La Circulaire n° 72-474 du 4 décembre 1972 (Instructions relatives à l'enseignement du français à l'école élémentaire), dont Louis Legrand a pu écrire qu'elle était "l'aboutissement d'un processus fertile en incidents commencé dix ans plus tôt" (in Pour une politique démocratique de l'éducation, p. 142) demeurera célèbre dans l'histoire de la pédagogie française, d'une part en raison de la destinée tragique de son signataire officiel.
Joseph Fontanet, en effet (Ministre de l'Éducation nationale du 6 juin 1972 - il succédait à Olivier Guichard - à la mort du Président Pompidou), homme de convictions, à la capacité de travail étonnante ("Comment vous reposez-vous ? lui aurait demandé le Général de Gaulle - En changeant de travail"), mais aussi et surtout homme (politique et privé) absolument sans tache, fut assassiné par un rôdeur dans la nuit du 31 janvier 1980 (il avait alors 59 ans). A sa mort, d'ailleurs, la vague d'I. O. promulguée dans le sillage de la loi Haby (Orthographe - B.O. n° 25 du 30 juin 1977 - et Contenus de Formation à l'école élémentaire) avait depuis trois ans recouvert son texte.
D'autre part, cette circulaire mettait fin à beaucoup d'impatiences, d'incertitudes et de polémiques, car elle était attendue (ou redoutée) comme une reconnaissance, au moins partielle, des travaux de la Commission "Rouchette". En réalité, l'agitation soulevée par les propositions de la Commission Rouchette avait auparavant entraîné une réaction officielle (B.O. n° 4 du 28 janvier 1971, p. 320) : "Des informations contradictoires et souvent fantaisistes ont été répandues concernant l'enseignement du français dans les classes élémentaires. Je tiens à rappeler que les seuls textes qui doivent actuellement guider les maîtres sont les instructions officielles en vigueur [C'est-à-dire, à l'époque, celles de 1945, renvoyant aux "Instructions de 1923 et de 1938, qui n'ont pas vieilli"...]. De nouvelles instructions sont en cours d'élaboration mais, tant qu'elles n'ont pas paru, aucun texte ne peut se substituer aux anciennes ni anticiper les nouvelles. [...] Seules sont autorisées ... les expériences contrôlées par l'Institut national de recherche et de documentation pédagogiques...".
Interprétée, sur le moment, comme un coup d'arrêt à l'égard de toutes les recherches non reconnues officiellement, et donc de l'esprit de rénovation lui-même, cette réaction doit aussi être considérée comme rendue nécessaire pour calmer les esprits si échauffés des opposants au Plan.
Pour la petite histoire, on signalera que la Circulaire du 4 décembre 1972 a été rédigée par l'Inspecteur Général Jean Repusseau, auteur d'un pamphlet sur l'impasse que constitue, selon lui, l'emploi des méthodes traditionnelles (Pédagogie de la langue maternelle), mais aussi et surtout d'une thèse de Doctorat, Imprégnation et concentration dans l'enseignement du français à l'école primaire, qu'il sous-titre plaisamment " Apologie du par-cœur et plaidoyer pour un enseignement livresque " (cf. Enfance n° 4-5, septembre-décembre 1962, pp. 329-373). [Jean Repusseau est récemment décédé, le 17 juillet 2000, à Paris]

Les curieux pourront y rechercher les emprunts (parfois littéraux) au Plan de Rénovation rédigé sous la conduite de l'Igen M. Rouchette, comme les refus violents de nombre de ses conclusions (dont le plus manifeste est évidemment : "On décrie souvent l'enseignement de l'orthographe : ce n'est pas rendre service aux élèves")

 

 

Les présentes instructions traitent de l'enseignement du français à l'école élémentaire. Elles se substituent à l'ensemble des instructions antérieures, d'ancienneté et d'inspiration diverses, relatives au même objet. Si elles en retiennent bien des indications, c'est dans un contexte nouveau, en rapport avec l'évolution de l'organisation scolaire, de l'environnement culturel et de la pensée scientifique.

Changement des structures scolaires : la prolongation de la scolarité obligatoire jusqu'à 16 ans a libéré l'école élémentaire de la nécessité de fournir à ses élèves tout le bagage indispensable pour aborder précocement la vie professionnelle. Elle est ainsi mieux en mesure de veiller à l'éducation équilibrée de chacun des enfants qui lui sont confiés et d'assurer le progrès de tous.

