COURS SUPÉRIEUR

 

1. Observations générales

 

Les programmes nouveaux appellent un certain nombre d'observations.

Ils répondent à un souci d'allégement. Les auteurs des arrêtés de 1887 et de 1923 avaient eu la même préoccupation. "Les auteurs du plan de 1887 ont voulu faire simple" disaient les auteurs des instructions de l923 et ils ajoutaient "... nous avons voulu faire plus simple encore que nos devanciers". Ils avaient pensé parvenir à ce résultat en rédigeant des programmes courts, réduits aux notions essentielles. L'expérience a prouvé que leurs intentions n'ont pas toujours été remplies comme ils l'eussent souhaité. N'est-il pas plus efficace de préciser avec plus de netteté le détail des questions relatives aux diverses matières, de façon à éviter ces excroissances, ces surcharges parasites dont le zèle des maîtres tend, quoi qu'on en ait, à alourdir l'enseignement ? Des programmes détaillés ont, en outre, cet avantage que la simple énumération des questions a la valeur d'une indication de méthode.

Nous avons donc délibérément développé les articles des nouveaux programmes. Mais le résultat ne répondrait pas à notre attente si les maîtres méconnaissaient le caractère de ces rubriques. Ce ne sont pas les titres de chapitres d'une encyclopédie indéfiniment extensible, mais bien des énoncés limitatifs auxquels on ne saurait rien ajouter. Qu'on soit bien convaincu que les mots simples, pratiques, sommaires, représentatifs... qui reviennent à chaque ligne ne sont pas de simples expressions de style. Ils appellent l'attention sur notre propos d'une manière très pressante. Nous avons voulu faire précis pour qu'on se sentît invité à faire court et simple. La liberté que l'auteur des instructions de 1923 laissait aux maîtres, nous n'entendons pas la restreindre. Liberté et initiative trouvent ample matière à s'exercer dans les bornes plus strictes que nous avons fixées. Guider cet élan intérieur sens lequel il n'y a pas œuvre éducative efficace n'est pas le réfréner. Notre souci d'adapter les programmes aux conditions régionales et même aux conditions locales est rendu sensible à tous, par le soin que nous avons pris de prévoir des variantes dans les sujets traités au cours de l'année finale de le scolarité, dans la latitude laissée aux maîtres de proportionner eux exigences particulières de leurs classes les différentes parties du programme du Cours Supérieur Seconde année. L'utilisation des trois heures de libre activité pédagogique selon les ressources du lieu et de la saison, l'appel plus large aux libres initiatives de l'enfant, ne se conçoivent pas sans un grand effort de renouvellement des instituteurs. Nous avons conscience d'avoir restitué eux maîtres beaucoup plus de liberté que nous ne leur en enlevions en apparence. Un large champ s'ouvre devant eux en même temps qu'ils trouvent un soutien dans la précision accrue des formules. Cet effort d'ingéniosité, nous demandons aux maîtres isolés, aux conseils des maîtres, de l'exercer dès le début de l'année dans l'organisation particulière des programmes de l'année scolaire Nous le réclamons dans la pratique journalière de l'enseignement. Dans les écoles à un seul maître ou dans les écoles qui comptent un nombre de classes restreint, il y aura des problèmes délicats à résoudre. Les solutions sont nombreuses et variées, soit qu'elles si puissent réaliser dans le cadre d'uns seule école, soit que l'intervention de l'autorité académique s'impose pour qu'elles se réalisent dans un cadre élargi.

Les inspecteurs d'Académie et les inspecteurs primaires, à qui il appartient de diriger l'application de ces instructions, veilleront à ce que la souplesse que nous avons voulu conférer à l'organisation pédagogique soit mise à profit. Ils apporteront tous leurs soins à la mise sur pied progressive des combinaisons intercommunales toutes les fois qu'elles seront possibles.

Sur les points essentiels de méthode, la lecture attentive des instructions de 1923 continue à s'imposer aux maîtres. Luttant contre la tendance à absorber le Cours supérieur dans le Cours moyen, elles disaient "le Cours supérieur doit cesser d'être un mythe. Plus que jamais il importe de le ressusciter", - c'est le mot dont elles se servaient -"et de bien établir une progression dans l'acquisition du savoir".

Après les instructions de 1887 et celles de 1923, celles-ci entendent marquer une nouvelle étape.

L'âge normal du certificat d'études reste fixé à 12 ans. Il est la consécration obligatoire des études vraiment élémentaires. L'enseignement qui y conduit reste en liaison avec l'enseignement du Cours moyen. Mais il n'en est pas la répétition exacte. Dans l'année qui suit, les enfants qui ont subi avec succès les épreuves du C.E.P.E. peuvent être dirigés soit vers l'enseignement du second degré, soit vers l'enseignement complémentaire, soit vers la classe finale de scolarité. D'où la nécessité d'organiser un enseignement de type un peu différent. Enfin, il est constant qu'une proportion assez élevée de nos élèves, pour des raisons variées, ne subissent avec succès les épreuves qu'à treize ans - et qu'un certain nombre s'y présentent vainement. Ces considérations de fait nous ont amené, tout en respectant pour le principal le contenu des anciens programmes du Cours supérieur, à envisager une répartition plus précise des matières de ces programmes au cours des deux années. Cette répartition comporte une orientation différente de l'esprit général de l'enseignement. Le Cours supérieur comprend en réalité deux classes, l'une qui est la classe du certificat d'études, dont les programmes sont ceux de l'examen - programmes allégés sur quelques points importants par rapport aux anciens ; elle existe dans toutes les écoles. L'autre est la 2e année du Cours supérieur. Il se trouve des cas, dans les écoles peu nombreuses, où elle ne peut être organisée. Ses programmes sont en rapport avec ceux des classes d'initiation ou second degré et les maîtres ont la possibilité d'accentuer, selon les besoins de leurs élèves, telle ou telle partie des programmes - par exemple des programmes -d'histoire et de géographie et de science. Les cours complémentaires continueront à emprunter tout ou partie de leurs programmes aux programmes des écoles primaires supérieures. Sous le bénéfice de ces observations générales, nous passerons en revue les différentes matières des programmes.

 

2. Prescriptions relatives à chaque matière

 

a) MORALE ET INSTRUCTION CIVIQUE

 

Il n'y a rien à ajouter aux instructions de 1923 ni en ce qui regarde la classe de Certificat d'Études, ni en ce qui regarde le Cours Supérieur seconde année. Elles disaient : "Le Cours Supérieur étant celui où, pour la première fois, on esquisse une théorie des devoirs, nous avons pensé que la réflexion de l'enfant devait être attirée sur les principes des devoirs sociaux. Sans doute, cette théorie des devoirs, cette réflexion sur les principes est encore très modeste. Il serait hors de propos d'inviter des enfants de douze ans à choisir entre Epicure et Zénon, entre Bentham et Kant. Mais on s'efforcera de coordonner les notions morales, de montrer qu'elles se relient les unes aux autres et que, en partant de certaines idées centrales, on peut apercevoir à leur plan, plus ou moins éclairées selon leur importance relative, les diverses fins de l'activité humaine; an peut commencer à dresser dans la conscience des enfants une table rationnelle des valeurs. Peu à peu, en approfondissant les notions de justice et de solidarité, on arrivera à montrer que l'obligation morale s'impose à l'homme comme une loi de sa nature individuelle et sociale; on fera reposer la morale enseignée à l'école primaire sur les principes les plus solides de notre constitution mentale". Et à propos de l'instruction civique : "Pourtant il s'agira moins de décrire en détail les rouages que d'en montrer les principes. C'est pour ce motif que l'instruction civique, au lieu de demeurer rattachée à l'histoire (dont, en fait, elle s'était d'ailleurs séparée), a été annexée par le nouveau plan à l'enseignement moral. Droits et devoirs des citoyens, obligations scolaires, obligations militaires, obligations fiscales, suffrage universel, rapports réciproques des pouvoirs publics, organisation de la justice, de l'assistance, toutes ces questions soulèvent des problèmes moraux. Et c'est sur des idées morales, c'est sur les idées de justice et de solidarité que reposent les institutions démocratiques. Enseigner à l'enfant ce qu'il doit savoir pour jouer son rôle de citoyen, c'est compléter son éducation morale".

Nous nous sommes bornés à introduire d'une manière explicite les devoirs de la vie internationale en mentionnant la Société des Nations.

 

b) ÉCRITURE

 

Tous les soins devront être donnés à l'écriture cursive. Des protestations très vives s'élèvent de tous côtés contre la négligence et le peu de soin apportés à l'écriture courante par les enfants qui quittent nos écoles. Il convient de réagir très vigoureusement et d'obtenir de tous une écriture lisible, nette et soignée.

 

c) LANGUE FRANÇAISE

 

Les programmes du Cours supérieur, ainsi que l'indique l'exposé des motifs, ont été dressés avec le souci de conserver la continuité avec le Cours moyen. Ils introduisent très peu de notions nouvelles. On y continuera les exercices propres à assurer l'enfant dans l'usage correct et aisé de la langue française, orale et écrite ; c'est là un apprentissage qui n'est jamais terminé. En même temps on s'efforcera de considérer sous un aspect nouveau quelques-unes des notions acquises. Les programmes envisagent successivement la lecture, le vocabulaire, la grammaire, la rédaction. Ces divers enseignements n'en forment en réalité qu'un seul. Puisque les mots n'ont de sens que dans les textes où ils sont employés, les exercices de lecture offriront l'occasion d'acquérir ou de préciser les divers sens d'un mot. D'autre part, pour la rédaction, la reproduction de certains textes de lecture, judicieusement dirigée, pourra constituer d'excellents exercices. Quant aux règles grammaticales, on en trouvera souvent les exemples dans les textes lus et connus, et l'on en fera l'application dans les exercices d'élocution et de rédaction. Mais une leçon de lecture, un exercice de rédaction, une leçon de grammaire, un exercice de vocabulaire, ont chacun leur objet propre. Le distinction établie dans les programmes correspond à des nécessités pédagogiques.

Il importe, par précaution préliminaire, de rappeler aux maîtres que l'enseignement de la langue française a deux objets très différents suivant l'âge et les connaissances des élèves.

A l'école primaire, jusqu'au certificat d'études, la tâche est d'enseigner la pratique exacte et sûre de le langue. Cette connaissance une fois acquise, l'étude de la langue française devient un enseignement de culture.

La langue française que les maîtres enseignent n'est pas celle que les enfants emploient spontanément.

Les enfants ont appris de leurs mères, de leurs familles et de leurs camarades la langue maternelle ; ils ont acquis en parlant les habitudes linguistiques de leur milieu, Ils parlent une langue mêlée de mots d'argot et de termes impropres, indifférente aux accords essentiels de genre et de nombre, ignorant la valeur des temps et des modes. A l'école, les maîtres enseignent l'usage correct, le bon usage de le langue. Quand un élève emploie un mot à la place d'un autre, ou bien en défigure la prononciation, quand il construit une phrase suivant une syntaxe usuelle mais populaire, c'est la tâche du maître d'enseigner la prononciation exacte et la signification précise du mot, la construction correcte des propositions et des phrases. Cependant, le milieu familial et social résiste à cette action de l'école. C'est pourquoi l'enseignement pratique de la langue française est nécessaire tout au long de la scolarité.

Dans une autre intention, l'enseignement du français peut se proposer de faire réfléchir les enfants sur la langue qu'ils parlent qu'ils lisent ou qu'ils écrivent ; on peut passer en revue les divers moyens d'expression d'une même idée, classer les sens divers d'une même expression, rechercher enfin comment certaines formes de langage correspondent à certaines nuances de la pensée. Les mots, les constructions, sont des faits entre lesquels la réflexion peut découvrir et mettre en lumière les rapports ou les lois que nous appliquons inconsciemment en parlant ou en écrivant. Amener l'enfant à prendre conscience de ces rapports et de ces lois, c'est une discipline de l'intelligence et un incomparable instrument de culture.

Mais cette discipline présuppose la connaissance pratique de la langue. Pour réfléchir sur les formes et sur les lois du langage il faut d'abord les posséder, et savoir déjà les appliquer exactement et sûrement.

 

[NOTE. - Veut-on expliquer par exemple que le conditionnel est une forme verbale par laquelle le français exprime une action future dans une proposition subordonnée dont la proposition principale est au passé ? On ne dit rien que chaque enfant ne sache déjà en quelque façon, car il emploie sens cesse des phrases comme celle-ci : "On croyait tous qu'on ferait aujourd'hui une promenade".  S'il n'avait déjà employé cette construction, ce qu'on lui dit du conditionnel lui serait à peu près inintelligible ; en tout cas, ce n'est pas par ce moyen qu'on pourrait l'amener à l'employer dans ce sens. ]

 

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Il est évident que, dans l'enseignement du premier degré, les fins sont toutes pratiques. Il s'agit moins d'acquérir des connaissances théoriques, que de prendre des habitudes correctes. Toute notion que l'on enseigne doit engendrer chez l'enfant une aptitude pratique à exprimer sa propre pensée et à comprendre celle d'autrui.

C'est dire que, dans l'enseignement du premier degré, il y a une part inévitable de mécanisme qu'il faut avoir le courage de reconnaître, et à laquelle il faut, non pas se résigner, mais consacrer volontairement du temps, des efforts et de l'intelligence. Ce n'est pas que le maître doive s'interdire de donner à l'occasion quelques exp1ications sur un fait de langue. Mais c'est à la condition de ne pas faire intervenir trop tôt la réflexion et l'érudition. Elles peuvent gêner l'application des habitudes et des réflexes.

