Cette lettre n'a évidemment pas la qualité - ni le poids historique - de celles de Jules Ferry et de Jean Jaurès. De plus, je la trouve assez mal écrite, et non dénuée de cette détestable démagogie qu'on pense devoir emprunter lorsqu'on s'adresse à des enseignants.
Il n'importe : elle mérite sans nul doute de figurer ici ; car c'est un des derniers textes officiels faisant encore référence au beau nom d'instituteur. Les technocrates sans aveu qui l'ont travesti en professeur d'école n'ont pas idée du mal qu'ils ont commis, ni du ridicule qui devrait, désormais, s'attacher à leurs pas (si la justice immanente fonctionnait bien)

 

Paris, le 12 juin 1985

Lettre aux instituteurs et aux institutrices

 

 

 

Vous venez de recevoir les nouveaux programmes et instructions pour l'école élémentaire.

Ceux-ci ont, en effet, été adressés à chaque instituteur, à chaque institutrice, qui pourront en prendre connaissance personnellement. Ils indiquent, de façon précise, ce que la Nation attend de son école élémentaire.

Ces textes sont la première étape d'une refonte des contenus, qui va se poursuivre par la définition des programmes du collège puis des lycées.

Votre rôle est irremplaçable et fondamental. Car c'est à l'école que les enfants acquièrent les bases indispensables et leurs premiers outils intellectuels ; c'est dans vos classes que se construit la réussite scolaire ultérieure.

Les nouvelles instructions officielles, l'amélioration de la formation des instituteurs, la revalorisation indiciaire en cours, procèdent d'une même volonté de rendre à l'instituteur son rôle et la considération à laquelle il a droit.

Le travail réel qu'accomplissent, en profondeur, les institutrices et les instituteurs n'est pas toujours perçu et apprécié à sa juste valeur. Les nouvelles dispositions ne visent pas à le remettre en cause : mais à donner aux maîtres, par une définition précise des objectifs à atteindre, un point d'appui plus solide dans l'exercice de leur responsabilité.

Il revient au gouvernement de définir et de conduire la politique d'éducation. En ce domaine, la collectivité nationale doit assumer sa responsabilité et ne pas rejeter sur ses maîtres les conséquences des politiques passées.

Votre mission est autre : assurer, avec toute la compétence et l'ardeur qui sont vôtres, la mise en œuvre de ces orientations d'ensemble, de façon à assurer la réussite de tous les enfants. Si les programmes et objectifs nationaux s'imposent à tous les partenaires de l'école, le choix des méthodes et démarches pédagogiques relève d'abord de l'initiative et de la responsabilité des maîtres.

C'est pourquoi le texte que vous venez de recevoir se limite volontairement à l'exposé des connaissances et des compétences dont l'école élémentaire, à ses niveaux successifs, doit assurer la maîtrise.

La liberté pédagogique laissée aux maîtres implique la reconnaissance de l'éminente dignité de leur métier, mais ne va pas sans un effort accru d'information, de formation et de recherche. J'estime du devoir de l'Éducation nationale d'offrir aux enseignants les moyens d'assumer pleinement leur responsabilité et leurs choix.

Dès cette rentrée, des compléments aux Instructions et Programmes seront publiés sous la forme de fiches. Celles-ci fourniront des prolongements, des éclaircissements, des conseils.

A partir de 1986, tous les instituteurs seront formés en quatre années. J'entends faire de la préparation du diplôme d'instituteur une formation professionnelle supérieure, dont la qualité sera unanimement reconnue, et qui redonnera au métier d'instituteur son rayonnement et sa grandeur.

L'Éducation nationale développera, par ailleurs, la formation continue et fera en sorte que les centres de formation et de documentation deviennent de véritables foyers de culture et de réflexion.

Le développement d'une recherche pédagogique rigoureuse et accessible aux maîtres fait également partie de mes préoccupations. A la fin du mois de septembre, un colloque largement ouvert à la communauté scientifique et aux différents partenaires de l'école m'aidera à définir les besoins et les perspectives de la recherche en éducation.

Ces mesures concourent à accroître la qualité et l'audience de l'école publique, dont vous avez assuré, depuis des années et malgré de grandes difficultés, la continuité et le succès. A travers la qualité de l'école élémentaire et des premiers apprentissages, c'est le devenir des jeunes qui se joue, comme celui de la société dont ils seront les citoyens.

J'ai confiance dans la façon dont vous accomplissez cette tâche, la plus importante de toutes pour l'avenir du pays, je vous en remercie au nom de la Nation.