Changement dans l'environnement culturel : l'écolier d'aujourd'hui, tout à la fois mieux pourvu et plus démuni que ses prédécesseurs, subit la fascination qu'exercent sur lui cinéma, radio, télévision, disque, publicité, bandes dessinées. L'école doit mettre à profit l'apport de ces moyens de communication et, simultanément, elle doit aiguiser le discernement des élèves face aux sollicitations et aux agressions auxquelles ces nouveaux moyens les exposent.

Évolution des conceptions pédagogiques : notre connaissance de la psychologie de l'enfant a progressé. L'enseignement du français fait l'objet d'un vaste travail critique et constructif. Ainsi s'enrichissent les notions pédagogiques dont l'école dispose et dont elle ne doit plus tarder à tirer profit si elle veut porter ses résultats à la hauteur de ses ambitions. Un projet établi par une commission préparatoire a servi de point de départ, depuis 1967, à une expérimentation systématique conduite par l'Institut pédagogique national auquel a succédé l'Institut national de recherche et de documentation pédagogiques (I. N. R. D. P. ). La commission de réforme de l'enseignement du français, créée en 1970, s'est efforcée de tirer une première leçon de ces travaux ; un texte d'ensemble, approuvé par elle, a été édité en janvier 1971 par l’I. N. R. D. P. (Recherches pédagogiques n° 47) ; en 1972, elle a publié son texte d'orientation (Mémoires et documents scolaires, Brochure n° 29 M. S., I. N. R. D. P.). Les présentes instructions s'inspirent de tout ce qui, dans ces recherches et dans les autres travaux, notamment ceux des écoles normales, peut être tenu pour acquis. Elles marquent une étape : un enseignement vivant ne peut pas - aujourd'hui moins que jamais - se reposer sur des formules définitives ; mais les recommandations qu'on trouvera dans les pages qui suivent sont fondées sur des principes suffisamment assurés pour que les instituteurs n'aient pas à craindre de les voir prochainement abandonnés. Pour les enfants qui entrent à l'école sans savoir le français et ne le parlent pas chez eux, pour ceux qui présentent des signes prononcés d'inadaptation, des dispositions particulières seront prises.

Si les présentes instructions, contrairement à celles de 1923 et de 1938, traitent séparément de l'enseignement du français, c'est parce qu’il aurait fallu de trop longs délais pour reprendre dans un document unique les textes relatifs à toutes les disciplines que l'école élémentaire enseigne et que ses horaires distinguent. Mais il va de soi que l'enseignement du français s'exerce de façon permanente à travers tous les autres. Dans les activités mathématiques, par exemple, l'utilisation de symboles n'empêche pas que la langue courante serve aux explications et à la formulation des énoncés. Les activités d’éveil fournissent, par le biais de la recherche, de l’observation ou de la description, toutes sortes d'occasions d'employer le langage avec précision et de l'enrichir. Les activités physiques et sportives, elles aussi, appellent une communication orale.

L'instituteur enseigne donc constamment le français. Il l'enseigne plus spécialement dans les dix heures hebdomadaires que l'arrêté du 7 août 1969 réserve à cet effet et auxquelles s'appliquent en priorité les pages que l'on va lire. On y retrouvera, le plus souvent sans référence expresse, les principes fondamentaux de la pédagogie moderne : pédagogie de l’encouragement, de la motivation, de l'activité ; pédagogie qui tout à la fois s’individualise et met en œuvre les méthodes de travail par groupe, en se proposant de développer la personnalité de l'élève.

L'encouragement dont les effets sont les plus sûrs et les plus durables n'est pas celui que l'on cherche à obtenir par un excès de compliments et de récompenses. Il faut d'abord éliminer ce qui décourage : l'ironie devant l'échec, les pronostics qui semblent y condamner. La critique ne devrait jamais être humiliante ni aller au-delà du point particulier qui l'a provoquée. Sous sa forme positive, l'encouragement consiste surtout dans la mise en jeu des motivations scolaires les plus profondes, à savoir l'intérêt que l’écolier porte à son travail et celui qu'il sent chez le maître pour lui-même.

