Et maintenant, venons-en au Dr Decroly, fustigé sans être nommé par tous les "pédagogues" de rencontre, racailles (des beaux quartiers) qui se gardent bien de lire les écrits du génial docteur belge, et qui préfèrent se cantonner dans leurs lamentables formules incantatoires.
Cette démarche purement globale peut éventuellement nous effrayer. Elle n'est en tous cas EN RIEN responsable de la situation de la lecture en France. Car, il faut tout de même le rappeler une nouvelle fois, les quelques "méthodes" qui, chez nous, prétendent s'appuyer sur la méthode globale utilisent au vrai une alouette de global pour un cheval de "Bosher"...

 

 

I. Le Dr Decroly est mort...

 

Le Dr Decroly est mort le 12 septembre 1932. Il était malade depuis bientôt deux ans. Il paya de sa mort la fatigue d'un travail de plus de trente ans. Jamais il ne pensa à lui-même.

 

"Il faut savoir résister à ses intérêts proches si l'on veut réaliser des œuvres d'envergure".

Pensée écrite quelques jours avant sa mort et trouvée sur sa table de travail.

La disparition d'un tel homme ne touche pas seulement ses proches, mais l'humanité entière. Car ce n'est pas seulement la pédagogie belge qui perd en la personne du Dr Decroly son plus grand pédagogue, mais la pédagogie mondiale a perdu un de ses plus grands soutiens, un des plus ardents propagandistes des méthodes nouvelles.

Le Dr Decroly a eu une belle mort. Il avait été particulièrement bien les derniers jours avant de disparaître. Il avait vu ses amis, reçu ses collaborateurs. Il était gai, enthousiaste, ardent. Jusqu'au bout il a su communiquer sa foi.

 


Lundi matin, 12 septembre, en faisant son tour de jardin, comme il le faisait chaque jour, il est tombé tout seul, sans rien dire, en extirpant une mauvaise herbe. Ah ! qu'il était beau sur son lit de mort. Ses traits étaient divinisés, cette figure calme vous donnait l'impression d'avoir devant soi un saint, un apôtre !
Ah ! que ce fut émouvant ces funérailles simples et dans l'intimité. Jamais je n'oublierai cette chambre mortuaire où le cercueil, enfoui sous les fleurs apportées par les enfants, reposait dans une des salles de l'Institut.
Une belle photographie donnait l'illusion qu'il était encore là. Son regard vous suivait et semblait encore vous demander la promesse de continuer son œuvre. L'inscription au-dessus de son cercueil donnait à réfléchir. "C'est ici, lisait-on, qu'il a accueilli tous ceux qui étaient en peine ! Il a été pitoyable aux autres ! Il a tant aimé ! Il a tant consolé le cœur des mères ! C'est ici qu'il a tant donné, tout, toute sa vie.
"Il a aimé l'enfant pour en faire un homme de bien. Il n'a voulu que la Paix, de toute la force de sa belle âme !
"Pour lui, et par son si beau souvenir, aimons aussi la Paix, qui doit régner entre les hommes
".

Au moment où le cercueil sortit de la maison, quel silence, quel chagrin ! Des sanglots étouffés de vieillards qui avaient été ses amis, ses collaborateurs, vous remuaient profondément. Un soleil radieux, des fleurs, des enfants, des amis, un ciel bleu et tout fut vite fini, laissant dans le cœur de tous ceux qui étaient là le désir de continuer l'œuvre qu'il avait si bien commencée.
Decroly n'est pas mort. Son œuvre fut trop vivante, trop puissante, trop belle pour mourir. Ses amis et collaborateurs sont là pour maintenir intact le trésor qu'il leur a légué.
Au début de septembre, donc peu de temps avant sa mort, on trouva encore sur son bureau la pensée suivante :
"C'est une grande joie pour celui qui a poursuivi un but pendant plus d'un quart de siècle, et qui sent que bientôt va venir le moment du départ et de l'éternel repos, de voir que son effort n'a pas été vain et que même quand il ne sera plus, d'autres continueront à... "

Oui, nous tous nous continuerons son œuvre. Les amis du Dr Decroly se préparaient à fêter son 61e anniversaire de naissance ainsi que le 25e anniversaire de la création de l'École de l'Ermitage.

Á cet effet, ils se proposaient d'éditer un beau livre contenant plus de cinquante articles des plus grands pédagogues et psychologues du monde entier. On voulait lui faire une surprise. Il l'a ignoré jusqu'à la veille de sa mort. Un bulletin de souscription, par hasard, lui tomba sous les mains. Il s'émut, car il était l'homme le plus modeste et refusait qu'on fasse du bruit autour de son œuvre.

"On fait cela pour des morts et non pour des vivants", dit-il. Et le lendemain il mourut. Le livre paraîtra. Le maître vénéré ne sera plus là pour le recevoir des mains de ses admirateurs. Mais nous remettrons ce travail à sa famille qui collabora si étroitement à son œuvre.

C'était l'homme le plus aimé, le plus admiré, le plus vénéré. Il accueillait les petits comme les grands, avec la même bonté, le même enthousiasme. Il aidait tout le monde. Il était un animateur extraordinaire. Il faisait travailler tous ceux qui l'approchaient et entraînait une foule derrière lui.

Il a créé de belles œuvres et parmi les plus intéressantes est certes la création de l'Ermitage, l'école pour la vie, par la vie, il y a vingt-cinq ans, après avoir créé son institut pour anormaux.

