Suranné, peut-être, mais tellement beau, et vrai, et tendre, ce témoignage. D'un temps disparu ?

 

 

Mon arrivée ne fut pas glorieuse. Je crois que je n'aurais pas fait un kilomètre de plus, tant j'avais mal dans les jambes, à force de grimper de nombreuses petites côtes, par des chemins de campagne caillouteux. Et j'étais anxieuse. Qu'allais-je trouver ? Où allais-je prendre pension ? Combien aurais-je d'élèves ? Je savais juste que j'aurais une classe unique. Je n'avais aucune idée de ce que je devrais enseigner aux enfants. Mon cœur battait fort quand j'ai poussé le portail. Le maire était dans la cour.

- Bonjour, mademoiselle. Nous vous attendions avec impatience, me dit-il avec un large sourire. L'épicière a accepté de vous prendre en pension. Vous pourrez aller y déjeuner à midi. Bonne chance, mademoiselle !

Et il me tendit les clés !

Il commençait à pleuvoir. Les enfants s'étaient réfugiés sous le préau. Dans leurs yeux, je lisais l'inquiétude. J'essayais de dissimuler la mienne en leur souriant.

Une classe unique ! Des enfants de cinq à treize ans au moins, garçons et filles. Serais-je à la hauteur de la lourde tâche qui m'incombait ?

Oh ! le bruit des galoches sur le carrelage de la classe. Il me semble l'entendre encore.

Un énorme poêle noir était là, près de la porte d'entrée. Tout au fond de la salle, sur une estrade, se dressait un grand bureau. Devant, s'alignaient deux rangées de tables à cinq places avec une allée au milieu et une de chaque côté. Cela me surprit car j'avais été élève dans une école de Vendôme où, déjà, les classes étaient dotées de tables à deux places. Les bancs étaient étroits, sans dossier, sans doute pour faciliter le déplacement d'un élève sans faire lever tous les autres.

Les cases étaient vides. Il allait falloir distribuer les cahiers et les livres que j'apercevais, bien rangés dans une haute bibliothèque vitrée.

Tous ces yeux qui me regardaient ! C'était émouvant. Qu'attendaient-ils de moi ? Une grande fille vint à mon aide :

- Mademoiselle, me dit-elle, les élèves de fin d'études étaient installés dans la rangée du côté de la rue.

- Eh bien ! installez-vous comme avec votre maîtresse. Je suis sûre que nous allons bien nous entendre. J'adore les enfants. Et puis je pourrais être votre grande sœur....

Je les comptai. Ils étaient... cinquante-quatre !

Des sourires fleurirent sur les lèvres. J'allais achever ma victoire en jouant au ballon avec eux. Du jamais vu. J'étais sportive, à l'époque ! Et j'avais la chance de remplacer une demoiselle assez âgée, peut-être un peu trop sévère.

Les livres et les cahiers furent distribués en un tour de main avec l'aide de deux ou trois grandes filles et je fis ce que je pus, avec tout mon cœur.

Mon enseignement n'était sûrement pas de grande qualité, mais je les aimais, mes petits Percherons. Je me souviens ! Le lundi suivant, j'apportai mon violon et, le soir, après la récréation, je leur jouai mon morceau préféré, la Sicilienne de Paradi. Ils étaient bouche bée. Quand j'eus reposé mon violon dans sa boite, une grande fille vint m'embrasser et tous suivirent.

 

Des souvenirs, il m'en revient quelques-uns. Une petite élève, chez elle, à la ferme, s'était cassé le bras en sautant d'une meule de paille. Elle a voulu quand même venir à l'école. Tout le monde l'aidait, la chouchoutait.

- Tu sais, m'avoua-t-elle un jour, l'année dernière, je n'aimais pas l'école !

Quelle belle récompense !

Et puis, ce petit garçon de six ans, Paul, incroyablement timide. Il commençait à écrire sur un cahier à deux lignes, mais faisait ses lettres toutes petites. La première fois où je l'envoyai au tableau, affolé, rouge comme un coquelicot, il y courut, littéralement.

- Petit Paul, écris gros...

Il se saisit nerveusement de la craie et commença aussitôt à écrire. Mais, je me demandais bien quoi : je ne lui avais encore rien dicté !

Eh bien ! Il écrivit... le mot "gros" et... en toutes petites lettres, comme d'habitude !

Peu à peu, j'ai appris mon métier et je l'ai profondément aimé. Aujourd'hui, pour moi, c'est très émouvant de rencontrer des anciens élèves de plus de soixante ans, qui me disent encore parfois : "Bonjour, maîtresse ! Vous vous souvenez, quand..."

 

Josiane B.

 

in Veillées des Chaumières, n°2470, du 9 janvier 2002, p. 20