L'intérêt de l'élève pour l'étude est nourri et stimulé si sa curiosité naturelle, son besoin d'activité et d'initiative trouvent à se satisfaire. Cet intérêt ne se soutient que si les exercices qui lui sont proposés sont à sa mesure, la réussite à sa portée, et si l'enseignement s'accorde au processus d'analyse et de différenciation progressive par lequel se transforme la vue globale que l'enfant a d'abord de lui-même et des choses. Plus généralement, l’enseignement doit s'adapter aux rythmes du développement mental et du développement affectif de l'élève, qui ne vont pas nécessairement de pair.

Quant à l'intérêt que le maître porte à la personne de l'élève, celui-ci ne le sent que si ses efforts sont remarqués, avant même de se traduire par un progrès notable. Beaucoup plus efficacement que par un « Pourrait mieux faire » qui sonne encore comme un reproche, le maître évite ainsi que l'enfant, perdant confiance en lui-même, ne s'imagine irrémédiablement enfermé dans la catégorie des « mauvais élèves ».

 

 

OBJECTIFS

 

« Apprendre à lire et à écrire » : tel est, selon une définition généralement reçue, l'objectif de l'enseignement du français à l'école. Mais la formule est évidemment trop sommaire. Il est remarquable qu'elle s'applique seulement à la langue écrite. Est-ce parce que l'enfant « sait déjà parler » quand il entre en classe ? Vraisemblablement, mais les ressources de langage dont il dispose alors sont encore très limitées.

Nous admettrons donc que l'un des objectifs premiers de l'enseignement du français à l’école élémentaire est d’aider les élèves à se rendre progressivement capables de former et d'exprimer oralement une pensée qui s’affirme et s’affine. De même, s'il est vrai que l'élève, en apprenant à lire, se rend capable de s’informer de la pensée écrite d’autrui, n'oublions pas qu’il lui sera profitable aussi d’apprendre à écouter, c’est-à-dire à porter suffisamment d’attention à l’expression orale d'autrui pour la percevoir et la comprendre. Il sera certainement sollicité de le faire dans le cours de la classe : le danger serait qu’il le fût trop souvent, trop longtemps et confusément. Mais ici encore, point d'obscurité sur les objectifs.

Nous dirons donc, dans une formule qui s'applique aussi bien à l’expression orale qu'à l'expression écrite, que l'enseignement du français est donné pour aider l'enfant à communiquer et à penser.

On peut se demander pourtant si cette définition caractérise assez l'enseignement du français à l'école élémentaire, alors qu'elle paraît valoir tout autant pour le secondaire. Les programmes eux-mêmes se prêtent mal à une différenciation : pour l’école élémentaire, ils sont généralement restés des plus succincts. Si l’on peut se passer d'un cadre et de repères, que les présentes instructions se proposent de tracer, il faut convenir que les progrès des enfants dans la connaissance et l'usage de la langue maternelle se déterminent malaisément en termes de programmes ; on se gardera de prétendre fixer en détail une progression rigide et uniforme qui ne pourrait être adaptée à la diversité des enfants, et qu’en conséquence la réalité démentirait.

Suivant une conception ancienne, l'enseignement du français à l’école élémentaire serait essentiellement orthographique et grammatical, l’enseignement secondaire devant faire une part rapidement croissante et bientôt majeure aux études littéraires. C'est ainsi, par exemple, que la liste des connaissances grammaticales supposées acquises à l'issue du CM2 s’est surchargée. En revanche, il faut rappeler que les enfants sont, aujourd’hui comme hier, ravis par la lecture de beaux textes écrits par eux ou pour eux, et souvent, pourvu que le choix soit opportun, de textes qui appartiennent à la littérature pour adultes. L'enfance est l'âge de la poésie, celui dont la fraîcheur laisse toujours un regret. Quelle erreur ce serait donc, lorsqu’on observe que la pensée se forme avec le langage, d’avoir en vue seulement la pensée discursive et logique ! L'enseignement du français est aussi une éducation de la sensibilité, et particulièrement de la sensibilité esthétique ; et il libère, en lui donnant occasion de prendre forme et substance, l’aptitude à l'expression personnelle.