Et c'est là qu'il élabora son merveilleux programme des "Centres d'intérêt". C'est là qu'il mit sur pied son admirable système et qu'il fit de l'Ermitage le modèle des écoles nouvelles.

Il voulut créer une vraie "École pour la vie, par la vie". Il montra l'influence du milieu en organisant autour de l'École, un milieu où la vie est largement représentée. Il insista sur la nécessité d'élever les animaux et d'en confier toute la responsabilité aux enfants. Cette petite école de l'Ermitage est caractéristique par l'esprit qui y règne.

Grâce aux moyens ingénieux imaginés par le Dr Decroly, la vie, la joie, l'activité sont entrées dans les classes.

Le Dr Decroly n'a certes pas mené une vie simple, facile et pleine de confort. Il y a laissé sa santé, il y a laissé sa vie.

Tout était perte de temps pour lui en dehors de son travail. Il courait d'un endroit à un autre, de l'École à l'Université, du laboratoire à l'École Normale.

Partout il était attendu, partout il donnait des conseils, partout il laissait un peu de son âme. Tous ceux qui ont eu la joie de travailler sous sa direction sont devenus des enthousiastes et des convaincus. Toute leur formation pédagogique résulte de conversations et de cours donnés par le Dr Decroly.

Comme il était extraordinaire ! Devant un cas difficile ou un problème pédagogique à résoudre, il pouvait vous redonner du courage et de l'enthousiasme par mille conseils ou procédés psychologiques. En quelques minutes il vous avait donné des idées suffisantes pour réaliser et travailler des semaines.

Ah ! que de merveilleuses leçons et quel stimulant continuel se dégageaient de cet homme.

Il était vraiment l'âme qui fait vibrer tout le monde.

Partout on le voyait vibrant, expansif et il devenait un centre d'attraction.

Il répandait sa foi, son enthousiasme, et comme personne il se mettait à la portée de tous.

Ce fut un grand homme, un apôtre et tous ses collaborateurs le pleurent.

Mais le Dr Decroly n'est pas mort. Sa mémoire est là pour nous stimuler. Son œuvre se maintiendra.

 

Uccle, le 7 novembre 1932.

 

© Amélie Hamaïde, in La Méthode Decroly, Institut Jean-Jacques Rousseau, Éditions Delachaux & Niestlé, 3e édition, 1932, pp. 7-12

 

 

II. La méthode globale dans l'enseignement de la lecture

 

Le Dr Decroly emploie, pour l'enseignement de la lecture, un procédé intéressant. Cette méthode de lecture peut être appelée soit visuelle naturelle, soit idéo-visuelle, soit encore visuelle idéographique. Ces trois épithètes lui conviennent parfaitement bien.

Visuelle naturelle, parce qu'elle est basée sur la psychologie des enfants.

Idéo-visuelle ou visuelle idéographique parce qu'elle a l'idée comme point de départ et qu'elle est étroitement liée à celle-ci.

Cette méthode n'est pas nouvelle. Nous retrouvons, pour l'éducation des anormaux, l'emploi d'un procédé semblable chez Itard et Bourneville.

L'histoire de la pédagogie nous signale, à l'actif de cette méthode, les tentatives d'Olivier (fin XVIIIe siècle). Olivier chercha, en effet, à prendre comme point de départ l'élément concret du son et non de la lettre, et à préparer la lecture par la décomposition des phrases en mots et des mots en leurs éléments phonétiques. Il est le premier qui donne à l'enseignement de la lecture élémentaire une base physiologique. Il désire que les enfants ne lisent rien qu'ils ne comprennent et, le texte une fois compris, il exige que les élèves l'apprennent par cœur.

Jacotot (première moitié du XIXe siècle) propose un procédé analogue. Sa méthode inaugure la méthode visuelle. Il dit notamment : "N'apprenons pas à l'enfant les lettres, puis les syllabes, puis les mots. Faisons-lui dire, relire et apprendre par cœur une phrase ou une page quelconque. De lui-même il la décomposera en mots, syllabes et lettres, que, de lui-même, il reconnaîtra dans une autre page".

Vogel modifie habilement le système de Jacotot et l'introduit dans l'enseignement de la lecture et de l'écriture combinées avec l'intuition.

Ce fut l'origine de la méthode de lecture appelée méthode analytique, synthétique ou méthode lecture-écriture. Mais nous pouvons affirmer que c'est le Dr Decroly qui l'a mise au point, et en a fait une méthode applicable aux normaux et aux anormaux.

En effet, nous la voyons appliquée dès 1904 dans son institut d'enseignement spécial. Plus tard, dans un certain nombre d'écoles d'enseignement spécial de la ville de Bruxelles, puis également dans sa petite école de la rue de l'Ermitage et récemment dans douze classes de la ville de Bruxelles.

Cette méthode idéo-visuelle se justifie au triple point de vue psychologique, méthodologique, et surtout pédagogique, ce qui lui permet d'être associée aux centres d'intérêt. C'est là bien certainement le plus grand de ses avantages. Nous pouvons même déclarer qu'elle est la seule méthode qui puisse répondre au principe des centres d'idées. Voyons comment elle satisfait à ces différents points de vue.

