[2e partie]

 

 

ACTIVITÉS SPÉCIFIQUES

 

VOCABULAIRE

 

Il est normal que le vocabulaire de l'élève entrant à l'école soit encore pauvre, même si l'enfant comprend plus de mots qu'il n'en emploie : l'école est là pour l'enrichir. Mais il y a bien des degrés dans cette pauvreté, qui varie selon le milieu, et qui ne doit jamais être reprochée à l'enfant. L'observation, renseignant le maître sur le vocabulaire dont disposent ses élèves, l'avertit de ne pas user sans explication de termes qui leur échapperaient. On veut que, progressivement, ils connaissent et comprennent plus de mots, qu'ils les emploient opportunément, que l'expression juste se présente d'emblée à leur esprit et qu'ils en viennent même à savoir la choisir à bon escient, ce qui réclame une perception aiguë des nuances de sens et des rapports de convenance entre les mots et leur contexte. On veut aussi que ces mots soient bien prononcés et orthographiés. Un tel programme exigera du travail jusqu'à la fin de la scolarité obligatoire, et au-delà. Comment l'école élémentaire va-t-elle remplir son rôle primordial ?

On lit dans les instructions de 1938 : "II faut toujours en revenir à cette idée : c'est par l'usage seul, c'est-à-dire par l'exercice de la langue parlée et par la lecture, que l'enfant enrichit son vocabulaire". C'est aussi par la rédaction et son compte rendu, la reconstitution de texte, la préparation de dictées, c'est-à-dire en somme toutes les activités de la classe. Mais plus le vocabulaire est pauvre, plus cette réussite sera gênée : d'où l'effort, déjà ancien et auquel les instructions de 1938 ont contribué, pour élaborer des exercices attrayants dont l'amélioration du vocabulaire serait directement l'objet. Cet effort n'a eu que des résultats limités : les maîtres savent qu'en dehors de son application immédiate, la "leçon de vocabulaire" risque souvent d'être peu fructueuse.

Deux principes peuvent servir de guide. D'abord, c'est par le contexte que vit le mot, c'est le contexte qui précise son acception, qui lui confère sa valeur. Les listes de mots apprises par cœur ont donc été abandonnées et méritaient de l'être. Mais ce premier principe ne saurait suffire, et un second nous ramène à la motivation : la découverte et l'étude du mot ne sont fécondes que si elles satisfont à un besoin que l'enfant éprouve, soit qu'il cherche à s'exprimer, soit qu'il désire comprendre ce que d'autres disent ou ce qu'il est lui-même en train de lire.

Mais si précieuse que soit la liaison directe du mot à l'objet, au mouvement ou à l'image, la nécessité d'expliquer des mots par des mots s'imposera avec une fréquence croissante, à mesure que l'enfant pénétrera plus avant dans le monde du langage. Un processus naturel le conduit d'abord à l'acquisition relativement rapide d'un vocabulaire où les termes concrets sont nombreux ; puis, les acquisitions continuant, son attention se porte davantage sur les distinctions de sens.

La conversation des adultes, la radio et la télévision munissent l'enfant de beaucoup de termes dont il ne saisit pas toujours précisément la forme et le sens. Ils peuvent exciter sa curiosité, ils se mêlent à son langage, mais s'y intègrent mal ; un travail de choix et d'élucidation incombe à l'école.

En même temps, tout au long de la scolarité élémentaire, les activités d'éveil, et aussi les activités mathématiques, contribueront à l'enrichissement du vocabulaire. Leur apport ne se limite pas seulement à des termes dont la précision fait le prix. Par les curiosités qu'elles suscitent, par l'intérêt des situations qu'elles proposent, ces activités provoquent une intense activité verbale.

La lecture n'en reste pas moins la grande pourvoyeuse de mots. Le sens du texte peut être perçu sans que celui de chaque mot le soit avec une égale précision : c'est ce qui permet la lecture courante. Cependant, chaque mot inconnu ou mal compris est un obstacle. Il est donc souhaitable que la lecture en classe n'apporte que peu de mots nouveaux, ou qu'elle fasse l'objet de quelques explications préalables, ou bien encore que les élèves la préparent à l'aide du dictionnaire. Il peut arriver que le maître juge utile de revenir après la lecture, comme après un compte rendu de rédaction, sur quelques mots qui méritent une étude particulière. Ils seront considérés d'abord à la lumière de leur contexte, mais on aura souvent à examiner comment ils pourraient être associés à des contextes différents.

Au C. P., les moments spécialement consacrés à l'étude du vocabulaire seront toujours très brefs : à ce niveau, en effet, les acquisitions verbales, considérables, s'opèrent à travers l'ensemble des activités fondamentales que nous avons décrites, et sans que l'on ait à s'appesantir sur l'examen des mots. Il pourra se faire qu'à propos de l'un d'entre eux, d'autres termes soient évoqués, de sens voisin ou opposé.

Au C. E., une première systématisation du vocabulaire est possible au moyen de fichiers individuels et de fichiers collectifs groupant les mots selon le sens et l'emploi. En général, une fiche portant une inscription nouvelle, œuvre de l'élève, ne sera digne du fichier - ou du classeur - que si l'écriture est lisible et l'orthographe correcte.

Au C. E. 2 et au C. M., les équivalences, analogies, nuances et oppositions de sens inspireront des exercices-jeux, partant non d'un mot isolé mais d'une expression ou d'une phrase simple, fournie de préférence par une autre activité. On imaginera des contextes où apparaîtront similitudes et différences. Il serait absurde, par exemple, de chercher "le contraire" de "rouge" - mais "vin blanc" s'oppose à "vin rouge" ; et "grave" peut s'opposer, selon le contexte, à "souriant" (léger, gai, espiègle), à "insignifiant" (indifférent, sans importance), à "aigu", etc.

Des manipulations de mots utilisés à des constructions diverses prêtant à des groupements récapitulatifs conviendront au C. M, et même déjà au C. E. 2 : on peut construire, louer, acheter, habiter, vendre une maison : rentrer, rester à la maison ; habiter une belle, grande, petite, vieille maison ; une maison neuve, moderne, de campagne ; visiter la maison voisine, de M. X..., etc. On admire une "belle maison neuve", et non pas une "neuve maison belle". Commutations et substitutions offrent ainsi des exercices attrayants, qui éveillent ce que l'on peut appeler "les échos" des mots.

Ces échos ne relèvent pas forcément de la pure logique. Une expérience personnelle investit certains mots d'un pouvoir évocateur dû à leurs sonorités comme aux souvenirs auxquels ils sont associés. Des mots aimants en attirent d'autres, se prêtent à des associations imprévues : la leçon de vocabulaire peut devenir une fête du langage.

Il arrive que l'étymologie y serve. Les instructions de 1938 ne lui ont laissé aucune place dans l'enseignement élémentaire, où il serait en effet prématuré de l'introduire systématiquement. Elle fournit pourtant des indications riches de valeur poétique et propres à amuser ou à émouvoir les enfants. Que "compagnon" ait désigné celui avec qui l'on partage le pain ; que l'héliotrope se tourne vers le soleil ; que la dénomination du chrysanthème lui attribue des fleurs d'or, voilà des notions qui peuvent charmer. Mais il va de soi que le maître ne donne aucune indication étymologique sans l'avoir soigneusement vérifiée.

On voit que l'enrichissement du vocabulaire représente une œuvre de patience. Il faut donc mettre l'élève en possession de l'instrument de recherche qui lui évitera de rester désarmé s'il est seul devant un mot nouveau, ou bien s'il hésite sur le sens ou sur l'orthographe d'un mot déjà connu. Le dictionnaire est fait pour répondre à ces questions, et il a l'avantage de citer des constructions incluant le mot cherché. On doit entraîner les élèves à s'en servir le plus tôt possible.