Il ne faut pas méconnaître non plus que la seule pratique correcte de la langue constitue déjà par elle-même une culture. Mais il y a plus. Si le maître, à l'école élémentaire, n'a immédiatement que des fins pratiques, l'ordre et l'esprit dans lesquels il enseigne peuvent être inspirés du souci de former et de fortifier l'intelligence.

Par exemple, c'est par des signes extérieurs, les seuls que les enfants puissent reconnaître sûrement, que le maître, par nécessité pédagogique, définira les notions grammaticales ; mais il peut choisir ces signes extérieurs et monter dans l'esprit des élèves les mécanismes corrects, de telle façon que la réflexion scientifique, quand elle pourra s'exercer, n'ait qu'à suivre l'ordre même du mécanisme pour, en quelque sorte, se retrouver elle-même. L'élève ignore pourquoi son maître a suivi telle ou telle méthode. Mais le maître qui, lui, a de la langue une connaissance réfléchie, dirige pourtant l'esprit des élèves par des voies préméditées, vers un but certain, Il recourt à certains "procédés mécaniques" : l'apparence seule en est mécanique ; ils sont organisés selon un plan intelligent, et préparent d'avance la matière où, le moment venu, se déploiera la réflexion

 

[NOTE. - Par exemple, en étudiant les noms de métiers formés avec le suffixe ier, le maître enseignera d'abord ceux où le radical est invariable (trésor, trésorier ; épice, épicier) ; puis ceux où dans le mot, on prononce une consonne écrite, mais muets dans le mot simple (gant, gantier) ; puis les mots où le mot simple ont au radical une voyelle différente (œuvre, ouvrier) ; enfin les mots où il y a tout à la fois modification de le voyelle du mot simple et prononciation d'une consonne muette (jardin, jardinier). Il fera la même distinction en étudiant les verbes du 3e groupe, ceux où le radical est intact (je cours, nous courons) ; ceux où il y a une modification de consonne (il par-t, nous part-ons) ; ceux où il y a une modification de la voyelle (je meurs - nous mourons) ; ceux où il y a tout à la fois modification de la consonne et modification de la voyelle (je reçoi-s, nous recev-ons, ils reçoiv-ent). On ne donne aucune explication de cette classification. Mais on prépare ainsi la réflexion ultérieure des élèves.]

 

LECTURE ET RÉCITATION. - Les programmes de l923 ont estimé que les élèves, après les trois premières années de scolarité, c'est-à-dire dès le début de la première année du cours moyen, doivent posséder complètement le mécanisme de la lecture. Ces vues exprimaient plutôt un idéal que la réalité. Des constatations faites dans de nombreuses écoles, il résulte que la "lecture courante", n'est pas encore complètement acquise à dix ans par la moyenne des élèves. Tant que les enfants en seront encore à la lecture hésitante, obligés de consacrer un certain effort d'attention au déchiffrage des mots et des syllabes, la lecture ne pourra être utilisée efficacement pour l'étude de la langue. Les maîtres estiment avec raison que les heures de lecture devraient être consacrées à lire et non à expliquer des mots ou des tournures. Cet exercice pratique de la lecture doit être poursuivi au cours supérieur, et jusqu'à la fin de la scolarité. Dans la deuxième année du cours supérieur, et même dans la première année des écoles primaires supérieures, on voit encore des élèves qui n'ont pas cette perception rapide et globale des mots et des phrases qui, seule, permet une lecture courante intelligente.

Cependant, dès le cours moyen, et surtout au cours supérieur, !a lecture est la meilleure occasion et fournit la meilleure matière à l'étude de la langue, en particulier de la langue écrite. Les programmes de 1923 portent, pour le cours supérieur : "lecture expressive, avec explications tendant non seulement à faire comprendre le sens, mais encore à faire sentir la beauté des morceaux" ; et les instructions ajoutent que la lecture peut y devenir "une modeste leçon de littérature". Ces prescriptions ont été parfois mal interprétées : on a perdu de vue les commentaires qui les accompagnent.

Dégager et commenter le sens général d'un texte, en chercher, quand il y a lieu, la composition, analyser les nuances des mots essentiels, montrer la valeur logique ou esthétique des constructions, c'est un exercice qui n'est pas de l'école primaire élémentaire. Il suppose que le texte a déjà été très suffisamment compris et senti par l'élève. Cette explication d'un texte est prématurée.

Les programmes nouveaux prévoient simplement, au cours supérieur première année : "lecture à haute voix de textes en prose...". Comme le prescrivent les instructions de l923, l'instituteur commencera par lire lui-même le texte à haute voix ; il pourra faire remarquer aux enfants comment les inflexions de la voix servent à exprimer les nuances de la pensée et du sentiment ; pourquoi il s'arrête à tel ou tel mot ; pourquoi ici il laisse tomber la voix et ailleurs marque fortement l'intensité ou la durée d'une syllabe ; il indiquera les liaisons à faire et celles à éviter, car on en abuse parfois à l'école primaire. Évidemment le texte entier de la lecture ne sera pas ainsi commenté, mais seulement une ou deux phrases ; un court paragraphe pourrait même être écrit au tableau, en marquant par exemple de traits verticaux les pauses ou silences de la voix, en indiquant par un arc les liaisons à faire. Les élèves liront ensuite ; le maître exigera une prononciation distincte et correcte, une diction simple et naturelle ; s'il obtient qu'on marque exactement le rythme des phrases, cette lecture sera une excellente leçon de langue française qui, à cet âge, suffit.

A une condition, toutefois, c'est que le texte en ait été bien choisi. Chez les bons écrivains, la pensée ou le sentiment ne forme qu'un avec la forme, et les groupes de mots que la voix réunit et découpe dans le texte correspondent aux divers éléments de la pensée. Par cela seul que les élèves auront appris à bien lire un texte, fût-ce par répétition, ils en auront déjà saisi le sens. Plus tard, l'explication de la lecture interviendra pour le dégager de façon explicite et raisonnée. Souvent quelques remarques de grammaire ou de vocabulaire peuvent paraître indispensables : il vaut mieux qu'elles viennent après la lecture. D'ailleurs, s'il reste des mots dont le sens ne soit compris qu'en gros, on en prendra son parti : l'ignorance d'un ou plusieurs mots peut ne pas nuire à l'intérêt de l'ensemble, et il suffit de prévenir, par quelques très brèves indications, les contre-sens possibles. Certes, il n'y aura que des avantages à ce que l'un des trois ou quatre textes de prose lus chaque semaine, ou un paragraphe de l'un de ces textes, soit choisi pour servir ensuite à une leçon de vocabulaire ou de grammaire ; mais jamais un exercice de vocabulaire ou un exercice de grammaire ne doit se greffer intempestivement sur la lecture.

Au cours supérieur deuxième année, le programme prévoit la "reproduction d'un texte lu à haute voix ou des yeux". Il est évident que ces textes à reproduire ne seront pas pris au hasard. La plupart des enfants reproduiront plus volontiers et plus facilement un texte narratif qu'un texte descriptif. Mais surtout, il importe de ne leur proposer que des textes de premier ordre, dans lesquels la suite des mots et des propositions obéisse à un certain mouvement qui soit exactement le mouvement même de la pensée et du sentiment ; à cette condition, l'exercice n'intéressera pas seulement, ni même essentiellement, la mémoire : ce n'est pas chaque mot qui appellera mécaniquement le suivant, c'est l'ensemble de la phrase, et c'est la pensée même, qui suscitera le souvenir des mots et l'ordre de ces mots.

Au cours supérieur deuxième année, le programme prescrit explicitement la lecture silencieuse. Par ailleurs, le Conseil supérieur a voulu qu'à l'épreuve de lecture du certificat d'études, il fût accordé à l'enfant cinq minutes de préparation. Cette préparation ne peut consister qu'en une lecture silencieuse ; il faut bien que les élèves y aient été d'avance exercés. Dès la classe du certificat d'études on se préoccupera donc de la lecture silencieuse. On ne peut lire intelligemment que si l'on embrasse rapidement des yeux le texte qu'on va lire. On ne peut lire à haute voix correctement les mots d'une phrase, couper cette phrase aux silences imposés par le sens, accentuer exactement les syllabes significatives, que si l'on a, par avance, saisi le sens de la phrase dans son ensemble. La voix est nécessairement devancée par les yeux.

Au cours supérieur, et en général à l'école élémentaire, c'est la langue actuelle qu'il s'agit d'enseigner, et non point la langue classique, qui diffère beaucoup de la nôtre. C'est pourquoi sans doute, certains maîtres ont le souci de trouver des textes de lecture ou de récitation qui soient tirés d'ouvrages tout à fait récents ; et l'on considère parfois certaines lectures comme scolairement "usées", parce qu'elles ont beaucoup servi. Il ne faut pourtant pas oublier non plus que si le maître connaît bien ces pages et a parfois le sentiment de les connaître trop, les élèves, eux, ne les connaissent point. Le souci du modernisme, légitime en son principe, ne doit pas faire exc1ure de nos classes les passages de grandes œuvres de la littérature française du l9e siècle ou même du 18e, dont la beauté est éternelle, et dont la langue n'a point vieilli.

Ces considérations, qui valent pour les textes de lectures en prose, s'imposent avec plus de force encore quand il s'agit de textes en vers.

Le programme indique que les textes en vers seront toujours lus à haute voix, et il rappelle que la lecture des vers présents des difficultés particulières.

Au cours supérieur première année, c'est, comme au cours moyen, par le pratique de la lecture, de la récitation et de la diction, qu'on amènera les enfants à prendre conscience de ces difficultés et à les surmonter. Il faut leur apprendre à saisir par l'oreille, et à reproduire par la parole, le rythme des vers ; leur faire sentir comment, par la prononciation, un vers peut devenir "faux", c'est-à-dire perdre sa cadence rythmée ; il faut veiller à l'articulation des syllabes habituellement muettes, et qui en poésie doivent être prononcées ; veiller au maintien des liaisons nécessaires au nombre régulier de syllabes

 

NOTE. - Dire : le navir(e) glissant sur les gouffr(es) amers, c'est suivre la prononciation usuelle ; mais si l'on veut faire entendre un alexandrin, il faut prononcer douze syllabes, articuler légèrement le e final de navire et de gouffres, et en outre faire la liaison : gouffres_amers. Lire autrement. c'est détruire le rythme caractéristique du vers, puisqu'il n'y a plus 12 syllabes prononcées.

 

Un texte en vers doit être préparé avant d'être appris ; cette préparation comporte non pas seulement l'explication des mots, comme pour tout texte en prose, mais aussi et surtout une explication du rythme et de l'harmonie des vers. Les élèves apprendront, sans rompre l'armature syntaxique de la phrase, à prononcer dans les alexandrins les 12 syllabes, à accentuer les syllabes qui portent l'accent rythmique, à moduler les voyelles qui portent l'accent d'émotion. Ils écouteront d'abord lire le maître, puis ils liront eux-mêmes sous sa direction, un à un, aussi souvent qu'il sera nécessaire pour qu'ils sentent et reproduisent le rythme des vers. La répétition fera naître peu à peu ce sens du rythme et de l'harmonie. Dans cet apprentissage, on commencera par proposer aux enfants des vers simples, c'est-à-dire bien rythmés. Il est facile à un enfant de dire une suite de vers de douze syllabes, coupés en deux hémistiches ou même en quatre éléments, pourvu que le rythme soit bien marqué et la rime riche. On peut ensuite leur faire dire des vers dont le rythme est moins fortement marqué et aller progressivement jusqu'aux vers plus savants de La Fontaine. Faire dès l'abord réciter des vers disloqués, aux rythmes et aux sonorités complexes, c'est une erreur pédagogique. Certains maîtres cherchent souvent, pour commencer, des morceaux qui soient "simples" par le sens. Ce n'est pas surtout ce genre de difficultés qu'il s'agit de graduer. Les fables de La Fontaine par lesquelles il convient de commencer l'apprentissage du rythme au cours moyen et au cours supérieur première année, ne sont pas celles qu'on dit "faciles" par le sujet mais celles dont les vers présentent, dans leur succession, un rythme facile à saisir. La fable Les Obsèques de la Lionne, par exemple, composée seulement de vers de douze et huit syllabes, est une fable dont les enfants sentent et reproduisent assez facilement le rythme.

Les instructions de 1923 prescrivaient avec raison de ne faire apprendre par cœur que des textes d'une valeur littéraire incontestée. On peut sans dommage les choisir au-dessus de l'âge intellectuel des enfants pourvu que ces textes expriment en termes simples et usuels les sentiments forts et les idées généreuses qui sont la poésie même. Si les enfants peuvent sentir le rythme et l'harmonie des vers qu'ils entendent et qu'ils lisent ou récitent, un commentaire verbal ou littéraire sera le plus souvent superflu. Par les sonorités et par les mots essentiels, ils auront l'intuition des pensées et des sentiments poétiques. La lecture expliquée viendra plus tard mettre au clair les éléments inconscients de leur émotion.

Dans la deuxième année du cours supérieur, on pourra étudier des poèmes plus difficiles. Mais le programme prévoit en outre que les maîtres pourront donner l'explication des détails même de leur diction. Sans faire jamais de leçon théorique de rythmique ou de prosodie, ils montreront que les vers doivent, par nature, être prononcés à haute voix, que chaque vers doit faire entendre à l'oreille un nombre fixe de syllabes, et que ce nombre imposé ne correspond pas toujours, ni à l'orthographe des mots, ni à la prononciation usuelle. Les élèves s'apercevront eux-mêmes que si l'on élide certaines syllabes, le vers est "boiteux et faux". Les maîtres attireront leur attention sur telle liaison, facultative en prose, mais imposée par la nécessité de prononcer la voyelle précédente pour conserver le rythme du vers. Les élèves comprendront enfin, par les exemples concrets des vers qui chantent dans leur mémoire, que la rime, marquant la fin du vers, est pour l'oreille un avertissement toujours nécessaire, mais de plus en plus indispensable lorsque le rythme intérieur de chaque vers est plus complexe et plus fuyant.