 

SPONTANÉITÉ ET ÉLABORATION

 

S’il semble que les objectifs qui viennent d'être définis sont assez communément acceptés, ils n'échappent cependant pas aux controverses. Les présentes instructions ne dispenseront pas les maîtres de s’interroger : elles veulent les aider à dissiper les doutes qu’ils auraient pu concevoir sur la valeur de leur tâche.

Cette valeur est radicalement niée quand on professe, par exemple, qu’il est absurde de prétendre enseigner le français à des enfants qui le savent puisque c’est leur langue maternelle et qu'ils usent librement de cette langue selon leurs besoins. Si l’école se laissait impressionner par de tels paradoxes, elle consacrerait les inégalités d'origine familiale. Les enfants n’appartenant pas à des familles instruites se verraient bientôt réduits, et souvent pour toujours, à un langage rudimentaire, propre seulement à des échanges restreints. Conduire à une expression plus juste, plus précise et plus aisée, c’est travailler à l'élimination des malentendus, des erreurs, des servitudes qui, dans les relations sociales, pèsent sur ceux qui ne savent pas s’exprimer.

Il est fréquent que, tantôt au nom de la spontanéité, tantôt au nom de la rigueur, le rôle du maître soit décrié dans certains de ses aspects. Les sarcasmes n'épargnent ni le souci d'enseigner aux élèves un langage correct, ni celui de préserver leur joie créatrice. Ainsi l'école serait toujours coupable, le reproche d'imposer aux enfants des modes d'expression qui leur sont étrangers alternant avec celui de tolérer les fautes et de retarder les progrès.

Il faut que le maître utilise les ressources de la spontanéité enfantine pour aider le langage de l'élève à s'élaborer. Cette simple constatation impose de rechercher un équilibre qui permette, tout en respectant l’originalité individuelle de l'enfant et en sauvegardant ses pouvoirs créateurs, de lui faire acquérir les moyens d'expression qui devraient être le bien commun de tous ceux qui parlent français.

On se tromperait sur la liberté si, dans le souci de la ménager, on s'abstenait de fournir à l'enfant les moyens de l'exercer. L'ignorance n’a rien à voir avec l'originalité et elle n'est pas libératrice. Mettre l'enfant en mesure de faire sienne une langue saine et souple, voilà comment lui donner chance de se former dès maintenant une pensée et, plus tard, un style.

Cela étant admis, on doit reconnaître que le défaut le plus répandu de notre pédagogie usuelle n'est pas de montrer trop de complaisance envers la spontanéité mais, au contraire, trop de méfiance. Il arrive souvent qu’en utilisant mal ce qu'apporte l'élève, en entravant son besoin d’initiative et d'activité, on lui impose prématurément de couler ses phrases dans des formes avec lesquelles il faudrait d'abord qu'il pût se familiariser.

Ces formes appartiennent à un usage qui n'est pas encore celui de l'enfant et qu'il ne retrouvera peut-être ni dans sa famille ni dans son entourage. On cherchera à lui rendre cet usage familier parce qu'une langue est autre chose qu'une collection de langages individuels et qu'elle exige l’assimilation d'un fonds commun de traditions et de conventions. C’est pourquoi l'école a raison de conduire progressivement l'enfant à l'usage correct et aisé du langage élaboré des adultes.

Ne nous dissimulons pas la distance qui sépare le langage naturel de l'enfant entrant à l'école et celui dont on veut qu'elle l'accoutume à se servir. Mais gardons-nous aussi de l'exagérer. Éveillons plutôt chez les élèves le désir de la franchir. La lecture d'un beau conte est suivie par la plupart d'entre eux avec attention et plaisir, ils y prennent joie, ils demandent que la lecture soit répétée ou renouvelée. Le langage de ces contes est pourtant différent de celui qu'ils emploient ou qu'ils ont l'habitude d'entendre - et cette différence même contribue à les charmer. Il arrive également qu’un poème bien choisi leur plaise tant que certains d'entre eux le retiennent à la simple audition.

C'est donc qu'entre le langage dont l'enfant dispose et un langage plus élaboré, il y a des éléments communs, et qu'un passage peut se frayer de l'un à l'autre, à condition que l'on parvienne à mettre en jeu, d’une façon raisonnée, l'affectivité de l'élève. Nous aurons à nous en souvenir en traitant de l'expression orale et écrite.

