".

On abandonne donc cette compensation : nous voici en route pour des vacances inchangées, et des semaines d'école raccourcies. Bravo ! Et les tartuffes viendront ensuite se plaindre que les élèves de sixième ne savent plus lire.

Prétendre faire en huit demi-journées d'école ce qu'on fait en neuf est se moquer du monde. Des irresponsables proposent naturellement de compenser la demi-journée sacrifiée en prolongeant les journées de classe. C'est consternant et l'on hésite entre la colère et l'accablement : depuis le rapport du professeur Debré (1962), tout le monde sait que la journée d'école est déjà trop longue, qu'elle excède les capacités des enfants. Et l'on ose proposer de l'allonger encore ?

Pourquoi ne pas proposer de doubler le repas du soir et de supprimer celui de midi ? Ou de ne pas dormir les deux premières nuits de la semaine et de dormir le double pendant le week-end  ?

Nous sommes chez les fous. Et ce sont les enfants qui vont trinquer. Où est, dans ce travail de gribouille, le service public de l'éducation ?  Quels textes autorisent ces libertés  ? Que fait le ministère ? Est-il dupe ou complice ?

L'État a le devoir d'assurer à tous les enfants des conditions d'instruction efficaces. Celles qui se mettent en place ne le sont pas. Laisser faire pour ne pas avoir d'histoires serait criminel et lourd de conséquences. Comment apprendre sans en prendre le temps ?

C'est comme l'âne de Buridan. À force de vivre de l'air du temps, il a fini par mourir.

 

© Antoine Prost, in Le Monde, du 2 juillet 1992

 

 

III. Pourquoi les grandes vacances sont-elles si longues ?

 

 

[Ajout du 31 août 2016]

 

 

Cela fait longtemps que les enfants ne participent plus aux moissons ni aux vendanges, mais ils en ont gardé les avantages. Et ce n'est pas près de changer.
Les deux mois de congés estivaux sont une institution française depuis plusieurs siècles.

 

Et c'est parti pour huit semaines de vacances ! Au grand dam des parents, qui ne savent plus quoi inventer pour occuper leur progéniture. Comme chaque année, en ce début juillet, ils se demandent pourquoi diable cette pause dure si longtemps.

Ailleurs, en Europe, les écoliers allemands, hollandais ou encore finlandais reprendront le chemin de l'école plus tôt, en août. En France, on met le paquet en matière de vacances : avec quatre périodes de deux semaines réparties pendant les dix mois de l'année scolaire, le pays devance de très loin les autres pays développés, dans lesquels les périodes de "petites vacances" excèdent rarement une semaine. Une exception française renforcée par Vincent Peillon, premier ministre de l'Éducation nationale de l'ère Hollande, qui avait étoffé dès juin 2012 les congés de la Toussaint, pour les faire passer de dix jours à deux semaines complètes. Un mini changement en guise de préambule à une réforme annoncée des grandes vacances, que de nombreux ministres ont évoquée, sans jamais s'y frotter de trop près pour autant.

Pourtant, les petits Français ont des heures de classe concentrées sur un très petit nombre de semaines de cours, "36, 35 même si l'on décompte les jours fériés", comme l'avait précisé Vincent Peillon dans son Refondons l'école (Seuil), alors que "les enfants des autres pays développés en ont 38 à 40. Pour les enfants, dont les programmes sont en outre particulièrement chargés, c'est fatigant et, surtout, nuisible aux apprentissages". Objectif affiché alors : passer au minimum à 37 semaines annuelles, si possible à 38, "en veillant à ne pas augmenter le volume horaire des élèves". Seulement, réforme des rythmes scolaires et semaine de quatre jours et demi obligent, cette modification du calendrier estival a été enterrée pendant tout le quinquennat. Trop de critiques essuyées sur la refondation de l'école, pour enchaîner immédiatement sur une révolution des grandes vacances.

Il faut dire que ces deux mois de congés estivaux, c'est une institution. Plus qu'une tradition, c'est ancré dans nos gênes depuis plusieurs siècles. Dès 1231, le pape Grégoire II accordait déjà des vacances pour travaux agricoles, appelées justement "Vendanges". Le reste de l'année, les jours de repos suivaient le calendrier des fêtes religieuses chrétiennes. Au total, 80 jours en moyenne étaient distillés tout au long de l'année. Dès le début du XIXe siècle, les vacances commencent à s'étendre : pour que les enfants aident à la moisson et aux vendanges, ils ne vont pas à l'école du 5 août au 20 septembre. En 1860, Napoléon III accorde cinq jours pour célébrer les fêtes de Pâques. En 1939, la troisième République uniformise les vacances du premier et du second degré, et donne deux jours à la Toussaint, une dizaine de jours à Noël, de un à quatre jours pour Mardi gras, deux semaines à Pâques et des grandes vacances du 15 juillet au 30 septembre, comme le souhaitait la population paysanne (près d'un Français sur deux exerce alors une profession rurale).

Mais avec l'instauration des congés payés, puis l'aisance économique des Trente Glorieuses, les parents commencent à partir de plus en plus tôt, dès le début du mois de juillet. Peu à peu, le départ en vacances est avancé à fin juin, et la rentrée au 16 septembre en 1961 (sauf pour les enfants de paysans, qui ont le droit à quinze jours supplémentaires s'ils sont occupés aux travaux agricoles), pour un total de dix semaines.

À partir de 1981, les vacances se déchristianisent : les vacances de Pâques deviennent celles de Printemps, celles de "Mardi gras" deviennent celles "d'hiver". Puis les congés d'été seront raccourcis, pour créer et rallonger ceux de la Toussaint et d'hiver. Certes, maintenant, les travaux aux champs ont disparu, mais il sera difficile pour les prochains ministères de réformer davantage les vacances d'été (tout comme cela sera difficile de modifier le planning des vacances d'hiver) : les lobbies touristiques s'y opposent farouchement. Les parents ont encore quelques étés de galère devant eux pour occuper leurs chers bambins.

 

 

© Louise Cuneo, in Le Point, du 9 juillet 2016

 


 


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