 

REDACTION ET ELOCUTION. - Les résultats de l'enseignement de la composition française à l'école primaire sont assez décevants. Au certificat d'études, c'est l'épreuve la plus faible. Les instructions de 1923, constatant ce demi-échec, se demandaient si l'on n'avait pas été "trop ambitieux" en faisant commencer trop tôt les exercices de rédaction ; et elles prévoyaient que ces exercices n'interviendraient dorénavant qu'au cours supérieur. Il ne semble pas que, depuis l923, de très grands progrès aient été réalisés. Cependant les maîtres sont dévoués et compétents, et on les voit s'ingénier de leur mieux à enrichir et à assouplir les moyens d'expression de leurs élèves. Il faut donc se demander quel est le but des exercices de rédaction, et quels sont les procédés les meilleurs pour l'atteindre.

Certains maîtres voudraient que les enfants fissent preuve de certaines qualités personnelles dans la pensée et dans la forme ; ils sont contents quand ils trouvent dans un devoir "un joli passage" où l'auteur semble manifester une certaine finesse dans l'observation des choses, de la fraîcheur dans le sentiment, et quelque originalité dans l'expression. Et sans doute il faut encourager et pousser les élèves particulièrement doués, et qui sont capables de ces trouvailles. Mais il n'est ni possible, ni souhaitable que les exercices de composition française à l'école primaire soient organisés en vue de ces résultats ambitieux.

D'abord, un tel idéal dépasse de beaucoup ce qu'on peut. attendre de la plupart des enfants ; sans doute, il se trouve toujours quelques élèves chez qui la fraîcheur du sentiment s'exprime spontanément dans le pittoresque de l'expression. Mais, dans une classe, ce n'est pas à deux ou trois élèves seulement qu'il faut penser : c'est aux trente ou aux quarante élèves de la classe. Qu'on puisse obtenir, parmi les quatre-vingts compositions françaises d'un centre de certificat d'études, trois ou quatre copies excellentes, il faut s'en réjouir ; pourtant, c'est seulement d'après l'ensemble des quatre-vingts copies qu'il faut juger la valeur de l'épreuve. Et pour apprécier les résultats de l'enseignement, il faudrait même faire entrer en ligne de compte les rédactions des élèves du cours supérieur première année, qui, dans chaque école, ne se sont pas présentés au certificat d'études. Dans notre enseignement du premier degré, ce sont surtout les résultats d'ensemble qui importent. La réalité scolaire seule peut nous montrer ce qu'on peut et ce qu'on ne peut pas demander en composition française à la moyenne des élèves de onze à douze ans, et c'est d'après cette réalité qu'il faut fixer le but, définir les méthodes, choisir les procédés.

Au reste, ce dont nos élèves auront besoin dans la vie pratique, c'est avant tout de voir les choses telles qu'elles sont, donc de savoir observer avec méthode ; ils auront besoin d'avoir du bon sens, de penser clairement et de raisonner juste ; et la langue qui leur sera nécessaire est non pas une langue subtile, propre à rendre les nuances du sentiment, mais une langue précise, capable d'exprimer les caractères objectifs des choses. On doit donc leur apprendre à exprimer leurs sentiments ou leurs raisonnements dans une langue simple, dépouillée de tout ornement de mauvais goût ; il faut qu'ils sachent écrire avec correction et trouver les mots propres pour exprimer leur pensée : idéal modeste en apparence, mais en réalité difficile à atteindre.

C'est pourquoi le programme recommande d'abord, au cours supérieur première année, des exercices simples empruntés à la vie réelle et à l'activité scolaire ; puis, dans le cours supérieur deuxième année, des récits, des lettres, dans lesquels l'élève exprime ce qu'il voit, sent ou imagine ; enfin pour l'année de fin d'études primaires, des sujets de caractère tout pratique, la relation d'événements de la vie quotidienne, des "rapports" sur un accident, etc...

Le programme du cours supérieur première année prévoit aussi des sujets d'observation ou d'imagination propres à émouvoir le sensibilité de l'enfant. Dans ces sujets, on laissera sans doute à l'enfant une certaine liberté pour créer, inventer, en combinant des images. Mais on les utilisera aussi pour diriger, discipliner l'imagination. On dit quelquefois que l'enfant est observateur ; on aime à vanter aussi la richesse et la vigueur de son imagination. Mais les maîtres qui s'en rapportent à leur expérience, au lieu d'accepter des conventions pédagogiques, savent bien que la plupart des enfants ne sont capables que d'observations dispersées, et que les constructions de l'imagination enfantine sont le plus souvent incohérentes et vagues. La sensibilité des enfants est vive ; mais elle est faite d'émotions simples, le plus souvent liées à la vie physiologique. C'est d'abord en élargissant leur expérience qu'on développera leur imagination et qu'on l'empêchera de se perdre dans l'illusion et le rêve; c'est seulement par le progrès de la connaissance et de la réflexion que la sensibilité acquerra une certaine finesse, et la richesse psychologique qui lui manque.

Il faut donc, dans l'enseignement de la composition française surtout, se garder de méconnaître la réalité scolaire, et diriger l'effort des enfants dans le sens pratique, le seul où cet effort peut être fécond.

Au point de vue de la méthode, les instructions de l923 ont donné lieu à plus d'un malentendu. Dans le souci de "procéder par étapes" elles prescrivaient d'exercer d'abord les enfants à assembler les éléments d'une proposition, puis à écrire correctement une phrase simple, pour passer ensuite à la construction d'un paragraphe, "la véritable rédaction" n'apparaissant qu'au terme de cette progression. On a donc institué des exercices consistant à écrire un verbe avec son sujet (le vent souffle), puis à imaginer, par exemple, un complément de circonstance (le vent souffle sur la forêt), ou un complément d'objet (il emporte les feuilles mortes), ou bien encore un complément d'objet et un complément de circonstance à la fois, etc... Puis on apprend à assembler deux ou trois propositions indépendantes, à introduire des subordonnées pour obtenir des phrases. L'enfant s'exerce enfin à ajouter l'une à l'autre deux ou trois phrases ainsi construites, et c'est le paragraphe ; deux ou trois paragraphes constituent une rédaction.

C'est ainsi qu'autrefois on commençait l'étude du dessin par la ligne droite ; on traçait ensuite des lignes brisées, et les différentes sortes de lignes courbes ; on apprenait enfin à combiner ensemble ces éléments, en réalisant des formes simples et conventionnelles ; le dessin des objets réels était le terme de ces exercices. Une telle méthode n'était pas plus artificielle que celle qui consiste à combiner des mots pour former des propositions, des propositions pour former des phrases, et ainsi de suite ; les résultats étaient médiocres. Depuis plus de vingt-cinq ans on l'a transformée : on commence par mettre les enfants en face des objets réels ; ils s'exercent à les dessiner comme ils peuvent ; le maître, les dirigeant discrètement, leur montre comment il faut observer les choses ; ils apprennent certes à tirer des lignes, mais chaque partie d'une ligne est exécutée en vue de l'ensemble de l'objet ; l'étude des lois de la perspective vient à son heure, beaucoup plus tard : avant de dégager ces lois par la réflexion, les enfants auront appris, par l'habitude et l'usage, à les appliquer pratiquement. Dans la parole et dans la rédaction comme dans le dessin, la démarche de la pensée va nécessairement du tout à la partie, c'est-à-dire de la rédaction au paragraphe et à la phrase, de la phrase à la proposition et au mot. Une ligne ou une surface ne sont que des abstractions sans réalité, de même que la phrase n'a de sens que dans le paragraphe, le mot et la proposition dans la phrase. Dans la rédaction, on commence par une idée d'ensemble du sujet ; c'est en cherchant à se préciser que l'idée se divise, s'analyse, et trouve par là même son expression.

Ce n'est pas davantage par certains exercices "d'initiation" ou d' "enrichissement de la phrase" que l'on apprend à écrire. Quand un écrivain se sert d'une comparaison ou d'une image, c'est que l'image a jailli spontanément dans son esprit à l'aspect des choses, ou plutôt qu'il a pensé les choses sous la forme de cette image. L'ordre dans lequel s'enchaînent les propositions reproduit l'ordre même selon lequel son esprit a perçu successivement les divers aspects des choses. Mais emprunter d'une façon systématique à un grand écrivain des comparaisons ou des images, des constructions syntaxiques ou des rythmes, pour les introduire comme du dehors, dans une composition nouvelle, c'est risquer de cultiver le mauvais goût. Cette prétendue "richesse" de la phrase peut plaire aux enfants. Mais les "jolis passages" qu'on trouve ensuite dans leurs devoirs, loin de témoigner de qualités personnelles, sont faits de "clichés" comme on dit, c'est-à-dire de réminiscences amenées tant mal que bien. Ces élégances de clinquant n'ont rien à voir avec l'art d'écrire ; l'élégance qu'il faut, s'il se peut, leur faire acquérir, c'est celle qui résulte de l'exacte propriété des mots et du relief des expressions ; une phrase est élégante quand l'ordre des propositions et des mots reproduit le mouvement même de la pensée. Ce n'est donc pas par des exercices de construction, "d'imitation ou d'enrichissement" de phrases détachées qu'on créera l'habitude d'écrire. Au contraire : on immobilise ainsi, sous la clarté de la réflexion, une activité spontanée, une sorte d'élan vital, qui ne peut se déployer qu'à la condition de rester spontané et instinctif.

Il y a certes des exercices propres à munir les enfants des mots dont ils ont besoin, et à grouper ces mots selon certains rapports de sens ou de forme, de façon qu'ils puissent être évoqués facilement et répondre à l'appel de la pensée qui cherche à s'exprimer : ce sont les exercices de vocabulaire. Par d'autres exercices, les enfants apprennent, dans la mesure où l'usage n'y suffit pas, à écrire les formes correctes des mots, leurs accords, les désinences verbales et leur orthographe, le sens des temps et des modes du verbe : ce sont les exercices de grammaire. Mais s'il est vrai que toutes les parties de l'enseignement du français se prêtent un mutuel appui, chacune de ces parties a sa fin propre, et l'on ne peut les confondre sans graves inconvénients pédagogiques. Faire entrer un mot donné dans une phrase dont le dessin est indiqué, constitue un exercice de vocabulaire utile pour vérifier si l'élève a compris le sens ou l'un des sens de ce mot. Quand, d'autre part, on a enseigné à un élève à reconnaître dans une proposition le complément d'objet, à distinguer dans une phrase une subordonnée relative, il est bon, à titre de contre-épreuve, de lui faire construire une proposition nouvelle avec un tel complément, puis de l'exercer à introduire dans une proposition indépendante une proposition subordonnée reliée par un pronom relatif au sujet ou à un complément. Quand on lui a, sur un exemple, expliqué le sens du passé antérieur, il faut qu'il puisse écrire : "dès que j'eus terminé mon devoir, je sortis". Mais ce sont là des exercices de grammaire qui tous, allant du mot à la phrase, procèdent dans l'ordre inverse des exercices d'élocution ou de rédaction.

L'apprentissage de la rédaction a plus d'un rapport avec l'apprentissage du dessin. Le véritable exercice d'assouplissement de l'expression et de préparation à la rédaction, c'est celui qu'indiquent les programmes nouveaux du cours supérieur : "on habituera les enfants à résumer en quelques lignes un texte qu'ils ont sous les yeux" ; et, dans la deuxième année : "reproduction orale et écrite de textes lus et commentés". On peut commencer d'abord par inviter l'enfant à écrire le titre d'un paragraphe. Quelquefois un seul mot, ou bien un groupe de quelques mots peut y suffire ; souvent une phrase sera nécessaire. Ensuite, et cela déjà est plus difficile, on fera résumer une page "en quelques lignes" : le développement s'étend. On peut enfin demander aux élèves de reproduire en une page le texte "lu et commenté . Et c'est en ce sens, mais en ce sens seulement, que l'apprentissage de la rédaction va du mot à la phrase, de la phrase au paragraphe.

Pour que ces exercices gardent toute leur valeur, les pages à reproduire doivent être judicieusement choisies ; tous les textes de lecture n'y conviennent pas. Il est nécessaire que le texte ait une certaine unité, et ne soit pas une suite d'observations ou d'impressions dispersées. Il faut avant tout qu'il intéresse les enfants. Le texte ainsi choisi sera sobrement commenté s'il le faut, mais surtout lu à haute voix, avec expression. Les enfants, pour le reproduire, iront du tout aux parties, ils retrouveront d'abord les paragraphes ; le rythme d'une phrase, resté dans leur souvenir, leur fera retrouver l'ordre des propositions, et évoquera des profondeurs de la mémoire le souvenir même des mots. Ce n'est pas la mémoire seule qu'un tel exercice intéresse ; c'est toute l'activité de l'esprit qui intervient ; toutes les facultés de l'intelligence s'y exercent.

Au cours supérieur deuxième année, après la lecture d'un texte à reproduire, le livre fermé, certains maîtres écrivent au tableau, non pas un plan, mais quelques mots isolés, un nom, un adjectif qualificatif, un verbe. C'est là un excellent procédé. Si ces mots sont choisis judicieusement, chacun d'eux sera évocateur d'une image, ou bien encore constituera un point de repère pour retrouver la suite d'un développement : ils dirigeront, non pas seulement la mémoire, mais la pensée même.