 

 

UNITÉ DE L'ENSEIGNEMENT

 

Dans les pages qui vont suivre diverses rubriques apparaîtront. Mais s'il faut que l'exposé se divise, il est mauvais que l'enseignement se morcelle.

Une écriture indistincte ne promet pas une bonne orthographe. On lit mal à haute voix si l'articulation est hésitante, et ce n'est pas de bon augure pour la lecture silencieuse. Si le vocabulaire est trop pauvre et la syntaxe incertaine, la rédaction en pâtit. Sans doute, un enfant qui aime parler peut-il rester embarrassé devant la page blanche ; et il y a des taciturnes qui rédigent volontiers : chaque mode d'expression a ses difficultés propres. Mais l’expression orale et l'expression écrite seront toutes deux courtes et gênées si le bagage linguistique dont l'enfant dispose est insuffisant.

L'expression orale s'enrichit et se précise par la lecture et la rédaction ; mais aussi, quand on se demande pourquoi tant d'écoliers lisent mal (ce n'est pas nouveau : les instructions de 1938 déploraient que la lecture courante ne fût « pas complètement acquise à dix ans par la moyenne des élèves »), et pourquoi la répugnance à rédiger est si fréquente, force est de se rappeler que l'enfant parle avant d'écrire ; c'est pourquoi l'enseignement de la lecture doit être précédé par une certaine maturation du langage parlé ; et ce n'est pas parce que l'enfant apprend à lire ou « sait lire », que l'intelligence de l'écrit va brusquement cesser d'être liée au progrès de l’expression orale.

En raison même de l'importance reconnue de chacun des éléments qu'un bon enseignement associe, on a tenu longtemps à les distinguer. Pour s'assurer de n'en négliger aucun, on attribuait à chacun une fraction déterminée de l'horaire. En unifiant ce dernier, l'arrêté du 7 août 1969 a répudié une méthode qui présente en effet de grands inconvénients. Elle brise le rythme de la classe, interrompt des activités que l'on souhaitait prolonger, empêche leur groupement et leur organisation, interdit des remarques, des éclaircissements opportuns. Un rythme imposé ramène des exercices sans motivation ; un compartimentage préconçu assigne à chacun d'eux un objet exclusif, ensuite oublié pour quelque autre. Il arrive ainsi qu'on lise peu en dehors de l'heure ou de la demi-heure consacrée à la lecture, et qu’après la dictée ou la « leçon de rédaction », l'orthographe soit en déroute et l’expression écrite à l'abandon.

Il ne s'agit pas de rejeter les exercices spécialisés - ils sont indispensables - mais un certain usage que l'on en fait. L'enseignement du français est continu, ses aspects sont variés : c'est pourquoi son agencement ne saurait s'accommoder d'un découpage. Une activité se développe ; une tâche en appelle une autre ; des lacunes et des insuffisances apparaissent auxquelles répondront, pour y remédier, des exercices appropriés ; de nouveaux motifs d'intérêt surgissent alors.

Ce principe d'unité doit lui-même se combiner avec un principe d'ordre. Il n'est pas bon d'appeler l'enfant à trop d'efforts simultanés ; son attention se perd si elle est sollicitée en même temps par trop d'objets divers. Et une classe active n'est pas pour autant désordonnée. Aux remarques faites et aux questions posées par les élèves, le maître peut avoir à répondre : « Nous parlerons de cela tout à l'heure ». C'est dans la recherche d'un équilibre entre ces principes et la prise en considération des besoins d'expression spontanée de l'enfant que réside la grande difficulté de l'enseignement du français.

 

PLAN SUIVI

 

 

Nous irons du plus connu (pour l'enfant entrant à l'école) au moins connu, ce qui nous amènera d'abord à nous occuper du langage parlé, et à envisager aussitôt les activités qui se déclenchent dès le cours préparatoire, fût-ce par des exercices préliminaires dans le cas d'enfants qui n'auraient pas encore la maturité qu'exige l'apprentissage souhaité. Tout au long de la scolarité élémentaire, ces « activités de communication » que sont l'expression orale, la lecture, l'expression écrite mettent en œuvre et enrichissent progressivement les ressources de langage dont l'enfant dispose.

