Sans le vouloir, cet humble instituteur de Belleherbe - la bien nommée, dans le cas présent -, petite commune de Haute-Loire, retrouve le biblos génésèôs (comprenne qui pourra).
Heureux temps où les instituteurs, les jours de congé, étaient encore avec leurs élèves (cf. aussi Le Grand Meaulnes, deuxième partie, chapitre IX) !

 

Belleherbe, 28 décembre 1881

 

Monsieur l'Inspecteur d'académie,

 

En entendant, depuis longtemps, un certain nombre de mes collègues, se plaindre de ne pouvoir se procurer les ressources suffisantes pour établir des bibliothèques dans leurs écoles, j'ai cherché un moyen de remédier à cet état de choses, et je crois avoir réussi.

Les jours de congé, j'ai conduit mes élèves dans les bois, et j'ai arraché, en leur présence, environ cent sauvageons (plants de pommiers, poiriers, cerisiers, etc.).

Je leur ai montré la manière de les arracher et de les planter dans une pépinière que j'ai faite. Quelques pieds ont été plantés le long d'un mur, afin de leur montrer la manière de conduire un espalier et de placer des auvents. Au printemps, tous ces arbres seront greffés par les élèves, puis seront ensuite vendus au profit de notre bibliothèque. Tout en instruisant les enfants sur l'arboriculture, ce travail nous donnera un revenu de près de 200 francs [soit environ le quart du traitement mensuel d'un instituteur stagiaire de l'époque - S.H.], car beaucoup de personnes ont déjà demandé de ces arbres.

J'ai aussi ramassé les pépins et les noyaux des meilleurs fruits que j'ai pu me procurer, et j'en ai semé sur une surface d'environ six mètres carrés. Nous aurons là de magnifiques sujets à greffer, et qui auront l'avantage d'être acclimatés.

Connaissant le dévouement que vous déployez pour la création de ces bibliothèques, j'ai pensé que chacun de nous devait vous aider dans la mesure du possible, à conduire à bonne fin ce grand travail.

C'est pourquoi je prends la liberté de vous faire part des essais que j'ai faits, afin que, si vous le jugez à propos, vous puissiez les faire connaître aux instituteurs.

C'est dans l'espoir que je pourrai être utile à cette grande œuvre des bibliothèques populaires, que j'ai l'honneur d'être,

De Monsieur l'Inspecteur d'académie,

Le très humble et obéissant serviteur,

 

Jeannot, instituteur

 

in Revue pédagogique, n° 9, 1er semestre 1882, p. 224