C'est à dessein que les nouveaux programmes du cours supérieur et de l'année de fin d'études primaires élémentaires ont réuni dans un même paragraphe les indications relatives à la rédaction et à l'élocution, qui figuraient dans les programmes de 1923 dans des paragraphes différents. Apprendre à écrire, comme apprendre à parler, c'est apprendre à penser. La méthode par laquelle l'enfant apprend à exprimer sa pensée par écrit ne diffère pas de celle par laquelle il apprend à parler. Et cette méthode consiste à diriger intelligemment la pratique, de façon à créer des habitudes et des automatismes. Et c'est pourquoi il est utile de rattacher, le plus souvent possible, les exercices de rédaction aux exercices de lecture ; par la lecture, les enfants s'exercent à comprendre la langue écrite ; par la rédaction ils s'exercent à écrire et à s'exprimer à leur tour.

 

GRAMMAIRE. C'est surtout dans l'enseignement de la grammaire qu'il faut distinguer les deux points de vue : apprentissage pratique de la langue, qui est le rôle de l'école primaire élémentaire ; étude réfléchie pour la connaissance scientifique et la culture générale.

Du deuxième point de vue, la grammaire est une science qui observe des faits, les rapproche et les compare, détermine leurs rapports essentiels, essaye d'en dégager des lois. Du premier, elle est une discipline normative : elle exprime des règles que l'enfant doit respecter en parlant et en écrivant. Cette distinction détermine la place qu'il faut faire à la grammaire aux différents degrés de l'enseignement.

On a dit qu'il fallait simplifier l'enseignement de la grammaire élémentaire, la réduire à un très petit nombre de notions, et s'en remettre pour le reste à la pratique.

La correction dans la langue parlée s'acquiert surtout par la pratique. Toutes les fois qu'un enfant dit : "ces pêches coûtent un franc chaque", il faut l'obliger à redire sa phrase d'une façon correcte, sans lui apprendre aucune règle sur l'emploi de chaque et chacun. Mais, pour la langue parlée même, la pratique ne suffit pas : l'enfant n'est en classe que quelques heures par jour et moins de deux cents jours par an ; dans la famille, dans la rue, aux champs, il entend et il emploie souvent une langue incorrecte ; combattue par l'influence du dehors, la langue correcte ne peut triompher que par l'enseignement grammatical, qui accélère les progrès et confirme les résultats acquis. Quant à la correction de la langue écrite, elle ne s'acquiert point essentiellement par l'usage. La lecture même n'y peut suffire. Il faut éviter absolument de greffer sur une leçon de lecture une leçon de grammaire : les remarques grammaticales qu'on peut et qu'on doit faire à l'occasion de la lecture sont nécessairement dispersées, et, pour être utiles, doivent se référer toujours à des notions déjà acquises au cours d'exercices systématiques de grammaire. Si donc il est souhaitable de simplifier l'enseignement grammatical, cette simplification ne doit pas aller jusqu'à méconnaître la complexité de la langue. Sous prétexte de simplification, il ne faut pas que l'enseignement grammatical reste superficiel, reprenant purement et simplement chaque année, les mêmes notions élémentaires. C'est pourquoi les programmes introduisent au cours supérieur quelques termes nouveaux, qui n'étaient pas prévus dans la circulaire du 28 septembre 1910, mais dont l'expérience a démontré l'utilité.

L'enseignement élémentaire de la grammaire a pour objet de faire acquérir la correction de la langue perlée et écrite, dans la mesure où la pratique n'y suffit pas. Il supplée à l'usage. Ainsi c'est de l'usage, de l'observation de la langue parlée d'abord, puis de la langue écrite, que la grammaire extrait les définitions et les règles pratiques dont elle a besoin ; ensuite, c'est en imitant les procédés mêmes de l'usage qu'elle fait appel à la mémoire, à la répétition fréquente des mêmes exercices, pour créer des habitudes.

Cette distinction nécessaire éclaire aussi les principales dispositions des programmes du cours supérieur. Le première année, par la méthode autant que par la matière, continue le cours moyen dont on doit confirmer les résultats, en les précisant à la mesure du développement intellectuel des enfants ; la deuxième année, sans ajouter sensiblement au programme de la première, sans perdre de vue les fins pratiques de l'école primaire, commence, d'une façon prudente, à envisager les faits linguistiques sous un aspect nouveau.

La méthode du cours supérieur première année, sera celle qu'indiquent les instructions de 1923 : on partira d'un texte pour en induire la règle. Cette "induction" demande à l'enfant un effort d'attention. Mais c'est des faits de la langue parlée qu'il faut partir, parce que c'est la langue parlée qui est seule bien connue des enfants. Tout enfant connaît et emploie les deux formes : "un cheval, deux chevaux" ; il sait donc inconsciemment que certains noms n'ont pas la même forme au singulier et au pluriel ; la première étape est de lui en faire prendre conscience ; ensuite se reportant à des textes, on lui fera constater que la plupart des noms, même si on les prononce de la même manière, n'ont pas au pluriel la même forme écrite qu'au singulier ; on y ajoute un s ou un x que l'on n'entend pas. Un enfant dira spontanément : "mon frère va à l'école, les élèves vont à l'école". C'est de cette pratique qu'il faut partir pour enseigner la règle d'accord d'un verbe avec son sujet ; puis quand il aura cette notion d'accord bien précise, on lui fera constater que, malgré l'identité de le prononciation, dans la plupart des verbes, la forme écrite, l'orthographe n'est pas la même après un nom au singulier qu'après un nom au pluriel : "mon frère parle, les élèves parlent". S'agit-il d'enseigner la règle d'accord du participe passé dans un temps composé avec avoir ? La plupart des enfants au cours supérieur première année, diront d'eux-mêmes : "l'incendie a détruit la maison, il l'a complètement détruite". Il ne sera pas difficile de leur faire remarquer qu'ils prononcent dans détruite le t final, muet dans détruit : le participe passé se prononce donc différemment selon que le complément d'objet direct est avant ou après l'auxiliaire avoir du temps composé ; ensuite, mais ensuite seulement, on passera à l'observation de textes où l'on trouvera des participes qui s'accordent en ajoutant pour marquer le féminin un e muet ou caduc qui ne change pas la prononciation : "l'incendie a ravagé la maison, il l'a complètement ravagée".

C'est par ces références à la langue parlée que l'on dissipera les confusions orthographiques que commettent les enfants dans la langue écrite. Un enfant écrit-il : "si je rencontre mon maître dans la rue, je le saluerais", il suffit de lui faire écrire et prononcer la même phrase au pluriel : "si nous rencontrons notre maître, nous le saluerons", pour qu'il comprenne que saluerai est au futur. Au contraire, s'il avait employé l'imparfait dans la proposition principale : "si nous rencontrions notre maître, nous le saluerions". Confond-il dans l'écriture ses et ces ? Il suffit de prononcer la phrase en mettant le nom qui suit au singulier : ses devient son ou sa, ces devenant ce ou cet ou cette, et un enfant ne s'y trompe pas, à condition que la phrase exprime une réalité enfantine dans son langage spontané.

Presque toutes les confusions grammaticales qui donnent lieu à des fautes d'orthographe disparaissent aussitôt que l'on recourt à la langue parlée, pour reconnaître le genre et le nombre des noms, la personne, temps ou le mode des verbes. Certains font à ce procédé le reproche de mécanisme ; il n'en est rien : il a, au contraire, pour effet d'amener les élèves à prendre une conscience claire d'opérations mentales si familières qu'elles s'accomplissent dans un automatisme inconscient.

Certes le maître pourra, au cours supérieur deuxième année, expliquer les faits en recourant au sens, en montrant pourquoi telle phrase exige l'emploi du possessif, ou en rappelant une règle générale sur le temps des verbes dans la proposition subordonnée. Mais cette explication aura sa véritable portée pour les élèves après qu'ils auront, par le recours à la langue parlée, pris conscience de la valeur pratique de chacune des deux constructions.

Les notions dégagées de l'observation de la langue parlée, puis de la langue écrite, doivent être aussi claires que possible, car la pratique s'accommode mal de l'hésitation et de l'imprécision. Si elles sont claires, elles peuvent sans inconvénient se trouver incomplètes : il suffit qu'elles ne contiennent rien d'inexact, et ne compromettent pas le futur travail de la réflexion. On les complétera plus tard si l'on peut. Et pour qu'elles soient claires, c'est d'après les caractères extérieurs des faits grammaticaux qu'il faut les distinguer, les classer, les définir. Les signes extérieurs, les caractéristiques matérielles ou formelles, sont toujours facilement perceptibles aux enfants, tandis que l'intelligence du sens exige réflexion et effort. Ils reconnaissent par exemple un nom à ce qu'il est précédé d'un article (le, la, les, un, une), et c'est l'article qui indique le genre et le nombre. Un verbe est un mot qu'on peut toujours faire précéder des mots : je, tu, il. On ne négligera pas, même en première année, l'étude des mots de liaison, mots invariables, dont l'importance est capitale dans la phrase ; on exercera les enfants à distinguer dans des phrases la préposition de l'adverbe et de la conjonction ; mais on le fera en s'attachant aux caractères extérieurs, remarquant, par exemple, que la préposition est toujours suivie d'un mot complément et qu'elle sert à relier le complément au mot complété, verbe, nom ou adjectif.

Au cours supérieur deuxième année, on distinguera les diverses espèces de noms d'après leur sens : noms propres et noms communs, abstraits et concrets, noms collectifs, noms composés, noms indéfinis. Mais c'est là un point de vue nouveau. Certains exercices viseront désormais, d'une façon particulière, à l'éducation de l'esprit. Le moment venu, l'explication par le sens rejoindra la classification par les formes ; loin de la contredire, elle viendra la confirmer et l'éclairer.

Ces notions claires qu'exige l'enseignement élémentaire doivent être traduites pour les enfants en formules courtes, aux mots précis, que la mémoire puisse facilement assimiler. Le vocabulaire des enfants est pauvre, ils sont incapables de trouver eux-mêmes les termes pour exprimer avec précision une idée nouvelle ; il faut donc les leur fournir en même temps que l'idée. Il n'y a pas là "psittacisme" : l'idée et le mot, pour eux, ne font qu'un. Si les règles sont lues à haute voix, très distinctement, copiées au besoin, on fixe par la netteté et la solidité des formules, les notions que l'observation, abandonnée à elle-même, laisserait dans le flou et le fuyant de la pensée. L'idée donnera au mot son sens, et le mot donnera à l'idée la précision de ses contours.

Il y a plus. La règle est accompagnée d'un exemple, qui doit en rester inséparable : les élèves ne savent pas le choisir eux-mêmes, il faut le leur fournir et exiger qu'ils le retiennent. Cette solidarité mécanique de l'exemple et de la règle est d'une utilité pratique évidente, et présente en même temps un grand intérêt éducatif. Elle prépare la culture grammaticale. L'exemple énonce un fait particulier ; associé à la règle, s'identifiant avec elle, il en rappelle sans cesse le caractère inductif, et en quelque sorte la relativité. Il sera bon que les enfants cherchent eux-mêmes d'autres exemples afin de montrer qu'ils ont compris le sens et la portée de la règle formulée.

Viennent ensuite les exercices écrits destinés à faire passer la règle dans l'habitude. On ne saurait trop les multiplier ; la correction grammaticale n'existe que si elle est automatique ; on n'a pas le droit d'alléguer l'inattention pour excuser une faute ; l'usage a dû rendre l'attention aussi inutile pour écrire correctement que pour marcher droit.

Mais il faut que les exercices soient soigneusement gradués. Les exercices d'analyse se feront autant que possible sur des textes déjà lus ou récités. Il importe seulement que ces textes présentent en un relief suffisant le fait grammatical qu'on étudie. "Il vaut mieux, a-t-il été dit dans une conférence pédagogique, proposer un texte court, simple, correct, composé au besoin, et qui, en cinq ou six lignes, présente cinq ou six exemples de la règle étudiée, plutôt qu'un texte tiré d'un grand auteur, mais ne présentant de cette règle qu'un ou deux exemples dilués dans des phrases inutiles". On ne saurait mieux dire. L'explication grammaticale et la culture littéraire peuvent fort bien ne pas utiliser le même texte. Au début, l'observation des faits grammaticaux suffit à absorber toute l'attention des enfants. Tant que l'automatisme n'a pas fait les progrès nécessaires, il est dangereux de leur demander de reconnaître le fait étudié dans un paragraphe ou dans une phrase qui, à leur esprit, est un ensemble complexe et confus. Au début on utilisera des phrases simples pour arriver peu à peu à des exercices sur les textes lus et récités.

Dans une circonscription d'inspection primaire, on a, en l936, fait une statistique des diverses fautes d'orthographe commises au certificat d'études : 55 % de ces fautes portent sur les formes du verbe (abstraction faite des fautes d'accord du participe passé). On ne saurait donc trop insister au cours supérieur première année, comme pendant toute la scolarité, sur les exercices de conjugaison. Il faut employer sans hésiter les procédés de copie et de répétition qui peuvent contribuer à la connaissance imperturbable des formes du verbe : dans ces exercices c'est à la mémoire qu'il faut s'adresser. Au Cours complémentaire et à l'École primaire supérieure, les élèves commettent encore de grossières fautes d'orthographe dans la conjugaison : il conclu(e)ra. Il faudra donc continuer ces exercices au cours supérieur deuxième année et dans la classe de fin d'études primaires élémentaires.

La conjugaison écrite des verbes irréguliers aura été étudiée déjà au cours moyen, et même, pour les plus usuels, au cours élémentaire. Elle sera poursuivie et complétée au cours supérieur première année. On la reprendra en deuxième année, mais dans un ordre nouveau, et avec une intention nouvelle.