Mais le dictionnaire est d'un usage difficile pour l'enfant, qui risque, surtout s'il est débutant, de ne pouvoir trouver la place des mots qui diffèrent de leurs voisins par la troisième ou quatrième lettre. S'il hésite sur le début du mot, la recherche est interminable. Il risque aussi de ne pas discerner parmi les divers sens du mot celui qui répond à se recherche ou bien d'être rebuté par des définitions savantes, ou bien encore de retenir surtout des formes rares, parce qu'elles auront fixé son attention par leur étrangeté.

On ne demandera donc pas aux élèves de se servir d'ouvrages volumineux qui, faits pour les adultes ou les adolescents, sont imprimés en petits caractères et abondent en termes dont la fréquence d'emploi est faible. On utilisera des dictionnaires pour enfants et l'on procédera à un entraînement progressif. Des exercices de classement peuvent être utiles dès le C. P. ; au C. M. 1, où l'ordre alphabétique est acquis, il servira pour la répartition des fiches du classeur dont la constitution a été suggérée plus haut. Cet entraînement devrait rendre l'usage du dictionnaire familier dès que possible, de sorte qu'il puisse l'être au C. M. 2 pour l'ensemble de la classe.

 

ORTHOGRAPHE

 

Connaître un mot, c'est aussi connaître sa forme écrite et les variations qu'elle peut subir. On décrie souvent l'enseignement de l'orthographe : ce n'est pas rendre service aux élèves. Une mauvaise orthographe est une gêne dans les études, elle est aussi un obstacle pour nombre de jeunes gens à la recherche d'un emploi. Quant aux complications (atténuées d'ailleurs par l'arrêté du 26 février 1901 sur les tolérances grammaticales, qui mérite d'être mieux connu et qu'il faut appliquer), elles ne sont pas sans contreparties : des distinctions de sens entre mots homophones sont signalées par des différences orthographiques, et les marques écrites des accords sont nécessaires à la clarté des textes. Enfin l'observation, l'attention, la mémoire, la réflexion ne perdent rien de leur valeur pour s'appliquer à ces objets que constituent les mots écrits.

L'orthographe s'est trouvée impliquée dans les chapitres précédents. Il est certain, par exemple, que l'on ne saurait attendre une bonne orthographe de la part d'enfants qui liraient mal ou qui liraient peu. Mais les enfants qui savent lire, et même qui lisent beaucoup, sont bien loin d'être tous préservés d'une mauvaise orthographe, particulièrement lorsque leur attention est ailleurs. Le travail de rédaction soigneusement fait, bien corrigé, bien mis au net, est d'un grand secours : mais aussi une orthographe déficiente rend l'expression écrite plus difficile et sa mise au point plus laborieuse. Toutes ces remarques obligent donc à prévoir des moments où l'orthographe sera l'objet principal de l'étude - étant bien entendu que dans les autres circonstances, elle ne sera jamais négligée.

La dictée est traditionnellement regardée comme l'exercice orthographique par excellence. Son efficacité est pourtant contestée. Elle a ses détracteurs et ses défenseurs,également passionnés.

Le mauvais usage qu'on peut faire de la dictée a suscité bien des critiques. Il n'est évidemment pas bon que cet usage soit immodéré. Les instructions de 1923 entendaient supprimer les dictées au C. P. et prescrivaient qu'ensuite elles devaient être préparées : "on n'obligera pas les enfants à inventer ou à deviner l'orthographe des mots inconnus, on la leur fera connaître d'avance". Les dictées de contrôle, à côté des dictées préparées, ne devaient apparaître qu'au C. M. On regretterait que ces prescriptions modératrices fussent perdues de vue. On s'accordera pour rejeter la dictée d'un texte inconsidérément choisi, abondant en mots et expressions rares, en tournures inhabituelles : ou la dictée-piège, accumulant à dessein les difficultés, modifiant même parfois à cette fin les textes d'auteurs, non sans dommage pour le sens et le style ; et la dictée épouvantail qui doit ses fâcheux effets aux rites qui l'entourent. Le barème fameux qui faisait correspondre à cinq fautes la note zéro a des inconvénients certains, puisque alors aucun progrès n'est mesurable tant que l'élève n'a pas passé le seuil des résultats seuls reconnus comme positifs. De même, qui songerait à défendre la dictée mal dictée parce que l'articulation n'est pas assez nette et que trop peu de précautions ont été prises pour que toute la classe puisse entendre également le texte ; ou la dictée inopportune ou trop longue, qui ne tient pas compte des signes de fatigue manifestés par les élèves ? Et que peut-on attendre d'une dictée punitive qui remplace une récréation supprimée, en dépit du règlement ?

Mais le principe même de la dictée a été mis en question. Elle serait, sinon nuisible, du moins inutile, puisque d'une part la répétition de dictées n'empêche pas un grand nombre d'élèves d'accumuler les fautes, et que, d'autre part, certains de ceux qui réussissent en dictée semblent oublier l'orthographe partout ailleurs.

Les faits invoqués sont patents. Ils seraient décisifs s'il s'agissait de prouver que la qualité de l'orthographe ne dépend pas seulement de la pratique de la dictée. Nous avons vu qu'elle dépend de tout l'enseignement du français, lui-même lié à toutes les activités scolaires, et c'est ce que l'expérience confirme. Des exercices orthographiques spécialisés sont nécessaires. La gamme de ces exercices ne se réduit pas à la dictée, mais la dictée y a sa place.

La copie aussi. Elle est tombée en désuétude, parce qu'elle a été trop souvent considérée comme un travail mécanique et passif, voire un pensum. Dès lors, elle était exposée aux plus justes critiques. Pour que l'intérêt la soutienne, et que l'attention n'y fléchisse pas, il lui faut un but : on copie un beau texte pour en accompagner l'illustration ; on reproduit exactement une formulation frappante, que l'on veut retenir ou pouvoir retrouver. On écrit sans la moindre faute un texte que la classe doit conserver ou qui doit être communiqué à d'autres. Dans tous les cas on veille de près à l'écriture, à la ponctuation, aux majuscules, aux accents, facilement négligés dans la dictée parce que ces défaillances "ne comptent pas pour une faute". Ce travail-là réclame quelque amour. N'hésitons pas à le réhabiliter et à le pratiquer opportunément.

La reconstitution de texte, déjà mentionnée, peut prendre diverses formes comme exercice orthographique.

Si un texte appris en leçon doit être littéralement reproduit en classe par écrit, de mémoire, sans qu'il y ait dictée préalable par le maître et recherche collective, on ne parlera pas de "reconstitution de texte", mais d' "autodictée", exercice très utile s'il est bien mené. Il peut s'agir d'un texte appris en vue de la récitation orale, et qui offre ainsi l'occasion d'un exercice sans faute : le nombre de ces textes étant généralement restreint, il semble qu'il n'y a guère d'abus à craindre. Il faut être davantage en garde quand les textes servant aux autodictées s'ajoutent à ceux que l'on fait apprendre à d'autres fins. Cet exercice doit avoir fait l'objet d'une préparation attentive et ne doit pas être rendu trop fréquent. Il ne doit porter que sur des textes brefs, surtout au C. E., où la reproduction littérale ne devrait pas être exigée systématiquement ; il faudrait, dans certains cas, se contenter d'équivalence, et cette solution ne devrait pas être systématiquement exclue du C. M.

Si, par exemple, au C. P, ou encore au C. E., on a écrit au tableau, bien lisiblement, que "La tortue avance lentement dans le jardin", et si après avoir remarqué la majuscule du début, la graphie "tor" selon l'ordre des lettres, le "e" qui termine le nom de l'animal, le "an" d'avance comme dans maman, les deux "en" de "lentement" et le "t" qui termine ce dernier mot, on efface ce début de phrase pour demander aux élèves de l'écrire, il y a mobilisation spontanée de la série de remarques qui viennent d'être faites. Ces exercices de mobilisation immédiate, qui font appel à la mémoire visuelle, ont leur utilité en variant l'effort de l'enfant, mais ce qui est immédiat peut n'être pas durable.

