Rapport au Roi Louis-Philippe sur la publication d'un Manuel général de l'instruction primaire

 

(19 octobre 1832)

 

Sire,

 

Le gouvernement de Juillet a dû comprendre, et il a compris la haute importance de l'instruction primaire : une puissante impulsion a été donnée, de grands résultats ont été obtenus. Pour les assurer et les étendre, une institution me paraît indispensable ; je veux dire une publication périodique qui recueille et répande tout ce qui peut servir à l'amélioration des écoles et à l'instruction du peuple.

Bien peu d'instituteurs primaires ont reçu, dans les Écoles normales récemment fondées, le secret des bonnes méthodes et les principes d'une éducation nationale. Ceux qui sortent de ces écoles demandent à être dirigés dans leurs études et dans leurs efforts ; sans cela, leur zèle s'affaiblit, et bientôt une triste routine devient leur ressource dernière. Ainsi l'ignorance se maintient et se propage par ceux-là même qui sont chargés de la combattre, et les sacrifices faits par l'État, les départements, les communes, demeurent stériles.

Nos nouvelles institutions, spécialement celle des comités locaux [déjà ! ndlr], appellent d'ailleurs, à la surveillance des écoles, des citoyens que nulles études spéciales n'ont préparés à l'accomplissement de cette mission. C'est pour eux un assez grand sacrifice que de dérober à leurs intérêts et à leurs affaires quelques instants pour la surveillance qui leur est confiée. Il appartient donc à l'autorité qui les institue de leur adresser des instructions précises qui rendent cette surveillance plus facile pour eux-mêmes, et vraiment efficace pour les écoles qui en sont l'objet.

Pour satisfaire à ce besoin, des théories générales sont loin de suffire ; il faut des indications précises, des conseils répétés. Chaque jour voit éclore, en matière d'enseignement, un nouveau livre, une méthode nouvelle : le pays doit s'en féliciter ; mais ces inventions, ces essais ont besoin d'être appréciés avec science et indépendance. Des rapports précieux, pleins de faits et de vues, rédigés par les comités, les inspecteurs, les recteurs, les maires, les préfets, demeurent inconnus du public. Le gouvernement doit prendre soin de connaître et de répandre toutes les méthodes heureuses, de suivre tous les essais, de provoquer tous les perfectionnements.

Dans nos mœurs, dans nos institutions, un seul moyen offre assez d'action, assez de puissance pour assurer cette influence salutaire : c'est la presse.

Je propose donc à Votre Majesté d'autoriser en principe la publication d'un recueil périodique à l'usage des écoles primaires de tous les degrés.

Ce recueil devra contenir : 1° la publication de tous les documents relatifs à l'instruction populaire en France ; 2° la publication de tout ce qui intéresse l'instruction primaire dans les principaux pays du monde civilisé ; 3º l'analyse des ouvrages relatifs à l'instruction primaire ; 4° des conseils et des directions propres à assurer le progrès de cette instruction dans toutes les parties du royaume.

Pour présenter toutes les garanties désirables, cette publication serait confiée à un haut fonctionnaire de l'Université sous la direction du Conseil royal.

Ce fonctionnaire devra être pénétré de cette vérité que, si les institutions font les destinées des peuples, ce sont les mœurs qui font les institutions nationales, et que la base la plus inébranlable de l'ordre social est l'éducation morale de la jeunesse.

Il comprendra aussi que les mœurs se rattachent aux convictions religieuses, et que l'action de la conscience ne se remplace par aucune autre. C'est en Hollande, en Allemagne, en Ecosse que se trouvent les écoles les plus florissantes, les plus efficaces de notre époque ; et dans tous ces pays, la religion s'associe à l'instruction primaire et lui prête le plus utile appui.

La France, Sire, ne restera point en arrière de tels exemples. Elle saura concilier des convictions profondes avec des lumières rapidement progressives, des mœurs fortes avec des institutions libres. C'est la mission de l'éducation nationale d'assurer ces beaux résultats. L'institution pour laquelle j'ai l'honneur de solliciter l'approbation de Votre Majesté me paraît un des meilleurs moyens de les préparer.

Je suis avec le plus profond respect, Sire, De Votre Majesté, Le très-humble, très-obéissant et très- fidèle serviteur et sujet,

 

Le ministre secrétaire d'État au département de l'instruction publique, Guizot.

Approuvé : LOUIS-PHILIPPE.