Tout d'abord on assurera la conjugaison impeccable des verbes réguliers (chanter pour le 1er groupe, rire, courir ou conclure pour le 3e groupe, finir pour le 2e groupe). On montrera ensuite que certains verbes du ler et du 3e groupes sont irréguliers parce qu'ils n'ont pas à toutes les personnes un radical identique.

Très facilement, on amènera les enfants à faire la distinction indiquée par le programme, des cas où la variation du radical n'est qu'une apparence orthographique (je menace, nous menaçons) et des cas où la différence des radicaux se marque dans la prononciation (je mène, nous menons ; j'appelle, nous appelons ; il meurt, nous mourons ; etc.). Il ne sera pas malaisé de leur faire constater que l'e caduc de mener devient è ouvert (je mène) à toutes les personnes où la terminaison est muette, mais reste e à la 1e et à la 2e personne du pluriel, où la terminaison est une syllabe prononcée. Et la même observation peut être faite sur je meurs, nous mourons. Si, à l'occasion des leçons de vocabulaire, on rapproche, dans certains mots d'une même famille, des variations identiques de radicaux, gel-gelé, œuvre-ouvrier, les élèves pourront avoir l'idée que ces irrégularités ne sont ni capricieuses, ni arbitraires, et qu'il y a des faits généraux ou des lois qui expliquent l'apparente confusion des formes, des noms et des verbes. Ils n'acquerront ainsi aucune notion pratique ; mais il y aura là un modeste essai de réflexion sur la langue et une initiation à la culture générale, pourvu que l'on ait la prudence de ne pas dépasser les connaissances déjà solidement assurées.

L'étude des temps de l'indicatif sera abordée au cours supérieur première année ; on gardera pour la deuxième, celle des temps du conditionnel et du subjonctif. Cette étude intéresse vivement les enfants. Mais plutôt que pratique, elle est éducative. Elle consiste à appliquer la réflexion à des connaissances acquises. Prématurée au cours moyen, elle n'est utile ou même possible que si l'enfant sait déjà pratiquement employer les formes du verbe. Au cours supérieur première année, les enfants connaissent parfaitement les sens divers du présent, et ils peuvent comprendre que l'indicatif peut remplacer d'autres modes. Ils savent que la forme du futur s'emploie parfois pour donner un ordre. On peut aussi opposer le présent de l'impératif, très familier à l'enfant, au présent de l'indicatif, et, par cette opposition très marquée, lui donner la notion du mode ; on peut aussi étudier les phrases où le conditionnel exprime une condition, et celles où il exprime une affirmation atténuée. Ces études se feront d'ailleurs plus par des exercices que par des règles abstraites. Le programme ajourne à la deuxième année du cours supérieur l'étude des temps du subjonctif. La notion de subjonctif est de moins en moins distincte dans la langue usuelle.

Les programmes du cours moyen prévoient la conjugaison des verbes aux diverses formes : active, passive, pronominale. Cette étude sera reprise au cours supérieur première année pour confirmer les résultats acquis. C'est sur des signes extérieurs et formels, et non sur le sens, que sera d'abord fondée cette distinction : mais pour décider si le pronom réfléchi (me, te, se, nous, vous) qui précède le verbe, est ou n'est pas complément d'objet du verbe, les signes extérieurs ne suffisent pas. En abordant les distinctions fondées sur le sens, on montrera la différence de signification que prend une proposition en passant de la forme active à la forme passive, les sens divers des verbes à la forme pronominale (se repentir, se laver, se battre), les rapports de la forme pronominale et de la forme passive (ces cerises se vendent 5 francs le kilog) : ces distinctions intéressent les élèves et contribuent à l'enrichissement de leur syntaxe.

On continuera à distinguer, par des caractères extérieurs, les divers compléments du verbe dans la proposition. La distinction formelle entre les compléments d'objet directs (sans préposition) et les compléments d'objet indirects (précédés d'une préposition) est familière aux élèves, elle est nécessaire, mais elle présente peu d'intérêt : tout au plus, pourrait-elle être l'occasion d'une étude, prématurée au cours moyen, du sens des prépositions. Mais il faut distinguer nettement les compléments d'objet (en particulier les compléments directs d'objet) des compléments de circonstance. La notion de complément de circonstance est facilement comprise par des enfants. Dès le cours supérieur première année, on pourra ajouter à la notion générale de compléments de circonstance, certaines distinctions de lieu, de temps, de manière, de but, de cause, etc... qui sont parfaitement accessibles : mais la notion précise de complément d'objet du verbe dépasse le niveau du cours moyen et même sans doute celui du cours supérieur première année. Il suffira que l'enfant sache, par un procédé mécanique, distinguer des autres compléments le complément d'objet direct : beaucoup de maîtres le reconnaissent à ce qu'il répond à la question quoi ? ou qui ? Moyen mécanique sans doute, mais pourquoi se priver de procédés commodes et efficaces ? Les enfants, au cours supérieur deuxième année, pourront comprendre la notion d'objet ; et il ne sera pas difficile alors, par l'exemple familier du complément d'objet, de leur montrer que le même complément d'objet peut s'exprimer sous forme directe et sous forme indirecte : je frappe la table, je frappe sur la table - je touche le but, je touche au but. Les programmes du cours supérieur deuxième année emploient l'expression verbe transitif et verbe intransitif. C'est là une distinction qui porte sur le sens. Le verbe transitif est celui qui a un complément d'objet, direct ou indirect. Un verbe qui n'a pas de complément d'objet est intransitif. L'essentiel, dès le cours moyen, est de ne pas employer en même temps et au hasard, dans l'analyse grammaticale, les termes qui expriment des caractéristiques de formes direct ou indirect, actif, passif, pronominal, et ceux qui expriment des distinctions de sens (objet, circonstance, transitif, intransitif, etc...). Il ne faut pas dire indifféremment complément direct ou complément d'objet.

Il faudrait appeler complément d'agent le complément du verbe à la forme passive qui indique l'auteur de l'action : il a été récompensé par son père. Ce complément d'agent diffère d'un complément d'objet ou d'un complément de circonstance. Il y a un moyen facile de le distinguer : il devient le sujet du verbe à la forme active, et c'est le seul complément qui ait ce privilège. Les enfants s'amuseront à analyser des phrases comme : "le loup a heurté le piège ; il a été pris par une patte ; il a été tué par le chasseur".

C'est par l'observation des caractères extérieurs que l'on classera les propositions de la phrase : indépendantes, coordonnées, principales et subordonnées. Il faudra peu à peu distinguer les subordonnées en conjonctives, relatives et interrogatives. Il est impossible de définir une subordonnée, ni en disant qu' "elle dépend d'une autre proposition" parce que la principale "dépend" elle-même de la subordonnée, et que, très souvent, c'est dans la subordonnée que se trouve exprimée l'idée essentielle, ni en disant qu'elle est "complément" d'une autre proposition, puisqu'il y a des subordonnées qui sont sujet ou attribut, et que la subordonnée remplace souvent un adjectif qualificatif ; ni par aucun autre caractère tiré du sens. On désignera la subordonnée à un mode personnel par le mot qui la relie à la proposition principale : conjonctive, par une conjonction de subordination (et la liste de ces conjonctions est facile à établir) ; relative, par un pronom relatif (les enfants les connaissent), interrogative, par un mot interrogatif (adjectif, pronom ou adverbe). Dès lors les élèves ne s'y tromperont plus. C'est au cours supérieur première année qu'il convient d'apporter ces précisions. Il faut dès le début de ce cours habituer les enfants à bien distinguer les propositions d'après le mot qui les introduit. En particulier pour les subordonnées interrogatives (je sais - ou j'ignore - qui vous a raconté cette histoire), il faut éviter de les transformer à l'aide des mots dits "sous-entendus", en propositions subordonnées relatives. Il n'y a là aucune difficulté, si l'on utilise les signes extérieurs, qui permettent de distinguer le mot interrogatif, pronom (qui, que...), adjectif (quel), adverbe (combien, quand...) qu'on peut toujours renforcer par la locution populaire est-ce qui ou est-ce que (qui est-ce qui, quel homme est-ce qui, quand est-ce que, etc...). L'emploi de ce moyen "mécanique" est parfaitement légitime. La réflexion pourra découvrir plus tard les différences de sens derrière ces distinctions de forme. Il est nécessaire de revenir sur ces différences et de les rendre familières à l'enfant par des exercices répétés soigneusement gradués.

Outre les trois sortes de propositions subordonnées à un mode personnel, on distinguera au cours supérieur première année des propositions subordonnées à un mode impersonnel, c'est-à-dire des propositions dont le verbe est à l'infinitif ou au participe. Il n'est pas toujours facile de décider si un infinitif ou un participe constitue ou non une proposition. Il faut laisser une certaine liberté d'apprécier si l'infinitif ou le participe est simplement un terme (sujet, attribut, complément) d'une proposition, ou s'il constitue lui-même une proposition dépendant d'une principale. Lorsque l'infinitif est suivi d'un ou plusieurs compléments, qu'il ait ou non un sujet propre explicitement exprimé, il constitue le plus souvent une proposition dépendante. De même le participe.

Les distinctions entre les propositions subordonnées, d'après la nature du mot qui les relie à la principale, doivent devenir familières aux enfants au cours supérieur première année. Ils éviteront ainsi certaines confusions pour reconnaître la fonction de ces propositions : ils sauront, par exemple, sans hésitation, qu'une subordonnée relative complète un nom ou un pronom de la proposition principale, comme le ferait un adjectif ou comme un complément de nom.

C'est un souci légitime de ne pas compliquer inutilement la terminologie. Mais aucune étude ne peut se passer d'un vocabulaire technique, qu'il faut nécessairement enseigner, afin d'éviter les périphrases et de se faire comprendre rapidement. L'usage de ces mots techniques n'aura que des avantages si le sens en est parfaitement fixé, si, par le même mot on désigne toujours la même chose. Il y a cependant une autre condition encore : il faut que les enfants puissent toujours remplacer le mot par la périphrase qui en développe le sens. Il arrivera souvent qu'un enfant confondra les termes, les emploiera l'un pour l'autre au hasard : la maître aura soin, aussi souvent que possible, de rappeler le sens des mots : "...proposition subordonnée relative commençant par le pronom relatif que ou interrogative commençant par l'adjectif interrogatif quel..." A ces deux conditions l'emploi des mots techniques a de grands avantages : il simplifie, et surtout il assure, la clarté des idées.

Au cours supérieur première année, on se bornera aux fonctions indiquées au programme. C'est au cours supérieur deuxième année seulement qu'entre les subordonnées compléments de circonstance, on distinguera celles qui expriment le lieu, le temps, le but, la cause, le manière, etc..., en considérant les relations de sens et non plus seulement les liaisons de formes. Au cours supérieur deuxième année aussi, on expliquera qu'il y a proposition dans tout groupe de mots exprimant une idée, un jugement, par le moyen d'un verbe. Il y a des propositions indépendantes dont le verbe est à l'infinitif ; il y a aussi des propositions au participe qui expriment une circonstance de l'action du verbe principal, et qui pourtant ne sont reliées à cette proposition principale par aucun terme de coordination ou de subordination. Il suffira de dire que ces propositions au participe se rapportent au sujet ou au complément de la proposition principale ou sont un complément circonstanciel de la proposition principale.

Après la décomposition de la phrase en propositions, on analyse les termes de chaque proposition. C'est un exercice qui a été préparé longuement au cours moyen, l'application des diverses règles d'accord exigeant naturellement qu'on détermine non seulement la nature des mots, mais aussi leur fonction dans la proposition. Au cours supérieur première année, on pourra conduire l'analyse plus loin. Le programme recommande de déterminer d'abord les groupes de mots qui constituent chaque terme, puis, dans chaque groupe, la nature et le rôle des mots. Dans la proposition : "le maître blâme les élèves étourdis et paresseux", il est évident que le complément d'objet direct n'est pas seulement le mot les élèves, mais le groupe des cinq mots, les élèves étourdis et paresseux : l'ensemble de ces cinq mots exprime en réalité une seule idée. Mais il faudra que l'enfant sache indiquer le mot principal du groupe, auquel se rapportent tous les autres, et le rôle de ces mots par rapport au nom les élèves. C'est avec ce mot principal que se font tous les accords.

Enfin on attirera l'attention des élèves sur le fait que les propositions verbales ne sont pas le seul moyen d'exprimer une idée. La langue usuelle et la langue littéraire emploient souvent des phrases où il n'y a pas de verbe : Maison à vendre. Pas le moindre petit morceau de mouche ou de vermisseau. Ce ne sont pas à proprement parler des propositions ; on ne peut pas les analyser comme des propositions verbales, car il n'y a aucun verbe ni exprimé ni sous-entendu. Ce sont des groupes ou des phrases nominales.

Le programme réserve pour le cours supérieur (deuxième année) l'étude de certains pronoms personnels, qui sont en fait des compléments indirects, bien qu'ils ne soient pas précédés d'une préposition (me = à moi). Les enfants savent employer correctement les formes atones et les formes accentuées des pronoms personnels : il me parle ; il s'adresse à moi. Dès le cours moyen, et certainement au cours supérieur première année, on leur a appris à distinguer les cas où me, te, se, nous, vous, ont valeur de compléments directs et ceux où ils ont valeur de compléments indirects. Il suffit, là encore, de partir des formes de la langue parlée. Une petite fille prononcera différemment : Jeanne m'a pris mon crayon, elle m'a prise par la main. Beaucoup de maîtres font rechercher si les mots me, te, se, nous, vous, se, lui répondent à la question qui ? ou bien à la question à qui ? Cela peut suffire en effet. Au cours supérieur deuxième année, on ira plus loin dans l'analyse du sens même des mots : il s'agit alors d'exiger un effort de réflexion, dans une intention d'intelligence et non plus de pratique.