 

1° PSYCHOLOGIE

 

Le Dr Decroly et Melle Degand ont démontré, dans une étude sur la lecture(1), que généralement lorsqu'un enfant apprend à lire, la compréhension visuelle des signes graphiques, l'expression verbale, l'association des sons et leur représentation graphique, la copie, l'expression écrite et l'orthographe de ces signes ne forment qu'un seul et même tout. Or la lecture comprise ainsi nécessite l'intervention de fonctions différentes :

1 ° la fonction visuelle et verbale ;

2° la fonction auditive ;

3° la fonction motrice du langage ou de l'écriture ;

4° une fonction supérieure pour la compréhension du texte, etc.

Quoi qu'il en soit, pour la langue française en tout cas, le phénomène principal qui se trouve à la base de la lecture est sans aucun doute un phénomène visuel.

Les faits sont là pour le prouver. Nous pouvons voir un texte, le comprendre, exécuter même l'ordre qu'il exprime sans employer le langage verbal. Nous faisons alors de la lecture mentale - la plus importante et la plus fréquente.

La lecture est donc avant tout une fonction visuelle. Or on peut dire que la vue est un sens plus objectif, plus concret que l'ouïe, c'est lui qui nous donne, après le sens cutané, les notions les plus précises sur le monde extérieur.

Les observations de Preyer, Tiedeman, Perez et de tant d'autres psychologues qui ont suivi de près le développement psychologique de jeunes enfants, ont montré que la vision est un des sens qui, dès les débuts de la vie, se développent le plus activement.

Elles montrent aussi que la vue se développe avant l'ouïe. Nos auteurs affirment - il faudrait le vérifier encore - qu'un enfant de quatre à six mois reconnaît le visage de sa mère, mais sa voix beaucoup plus tard seulement.

Il n'y a donc rien d'extraordinaire à l'emploi d'une méthode visuelle pour l'enseignement de la lecture.

Mais comment appliquer cette méthode naturelle ? Pour trouver la marche à suivre, retournons à la psychologie du jeune enfant.

Songeons aux procédés employés par sa mère pour lui apprendre à parler. S'adresse-t-elle à lui par lettres, par monosyllabes, par mots ? Ou bien plutôt par phrases, par idées ? Et ne voit-on pas l'enfant parvenir petit à petit à s'exprimer ? Pourquoi ne pas suivre cette même méthode dans l'enseignement de la lecture ? Pourquoi ne pas chercher un guide dans l'évolution du langage du petit enfant ?

Celui-ci ne comprend-il pas le langage auditif avant de pouvoir l'exprimer à son tour ?

Ne comprend-il pas les ordres : "Viens ici, lève-toi, donne-moi la main" avant de pouvoir s'exprimer à son tour : "Je viens… Je me lève… Je te donne la main" ?

Et s'il comprend ces ordres à l'aide du centre auditif, pourquoi ne les comprendrait-il pas au moyen du centre visuel ? Les yeux, mieux que l'oreille, doivent même l'aider à y arriver plus rapidement. Seulement il faut employer des répétitions assez fréquentes pour que l'image visuelle se fixe aussi bien que l'image auditive.

Nous pouvons dire également que les phrases écrites qui traduisent les idées, constituent l'aspect le plus concret d'une idée exprimée verbalement.

Si nous considérons le langage et l'écriture, nous voyons que ni l'un ni l'autre n'ont commencé par la lettre, mais bien par le son et le dessin ayant la valeur d'une phrase. Observons un enfant de près : nous verrons que la phrase précède le mot et que généralement le mot employé par l'enfant a chez lui la valeur de toute une phrase et même de deux.

En effet, un enfant qui dit papa, par exemple, ne veut pas dire simplement papa, mais soit "papa est là", "papa, prends-moi", "je t'aime, papa", "viens, papa", "papa, donne-moi le jouet", etc.

Et l'analyse, objectera-t-on, et la généralisation ? Cette décomposition viendra toute seule, l'enfant décomposera par lui-même quand, le moment sera venu et qu'il pourra le faire. En ce qui concerne l'écriture, de même que l'enfant, après avoir entendu le langage parlé, s'essaie à traduire oralement et d'une manière de plus en plus précise sa pensée, de même après avoir perçu et compris, il se servira de ce langage dès qu'il le pourra, soit par le dessin, soit par l'écriture et cela d'autant plus parfaitement que la méthode visuelle aura été plus pure. Donc ce qu'il faut préconiser c'est :

1° La méthode visuelle de lecture ;

2° L'emploi de la phrase, du mot concret ;

3° Des répétitions très, très nombreuses facilitées par l'intérêt et le procédé du jeu ;

4° Une décomposition naturelle par l'enfant ;

5° Enfin la lecture appliquée aux différentes notions enseignées.

 

2° MÉTHODOLOGIE

 

Nous avons tous appris qu'en matière d'enseignement il faut toujours aller du simple au composé, du concret à l'abstrait.

Mais il serait bon que nous commencions par nous mettre d'accord sur ce que l'on appelle "simple". Nous savons que dans la méthode ordinaire, on part de la syllabe ou de la lettre pour arriver au mot puis à la phrase. Est-ce là la marche que suit naturellement l'esprit ? Lorsqu'on veut faire connaître le portrait d'une personne à quelqu'un, s'avise-t-on jamais de lui présenter séparément les différentes parties de cette personne ? Non, sans doute !

La phrase concrète, simple, évocatrice, représentant à l'enfant quelque chose de plus concret, de plus réel, est préférable à la lettre ou à la syllabe abstraite dénuée de sens. Ne perdons pas de vue que le son et la lettre sont l'expression dernière du travail d'analyse fait par l'esprit humain.