La reconstitution différée et collective d'un texte non appris par cœur est un exercice complexe et difficile. La difficulté sera moindre, et le caractère orthographique de l'exercice sera plus net, s'il y a dictée par le maître d'un texte étudié la veille, ou même plusieurs jours auparavant. Il s'agit alors d'une variante de la dictée préparée, qui en comporte bien d'autres, en fonction des activités de la classe.

On retrouve donc la dictée dans plusieurs types d'exercices qui vont bien au-delà de son aspect traditionnel. Sous ses diverses formes, elle a sa valeur propre comme moyen d'investigation de la correspondance existant entre le langage articulé et sa forme écrite. L'orthographe spécifie ce que le langage articulé ne fait pas entendre, par exemple les apostrophes, que beaucoup d'enfants distribuent au hasard, les liaisons, qui peuvent altérer la configuration des mots, et maints accords. Pour vaincre ces difficultés la dictée est malaisément remplaçable. On remarquera toutefois que le moyen d'acquisition de l'orthographe est ici l'exploration du texte, la préparation de la dictée, plutôt que la dictée elle-même, celle-ci n'intervenant qu'à titre de vérification ; elle couronne un travail fait pour éviter les fautes.

Ainsi entendue, elle est bien différente de l'exercice dont a pu abuser l'école d'hier, par imitation de la dictée d'examen, qui est un instrument de contrôle et non pas d'acquisition. Or, pour que le contrôle soit précis, il faut qu'il porte sur le résultat d'un travail préalable et bien déterminé. Il y a donc intérêt à délimiter le champ de ce contrôle. Si le maître s'attache à faire saisir des rapports syntaxiques, il pourra dégager la dictée des difficultés de vocabulaire, en écrivant au tableau les mots qui prêtent à hésitation ou en permettant l'usage du dictionnaire pour effectuer certaines vérifications. De même on peut lever les difficultés de syntaxe si la dictée porte sur les acquisitions de mots.

La répétition automatique en classe de dictées calquées sur l'épreuve d'examen a non seulement obligé les élèves à inventer ou deviner l'orthographe de mots inconnus - pratique génératrice, au C. M. comme au C. P., d'effroi ou d'indifférence -, mais elle a fait aussi de la dictée le type même de l'exercice non motivé. A vrai dire, il n'est pas aisé d'en faire un exercice auquel l'enfant s'intéresse ; et c'est l'une des raisons pour lesquelles il convient d'en user avec modération. Il est pourtant possible de la relier heureusement à d'autres travaux, et d'obtenir ainsi qu'elle tienne l'attention en éveil. Ce peut être le cas, par exemple, lorsque les élèves ont à prendre note d'un texte élaboré par l'un d'entre eux (ou par plusieurs, travaillant en groupe) ; si le texte est dicté par son auteur, l'attrait de l'exercice peut en être accru.

Un plan de travail ou d'enquête, un canevas de recherche, des recommandations ou des consignes générales, les conclusions d'une étude dont chacun doit conserver la trace sont autant d'occasions favorables. La règle générale devrait être de faire de la dictée un exercice lié à des activités antérieures.

 

GRAMMAIRE

 

Les vives discussions dont l'enseignement grammatical fait depuis longtemps l'objet ont pris de nos jours une ampleur nouvelle : la linguistique en progressant a posé des problèmes fondamentaux. La nouveauté et la richesse de ses points de vue, la profondeur de ses investigations, les perspectives qu'elle ouvre justifient le puissant intérêt qu'elle suscite. Mais force est de reconnaître que l'on en reste aux tâtonnements pour ses applications à l'école élémentaire. Les enquêtes méthodiques qui ont été entreprises n'ont pu donner encore que des résultats partiels, sur lesquels la discussion ne fait que s'engager et dont la vérification se situe dans l'avenir. Il serait pourtant fort malheureux que l'enseignement grammatical fût, en attendant, submergé par l'incertitude ; et puisqu'il est l'un de ceux qui semblent donner le plus de déceptions, l'effort qui peut d'ores et déjà être entrepris pour l'améliorer ne doit pas être ajourné.

Au cours préparatoire

L'enfant qui entre au C. P. est capable de couler sa pensée dans certaines formes, de les varier, de construire des phrases, d'y associer des intonations, de manier des structures et de les lier les unes aux autres. Il emploie des verbes avec leurs sujets, des noms avec articles et adjectifs, il fait des accords. Tout cela, sans avoir besoin de connaître aucun terme grammatical ni aucune règle.

Or, avec l'apprentissage de la lecture et de l'écriture, apparaissent les surprises et les difficultés de l'orthographe : elles offrent autant d'occasions de découvertes. Aussi le maître ne refusera-t-il pas son concours quand il pourra opportunément confirmer ou préciser une remarque de l'enfant, et même prêter l'appui d'une dénomination grammaticale usuelle, si le besoin s'en fait sentir.

Bien entendu, ces interventions du maître, au C. P., resteront fort prudentes. C'est avec sagesse que les instructions de 1923 se refusent à commencer dès cette classe "l'enseignement de la grammaire". Cela n'a jamais empêché les maîtres avisés de tirer parti des premières observations grammaticales de l'élève, en ce qui concerne par exemple les majuscules par lesquelles commencent les phrases du livret de lecture, et les signes de ponctuation auxquels correspondent dans la diction une attaque, une pause, un mouvement qui sont naturels. Voilà posés, et de la manière la plus simple, les fondements de la ponctuation.

Il en va de même pour les marques usuelles du genre et du nombre et pour leurs variations. Rien ne s'oppose à ce que l'on emploie dès lors les mots appartenant à la terminologie grammaticale, comme le féminin, le masculin, le singulier, le pluriel, le sujet, le verbe, quand vraiment l'occasion s'en présente.

Nous n'avons parlé que de la lecture ou de l'expression écrite, parce qu'elles se prêtent à l'observation visuelle : mais la même démarche peut s'appliquer à l'expression orale. Esquissée au C. P., elle trouvera dans les classes ultérieures un champ de plus en plus large, à mesure que les élèves développeront leurs lectures et que les textes étudiés et produits deviendront plus longs, plus nombreux et plus riches.

Caractère et valeur de cette démarche

Pour mieux caractériser cette démarche, rappelons comment se présente la leçon de grammaire habituelle. Les élèves "observent" un court texte ou une phrase modèle, tirés ou non du manuel, souvent sans rapport avec des activités antérieures et généralement écrits au tableau. Cette observation conduit à une définition ou à une règle. Ainsi s'opère, croit-on, la "prise de conscience" de faits et de rapports grammaticaux dont l'élève avait auparavant une notion intuitive, ou la découverte de notions nouvelles. Le maître pose des questions au sujet de la phrase écrite au tableau, les élèves doivent "trouver" la réponse - du moins s'il ne s'agit pas d'une révision, et si la leçon n'a pas été d'abord apprise dans le manuel. Ce serait donc une découverte sur injonction. Fréquemment, la question est énoncée de telle façon qu'elle implique la réponse ; et même, quelquefois, la réponse se faisant attendre, c'est le maître qui la donne. De toute manière, une fois la définition ou la règle formulée et la formulation apprise et récitée, on passe aux exercices d'application, car la notion est alors supposée acquise.

En réalité, c'est à partir des difficultés rencontrées ou des erreurs commises, dans des circonstances qui ne peuvent être fixées d'avance et au cours d'activités qui ne sont pas spécifiquement grammaticales, que se dégagent des faits et se perçoivent des rapports. Il est possible ensuite qu'une habitude naisse, qu'une nécessité s'éprouve ; et le moment arrive où elle peut être invoquée.