Les programmes des deux années de cours supérieur prévoient des exercices de dictée. Dans l'apprentissage pratique de la langue écrite, on ne peut négliger la préoccupation orthographique. Outre les lois qui expriment les accords des mots dans la proposition et dans la phrase, il y a des règles très utiles qui facilitent l'acquisition de l'orthographe pratique : règles concernant par exemple les consonnes finales muettes des mots, le redoublement des consonnes au commencement ou au milieu des mots, d'autres difficultés encore. On a trop souvent fait à ces règles le reproche de mécanisme : mais les comptes-rendus des conférences pédagogiques montrent que les maîtres expérimentés apprécient fort les ressources qu'elles leur offrent. Certes, ce ne sont que des règles empiriques ; leur seule ambition est de résumer, dans l'unité d'une formule que la mémoire embrasse d'un seul effort, une multiplicité de faits sans rapport logique entre eux. Quand on dit que les verbes en indre s'écrivent eindre, sauf trois : contraindre, craindre, plaindre, ou que tous les mots qui commencent par af prennent deux f, sauf etc., on n'a pas d'autre intention que d'aider la mémoire, d'accélérer les acquisitions de l'usage et la formation des habitudes. Du reste, l'étude des préfixes, des suffixes, des familles de mots, fournit parfois l'occasion d'apporter un peu d'ordre dans le chaos des faits orthographiques. Il ne faut pas trop multiplier ces règles : si elles devenaient aussi complexes que les faits eux-mêmes, elles seraient inutiles. Avant d'user de l'une de ces règles, le maître se demandera non si elle est rationnelle, mais si elle est utile, c'est-à-dire si elle embrasse dans son unité un assez grand nombre de cas particuliers, et constitue vraiment une simplification de l'usage. L'orthographe devrait être acquise définitivement chez la moyenne des enfants à l'âge de treize ans. Si elle reste défectueuse très tard, c'est qu'elle n'a pas été enseignée méthodiquement en temps opportun.

Au cours supérieur, on fera une large place encore à la dictée de contrôle. Si les exercices de dictée dont on a dit trop de mal, n'atteignent pas toujours leur but, c'est qu'on ne les fait pas servir assez exclusivement à l'enseignement de l'orthographe. Tous les exercices, nous l'avons dit, se prêtent un mutuel appui : mais on ne doit point les confondre. Aux conférences pédagogiques, certains maîtres ont demandé qu'il ne fût dicté aux enfants que "de beaux textes". Et sans doute, il importe de ne choisir pour ces exercices que des textes irréprochables dans la forme. Mais d'autres maîtres ont fait observer que la dictée n'avait pas pour but de cultiver le goût littéraire (ce sont les exercices de lecture et de récitation qui répondent à cette préoccupation), et qu'un texte de dictée doit présenter avant tout un intérêt orthographique. C'est exact, mais il faut proscrire les textes fabriqués à la seule intention de vérifier la virtuosité orthographique. La dictée étant lue à haute voix, très distinctement, toutes les explications que l'on peut utilement ajouter ne doivent avoir que des préoccupations orthographiques.

Le programme de l'examen du C.E.P.E, prévoit que la dictée sera suivie de "questions". C'est, à l'occasion de la dictée, une épreuve tout à fait différente. Ces questions portent sur le sens général du texte, sur celui des mots, sur les constructions. On prend occasion de la dictée pour éprouver les connaissances générales des candidats en langue française et leur aptitude à dégager le sens d'un texte. Mais à l'école, la dictée serait un exercice beaucoup plus utile si les questions qui la suivent portaient uniquement sur l'orthographe et sur la grammaire pratique : tel verbe est au futur, à quel groupe appartient-il ? Justifiez l'accord d'un adjectif, d'un participe ; expliquer la forme du verbe avoir, par exemple dans "c'est vous qui m'avez assisté dans ma détresse" ; rappelez à propos d'un redoublement de consonne, telle règle pratique d'orthographe ; voilà des questions qui viennent naturellement. C'est tout confondre et tout compromettre que d'introduire à l'occasion du texte de la dictée toutes sortes de questions étrangères à l'orthographe. Il ne manque pas d'autres exercices où le maître pourra vérifier les progrès des élèves en vocabulaire. Et la rédaction tirée d'un sujet lu et appris permettra mieux qu'une suite de questions de reconnaître l'aptitude des élèves à comprendre et à reproduire le sens général et les détails d'un morceau.

 

VOCABULAIRE. - L'étude du vocabulaire figurait à l'ordre du jour des Conférences pédagogiques de l 927. Les conclusions ont été résumées et commentées dans les numéros de mars et avril l930 de la Revue de l'Enseignement public, auxquels on se reportera utilement. Les instructions qui suivent s'inspirent souvent de ces deux articles, en reproduisent souvent les termes mêmes.

Pour déterminer cependant la part à faire, dans chaque cours, aux exercices de vocabulaire, il faut, comme on l'a fait au sujet de la grammaire, séparer les deux points de vue qui ont été de l'acquisition pratique de la langue française, et de la réflexion, dans une intention de culture intellectuelle, sur la langue déjà acquise. L'histoire du mot bureau, pour prendre un exemple très connu, n'éclaire en aucune façon les sens actuels de ce mot ; on peut parfaitement employer correctement ce mot en toutes ses acceptions, en ignorant son étymologie et son histoire ; et ceux-là mêmes qui les connaissent n'y songent nullement en parlant du Bureau de leur syndicat ou du Bureau de placement. Les expressions : "les bras d'un fauteuil", "à la tombée de la nuit", ont à l'origine un sens concret, auquel nous ne pensons plus ; en l'évoquant on ne facilite en aucune façon leur emploi métaphorique actuel, sauf en ceci, peut-être, qu'il nous avertit de ne pas l'employer dans des métaphores trop discordantes. Bien plus, les remarques de cet ordre ne sont possibles que si, déjà, par l'usage, les élèves savent employer les divers sens du mot dont on veut leur montrer l'histoire. Ils ne comprendront le passage d'une signification à l'autre que s'ils sont habitués déjà à employer le mot dans chacune de ces deux significations. Mais l'histoire de certains mots a un grand intérêt éducatif, pour montrer aux élèves "comment le sens des mots change avec les réalités de la vie par l'activité incessante de l'esprit". Certes, dans la réalité scolaire, et dans une même classe, on peut se placer tour à tour aux deux points de vue ; mais, pour déterminer l'objet de chaque exercice, et les procédés à employer dans chaque leçon, il importe de ne jamais les confondre.

Le but pratique de l'étude du vocabulaire est d'abord d'enseigner aux élèves le sens des mots nouveaux qu'ils lisent ou entendent, et de déterminer l'emploi exact de ces mots.

C'est d'abord par la conversation et par la lecture que les enfants acquièrent des mots nouveaux. "Constatation évidente... c'est dans une phrase, et seulement par cette phrase et par le contexte, que nous pouvons donner à un mot sa signification exacte et nette" ; on peut même dire qu'un mot abstrait (et la plupart des mots sont abstraits à quelque degré), considéré isolément, n'a le plus souvent aucun sens précis. Il faut cependant séparer nettement l'exercice de la lecture de l'étude de vocabulaire, comme il faut le séparer de la leçon de grammaire. Disséquer un texte de lecture pour en examiner la composition, les constructions, les mots, c'est le plus souvent détruire l'intérêt que les enfants peuvent y trouver, et ce n'est pas par ce moyen qu'on leur donnera le goût de la lecture. La lecture est un exercice, la leçon de vocabulaire en est un autre. Mais s'il faut se garder absolument de greffer sur la leçon de lecture une leçon de vocabulaire, il est de bonne méthode d'utiliser pour la leçon spéciale de vocabu1aire un paragraphe, ou deux, d'un texte qui aura été l'objet d'une leçon de lecture dans la semaine. Il ne s'agit pas d'expliquer le sens général et les nuances de la pensée dans ce paragraphe à l'aide du sens des mots. Il s'agit, au contraire, le paragraphe ayant été lu et compris au cours d'une précédente leçon de lecture, d'étudier le sens précis de tel ou tel mot, en utilisant les autres mots de la phrase, le sens général du morceau et le détail des expressions caractéristiques.

Certaines conférences pédagogiques ont exprimé l'opinion que le choix des mots à expliquer dans un texte est imposé et limité par l'idée principale du morceau lu et commenté. Rien de plus juste s'il s'agit d'une leçon de lecture : même nous avons dit précédemment qu'il faut, en lecture, s'imposer une certaine sobriété dans les explications, et qu'on peut, sans inconvénient ni difficulté, faire lire avec expression un texte sans que les enfants donnent à chaque mot un sens précis. Lors de la leçon de vocabulaire au contraire, c'est en vue de l'étude des mots qu'on détermine et la matière et la méthode de la leçon ; si le maître choisit tel paragraphe d'un des textes de lecture de la semaine, c'est parce que ce paragraphe contient précisément les mots qu'il a intérêt à faire étudier ; le sens général et les nuances particulières n'interviennent que pour éclairer le sens de ces mots. Cette étude de quelques mots dans un texte et par ce texte, est primordiale, difficile et indispensable.

Mais on ne peut pas apprendre le sens des mots en utilisant le seul secours des textes. C'est comme si l'on disait qu'on peut apprendre la syntaxe et l'orthographe, la forme des noms, des adjectifs et des verbes, uniquement par l'usage, et sans le secours d'un enseignement systématique de la grammaire. Il faut que des leçons de vocabulaire viennent accélérer les progrès de l'usage, puis les confirmer.

Il y a plus. Si l'on examine attentivement la signification d'un mot dans un texte, on s'aperçoit que ce mot n'a cette signification particulière que grâce à l'existence dans le lexique général d'autres mots de sens voisins, synonymes et contraires. Le verbe marcher en parlant d'un cheval, n'a son sens propre que par rapport à trotter, galoper, sauter, etc. ; de même le mot bourg par rapport aux mots agglomération, hameau, bourgade, village, ville, capitale ; le sens de l'adjectif grave dans une voix grave, se trouve précisé si on l'oppose à l'expression dans une voix aiguë. Sans doute il n'y a pas, pour un homme qui connaît la langue en toutes ses finesses, de synonymes absolus : mais, pour instruire les enfants des ressources de leur langue, on peut grouper les mots de sens voisin (faible, débile, fragile, chétif...), et c'est un excellent exercice que d'en distinguer les nuances. Il faut commencer par l'étude du mot le plus usuel et le plus général, le moins chargé par conséquent d'éléments intellectuels et émotifs. Dans la série précédente, c'est faible qui est le mot le plus simple, tandis que débile évoque l'idée de faiblesse maladive et provoque une résonance émotive. C'est par l'étude de tous les mots de la série que s'éclaire le sens précis de chacun d'eux. De même, on fera comprendre facilement le sens de un vin sec par l'expression contraire un vin doux, des légumes secs par des légumes verts, etc.

Un mot a le plus souvent plusieurs sens. La richesse de la langue tient non seulement au grand nombre des mots, mais à la diversité des sens que peut prendre chaque mot. Le mot conseil a un sens différent dans "le conseil municipal" et dans "donner un bon conseil à un ami" : d'où deux séries différentes de synonymes (assemblée, avis...) qu'il sera toujours bon de rappeler à la mémoire des enfants. De même, un même mot a plusieurs séries de contraires. Après avoir, dans une phrase d'un texte, opposé au mot vérité le mot mensonge, on lui opposera d'autre part le mot erreur.

L'étude du sens d'un mot, préparée oralement, peut donner lieu à de très utiles exercices écrits, qui sont de deux sortes.

D'abord les enfants feront entrer le mot dans une phrase. Dans la pratique, il est nécessaire de les guider de très près dans ces constructions de phrases ; si on les invite simplement à faire deux phrases avec les deux sens du mot conseil que nous avons indiqués, la plupart d'entre eux répéteront à peu près les phrases mêmes où l'on aura observé le mot conseil. Il ne faut pas demander à la fois un effort d'invention pour imaginer une phrase et un effort d'attention pour distinguer les deux sens du même mot. Qu'il s'agisse de vocabulaire ou de grammaire, les exercices doivent être gradués et il est bon de ne proposer aux enfants qu'une difficulté à la fois. On leur fournira donc la matière des phrases à construire, le verbe, par exemple, ou le sujet, ou encore une proposition coordonnée avec celle qu'il s'agit de construire et qui la détermine.

La deuxième série d'exercices consiste à donner au mot sa place dans le groupe des mots de même sens (synonymes) ou de sens opposé (contraires). C'est là surtout que les enfants doivent être guidés de très près. Les exercices à trous sont excellents. Ces exercices n'ont d'ailleurs rien de mécanique, ni d'ennuyeux ; ils ne deviennent monotones que s'ils sont pratiqués d'une façon peu judicieuse. Pour reprendre l'exemple précédent, si l'on demande, simplement, de remplacer l'adjectif sec par son contraire dans une série d'expressions : vin sec, terrain sec, légumes secs, une parole sèche, etc., il est évident que la tâche est au-dessus des forces d'un élève même du cours supérieur première année : il faut lui donner la liste des adjectifs aimable, vert, humide, doux... entre lesquels il peut choisir ; on ne peut pas espérer qu'il sache la chercher et la trouver dans son dictionnaire. Encore ne faut-il pas que la liste des expressions à trous et la liste des mots entre lesquels il faut choisir soit trop longue. Un très bon procédé consistait à grouper des phrases à trous deux à deux et de proposer seulement deux mots synonymes à choisir. Par exemple : abattre, renverser : les bûcherons sont occupés à ... quelques arbres dans le parc ; cet imprudent a été ... dans la rue par une automobile. Et avec plus de difficulté : cours, courant ; le fleuve descendant de la montagne a d'abord un ... impétueux ; mais dans la plaine son ... est sinueux. Quand on invite un élève à construire une phrase en partant d'un mot, il faut se garder de considérer cet exercice comme le début d'un apprentissage de la composition française. La pensée et la rédaction, en effet, ne vont pas du mot à la proposition, de la proposition à la phrase : elles suivent l'ordre inverse. Dans la réalité vivante de la parole, une phrase n'est pas une addition de termes indépendants qu'on a assemblés, c'est "une synthèse psychologique", où chaque partie est déterminée par la conscience de l'ensemble.