Il reste ensuite à porter l'éclairage sur une série d' « activités spécifiques », qui sont solidaires entre elles et avec les précédentes, puisque l'enrichissement du vocabulaire, l'acquisition de l'orthographe, le maniement des structures grammaticales sont à la fois le produit des « activités de communication » et une condition de leur réussite - condition qui ne sera bien remplie qu'à l'aide d'éclaircissements et d'exercices particuliers. La récitation est une autre rubrique traditionnelle : nous essaierons, dans une dernière partie, d'en préciser le contenu et l'esprit en traitant de la poésie à l'école.

Les dimensions des chapitres qui vont suivre ne sont pas commandées par l'importance relative des sujets traités : on s'est attardé davantage sur les points où des explications plus détaillées ont paru nécessaire en raison des malentendus possibles.

 

ACTIVITÉS DE COMMUNICATION

 

ÉCHANGES ORAUX ET ENTRAÎNEMENT ORAL

 

Il semble à peine nécessaire, après les explications déjà données, de justifier l'entraînement oral en classe. Déjà dans les instructions de 1923 on lit que «nous ne verrions aucun inconvénient, si des enfants montrent de bonne heure un certain goût pour l'invention, à les laisser raconter à leur guise les histoires dues à leur imagination». Ces instructions ajoutent que «les exercices d'élocution ne seront féconds que s'ils apportent aux enfants de la joie».

Dans une classe active, les occasions d'échanges oraux se présentent d'elles-mêmes, qu'il s'agisse de préparer un questionnaire, communiquer des renseignements, faire part d'un événement, rendre compte d'une enquête ou d'une lecture, commenter une projection ou une émission, critiquer un travail, expliquer le mode d'emploi d'un appareil, débattre d'un choix à faire, etc.

Bien des maîtres restreignent néanmoins les échanges oraux de crainte qu'à leur faveur la classe ne se livre à la turbulence, ou qu'au mieux certains élèves se manifestent inconsidérément pendant que d'autres, timides ou indifférents, se taisent. La communication clandestine des élèves entre eux est alors l'effet le plus commun de cette inquiétude, qu'ignorent ou surmontent les instituteurs mieux assurés de rester les maîtres du jeu.

Il est d'ailleurs habituel que le maître procède aux interrogations de manière que l'occasion de répondre soit fournie au plus grand nombre d'élèves possible. Toutefois, il n'y a là qu'un pseudo-dialogue si la réponse est préfigurée dans la question ou même amorcée par elle ; le progrès reste formel et correspond rarement à une maîtrise accrue des moyens d'expression.

Le dialogue vrai apparaît si les questions vont aussi des élèves au maître. L'idée est ancienne. Déjà les instructions de 1887 affirmaient que «la seule méthode qui convienne à l'enseignement primaire est celle qui fait intervenir tour à tour le maître et les élèves, qui entretient pour ainsi dire entre eux un continuel échange d'idées sous des formes souples et ingénieusement graduées». Les questions peuvent être irréfléchies ou importunes : le maître fera tout son possible pour les accueillir, et s'il doit les écarter, il évitera de blesser ou décourager leurs auteurs. La réponse quand elle viendra n'apportera pas nécessairement l'information ou la solution sollicitées : elle pourra être l'amorce d'une recherche individuelle ou collective dûment motivée.

Un pas de plus est fait quand le maître suscite des dialogues entre élèves. Le travail par groupes facilite et appelle de tels échanges, soit qu'un groupe en interroge un autre, soit qu'il lui communique les résultats d'une enquête. Une situation plus complexe, et plus féconde encore, se crée quand la classe devient le lieu de communications multiples, questions et essais de réponse se croisant. Le maître intervient pour faire brièvement le point, éviter que la recherche s'égare, et proposer au besoin une nouvelle orientation.

Si les activités d'éveil sont particulièrement propres à faciliter les échanges oraux, puisqu'elles permettent, plus que d'autres, de laisser libre cours à la curiosité enfantine, l'entraînement oral n'en fait pas moins partie intégrante de l'enseignement du français. Entre le langage que l'enfant parle en cour de récréation - spontané, mais en même temps rudimentaire et tributaire étroitement de l'intonation, du cri, de la mimique - et le langage des livres, privé de ces auxiliaires, il faut des transitions.