Ainsi l'enfant passe de la pratique qui lui était familière à une pratique que l'on peut dire seconde puisqu'elle est déjà plus consciente et s'étend à des cas nouveaux et imprévus. Entre les deux pratiques que nous venons de distinguer se situe un événement décisif : la découverte. Le maître, qui l'empêcherait en la devançant par ses explications, la favorise en s'y intéressant quand elle se produit, et au besoin la sollicite avec discrétion. Si la remarque qu'il escompte n'est pas faite, il passe outre et attend une autre occasion ; si elle l'est, il en tire parti, mais sans lourdeur ni insistance. Elle se renouvellera, faite par d'autres élèves ou par un même élève sur d'autres textes. Le pratique seconde s'affermit par ces répétitions inévitables et nécessaires.

La "prise de conscience" est donc beaucoup plus nuancée et beaucoup plus souple que dans la leçon d'autrefois. Elle est aussi plus réelle, car il y a quelque impropriété à parler d'une prise de conscience quand la notion nouvelle est communiquée par le maître et enregistrée par l'élève.

Définitions et règles

L'abus qui a été fait des définitions et règles n'est pas imputable aux instructions anciennes. "Il ne s'agit pas, lit-on dans celles de 1923, de formuler des définitions abstraites dont une connaissance approfondie ferait vite apparaître le caractère artificiel". L'avertissement avait déjà été donné, avec insistance, par une circulaire datée du 28 septembre 1910, qui expliquait comment avait été établie la nomenclature grammaticale fixée par l'arrêté du 25 juillet 1910. Ce texte, malgré son ancienneté, reste aujourd'hui d'un grand intérêt.

"Les formes grammaticales doivent s'apprendre par des exercices pratiques appropriés et la syntaxe par l'observation méthodique des textes".

"De parti pris, la Commission n'a pas donné de définitions. Presque toutes celles que les grammairiens ont proposées sont ou inexactes ou trop difficiles pour les petites classes c'est-à-dire plus nuisibles qu'utiles à un enseignement rationnel".

"L'enfant peut arriver par intuition à comprendre les premiers termes de la grammaire. L'observation bien conduite lui fera distinguer, dans un texte, les noms, les pronoms et les verbes sans qu'il soit absolument nécessaire de les définir".

Ces avertissements n'ont pas suffi. L'abus des énoncés abstraits a été et demeure le fléau de notre enseignement grammatical.

Les dénominations utiles - qu'on évitera de compliquer - se donnent et se retiennent sur des exemples concrets, en évitant les généralisations abusives telles que : les verbes sont les mots qui expriment l'action du sujet. L'important n'est pas que l'enfant récite une définition du verbe, mais qu'il reconnaisse les verbes et sache les conjuguer ; et c'est à la possibilité de les conjuguer qu'il les reconnaîtra bientôt.

Si pour rendre plus juste l'énoncé d'une règle, on le complique, on le rend moins compréhensible pour l'enfant : et même si la règle est exactement récitée, même si elle est comprise, c'est souvent peine perdue, car les règles apprises ne sont d'un secours réel qu'à celui qui se pose des questions sur ce qu'il écrit.

Pour que les règles en forme rendent quelque service, il faut qu'elles soient très peu nombreuses, claires, simples et que chacune apparaisse comme le "poteau indicateur" d'une pratique déjà repérée et suivie ; oralement élaborée en classe, la règle sera ensuite apprise, avec l'exemple joint.

Les exercices grammaticaux

Si l'exercice grammatical n'a pour but que de vérifier l'application d'une règle qui vient d'être énoncée, ou d'attacher des désignations aux mots d'une phrase, il est assuré de rester sans effet tant sur le langage de l'enfant que sur son intelligence des constructions ; et de fait, les exercices de ce type se révèlent inefficaces pour un grand nombre d'élèves. Il n'est pas moins certain que, mieux conçus et mieux motivés, les exercices grammaticaux peuvent être très stimulants et très profitables.

Tel est le cas d'exercices destinés, sans recours à la nomenclature grammaticale, à familiariser l'élève avec des structures qu'il ne mettait pas spontanément en œuvre. C'est ce qui se produit par exemple pour les tournures interrogatives, et dans les exemples qui suivent, empruntés à des expériences récentes, faites sous l'égide de l'I. N. R. D. P.

Dans un C. P., la maîtresse a trouvé dans des textes d'élèves des phrases qui pourront motiver l'emploi de "qui". Au lieu de "Geneviève a une poupée. La poupée ne parle pas", on a dit "Geneviève a une poupée qui ne parle pas". La maîtresse demande s'il y a des élèves qui auraient envie d'écrire deux petites histoires attachées avec le mot "qui". Certaines des phrases alors produites sont réussies, d'autres comme : "Le petit âne qui s'ennuyait à la ferme" restent en suspens. L'exercice se poursuit oralement, et des élèves peuvent offrir des phrases plus satisfaisantes. Le terme "pronom relatif" n'a pas été prononcé.

La structure n'est pas encore fixée : aussi la maîtresse organise-t-elle, quelques jours après, un exercice oral rapide qui fera jouer les réflexes. Elle propose deux phrases telles que "Françoise a une poupée, le poupée s'appelle Christiane". Un élève donne la répartie : "Françoise a une poupée qui s'appelle Christiane" ; et ainsi de suite, la maîtresse variant les phrases d' "amorce". Cette activité s'apparente aux "exercices structuraux" (en usage dans l'apprentissage des langues vivantes). Il faut choisir entre les occasions très nombreuses de les utiliser, et les mener avec entrain, afin d'écarter les risques de monotonie et de passivité communs à tous les exercices destinés au montage d'automatismes.

Les transformations de phrases (par exemple, d'une affirmative faire une négative ou une interrogative), les substitutions (remplacement d'une structure par une autre, d'un mot ou d'un groupe de mots par un autre sans changement de structure), les déplacements (en particulier de compléments circonstanciels), les adjonctions ou soustractions à la phrase s'inscrivent dans le cadre qui vient d'être décrit, mais peuvent également donner lieu à d'autres exercices où la répétition intervient moins et la réflexion davantage. Ces exercices servent tout à la fois à affermir l'usage de certaines constructions et à mieux élucider les notions qui les régissent, en introduisant en tant que de besoin les dénominations grammaticales. Il est conseillé aux maîtres de ne pas répartir ces exercices selon un ordre préétabli - celui, par exemple, d'un manuel - mais d'en user selon les besoins constatés, en liant ces exercices le plus souvent possible à d'autres activités de la classe, que celles-ci se situent ou non dans l'horaire attribué au français. C'est ainsi par exemple que les activités coopératives peuvent susciter des exercices portant sur la manière de poser une question à partir de la présentation d'un projet, ou les activités sportives sur la manière d'énoncer une règle ou une consigne.

La reconstitution de texte, dont nous avons déjà parlé, offre un moyen souple et efficace de mettre les élèves en possession de structures variées. Elle peut porter sur un texte écrit dont l'observation préalable sera assez poussée pour permettre la mention de faits grammaticaux, mais sans qu'on s'attarde à leur analyse. On s'attachera au rythme, à l'enchaînement des phrases, aux groupes de mots et aux articulations dans la phrase. On utilisera de préférence de bons textes littéraires, exempts de complications : ils présentent, en effet, une plus grande richesse de structures que des textes d'élèves même mis au point.

Problèmes de progression

L'habitude se perd de procéder par désignation, définition et subdivision d'espèces successivement introduites et minutieusement détaillées. Sans doute voulait-on munir d'abord l'enfant d'éléments simples, dont on lui montrerait ensuite le montage dans la proposition, dans la phrase. Pour aller du simple au complexe, on retardait ainsi le maniement des structures. Or la phrase forme une unité, où les mots se disposent en groupes. L'enfant qui constitue spontanément de tels groupes en reconnaît plusieurs types dès le C. E. Les déterminants du nom peuvent alors apparaître à l'intérieur de son groupe : les adjectifs possessifs et démonstratifs, les pronoms se déterminent ainsi par substitution sans trop de difficulté et finissent par recouper les autres éléments qui se dégagent du groupe ou des groupes sujet, du groupe ou des groupes complément.