Nous avons déjà dit que l'enfant comprend les ordres à l'aide du centre auditif, avant de pouvoir les exprimer à son tour. Or, s'il comprend ces ordres par l'ouïe, pourquoi ne les comprendrait-il pas au moyen de la vue (donc lecture visuelle) ?

Avant même de pouvoir exprimer ces ordres graphiquement, il n'aura pas de difficulté à les reconnaître aussi rapidement, et peut-être plus rapidement, par les yeux qu'il a pu le faire par l'ouïe lorsque sa mère s'adressait à lui, car au point de vue psychologique il n'y a point de différence entre percevoir et comprendre une phrase par l'ouïe et percevoir et comprendre une phrase par la vue. Le travail d'association et de jugement - donc la partie la plus importante du travail mental - est identique ; seul le centre d'impression diffère.

L'initiation à la lecture se fait sous forme d'ordres. L'ordre est en effet une forme naturelle d'expression.

Généralement il est accompagné de gestes. Ceux-ci constituent également un langage qui facilite et contrôle la compréhension. C'est, d'ailleurs, le mode de langage le plus familier à l'enfant, puisque celui-ci le perçoit chaque jour et qu'il l'a perçu depuis qu'il est au monde. De plus il se rattache à un acte en rapport avec les besoins de l'enfant. Or nous savons tous que ces actes sont concrets, intéressants. Ils ont un but que l'enfant apprécie, et une grande valeur intellectuelle par le fait qu'ils exigent une plus grande précision dans la compréhension.

Toujours en nous basant sur l'évolution du petit enfant, nous voyons qu'après le commandement de la mère viennent les observations et les questions de l'enfant. Il demande le pourquoi et le comment de tout. Il interroge sa maman pour savoir le nom des choses qu'il observe. La maman satisfait spontanément et sans le savoir cette curiosité quand elle lui dit : "Écoute, l'oiseau chante" - "Regarde, le petit garçon pleure". Et c'est ainsi que l'enfant acquiert les notions et les idées. Pourquoi ne pas lui inculquer ces mêmes notions à l'aide du langage visuel ? Nous savons que les mots parlés n'ont pas été immédiatement compris par l'enfant ; il y a fallu de très nombreuses répétitions. Il en sera de même pour le langage visuel. Et ce ne sera qu'après avoir vu et revu plusieurs fois un ordre écrit que l'enfant parviendra à attribuer une signification à ce qu'il voit.

Mais comme il est plus âgé, il lui faudra naturellement beaucoup moins de temps et de répétitions pour l'acquisition du langage visuel qu'il ne lui en a fallu pour celle du langage auditif. La décomposition du langage visuel se fera, encore une fois, de la même façon que celle du langage auditif. Ainsi lorsque l'enfant aura entendu sa maman lui répéter souvent : "Ferme la porte, ouvre la fenêtre", il comprendra : "Ferme la fenêtre, ouvre la porte". De même pour le langage visuel ; au lieu des centres auditifs, ce sont les centres optiques qui interviennent.

 

3° PÉDAGOGIE

 

La méthode idéo-visuelle permet d'associer étroitement la lecture aux branches du programme. Elle permet par conséquent l'application rationnelle de la méthode des centres d'intérêt, puisqu'elle permet de lire, en transportant dans le langage, des choses vécues et observées. En effet, dès le début, l'enfant résume les observations faites au cours des leçons à l'aide d'une phrase (phrase qu'il peut exprimer par la parole). L'idée est ainsi associée au mot écrit ; l'enfant n'est pas retenu par des difficultés techniques. Il ne lit pas des mots n'ayant aucun sens entre eux. Toujours, la lecture est associée à une idée. C'est ce qui constitue le plus grand avantage de la méthode. Dans l'application de cette méthode de lecture idéo-visuelle, il faut observer deux principes :

1° Associer les images écrites des choses et des faits aux choses et aux faits eux-mêmes et associer la lecture aux autres branches d'enseignement.

2° Á un moment donné, faciliter la décomposition pour aider la reconnaissance des images du langage écrit, et permettre la lecture d'images écrites autres que celles déjà montrées à l'enfant.

Dans l'application de cette méthode, nous ne faisons plus de décomposition immédiate en sons ; plus d'étude des sons pour eux-mêmes ; plus de systématisation dans cette étude, mais nous suivons la voie naturelle d'acquisition et la voie naturelle d'enseignement. La lecture devient ainsi ce qu'elle doit être, d'abord un exercice d'expression, une branche associée aux autres et bientôt un moyen d'acquisition.

Grâce à cette méthode, l'esprit de l'enfant prend son envolée naturelle, sa spontanéité n'est plus enchaînée.

Le champ d'observation s'en trouve naturellement élargi et, comme il n'y a pas de limites fixées d'avance, toutes les facultés de l'enfant peuvent se développer librement et harmonieusement. N'est-ce pas, en somme, le but que devraient atteindre toutes nos méthodes d'enseignement ?

C'est une méthode allant du concret à l'abstrait par la voie naturelle. Nous présentons d'abord les choses, puis les phrases ; les mots en dernier lieu, et l'enfant finit par dégager les éléments abstraits lorsqu'il s'agit de généraliser.

Avant de soumettre les enfants à cet enseignement de la lecture par la méthode idéo-visuelle, nous soumettons nos enfants à des tests de mémoire et d'attention visuelles. Ces tests ont été appliqués par M. Decroly et Mlle Degand(2). Nous les employons également afin de répondre à l'objection qu'on pourrait nous faire que cette méthode ne convient qu'aux enfants du type visuel. Mais les enfants de type sensoriel autre, comment se comportent-ils dans ce cas ?