Beaucoup d'échecs dont on se plaint s'expliquent par cette confusion qui paralyse les enfants au lieu d'accroître leurs moyens d'expression. "La pensée, naturellement chaotique et confuse" se présente d'abord comme un tout, elle "se précise pour s'exprimer" et on peut dire qu'elle ne peut se préciser qu'en s'exprimant ; c'est par approximations successives qu'elle élabore son expression, esquissant d'abord la composition générale de la phrase, puis essayant des formules où les mots se présentent en groupes, plusieurs pour une même idée, se précisant enfin tout à fait dans la clarté du mot propre enfin découvert. C'est pourquoi l'on confond tout et l'on compromet tout lorsqu'on organise les exercices de vocabulaire comme s'ils étaient des exercices de rédaction.

C'est pourquoi aussi les exercices de vocabulaire n'ont pas seulement pour objet de faire connaître aux enfants les mots usuels et les significations d'un même mot. Ils doivent, en outre, leur donner "la maîtrise de ces mécanismes psychologiques par lesquels leur esprit conserve les mots acquis chaque jour, et par lesquels ils constituent leur vocabulaire comme un système ... où les mots sont à tout instant en état de répondre à l'appel de la pensée". Par le seul effet de l'usage et de l'activité naturelle de l'esprit, les mots s'associent dans la pensée selon certains rapports, et forment ainsi comme des groupes dont chaque mot évoque tous les autres et dans lesquels elle choisit celui qui lui convient. L'enseignement du vocabulaire doit hâter la formation de ces associations, et les renforcer par des exercices : c'est essentiellement son but au cours supérieur première année.

Les mots sont d'abord associés dans notre esprit d'après le sens, par ressemblances et par oppositions. L'adjectif frêle est associé par ressemblance aux mots faible, débile, fragile et par opposition aux mots fort, robuste, solide, etc. Quand il est évoqué dans la mémoire, il appelle avec lui le cortège de ses synonymes et de ses contraires. Chaque mot profite de la présence de tous ceux dont il est solidaire, et c'est par cette solidarité même qu'il reste vivant. Les études des synonymes et des contraires ne sont donc pas seulement l'occasion d'acquérir des mots nouveaux, de distinguer le sens de mots voisins les uns des autres, ils ont pour objet, il ne faut jamais l'oublier, de constituer dans la mémoire des groupements de mots, et ainsi d'ordonner, pour la commodité de la pensée, la matière sur laquelle elle exercera son activité. Les études de synonymes et de contraires doivent être pratiquées avec prudence. C'est sur des adjectifs, des verbes, des noms abstraits qu'ils portent presque toujours ; le vocabulaire concret doit donc déjà avoir été acquis. Les élèves doivent même être déjà assez avancés dans l'acquisition du vocabulaire abstrait. Ils ne peuvent, en effet, trouver le contraire d'un mot donné et combler la lacune d'un exercice à trous, s'ils ne connaissent pas déjà d'une certaine façon le sens de chacun des mots qu'on propose à leur choix : il s'agit là, moins de leur faire connaître des mots nouveaux que de préciser par des rapprochements et des oppositions le sens d'un mot qu'ils connaissent déjà. La réflexion, prématurément portée sur les associations de mots qui se forment dans le souvenir des élèves, risquerait d'en compromettre le jeu automatique au lieu de le faciliter. Ces exercices ne peuvent venir au cours moyen que de façon dispersée ; ce n'est qu'au cours supérieur première année qu'ils peuvent être utilement organisés de façon systématique.

Les mots sont aussi associés dans l'esprit d'après leurs sonorités. Des paronymes, des homonymes s'appellent l'un l'autre, grâce à leurs ressemblances. Cette solidarité est un avantage, puisqu'elle contribue à assurer dans le souvenir la permanence du mot et, par suite, de l'idée. Mais elle est aussi une cause de confusion, parce que l'enfant est exposé à employer l'un pour l'autre deux mots de sonorités semblables qui répondent à la fois à l'appel de sa pensée.

Ces confusions portent moins sur le sens que sur la forme. Quand il s'agit de paronymes, c'est dans la prononciation que se trouve d'abord la confusion. On prononce chasserai, non pas avec é mais avec è (comme je chanterais), et la confusion orthographique en est une conséquence. Au pluriel, aucun enfant n'emploiera l'une pour l'autre les deux formes nous chanterons, nous chanterions, que son oreille distingue parfaitement. Les mots amnistie et armistice se confondent dans sa mémoire verbale, et il les emploie l'un pour l'autre. Ce sont donc des exercices presque mécaniques et répétés de prononciation d'abord, d'écriture ensuite, qui s'imposent. Les élèves seront exercés à prononcer distinctement ces deux mots ; puis ils les copieront, et non pas d'abord dans une phrase où leur attention peut se disperser sur des difficultés autres que celle qu'on veut leur enseigner, mais isolément, quatre ou cinq fois si c'est nécessaire : l'emploi dans des phrases caractéristiques viendra ensuite. Chaque mot acquerra ainsi son originalité verbale et graphique.

Les homonymes sont des mots dont la prononciation est identique, mais la graphie différente ; l'étude des homonymes est donc une question d'orthographe. Préjugé ou non, la tradition orthographique est une puissante contrainte sociale ; c'est à bon droit que les maîtres y attachent une grande importance. Souvent aussi la distinction des homonymes est question de bon sens et de réflexion ; corriger "la pantoufle de verre de Cendrillon" en "pantoufle de vair" c'est faire appel "au bon sens qui n'est qu'un autre nom de l'esprit critique". Ici encore, après avoir expliqué le sens des mots, il est bon de faire copier la série des homonymes que l'on vient d'enseigner, chaque mot étant écrit isolément, pour ne pas disperser l'attention des enfants ; mécanique ou non, tout procédé est bon qui a pour résultat de concentrer leur attention sur chacune des formes graphiques (ère, aire) qu'ils doivent distinguer : ensuite, mais ensuite seulement, on en arrivera aux exercices à trous ; on insérera ces mots dans des phrases vivantes, attrayantes, des anecdotes, des jeux de mots si l'on peut en inventer.

Les exercices de familles de mots tiennent une grande place dans nos écoles ; ils intéressent les maîtres, ils amusent souvent les élèves.

L'exercice le plus fréquemment pratiqué consiste à constituer par dérivation et composition des familles à l'aide d'un radical. De tels exercices ne contribuent en rien à enrichir le vocabulaire pratique des enfants.

Tout d'abord, ils n'acquerront pas par ces exercices de mots nouveaux. Il n'y a pas de formule plus vaine que celle qui consiste à demander à des enfants de "former" avec un radical donné un mot ayant tel sens. S'ils ne le connaissent pas déjà, on peut être sûr qu'ils imagineront, avec raison, par analogie, un mot qui n'existe pas.

Pas davantage le groupement des mots en familles étymologiques ne peut-il préciser le sens des mots déjà connus. On voit souvent rapprocher des mots qui, malgré un radical évidemment identique, n'ont plus, quant au sens, qu'une analogie lointaine et vague ; ainsi : abcès, décès, procès, succès, etc. Pour des enfants de douze ans le mot décès est à peu près synonyme de mort. Ce n'est pas en invoquant le sens étymologique de s'en aller qu'on précisera le sens de décès, mais bien en rappelant des phrases ou des expressions qui leur sont connues par l'usage : un acte de décès, le médecin de l'état civil a constaté le décès, on a dressé une statistique des décès, d'où l'on dégage que le mot décès désigne la mort considérée du point de vue de la loi, dans ses effets civils et sociaux. Procès et procession, succès et succession ont le même radical ; il n'y a aucun intérêt pratique à les rapprocher en une même famille. Le salaire est la rémunération d'un travail ; si l'on veut en préciser le sens, on le rapprochera, dans des phrases, d'autres mots que les enfants connaissent ; le salaire de l'ouvrier, les gages d'un domestique, le traitement d'un fonctionnaire, les honoraires d'un médecin, l'indemnité parlementaire d'un député, etc., il ne serait d'aucune utilité de le rapporter à la famille de sel, dont le sens n'est plus présent dans salaire.

Il en va autrement, sans doute, lorsqu'il y a entre les mots d'une même famille, en même temps qu'une évidente parenté dans la forme, une parenté de sens réellement et spontanément sentie dans l'usage courant de la langue. Le classement en famille correspond alors à une réalité. Mais il ne suffit pas pour donner le sens précis et complet des mots de cette famille. Le radical, en effet, ne peut rendre compte que de ce qu'il y a de plus général, de plus abstrait, et par conséquent de plus vague, dans le sens des dérivés et des composés. Selon les éléments avec lesquels le radical est combiné, le sens abstrait s'enrichit de nuances très différentes ; ces nuances mêmes, qui constituent tout l'intérêt de l'exercice, le lien étymologique ne peut les éclairer : on n'aura pas montré le sens précis du mot amour en le rapportant à aimer, ni celui de tendresse en le rapportant à tendre. Un homme désœuvré n'est pas seulement un homme qui n'a rien à faire ; il y a dans le mot désœuvré une nuance de sentiment (paresse et ennui) dont ne rendent compte ni le radical ni le préfixe. D'autre part, des suffixes différents peuvent ajouter à un radical une même détermination, tandis que le même suffixe peut revêtir des sens différents selon le radical auquel il se joint. Il en est à peu près de même des préfixes. Le mot passage peut désigner l'endroit où l'on passe et l'action de passer ; le radical plant et le suffixe eur n'éclairent ni n'expliquent le sens particulier de planteur (qui exploite une plantation coloniale) ; le radical chair et le préfixe dé ne rendent pas compte de la nuance affective que renferme l'expression un visage décharné ; malgré les préfixes, on se tromperait en opposant bienfait à méfait, inoffensif à offensif.

Il faut toujours en revenir à cette idée : c'est par l'usage seul, c'est-à-dire par l'exercice de la langue parlée et par la lecture, que l'enfant enrichit son vocabulaire. Le groupement des mots par familles consiste à rapprocher d'après leurs analogies des mots dont les enfants connaissent déjà la forme et le sens, non à leur enseigner des mots nouveaux, ni à leur faire mieux connaître le sens des mots qu'ils possèdent déjà. En d'autres termes ce sont les mots et les phrases qui constituent la réalité linguistique ; pour l'école primaire du moins, radicaux, préfixes et suffixes ne sont que des abstractions ; la forme ou le sens d'un radical sont dégagés de la comparaison des mots dans lesquels il entre ; et il en est de même des préfixes et des suffixes. On ne parvient point à expliquer complètement le sens d'un mot par celui de ses éléments.

L'intérêt que présente l'étude élémentaire des familles de mots est ailleurs. Notons d'abord que les instituteurs, très judicieusement, utilisent, pour l'orthographe, l'étude des préfixes et des suffixes. Non pas qu'on puisse ainsi expliquer, par exemple, le redoublement d'une consonne (affirmer, aggraver...) ; mais on peut, en s'aidant des préfixes et des suffixes, formuler, fût-ce au prix de quelques exceptions, certaines règles empiriques qui résument l'usage, et facilitent en la simplifiant la tâche de la mémoire.

Mais surtout, c'est le souvenir même des mots qui se trouve assuré par les rapprochements en familles. Les mots ne subsistent pas dans la mémoire comme des unités indépendantes et autonomes. A l'appel de la pensée qui cherche à se préciser en s'exprimant, les mots, sortant des profondeurs de la mémoire, se présentent dans des groupes, sur lesquels l'invention spontanée ou réfléchie s'exerce pour trouver le mot exact dont elle a besoin. Ces groupes sont constitués spontanément, dans l'esprit, selon certains rapports, et en particulier selon les analogies qui résultent de la composition des mots. "Par exemple, si nous avons l'intention d'exprimer la notion de tendre, tant que la phrase n'est pas arrêtée en sa forme grammaticale précise, cette notion pourra être exprimée par un nom (attendrissement), par un adjectif (tendre), par un verbe (attendrir), par un adverbe (tendrement) ; tous ces mots viennent ensemble à l'esprit, qui, lorsque le dessin grammatical de la phrase se précisera, choisira l'un ou l'autre. Dans ce travail, le plus souvent inconscient, l'esprit ne choisit pas entre divers mots de sens approchés ou semblables ; il choisit plutôt entre des mots de même famille... De même quand nous avons besoin d'un verbe qui exprime l'idée de destruction, le mot détruire vient tout de suite à notre esprit ; s'il ne nous satisfait pas, nous cherchons tout naturellement parmi les mots composés du même préfixe (démolir, défaire, décomposer) ; ils se présentent spontanément à l'esprit, parce qu'ils sont associés par cette communauté de préfixe..."