L'ordre des constatations, découvertes et exercices nés de la lecture, de l'expression orale et écrite, des préparations de dictées, etc., ne peut, nous l'avons vu, se fixer d'avance. Une certaine progression, à caractère très souple, doit cependant être envisagée.

Pour l'ensemble des questions, la progression de 1961 peut encore servir, à condition d'être lue à la lumière des présentes instructions et des rectifications qu'elles apportent. On cherchera dans cette progression des indications non sur la formation des notions grammaticales, mais sur l'époque où il conviendra de les récapituler. Ces récapitulations, par lesquelles le maître s'assure que telle ou telle notion est bien possédée par toute la classe, donnent évidemment l'occasion de combler des lacunes et d'éliminer des incertitudes.

Les questions propres au C. M.

Du C. E. au C. M., les méthodes ne varieront pas. Des textes plus complexes, ou examinés sous de nouveaux aspects, prêteront à d'autres découvertes, du même type et par les mêmes voies que dans les premières classes élémentaires. Il est vrai, cependant, que les récapitulations deviendront plus nombreuses : encore faut-il savoir les limiter. C'est pourquoi nous demandons qu'il soit fait abstraction, dans l'usage que nous avons recommandé à titre provisoire des instructions de 1961, de la liste exagérément chargée qu'elles donnent des "connaissances grammaticales à l'issue du C. M. 2". Quant à la progression elle-même, rappelons que, depuis la circulaire du 20 juillet 1964, l'attribut de l'objet, le complément d'attribution, la distinction entre le sujet apparent et le sujet réel, les particularités orthographiques des indéfinis et des numéraux ne figurent plus parmi les connaissances requises à l'entrée en sixième. Remarquons toutefois qu'il serait surprenant que l'on n'eût pas rencontré dans les textes des phrases à sujet apparent distinct du sujet réel, et que cette rencontre n'eût donné lieu à aucune remarque. Si, par exemple, on lit qu' "il tombe de gros flocons de neige", on s'apercevra bien que le verbe reste au singulier, et que ce sont les flocons qui tombent.

Mais nous irons plus loin dans l'élagage d'un programme où figurent trop de notions que les élèves ne peuvent s'approprier, en fait, à l'école élémentaire. Renvoyant à la Sixième l'étude de la voix pronominale, on s'abstiendra au C. M. 2 d'étudier autrement que par des remarques sur des rencontres occasionnelles les règles d'accord des participes passés des verbes pronominaux. On s'abstiendra également de listes orthographiques de noms composés (quelques remarques sur les pluriels de ces noms suffiront). S'il faut apprendre, et avec soin, que certains verbes très usités se conjuguent à la voix active, avec l'auxiliaire "être" (et quelques autres verbes tantôt avec "avoir", tantôt avec "être"), cette étude ne doit pas se compliquer, même au C. M. 2, par les difficiles notions de transitivité et d'intransitivité.

Une autre simplification recommandable concerne les compléments du verbe. C'est peut-être la plus importante dans la pratique, parce qu'elle se rapporte à des notions anciennement et couramment enseignées. Après les compléments de lieu et de temps, on a distingué en effet ceux de cause, de manière, de but, de moyen, d'agent, de condition, et toutes ces étiquettes sont souvent exigées dans les analyses. Or, que le complément soit un nom avec ses déterminants ou une proposition, cet étiquetage est sans avantage appréciable. Aucune liste n'épuisera les nuances de sens possibles, et les catégories interfèrent. L'important est que les enfants, ayant acquis au C. E. la notion de complément du verbe, apprennent au C. M. à reconnaître le complément d'objet direct, condition du passage de l'actif au passif ("le coureur atteint la ligne d'arrivée", "la ligne est atteinte par le coureur"). quant aux compléments, de lieu et de temps, que les enfants reconnaissent aisément et désignent volontiers, il n'y a pas d'inconvénient à les nommer, même dès le C. E., mais comme exemple de complément de verbe, en faisant observer que les compléments donnent souvent toutes sortes d'autres renseignements.

Les conjugaisons

Les déconvenues apportées par l'enseignement des conjugaisons ne sont pas nouvelles. Selon un sondage statistique sur lequel les instructions de 1938 nous renseignent, on avait observé au certificat d'études que 55 % des fautes d'orthographe portaient "sur les formes du verbe, abstraction faite des fautes d'accord du participe passé". Nos conjugaisons font difficulté pour de multiples raisons, telles que l'homophonie de l'infinitif et du participe passé pour les verbes du premier groupe ou la grande variété de formes que présentent de nombreux verbes du troisième groupe, parmi les plus usités en français. Il faut au maître beaucoup de patience et de persévérance pour ne pas renoncer trop tôt à revenir sur ce que les élèves "devraient savoir", mais en fait ne savent pas encore bien.

La persistance de certaines fautes peut être le symptôme de confusions tenues pour invraisemblables. La tenace confusion d' "être" et d' "avoir", en particulier, surprend l'adulte instruit. Elle a sa source dans le langage du jeune enfant, où elle se produit avant que soit bien perçue la différence entre "ai" et "est". Elle risque de se maintenir plus longtemps qu'on ne l'imaginerait. C'est ainsi que "j'ai été", pour "je suis allé", devient aisément "je suis été", sans préjudice de "elles sont été" et qu' "avoir" est souvent substitué à "être" dans la construction des temps composés et des formes pronominales. Les erreurs de ce genre ne se corrigent pas en apprenant une liste de verbes intransitifs, ou tantôt transitifs et tantôt intransitifs. Mieux vaut recourir à des exercices analogues à ceux que nous avons décrits plus haut pour l'apprentissage des structures grammaticales, et se préoccuper d'habituer l'élève aux formes correctes : en les "apprenant" ensuite, l'élève ne fera qu'en confirmer l'usage.

Malgré ces soins, les remarques à faire, les fautes et les corrections se répéteront longtemps. Mais la répétition machinale et non motivée est vaine. Le grand adversaire est ici l'ennui, et c'est pourquoi l'emploi de conjugaisons en guise de punition est particulièrement nuisible.

Au surplus, la récitation répétée d'un temps de verbe, même rapide et exempte de fautes, ne garantit pas que l'élève saura reconnaître et écrire l'une des formes de ce temps lorsqu'il la rencontrera. Cette récitation a son utilité surtout comme récapitulation, et cette utilité même est le fruit d'activités bien antérieures : les formes que ce temps rassemble auront été séparément rencontrées dans les lectures, employées dans les textes rédigés, et au besoin dans des exercices ; elles auront donné lieu à des remarques, en particulier sur les terminaisons, telles qu'on les entend et telles qu'on les écrit. L'attention aura été portée sur des constantes : les terminaisons qui se retrouvent à une même personne ("s" pour "tu" ; "nt" pour "ils" ou "elles" ; "ons" pour "nous" ; "ez" pour "vous"), ou à un même temps (imparfait, futur, conditionnel présent) ; et l'occasion aura pu se présenter d'observer des exceptions comme "vous dites" et "vous faites". Quand le moment sera venu d'étudier ce temps, mieux vaudra, d'ordinaire, ne pas commencer par le groupement des six formes. Il sera plus efficace de retrouver et de confirmer d'abord l'emploi oral et écrit d'une seule personne, puis de deux ou trois.

S'il est possible de prévoir pour les conjugaisons une progression précise, il conviendra de ne jamais oublier les considérations de méthode qui précèdent. La progression que nous proposons énumère, pour chaque classe, certains temps de certains verbes. Ce sont les temps dont l'étude doit être entreprise dans cette classe, et poussée jusqu'à la récapitulation. Mais il va de soi que les élèves se familiariseront au cours de la même classe avec d'autres formes verbales, selon le processus qui a été décrit.