Jusqu'à présent les enfants, intellectuellement normaux, soumis à cette méthode, appliquée par des personnes même peu exercées, ont tous réussi à lire très rapidement.

Du reste, pour les auditifs même, elle a des avantages, puisque cette méthode visuelle exerce chez eux la mémoire visuelle qui leur fait défaut et dont ils ne peuvent se passer. Leur orthographe s'en ressent certainement, surtout pour la langue française, qui est presque exclusivement visuelle. Si l'on songe aux différentes manières dont on peut écrire le son an, en, ant, and, amp, emp, emps, ang, eng, ans, ens, end, ent, am, hen, sans compter les confusions en = in, on se rend compte aussitôt que seule la mémoire visuelle est capable de conserver ces multiples aspects d'un son.

Ceux qui n'ont pas de mémoire visuelle auront beau faire : ils n'arriveront jamais à l'orthographe d'usage.

Le son an.

Caen - ruban - quand - pourtant - Jean - printemps - bambou - banc - étang - paon - emblème - différend - camp - tisserand - dedans - lenteur- exemple - hareng - encens - froment - appréhender - éloquence.

Et de même pour les autres sons.

Les conclusions tirées de ces expériences aboutissent à fixer comme suit l'ordre dans lequel 52 enfants, soumis aux expériences, ont retenu des images visuelles.

1° Les images ;

2° Les phrases ;

3° Les mots ;

4° Les formes géométriques ;

5° Et enfin les lettres.

Jusqu'à présent nos examens ne nous ont pas encore fait découvrir un type auditif pur. Ce qui ne veut naturellement pas dire qu'il n'en existe pas. Et nous ne nous expliquons pas l'objection de Mlle Descœudres(3) quand elle dit : "La méthode naturelle convient parfaitement aux enfants du type visuel ; mais il faut tenir compte des autres types sensoriels".

Jusqu'à présent nous avons appris à lire à 85 enfants par la méthode idéo-visuelle. Nous n'avons pas encore rencontré la moindre difficulté.

De plus la méthode est appliquée dans dix classes d'écoles de la ville de Bruxelles. Chaque classe comptant en moyenne 25 enfants, cela fait donc 250 enfants. Les professeurs interrogés à ce sujet ne nous ont signalé aucun sujet réfractaire. Les enfants rebelles à la lecture sont des insuffisants mentaux qui n'auraient pas mieux acquis l'art de lire par la méthode auditive.

"Götze, dit Mlle Descœudres, appelle la méthode naturelle "méthode de totalité". Selon lui, cette méthode, qui amène une surcharge de la mémoire, serait presque un retour à la méthode chinoise".

Nous pouvons objecter d'abord que la mémorisation de ces images graphiques se fait presque sans aucune difficulté, même par les enfants les plus jeunes. Après le Dr Decroly, Claparède et d'autres, nous avons fait nous aussi des expériences. Á trois ans notre petite nièce retrouvait sans se tromper 32 images de mots écrits correspondant à des objets bien connus.

Comptant les mots dont nous nous servons, avant d'arriver à la décomposition et à la généralisation, nous avons constaté que leur nombre s'élève à 400 environ. Nous sommes loin de la science d'un mandarin chinois. (Il faut encore tenir compte des généralisations plus précoces qui s'observent chez certains enfants et qui ne rendent même pas nécessaire l'acquisition de ce nombre élevé de mots.)

L'objection de Götze tombe donc. La raison qui amène Mlle Descœudres à renoncer à la méthode malgré la supériorité qu'elle lui reconnaît, c'est que "entre plusieurs, il faut choisir les moyens les plus rapides, pour que les enfants emmagasinent le plus possible de connaissances utiles pour la vie. Il faut que la lecture soit acquise. Or la méthode naturelle est plus longue que l'autre".

Cela n'est pas exact, l'enfant soumis à la méthode idéo-visuelle lit plus rapidement que celui soumis à l'ancienne méthode.

Et en effet, voici quelques résultats concernant l'application de la méthode dans une école de la ville de Bruxelles. Ils ne manquent pas d'intérêt.

ÉCOLE MOYENNE C (rue de Gravelines).

1er groupe 1916-1917.

Sur 20 enfants âgés de six ans à peu près, à leur arrivée à l'école :

1 lisait n'importe quel texte après 6 semaines ; 16 après 3 mois ; 2 après 4 mois ; 1 à la fin de l'année (cette dernière présentait des troubles de l'expression parlée).

2e groupe. Année 1920-1921.

Sur 23 enfants âgés également de 6 ans (en moyenne) : 3 lisaient n'importe quel texte après 2 mois ; 3 après 4 mois ; 9 après 6 mois ; 5 après 8 mois ; 3 (très jeunes, 5 et 5 ans et demi) éprouvent une légère difficulté, mais liront certainement à la fin de l'année.

La différence de résultats obtenus par ces deux groupes peut s'expliquer de la façon suivante :

1° Nous avons accordé moins de temps à la lecture au deuxième essai, la méthode ayant déjà prouvé qu'elle était bonne lors du premier essai.

2° La mentalité des enfants est différente.

ÉCOLE COMMUNALE n° 17 : Rue des Six-Jetons.