Les exercices scolaires sur les familles de mots, sur le sens et l'emploi des préfixes et des suffixes, permettent aux enfants de prendre conscience de ces associations qui se sont formées spontanément dans leur mémoire, d'en assouplir le jeu, et de confirmer ainsi les enseignements de l'usage. C'est là que réside leur véritable intérêt pratique. Le rapprochement et la composition des mots conduire, produire, induire, séduire, traduire, n'éclaire en aucune façon le sens particulier que peut prendre chacun de ces mots dans une phrase ; mais ces mots, étant une fois acquis par l'usage, les exercices scolaires confirment et renforcent leur groupement spontané ; par là même, ils facilitent l'expression de la pensée.

Mais il faut se garder de donner dans l'enseignement une place excessive à ces exercices, et surtout de les y introduire prématurément. Ils ont les mêmes résultats que l'usage, ils en imitent les procédés. Ils ne peuvent pas le devancer. Or, on devance l'usage si l'on demande aux enfants de grouper des mots dont le sens ne leur est pas encore connu. Les manuels fournissent de longues listes de mots se rattachant à un radical donné : le maître y choisira, suivant l'âge de ses élèves, les seuls mots qui font partie de leur vocabulaire usuel.

La même prudence s'impose quand on constitue ce qu'on appelle des familles sémantiques. Si l'on demande aux élèves d'écrire les adjectifs susceptibles de qualifier un nom donné, ils ne peuvent grouper ainsi que les adjectifs dont ils connaissent déjà le sens. Si l'on étudie les mots, noms, adjectifs, verbes, qui ont rapport à une idée (la maladie par exemple) il ne faut pas oublier que les exercices ont pour but de grouper autour de cette idée des mots déjà connus ; certes, le maître doit guider les élèves dans ce travail ; mais les guider c'est diriger méthodiquement leur réflexion à travers leurs souvenirs, non pas leur faire découvrir des mots qu'ils n'ont pas encore rencontrés.

Quand le mécanisme des associations de mots est déjà fortement organisé par un assez long usage de la langue et par la répétition, la réflexion vient confirmer ce mécanisme ; intervenant trop tôt, elle en compromettrait au contraire l'acquisition.

Les études sur la formation des mots ne peuvent avoir aucune place au cours élémentaire. Dans les deux années du cours moyen, il ne faut les aborder qu'avec une extrême prudence. On peut commencer par faire grouper les mots qui appartiennent aux familles les plus vivantes, c'est-à-dire ceux dont la parenté est la plus fortement sentie par le seul effet de l'usage ; on peut faire des exercices sur quelques suffixes et quelques préfixes pris parmi les plus usuels, et dans leur sens le plus fréquent. Par exemple, les enfants emploient sans cesse téléphoner (atterrir en parlant d'un avion). On peut donc leur faire remarquer, car ils le savent déjà inconsciemment d'après l'usage, que les terminaisons er et ir servent à former des verbes nouveaux, et que ces verbes appartiennent toujours au 1er ou au 2e groupe. Le préfixe re a des sens différents dans refaire, revenir, remplir : on peut, sans définition abstraite, grouper autour de chacun de ces mots, d'autres mots où le préfixe re aura le même sens.

C'est seulement au cours supérieur, première année, que la formation des mots sera étudiée d'une façon systématique. Selon les indications des programmes nouveaux, on montrera les sens principaux d'un même suffixe ou d'un même préfixe, et que plusieurs suffixes ou plusieurs préfixes peuvent avoir le même sens ; cette démonstration résultera non d'explications et d'analyses abstraites, mais d'exercices multipliés, oraux et écrits.

Une famille de mots est vivante quand, dans l'usage courant de la langue, chacun sent spontanément entre les mots qu'elle rassemble une réelle parenté et de forme et de sens. Le groupement des mots par familles à l'école élémentaire étant destiné à consolider et à compléter les associations que l'usage a déjà formées, on n'étudiera donc que des familles très vivantes.

L'un ou l'autre des deux éléments, phonétique ou sémantique, peut prédominer. Entre les mots du groupe conduire, produire, réduire, déduire, induire, traduire, séduire, il n'y a qu'une très lointaine analogie de sens ; ils forment cependant une famille ; grâce à l'identité évidente de leur radical, l'usage les associe fortement.

Dans les familles à radicaux multiples, c'est au contraire l'élément sémantique qui fait l'unité du groupe. Dès la première année du cours supérieur, on pourra étudier celles de ces familles qui sont les plus vivantes ; elles sont si importantes, les mots qu'elles réunissent sont tellement usuels, qu'il y aurait inconvénient à en ajourner l'étude. Mais on se bornera aux mots les plus couramment employés, et à ceux dont la parenté est la plus évidente. Sans donner aux enfants une explication phonétique qui serait prématurée, il sera bon de rapprocher d'une part : œuvre, ouvrier - meule, moulin - bœuf, bouvier - cœur, courage - et, d'autre part : je peux, nous pouvons - tu veux, vous voulez - ils meuvent, nous mouvons. La solidarité dans la conjugaison des formes de ces verbes très usuels est fortement et spontanément sentie par les enfants ; l'analogie les amènera à sentir également, malgré les altérations du radical, la solidarité phonétique et sémantique moins immédiatement perceptible dans les mots d'une famille à radicaux multiples.

Au cours supérieur, deuxième année, on pourra faire compléter par des mots nouveaux les familles déjà étudiées en première année. En outre, on multipliera et on précisera les rapprochements avec la conjugaison. En conjuguant par écrit un verbe irrégulier du 1er groupe (mener), les enfants constatent l'alternance je mène [è] nous menons [œ] ; ils comprendront que, dans une même famille, on puisse avoir de même gel et gelé. De même, on rapprochera je meus, nous mouvons de cœur et courage ; je viens, nous venons, du groupe chien, chenil ; et cela sans qu'il soit nécessaire d'entrer dans des explications théoriques qui les dépassent.

Mais il sera possible, surtout, d'étudier dans les familles les mots selon un certain ordre, en tenant compte des causes diverses qui ont déterminé la multiplicité des radicaux. Il y a deux radicaux dans la famille de char (charrette, carriole) et trois dans celle de grain, grainetier, égrener ; la famille de sel a salaison et saumure, celle de fleur a fleuriste et floraison. Il serait prématuré d'indiquer les causes diverses de cette richesse linguistique ; il n'y a pas lieu d'y faire la moindre allusion. Mais plus tard, à l'École primaire supérieure, au lycée, et aussi dans l'enseignement postscolaire, il faudra les étudier. Aussi, dès maintenant, l'instituteur qui, lui, connaît ces causes, au lieu de présenter les faits au hasard les ordonnera, sans que les élèves s'en doutent, en vue de leur explication future. Et c'est ainsi qu'un enseignement du vocabulaire qui ne vise qu'à confirmer et ordonner les acquisitions dispersées de l'usage, tout en conservant, parce qu'il est élémentaire, une certaine part de mécanisme, préparera cependant la matière sur laquelle, le moment venu, s'exercera la réflexion.

A l'école primaire élémentaire, les exercices sur les familles de mots ne consistent point à classer autour d'un radical étymologique les mots que ce radical a servi à former. Dans acharné, dans viande, dans voyage, nous ne sentons plus le sens, et nous apercevons mal la forme des radicaux, chair, vivre, voie ; les mots mentir, moniteur, monnaie, monument, commentaire, n'ont plus aucun rapport de sens ; l'usage n'a donc pu créer aucune association entre ces mots, et il n'y a pas d'intérêt pratique à les rapprocher en une même famille.

Encore moins y a-t-il lieu de grouper des mots d'après leur commun radical latin. Ce n'est pas seulement parce que ni les élèves ni les maîtres n'ont appris le latin ; c'est uniquement parce que ces considérations généalogiques n'ont ici aucun intérêt et aucune valeur. D'abord, le français possède un très grand nombre de mots dont l'origine est inconnue ou douteuse, même pour les linguistes ; d'autres viennent du grec, du germanique, etc. ; d'autres ne se rattachent au latin que par l'intermédiaire d'un mot provençal, italien ou espagnol. Enfin et surtout, la plupart des Français, quand ils emploient un mot, ignorent son origine, et ceux qui la connaissent n'y pensent point. Pour tous, la signification et la forme actuelles d'un mot français sont les seules présentes à l'esprit dans l'usage quotidien de la langue parlée ou écrite : même quand on a spontanément conscience qu'il existe une parenté entre les mots ciseaux et incision personne ne songe, en les prononçant, au radical latin. A plus forte raison en est-il ainsi quand le sens des dérivés ne rappelle le radical que par une analogie très lointaine. Qui aperçoit le sens latin de jeu, du radical lus dans illusion, allusion, collusion ? Si des mots peuvent être considérés comme appartenant à la même famille, ce doit être uniquement en vertu de l'évidente parenté de leurs formes actuelles.

Il y a certes des groupes de mots français où l'on aperçoit d'une façon évidente le sens et la forme d'un radical latin. Mais jamais un radical, qu'il soit français, grec ou latin, n'explique le sens précis des dérivés ou des composés. Enfant vient du latin infantem qui signifie qui ne parle pas ; et nous disons cependant : un enfant de douze ans, le Laboureur et ses Enfants. Il y a entre les mots de chaque famille une ressemblance de forme : mais cette ressemblance, c'est dans la forme française des mots que nous la sentons. Quant à la parenté des sens, dans la mesure où l'usage seul ne suffit pas à la suggérer automatiquement, la réflexion, pour la dégager n'a qu'à comparer entre eux les mots français usuels et point n'est besoin de recourir au radical latin. Du reste, l'idée commune qu'on retrouve dans les mots d'une même famille est une idée abstraite, d'autant plus abstraite et appauvrie, que la parenté des mots est plus lointaine et que le sens de chacun d'eux est plus chargé de nuances intellectuelles ou affectives. Un radical latin, moins encore que le radical français, ne peut jamais rendre compte de ce qu'il y a, dans un mot, de véritablement vivant. On s'abstiendra donc absolument de recourir au latin dans les exercices de vocabulaire à l'école primaire.

Cette interdiction n'empêchera pas un maître de dire à ses élèves, pour les intéresser par un trait pittoresque d'histoire de la civilisation, que le mot sinistre vient d'un mot latin qui signifie qui est à gauche, et qu'il a pris le sens de qui présage le malheur, parce que le vol des oiseaux à gauche était pour les Romains un présage de malheur. Les élèves aiment ces explications. L'histoire des mots est une évocation des mœurs et des civilisations passées ; elle peut être utile, pourvu qu'elle soit exacte, et pourvu aussi qu'elle ne se substitue pas à l'étude véritable du vocabulaire.

Remarquons aussi que de tels exercices, dans la mesure où ils ont place à l'école primaire, n'ont aucunement besoin de recourir à l'étymologie. Pour attirer l'attention sur l'idée ou l'image que contient l'adjectif funeste, il suffira de le rapprocher de funèbre et de funérailles. D'une façon générale, on peut dégager de deux ou trois mots français dont l'usage fait sentir la parenté, un sens commun et une ressemblance de forme : capuchon, capiteux, décapiter ; on fait voir ensuite que le même élément cap se retrouve dans d'autres mots dont la parenté est moins immédiatement évidente : capitaine, capitale, cap, et l'on étudie par quelles métaphores ou par quelles associations d'idées tous ces mots ont, en leur tréfonds, conservé l'idée de tête.

Mais il faut rappeler encore que ces exercices n'aident en rien à comprendre le sens des mots dans un texte ; et même, dans la mesure où ils rapprochent des mots dont l'analogie de forme et de sens n'a pas été spontanément sentie, ils ne contribuent en rien à faciliter l'usage de la langue. Ils ne sont possibles que si les enfants connaissent le sens des mots et en ont acquis l'usage courant. Ils sont utiles, d'un point de vue esthétique ou stylistique, pour ranimer le sentiment de la métaphore ou de l'association d'idées qui est un peu oubliée dans l'usage, et ce n'est point un résultat à dédaigner. Mais il ne s'agit là, en vérité, que d'une réflexion sur le vocabulaire déjà acquis.

C'est seulement au cours supérieur 2e année que les programmes prévoient des exercices comme ceux-ci : "... comment les mots changent de sens... , sens primitif et sens dérivé... , sens propre et sens métaphorique... , histoire du sens de quelques mots". Même à ce cours, cet enseignement sera pratiqué avec prudence, et en prenant le plus de garanties possible contre les explications fantaisistes ou hypothétiques. Il sera facile de choisir quelques mots français en petit nombre, dont l'histoire présente un intérêt particulier. Le mot chétif signifie primitivement prisonnier, puis malheureux, et enfin aujourd'hui, débile. Chenille signifiait à l'origine petite chienne ; il a pris ensuite, par métaphores successives, des sens bien différents ; et le dernier venu désigne la bande métallique qui s'adapte aux roues d'une automobile progressant sur un terrain mouvant ou accidenté (une auto-chenille). L'histoire du mot bureau est célèbre (une étoffe de bure, une table recouverte de cette étoffe, la salle où se trouve cette table, l'ensemble des salles affectées à un service administratif, les personnes qui travaillent dans ces salles, l'ensemble des dirigeants d'un groupement). On peut suivre l'histoire du mot grève depuis le sens de étendue de sable au bord de la mer, jusqu'à celui de cessation concertée du travail. De telles analyses montrent comment, devant les nécessités de la vie pratique, l'esprit, par les images et par les associations d'idées, élabore tout à la fois la pensée et ses moyens d'expression. Elles sont un élément de culture intellectuelle, peut-être le plus important de tous. Mais elles ne peuvent s'adresser qu'à des élèves déjà assez avancés dans la connaissance du vocabulaire.