Choix des verbes

C. E. l. - Un verbe en "er" (type "chanter"), "avoir", "être", "aller".

C. E. 2. - Les mêmes verbes, en ajoutant un verbe du type "finir", et les verbes "venir", "faire", "voir" et "prendre".

C. M. - Les mêmes verbes, en ajoutant ceux d'une liste à répartir entre C. M. 1 et C. M, 2 : "partir", "recevoir", "devoir", "savoir", "vouloir", "falloir", "rendre", "boire", "croire", "dire", "écrire", "vivre".

Remarques orthographiques sur les verbes en "cer", "ger", "ier", "ver", "yer".

ce choix tient compte du grand nombre de verbes très usités du troisième groupe. On a légèrement accéléré au début la progression actuelle et sensiblement réduit les exigences à l'issue du C. M. 2. En effet, si les conjugaisons étudiées dans les classes élémentaires sont bien sues, il sera facile d'y ajouter en sixième ; tandis que, dans l'hypothèse contraire, tout reste à faire en sixième, avec échec probable.

Choix des temps

C. E. 1. - Indicatif présent, futur, passé composé (le verbe étant désigné à l'infinitif, on fait évidemment connaître cette désignation).

C. E. 2. - Les mêmes temps, en ajoutant l'imparfait, l'impératif (présent), le participe présent et le participe passé.

C. M. - Les mêmes temps, en ajoutant le plus-que-parfait, le passé simple, le futur antérieur, le conditionnel présent, les subjonctifs présent et passé, initiation au passif.

La circulaire du 20 juillet 1964 a déjà rendu facultative au C. M. 2 l'étude systématique du subjonctif imparfait et des conditionnels passés. Il en sera de même du passé antérieur. Cela ne signifie pas que le passé antérieur et le conditionnel passé deuxième forme, par exemple, seront négligés s'il advient qu'on les rencontre dans des textes : la démarche que nous avons longuement décrite vaut pour eux comme pour les formes composées du participe et de l'infinitif : et il va de soi que la première forme du conditionnel passé ne peut être ignorée.

Les formes du futur et celles du passé qui figurent dans la progression correspondent à des notions dont la perception peut être facilitée par des exercices introduisant des termes tels que "maintenant", "en ce moment", "aujourd'hui", "à présent", "demain", "plus tard", "ensuite", "la semaine (ou l'année) prochaine", "dans un mois", "hier", "avant-hier", "auparavant", "jeudi dernier", "l'année dernière", "il y a (ou il n'y a pas) longtemps" : des phrases avec un verbe au temps voulu seront alors construites à partir de ces expressions.

Les notions de présent, de passé et de futur étant liées, il faut, dès le C. E. l, étudier un temps du passé de l'indicatif : on a choisi le plus usuel. Avec l'imparfait, dont la conjugaison est réservée pour le C. E. 2 (mais que l'on aura déjà rencontré dans les textes et qui aura donné lieu à remarques), les nuances deviennent plus subtiles. Il sera bon de construire des phrases qui exigent l'imparfait ; de même, au C. M. pour le plus-que-parfait, le passé simple, le futur antérieur. Quant au conditionnel, on aura soin de construire des phrases avec "si", afin d'éliminer la faute "si j'aurais". Le passé simple, abordé et traité sans précaution, est une source inépuisable de barbarismes. On insistera surtout sur les formes de la troisième personne, plus usitées.

 

POÉSIE

 

De tout temps, et en tous pays, l'éducation a fait appel à la poésie : elle y puisait comme à une source de science, de sagesse et d'enthousiasme. La science a pris son autonomie : et il est arrivé que la trop sage exploitation scolaire des poèmes se fasse un peu morose. Pourtant, l'élève, touché par un poème, éprouve un pouvoir du langage auquel l'apprentissage de la seule communication pratique le laisserait étranger ; et la poésie fait aimer la langue qui la porte. Que serait l'enseignement de la langue s'il la réduisait à ses seules fonctions prosaïques ? II se priverait lui-même d'éclat, de chaleur et de joie. Dans un enseignement heureux, la poésie est présente : et il ne la cantonne pas dans un coin de l'horaire, il en reçoit tout entier le rayonnement.

Il a été reproché à l'école élémentaire de ne donner, au contraire de l'école maternelle, que peu de satisfactions aux besoins esthétiques de l'enfance et à son appétit de création. Il ne faut pas que ce reproche soit mérité. C'est surtout par la récitation que la poésie apparaissait dans nos classes, et l'on voyait dans cet exercice un moyen d'enseigner l'usage correct des mots et des tours de notre langue en mettant à profit le soutien que le rythme prête à la mémoire. Mais ces motivations, intéressantes pour le maître, sont nulles pour l'enfant ; et une récitation apprise à contrecœur ou par simple docilité ne donne pas de contact avec la poésie, elle en détourne.

Un poème ne doit pas être d'abord en classe un morceau qu'il va falloir apprendre ; et le maître se trompe s'il s'attribue le choix des poèmes que tous ses élèves devront être prêts à réciter même s'ils ne les aiment pas.

Les résonances intimes qui font qu'un poème plaît à l'enfant échappent au maître ; il se gardera de s'immiscer dans des motivations si profondes. Il lui appartient de présenter à la classe des poèmes susceptibles d'entrer dans la vie de celle-ci, et parmi lesquels il laissera à chaque élève la possibilité de choisir.

Pour cette présentation, le maître sera attentif aux demandes éventuelles des élèves ; il pourra s'inspirer d'un thème d'études en cours, de même que le poème pourra suggérer un thème d'étude nouveau. De toute manière, le choix, que le maître ne se laissera pas imposer par un manuel ou un recueil, exige de sa part une recherche. Il sera guidé par sa sensibilité, sa culture, son goût - en n'oubliant jamais qu'il s'adresse à des enfants. Il fera au C. P. large place aux chansons et comptines ; il ne les négligera pas dans les classes ultérieures. Il ne sera guère tenté, aujourd'hui, d'offrir en guise de poésie quelque versification moralisante, selon un usage qui semble bien appartenir à un passé révolu. Ses propres préférences ne justifieraient pas non plus le choix de poèmes qui par l'ampleur descriptive ou oratoire, la portée philosophique, la rareté du vocabulaire, ou par la nostalgie propre à l'adulte ou au vieillard évoquant sa propre enfance, dépassent le degré de maturité intellectuelle et affective des élèves.

En revanche, une pratique déjà fréquente atteste qu'il est bon d'ouvrir à l'enfance un vaste champ poétique dont on l'a longtemps écartée. Les maîtres qui ont su faire appel à des textes bien choisis d'Apollinaire, d'Éluard, de Supervielle - dont les noms ne sont cités ici qu'à titre d'exemple - ont éprouvé que les enfants vont volontiers à des rythmes et assonances non traditionnels et aux images les plus imprévues. Il est sans doute à peine besoin d'ajouter que, pour leur donner ainsi accès à la poésie contemporaine, on ne se croira pas tenu de les priver de La Fontaine et de Victor Hugo.

Pour présenter le poème, le maître le fera d'abord entendre. Le disque peut y servir, si la diction enregistrée est bien distincte et exempte de déclamation comme de vulgarité. Si le poème est dit ou lu par le maître, il se gardera de le présenter par une dictée, et il veillera bien à sa propre diction. Juste, elle sera exempte d'emphase et d'afféterie, libre aussi d'une timidité ou d'un parti pris d'impassibilité qui la rendrait égale et froide. La présentation enfin peut être faite par un élève si sa voix est assez forte et son élocution assez nette pour qu'il soit bien entendu. Au reste, si cette présentation est insuffisante, le maître la reprend en relisant ou redisant lui-même le texte en cause. La lecture silencieuse par les élèves ne vient qu'ensuite.

Faut-il expliquer ces textes ? on expliquera au besoin tel mot dont l'incompréhension serait un obstacle, mais la paraphrase, la glose, le commentaire sont propres à détruire l'attrait poétique. Il est naturel que l'enfant voie plus tard de lui-même, dans un poème aimé qu'il aura retenu, des significations qui lui avaient d'abord échappé ; et mieux vaut renoncer à présenter un poème qui exigerait trop d'explications. La pire erreur - fréquente pourtant dans les recueils scolaires - serait de dire aux enfants ce qu'il faut qu'ils admirent, à quel moment ils doivent être émus.