Classe 1: Á Pâques toutes les petites filles lisent couramment, sauf une élève.

Classe II : Á Pâques toutes les élèves lisent, excepté deux élèves éprouvant une certaine difficulté.

Á l'école de la rue de l'Ermitage, la plupart des enfants, même avec une institutrice qui pratique pour la première fois sans instruction spéciale, lisent après un an aussi bien que des enfants de seconde année instruits par la méthode ordinaire. Malgré la réussite de cette méthode, il serait à souhaiter qu'on reportât l'étude de la lecture après la première année d'étude comme le préconise aussi M. Duvillard dans son livre Les tendances actuelles de l'enseignement primaire. Le Dr Decroly(4), estime, en effet, préférable de laisser les enfants observer les êtres et les choses le plus longtemps possible, sans les initier trop vite à la lecture. Et puisque, par la méthode idéo-visuelle, on gagne un an, il faudrait profiter de ce gain de temps pour les retenir plus longtemps à observer et à agir.

Une autre raison pour retarder l'enseignement de la lecture, c'est qu'il existe très peu de livres à la portée des enfants de cet âge ; et d'ailleurs ne devons-nous pas apprendre surtout à l'enfant à se servir du grand livre de la nature avant de recourir à ceux où nous puisons les idées des autres, en prenant l'habitude de ne plus observer ni penser d'après notre propre expérience ?

Mlle Descœudres fait une dernière objection : "La lecture prématurée des mots conduit à deviner les mots ; c'est une habitude que les enfants peuvent garder longtemps". Mais n'est-ce pas une preuve que l'enfant réfléchit, que sa lecture éveille en lui une idée, qu'il attache plus d'importance au fond qu'à la forme ?

Cette habitude de deviner le mot disparaît du reste assez rapidement.

"Nous pouvons affirmer que la méthode idéo-visuelle donne, à tous les points de vue, des résultats supérieurs à ceux de la méthode ordinaire", écrit le Dr Schumann, mentionné par Mlle Descœudres :

"S'il est possible que la plupart des enfants acquièrent par cette méthode les associations nécessaires pour la lecture courante entre l'image verbale du mot et les éléments phonétiques qui la composent, sans passer par les lettres, cette méthode serait une simplification".

Nous sommes tout à fait de l'avis de M. Schumann, et nous sommes convaincus que la méthode idéo-visuelle est appelée à jouer un rôle aussi imprévu qu'important dans l'enseignement de la lecture.

 

 

LA MÉTHODE GLOBALE DANS L'ENSEIGNEMENT DE LA LECTURE

 

Notre expérience des cinq dernières années dans l'application de la méthode globale de lecture nous oblige à supprimer le chapitre "précisions de technique" qui a paru dans les deux premières éditions.

Au début de l'application de la méthode globale nous n'étions pas très certains des résultats que nous allions obtenir. Le désir d'obtenir des résultats rapides, et aussi une certaine crainte des critiques des parents, nous a fait commettre une grave erreur. C'est celle de mécaniser, de faire généraliser trop tôt. Les travaux du Dr Decroly sur la globalisation(5), les nombreuses conversations que nous eûmes avec lui à ce sujet nous donnèrent le courage d'appliquer la méthode globale pure. Nous pouvons dire que les dernières expériences faites à l'Ecole de l'Ermitage viennent confirmer les affirmations du Dr Decroly. Nous pouvons apprendre à lire aux enfants en nous basant complètement sur les procédés employés par la maman pour apprendre à parler à ses enfants. Et nous pouvons affirmer qu'il suffit de suivre cette méthode maternelle pour permettre d'acquérir la lecture sans avoir fait aucun exercice de systématisation et sans avoir appris ni les lettres ni les syllabes. Le résultat, pour chaque enfant, est différent au point de vue de la rapidité d'acquisition comme il a été différent pour l'acquisition du langage.

Nous voyons immédiatement l'importance d'une pareille découverte. Grâce à cette méthode nous ne divisons plus les mots en sons inintelligibles, nous avons aboli l'étude des sons n'ayant aucun sens, ainsi que tout entraînement systématique sur les lignes monotones de l'alphabet. Nous suivons la route naturelle, aussi bien pour le maître que pour l'élève. De cette façon, la lecture devient ce qu'elle devrait toujours être, à savoir un exercice d'expression de la pensée (un parmi beaucoup d'autres) et en très peu de temps, un moyen d'acquérir de nouvelles connaissances. Grâce à cette méthode, l'esprit de l'enfant suit son cours naturel et sa spontanéité n'est plus entravée.

Et que dirons-nous des opérations ultérieures de l'analyse et de la généralisation ? Celles-ci viendront d'elles-mêmes en temps voulu. La question est donc simplement de fournir à l'enfant un certain nombre de phrases qui représentent pour lui un résumé de ce qu'il a observé. Il peut même en fournir lui-même les matériaux. Ceci l'intéresse et il aime la lecture, il lit chaque jour et acquiert ainsi des quantités de mots nouveaux tous les jours. L'intérêt et le jeu devraient être les facteurs principaux dans ce procédé et nous voyons souvent des enfants qui réussissent à lire couramment sans connaître ni lettres ni syllabes. Le résultat est naturellement entièrement individuel. Il n'y a donc, à proprement parler, pas de méthode, mais une évolution naturelle.

Nous débutons toujours par la phrase sous forme d'ordre. Il est logique de commencer de cette manière, car c'est procéder par image complète. On part du concret pour arriver à l'abstrait, ce qui est conforme à la psychologie enfantine, ainsi que nous avons essayé de le démontrer.

Nous mettons sous les yeux des enfants des ordres écrits se rapportant au centre d'intérêt à l'étude.

C'est ainsi, par exemple, que si au début nous parlons des fruits, nous prenons les ordres suivants :

Apporte-moi la poire.

Dépose la poire sur la table.

Coupe la poire en deux.

Mange une demi-poire.

Donne la poire à Annie.

Ces ordres écrits sur affiche, en très grands caractères, sont mis sous les yeux des enfants.

Au début, ils ne doivent pas exprimer l'ordre lu. Ils examinent l'image visuelle et exécutent ce qu'elle commande, les actes exécutés prouvent qu'ils comprennent l'ordre lu. Les enfants, très actifs de nature, aiment beaucoup cette leçon où ils peuvent courir, marcher, jouer, manger même.

Au début, nous le répétons, il s'agit d'une simple compréhension visuelle, les enfants devant prouver par leurs actes qu'ils comprennent l'image graphique.

Quelle est la durée du temps à consacrer à cet exercice ? Il est difficile de préciser, cela dépend uniquement du développement mental des élèves soumis à l'exercice.

C'est ainsi, par exemple, qu'avec mes petites filles de la section préparatoire de l'école moyenne, appartenant donc à un bon milieu, où l'on parle beaucoup, où l'on s'occupe des enfants, une quinzaine de jours suffisent. Á l'Ermitage également. Dans les écoles communales, où le niveau de développement est inférieur, il faudra sans doute y consacrer un peu plus de temps. Quant aux retardés et aux anormaux, le temps consacré à cet exercice sera beaucoup plus long et servira d'initiation à l'étude de la lecture.

Après une quinzaine de jours, nous mettons sur des pancartes le nom de tous les objets de la classe et nous plaçons ces pancartes sur les objets eux-mêmes. C'est ainsi que chaque objet de la classe porte son étiquette graphique. Ces images visuelles des mots ne s'acquièrent pas en une fois. Nous ajoutons chaque jour quelques nouveaux noms à ceux connus au préalable.

De même tous les noms des élèves sont inscrits sur des bandelettes ; chaque enfant reconnaît très vite son nom, celui de sa voisine et bientôt ceux de tous les enfants.

Á ce propos, nous pouvons affirmer que généralement l'enfant reconnaît plus rapidement l'image visuelle écrite du nom de sa petite compagne que le nom prononcé et entendu.

Voici quelques pancartes :

 

la porte l'armoire l'étagère
annie liliane renée

 

Á côté de ces exercices du début, après avoir observé l'objet choisi comme "centre d'intérêt", par exemple des fruits, les enfants résument verbalement leurs impressions. Ces impressions sont inscrites sous la forme de phrases très courtes ; au début, toujours sous la forme d'un ordre. Chaque enfant a son matériel individuel ainsi que le livre dans lequel les phrases sont groupées à mesure qu'elles sont acquises. Ces phrases courtes sont toujours illustrées par les enfants. Ils s'en amusent et les révisent brièvement chaque jour d'une façon amusante et toujours nouvelle. Chaque jour une nouvelle phrase, toujours un résumé d'observation, est inscrite. Naturellement, ces phrases deviennent de plus en plus longues.

L'enfant reconnaîtra spontanément les mots qui ont déjà été lus dans les histoires précédentes. Aucun mot n'est séparé de son contexte et l'attention de l'enfant n'est jamais attirée vers les parties constitutives d'un mot. Les enfants reconnaissent aisément les mots qu'ils ont déjà vus et sont capables de lire de nouvelles phrases à mesure qu'elles sont présentées. Après un certain temps, l'exercice suivant peut être donné : on demande aux enfants de reconstruire, avec les mots contenus dans une histoire, une autre histoire qui doit naturellement être basée sur le même centre d'intérêt, ou bien certains mots sont effacés et on demande à l'enfant de venir les écrire correctement à leur place respective.

Les ordres et les noms des objets sont tous écrits sur cartes ainsi que les noms des enfants. Le tout est alors présenté d'une autre manière à l'enfant. Au lieu de les lui montrer sur les pancartes, ils sont écrits au tableau. Il suffit de quelques exercices pour permettre à l'enfant de faire la comparaison entre l'ordre écrit, les mots écrits sur le tableau et ceux écrits sur l'affiche.

C'est ici que s'introduisent les jeux basés sur le principe des jeux éducatifs du Dr Decroly(6).

Nous faisons de nombreuses répétitions sous forme de jeux. Chaque enfant possède dans une boîte la collection de petits cartons sur lesquels se trouvent inscrits les ordres connus, les noms connus.

Nous jouons alors de bien des manières.

Voici quelques moyens dont nous nous servons pour lui faire faire des répétitions.

1° Nous montrons un ordre ; chaque enfant doit rechercher parmi tous ses petits cartons l'ordre montré. Il le montre et agit.

2° Nous montrons, ou écrivons au tableau, un nom d'objet - l'enfant recherche parmi ses cartons le nom désigné.

3° Nous disons un nom. Il le recherche et le montre.

4° Ou bien nous prenons toutes nos affiches et nous les partageons entre les enfants. Celui qui rencontre un ordre, montre par ses actes qu'il comprend l'ordre lu ; s'il rencontre un nom d'enfant, il va le déposer devant l'enfant désigné par le nom. S'il rencontre un nom d'objet, il va l'épingler à sa place.