Parmi ces poèmes entendus en classe, certains plairont davantage. Des préférences personnelles se manifesteront, et la joie éprouvée à entendre des vers bien dits appellera celle de les bien dire soi-même. Elle peut être chez les enfants particulièrement vive, et elle est contagieuse. Pour dire le poème sans le secours du livre, il y aura des volontaires au C. M. dès le début de l'année scolaire, un peu plus tard sans doute au C. E. La désignation par ses camarades de l'élève chargé de dire en classe, ou au magnétophone, un poème destiné à des correspondants est aussi une source de plaisir et d'incitation à une bonne diction.

Bien dire un poème, ce n'est pas reproduire des intonations imposées ; c'est respecter les quantités, les accents, les rythmes : c'est épouser le mouvement du vers en y accordant la respiration. Le maître s'attachera à communiquer aux élèves le sentiment des exigences de la diction. "Il faut (...) leur faire sentir comment, par la prononciation, un vers peut devenir 'faux', c'est-à-dire perdre sa cadence rythmée ; il faut veiller à l'articulation des syllabes habituellement muettes et qui en poésie doivent être prononcées, veiller au maintien des liaisons nécessaires au nombre régulier des syllabes" (Instructions de 1938). Le plaisir qu'apporte une diction juste permet ces exigences : on ne les poussera pas jusqu'au point de le gâter.

L'enfant sera mieux aidé à percevoir et respecter les accents et les rythmes si l'étude du poème est associée à des activités de rythmique musicale et corporelle. Cela ne peut se faire qu'en classe. De fait, pour que les élèves "apprennent à apprendre" une poésie, il faut que quelques-unes soient apprises en classe, par audition et répétitions, éventuellement par une récitation à plusieurs voix ou par une récitation en chœur qu'il pourra être opportun de soutenir par un accompagnement musical. Le texte appris doit être su très exactement : du poème, rien ne doit être perdu ; au poème, rien ne peut être changé.

La technique de la reconstitution de texte peut être utilisée aussi dans cet apprentissage, car le rythme, la rime, les coupes, le mouvement que l'œuvre entraîne à épouser facilitent cette reconstitution et donnent à son exactitude une valeur particulière.

Le maître a soin que les textes sur lesquels porte l'apprentissage collectif soient de ceux qui plaisent le plus. Ils peuvent être désignés par un vote après débat. Si la classe est d'avis partagés, des textes différents peuvent être étudiés par des groupes distincts.

Si après un tel entraînement et malgré l'exemple donné par des camarades plus entreprenants, certains élèves s'abstiennent encore d'apprendre individuellement un poème à dire en classe, le maître les invitera à le faire, tout en respectant leur liberté de choix.

Celle-ci peut s'étendre, pour chaque élève, à des poèmes qui n'ont pas été présentés à la classe - par exemple parce que le maître les a jugés trop difficiles. Bien entendu, cette liberté n'exclut ni les conseils du maître ni le cas échéant (mais ce cas sera exceptionnel) son refus de ratifier le choix de l'élève.

La bibliothèque de classe aura ses livres de poésie. Les poèmes qui auront eu le plus de succès au cours des années précédentes y seront rassemblés en une anthologie formée par le maître. Surtout, il encouragera les enfants à composer leurs propres anthologies, dans un cahier - ou un classeur - de poésie, librement illustré par eux. Ce trésor sera personnel, le maître n'exigera pas qu'il lui soit soumis. En classe, les enfants auront appris à écrire les vers de leur meilleure écriture, à bien répartir les blancs, les marges, à donner une belle image visuelle du poème. Ils sentiront bien que leur cahier de poésie a besoin d'être beau.

Les activités qui viennent d'être décrites, si fécondes qu'elles puissent être, ne satisfont pas totalement l'ambition de mettre en jeu les facultés créatrices de l'enfant. Peut-on définir des méthodes propres à le porter à une expression poétique autonome et sincère ? De premières expériences tentées à cette fin ont donné des résultats encourageants. Elles font appel au pouvoir de mots et de thèmes. Des mots du langage quotidien, tels que pain, rivière, nuage, fontaine, nuit, feu, sont comme munis d'une charge affective et figurative. A partir de tels mots, des associations verbales peuvent se former en réseaux, d'où se dégageront peut-être des ébauches de poèmes. Les thèmes du cheval, du vent, du feu, émeuvent la sensibilité de l'enfant, amènent un affleurement de souvenirs et d'images.

Nous en sommes encore, devant ces expériences, à une réflexion naissante. Mais sans recours à une systématisation, l'accueil fait à la poésie dans une classe confiante favorise des expressions inattendues et touchantes de l'imagination enfantine. Des dessins, des coloriages, des gouaches en témoignent. Les écrits aussi peuvent offrir des trouvailles surprenantes. Sans s'appesantir sur elles, le maître montrera qu'elles lui ont plu. Peut-être certains textes prendront-ils forme de poèmes. Le maître s'y intéressera, sans s'extasier. Il s'abstiendra de procéder à une mise au point de ces textes, sans s'interdire de les insérer dans un recueil de classe ou d'y faire reconnaître un thème qui apparaît dans une oeuvre de poète.

Ces trouvailles des enfants, ces tentatives d'élaboration poétique embarrassent parfois l'instituteur parce qu'il sait qu'elles risquent de susciter de pauvres imitations. Mais si la vanité n'a pas été flattée par des éloges inconsidérés, le défaut de succès ne causera pas de blessure.

L'essai manqué sera sans lendemain : ce n'est pas grave. L'essai réussi donnera du bonheur.

 

CONCLUSIONS

 

Un et continu dans sa diversité, l'enseignement du français à l'école élémentaire est tout entier en cause dans chacune des activités qu'il engendre. Tout exercice spécialisé, d'autant plus efficace que le maître le relie mieux au reste de son enseignement, concourt à une fin qui dépasse son objet immédiat. Chacun s'insère dans l'apprentissage d'ensemble grâce auquel la langue française devient pour l'élève l'instrument plus maniable d'une communication progressivement délivrée des contraintes de l'ignorance. A partir des notions qui sont déjà les siennes et de l'usage spontané qu'il en fait, c'est à un langage plus élaboré que l'élève s'initie et s'exerce par cet apprentissage, qui mobilise ses ressources linguistiques et les accroît en mettant en jeu son activité, son pouvoir d'observation et de raisonnement, sa mémoire, son imagination, sa "créativité".

Ainsi orientées, les recommandations que l'on a lues s'inscrivent, comme il était annoncé, dans l'évolution en cours des conceptions pédagogiques, tout en s'harmonisant avec plusieurs des directives qu'offraient les instructions antérieures. Associées à la réorganisation que l'arrêté du 7 août 1969 a inaugurée en instituant le "tiers temps", ainsi qu'aux mesures prises pour fortifier la formation initiale et continue des maîtres, les méthodes préconisées sont déjà familières à ceux des instituteurs qui en ont démontré l'efficacité par l'exemple. Pour d'autres, elles seront plus nouvelles. S'ils participent à des stages d'information, s'ils enseignent dans une école à plusieurs classes et si elle est le lieu d'une coopération pédagogique effective, l'étape sera plus aisément franchie. Il appartient aux inspecteurs départementaux de l'Éducation nationale de tout mettre en œuvre pour y aider en s'intéressant plus particulièrement aux maîtres isolés. Au surplus, les présentes instructions recevront des compléments sous la forme de recommandations que je demanderai, éventuellement, à l'Inspection générale de formuler, et de fiches pédagogiques diffusées par l'I. N. R. D. P.

Nous nous bornerons pour finir à ajouter quelques indications sur l'organisation du travail détaillé dans les chapitres précédents.