Nous employons de même le système des jeux éducatifs en tenant compte du centre d'intérêt étudié. Ces jeux peuvent être confectionnés par les élèves des classes supérieures. C'est pour eux un excellent exercice de dessin, de calligraphie et, de plus, de solidarité.

Ex. : Jeu II(7). Prenons, par exemple, le point du programme traité : "Les fruits". Nous fabriquons un jeu de loto. Sur chaque carton, nous avons collé une dizaine de fruits dessinés par les élèves des classes supérieures.

Sous chaque fruit se trouve le nom du fruit écrit en écriture ordinaire.

Au verso du carton, nous avons collé une enveloppe renfermant sur petits cartons séparés les noms des fruits dessinés. Ce jeu comprend plusieurs stades.

Au début nous demandons simplement à l'enfant de reconnaître les images visuelles. L'enfant doit placer sur le nom inscrit sous le fruit, l'image visuelle correspondante. Ce premier exercice est un exercice de comparaison.

Quand l'enfant parvient à exécuter ce travail sans hésitation, il cache les images visuelles à l'aide d'une bandelette et il cherche à mettre sous l'image de l'objet, l'image graphique correspondante. Cette fois, il n'a pas de modèle.

Cet exercice est un peu plus compliqué, et il intervient ici, non plus un exercice de comparaison, mais un exercice de mémoire.

Nous le compliquons encore de la façon suivante : au lieu de présenter uniquement les dix images visuelles inscrites sur le loto, nous présentons vingt images dont dix nouvelles. L'enfant est obligé de faire un choix.

Jeu III. Jeu des petites boîtes(8). Très intéressant, pouvant également être associé aux centres d'intérêt.

Prenons toujours le programme des fruits. L'enfant met dans une boîte d'allumettes un gland, par exemple, dans une autre, un marron et ainsi de suite. Les noms de ces fruits sont inscrits sur les couvercles de ces boîtes. L'enfant enlève les couvercles et doit, après les avoir mélangés, remettre le couvercle portant marron sur la boîte renfermant le fruit inscrit. Nous augmentons le nombre de boîtes au fur et à mesure de l'acquisition des images visuelles.

Ce jeu est à la fois un jeu de lecture et un excellent jeu de leçons de choses. L'enfant acquiert ainsi l'image visuelle graphique de la chose associée à la chose elle-même. Ce jeu intéresse énormément les enfants. Trois semaines après le début de l'application de la méthode, les leçons d'observation sont résumées à l'aide de petites phrases écrites dans le cahier d'observation.

Ces phrases sont accompagnées de dessins dans le cahier de l'enfant, car il est amené à traduire aussi rapidement par le dessin que par l'écriture, l'idée qu'il veut exprimer.

Un nouveau jeu se crée à ce moment.

Jeu IV. Les petites scènes(9). De petites phrases sont écrites sous le dessin résumant l'observation et reproduites sur des étiquettes mobiles.

Voici comment nous jouons :

1° L'enfant commence par chercher les phrases semblables qu'il place alors par simple identification visuelle.

2° On cache les phrases écrites sous les scènes et l'enfant doit rechercher de mémoire les phrases qui correspondent aux dessins. Le travail de comparaison se complique donc d'un exercice de mémoire.

3° Le nombre de petites scènes n'est naturellement pas limité et le jeu s'enrichit constamment puisque de nouvelles observations viennent s'ajouter aux autres.

Cet exercice peut se faire collectivement ou individuellement. Nous pouvons aussi distribuer simplement les petites scènes sans phrases et demander à l'enfant de donner chaque fois la scène qui se rapporte à la phrase que nous écrivons au tableau.

Nous varions sans cesse ces exercices. L'important, c'est de les multiplier et de soutenir l'attention.

 

© Amélie Hamaïde, in La Méthode Decroly, Institut Jean-Jacques Rousseau, Éditions Delachaux & Niestlé, 3e édition, 1932, pp. 157-181

 


Notes

 

(1) Contribution à la pédagogie de la lecture et de l'écriture (Archives de Psychologie VI, 1907, p. 339).
- La lecture élémentaire. Rapports présentés en assemblée générale du 20 décembre 1909. Société belge de Pédotechnie.
- Extraits de la revue Zuid en Noord, La Psychologie de la lecture, page 7.
(2) Expériences de mémoire visuelle verbale et de mémoire des images chez des enfants normaux et anormaux. Année psychologique.
Faits de psychologie individuelle et de psychologie expérimentale, École Nationale 1909-1910, p. 201. .
(3) A. Descoeudres. L'éducation des enfants anormaux. Collection d'actualités pédagogiques.
(4) La lecture élémentaire. La lecture comme facteur du développement intellectuel. Rapport présenté par le Dr Decroly à la Société belge de Pédotechnie. Extrait de la revue Zuid en Noord.
(5) La fonction de globalisation et l'enseignement, par Ov. Decroly, Lamertin, Bruxelles, rue Coudenberg.
(6) Dr DECROLY et Mlle MONCHAMP. L'initiation à l'activité intellectuelle et motrice par les jeux éducatifs. Collection d'actualités pédagogiques.
(7) DECROLY et MONCHAMP, p. 129.
(8) DECROLY et MONCHAMP, p. 130. Voir aussi, DESCŒUDRES, op. cit., p. 237.
(9) DECROLY et MONCHAMP, p. 135.

 

 


 

 

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