L'abondance des possibilités peut embarrasser le maître. La classe offre sans cesse des occasions de lire ou de rédiger, occasions qu'il convient d'exploiter si l'on veut éviter de limiter la lecture aux leçons qui lui sont spécialement réservées, ou le travail écrit à une rédaction hebdomadaire - ce qui serait très mauvais. Les occasions de parler utilement sont multiples, elles aussi. Lecture, rédaction, entraînement oral, qui appellent et suggèrent toutes sortes d'exercices, orthographiques, grammaticaux ou autres, fournissent en même temps maintes incitations au libre jeu de l'imagination enfantine. Comment ordonner efficacement toutes ces activités, en observant les gradations qui ont été marquées du C. P. au C. M. 2, et sans retomber dans l'ancien compartimentage ?

La difficulté varie beaucoup selon le style de l'enseignement. Les maîtres experts dans la mise en oeuvre des méthodes actives et coopératives n'ont guère à craindre que l'attention de leurs élèves se dissipe en agitation ou se perde en rêveries. Au contraire, leurs élèves n'interrompent leur travail qu'à regret, et le danger serait de méconnaître, faute de signes apparents, la fatigue qui résulte d'un effort si soutenu.

Le travail motivé ayant sa dynamique, il n'est pas bon d'écourter les exercices que soutient l'enthousiasme, ce qui ne sera pas le cas, il s'en faut, des seules activités tenues pour ludiques. Il faut donc ménager des pauses, non à des heures fixes, mais selon le rythme de travail, soit pour un repos total ou une dépense physique libératoire, soit pour des activités telles que le chant, une audition musicale, la conversation libre. La lecture silencieuse peut également servir d'intermède. D'une façon générale, il est bon de varier les activités, la variété étant par elle-même, à condition qu'elle ne soit pas factice et forcée, un facteur de détente. Outre ces pauses et cette variété, le remède à la fatigue intellectuelle qui naît d'un travail intense, se trouve dans la mise en oeuvre du tiers temps toutes les fois qu'il peut être pratiqué.

Pour distribuer le travail dans l'année, le mois, la semaine et même la journée, le maître a besoin, néanmoins, de vues plus générales. Son choix réfléchi répondra nécessairement aux exigences de l'observation, de la motivation et de la cohérence.

L'observation attentive du langage des enfants dans les deux premières semaines de l'année scolaire - observation de leur langage oral au début du C. P., oral et écrit au début des classes ultérieures, les insuffisances étant ainsi repérées sur deux claviers - apportera bien entendu des indications spécifiques très variables. Le maître établit le dossier de ses observations et c'est en se fondant sur elles, sur les présentes instructions et sur les autres éléments de documentation pédagogique qui sont à sa disposition qu'il peut alors esquisser son plan de travail pour l'année. Si l'école comprend plusieurs divisions pour une même classe, la comparaison des observations et des plans, à laquelle il est souhaitable que le directeur participe, ne pourra manquer d'être féconde.

Il sera difficile, au C. P., de rassembler tous les exercices de lecture dans la seule matinée, étant donné leur nécessaire fréquence et la moindre durée de l'effort qui peut être soutenu par les élèves. Les activités d'éveil offriront heureusement bien des occasions de lire : et les exercices d'écriture, les moments d'expression orale et écrite se grouperont d'une manière assez naturelle autour de l'apprentissage central, à tout moment.

Dans les classes ultérieures, toutes les occasions de lire continueront d'être saisies, quels que soient la nature et le moment du travail entrepris : mais les séances de perfectionnement, encore indispensables (en particulier lecture à haute voix pour l'amélioration de la prononciation, de l'articulation, de la diction en général), devront se situer à des moments réservés de la matinée. Dans ces classes, le double souci de la motivation et de la cohérence conduira le maître à déterminer, pour l'ensemble des enseignements dont il a la charge, un certain nombre de thèmes de travail. Tel thème d'une efficacité souvent éprouvée pourrait ne pas convenir à une classe donnée. Entre les sujets pour lesquels l'intérêt le plus vif se sera manifesté au cours des activités d'éveil et des entretiens, le maître se décidera, selon le parti à en tirer, compte tenu de ses propres connaissances et de la facilité pour les élèves de trouver des éléments d'information à leur portée. Il arrive que l'étude de certains thèmes puisse s'échelonner sur une seule semaine ; elle s'étendra d'ordinaire sur une période plus longue, selon la persistance de l'intérêt que manifesteront les élèves.

Quand un thème a été choisi, bien des questions se posent. Comment sera-t-il abordé ? Quelles sont les recherches qui pourront se faire rapidement, celles qui demanderont plus de temps ? Quels sont les documents disponibles, où les trouvera-t-on ? Qui pourra-t-on utilement interroger ? Comment diviser le travail ? ces questions font l'objet d'un débat préalable et cet exercice d'expression orale aboutit d'autre part à l'établissement d'un plan de travail que chacun recopie soigneusement et conserve par devers soi.

Durant toute la mise en oeuvre de ce plan, le maître s'assure que les élèves ne se laissent pas arrêter par des difficultés que ses conseils peuvent leur épargner ou leur permettre de surmonter. Une documentation est réunie, elle est surabondante, elle doit être triée ; certains documents se complètent, il faut grouper les informations qu'ils apportent. On lit, on résume, on recopie, on dessine, on dresse des tableaux synoptiques, certaines questions sont l'occasion d'enquêtes, de recherches en groupe, et conduisent à la présentation de petits exposés, d'autres à des travaux de rédaction contrôlée et de mise au point. Des ramifications et des développements imprévus apparaissent, et c'est à un risque de foisonnement que le maître doit veiller. Une étude bien réussie s'achève souvent par une exposition : de toute façon, le dossier constitué demeure dans les archives de la classe. Chemin faisant, de multiples occasions d'exercices systématiques auront ainsi été trouvées, et partiellement exploitées. Mais il serait bien excessif de vouloir rattacher systématiquement toutes les activités de la classe à l'étude exclusive d'un seul thème ; le thème offre un fil conducteur : au maître de faire en sorte que ce fil ne devienne pas une chaîne.

Il n'est pas question d'examiner ici tous les autres problèmes que pose la conduite de la classe. Remarquons simplement, à propos de la correction des travaux écrits, que l'enfant est habituellement fort déçu si le maître ignore le résultat de son effort : c'est pour ceux qui ont fait de leur mieux que la déception est la plus grande. Si les travaux des élèves sont trop nombreux pour être corrigés tous en détail, le maître réservera une partie d'entre eux pour une vérification approfondie, en prenant soin qu'aucun élève n'en soit longtemps privé ; les autres n'en feront pas moins l'objet d'une appréciation rapide. L'usage qui consiste à confier à chaque élève la mission de corriger le travail d'un camarade est à déconseiller, même dans le cas relativement simple d'une dictée : un tel procédé ne peut qu'engendrer les erreurs et les récriminations, si ce n'est la malveillance ou la complaisance réciproques. En revanche l'autocorrection, sous le contrôle attentif du maître, reste conseillée.

Formulées dans le cadre qui les limite, préparant l'avenir mais insérées dans la réalité présente, les présentes instructions ont pour objet d'aider les maîtres dans l'accomplissement pratique de leur tâche. Elles prendront valeur effective par l'action de chacun d'eux. Elles ne suppriment pas les obstacles qu'opposent au maître des situations individuelles, d'origine souvent familiale ou sociale, qui exigent beaucoup d'attention et de bienveillance, et deviennent moins pénibles dès que l'enfant trouve l'occasion d'un succès dans une activité scolaire quelle qu'elle soit. Notre espoir et même notre conviction est qu'en mettant ces recommandations en œuvre, l'école élémentaire rendra l'enseignement du français plus efficace, et qu'elle aidera mieux chaque élève, en évitant ce qui pourrait le décourager, à vaincre ses difficultés propres.

Le ministre de l'Éducation nationale,

Joseph FONTANET.