En dehors des exercices systématiques qui seront examinés dans les prochains chapitres, l'entraînement oral, détaché d'une étude particulière, par exemple d'ordre lexical ou grammatical, se caractérise par une liberté plus grande. Comme il s'agit avant tout de communiquer, le maître se garde de trop rectifier sur le moment le langage spontané : pour que les enfants parlent, pour qu'ils usent peu à peu de formes plus variées et plus justes, il ne faut pas commencer par les reprendre.

Cet entraînement oral peut prendre bien des formes, dont la plus simple est l'entretien. Particulièrement utile au maître pour lui permettre d'apprécier les ressources et les déficiences du langage dont disposent ses élèves, l'entretien ne joue pas seulement un rôle important au début de la scolarité et de chaque année scolaire. Pratiqué d'une façon régulière, mais non systématique, il aide à créer dans la classe un climat de confiance et d'amitié. Il offre aux élèves, en la personne du maître, un interlocuteur qui sait écouter et qui, sans se départir du naturel et de la simplicité qu'une telle conversation exige, emploie un langage bien articulé, précis, dépouillé de gesticulation, exempt de vulgarité.

Savoir s'entretenir avec les élèves est certes un art, mais non des plus difficiles. Le besoin de parler est si vif chez certains écoliers qu'il permet que l'entretien s'engage aisément. Pourtant, on n'oubliera pas que si quelques-uns sont plus prompts à la parole, leurs camarades peuvent ressentir aussi fortement ce besoin de s'exprimer. Nombreux sont les enfants qui arrivent à l'école chargés d'émotions, d'enthousiasmes et de frayeurs nés souvent d'un spectacle de télévision ou d'un fait de la vie quotidienne. S'ils ne pouvaient se libérer de telles préoccupations, on voit mal comment le travail serait paisible et appliqué, et comment la classe pourrait être, comme il est tant demandé, «ouverte sur la vie».

Il appartient au maître de décider du moment de l'entretien (de préférence, au début de la journée scolaire), de sa fréquence et de sa durée. Il lui appartient de même, par son attitude, de modérer les uns, d'encourager les autres, d'amener les taciturnes à prendre part à l'entretien, de soutenir l'élève qui hésite ou qui balbutie. Sans intervenir hâtivement, il clarifie au besoin, en quelques mots, des propos confus, dégage une information, pose une question, évite que l'entretien s'échauffe ou s'enlise dans un bavardage inorganisé. C'est pourquoi, à la fin, une formulation correcte et concise est recherchée en commun ; elle permet de dégager l'essentiel et prépare une éventuelle expression écrite.

L'entraînement oral utilise également les situations de délibération. L'organisation coopérative de la classe les suscite et, mieux encore, les institue, et nous n'insisterons pas ici sur le rôle essentiel de ces activités dans l'éducation morale et sociale de l'enfant et dans la vie scolaire en général. Disons seulement qu'alors, à partir de situations concrètes privilégiées parce qu'elles peuvent être connues de tous les élèves, le langage véhicule des informations, des explications, des arguments qu'il faut nécessairement comprendre et faire comprendre le plus vite possible. La clarté des propositions présentées, l'attention de tous à la parole de chacun, l'ordre et la concision des interventions successives, l'accord sur une décision sans ambiguïté, sont progressivement perçus comme des exigences, le stade intermédiaire pouvant consister à demander à chaque élève son avis sur telle question déterminée, si cette question est d'importance.

Il a pu paraître ambitieux d'introduire l'exposé oral à l'école, puisqu'il est fréquent de voir des adultes, même instruits, le remplacer par la lecture d'un texte écrit ou l'énonciation d'un texte appris par cœur. Mais l'expérience montre que l'enfant accepte volontiers de traiter sous forme d'expos‚ un sujet qui lui plaît, et le fait avec assez de confiance pour s'aider seulement de quelques indications écrites. La motivation, ici encore, est décisive. Aussi convient-il d'admettre et au besoin de suggérer des sujets d'exposés très variés. Il va sans dire que l'exposé peut s'insérer au cours ou au terme d'une étude. Il n'y a pas lieu de le regarder comme une prouesse, il n'est pas souhaitable qu'il prenne l'aspect d'un événement rare, il peut se partager entre plusieurs élèves. A la suite de l'exposé, le dialogue entre l'auteur et ses camarades offre une excellente occasion d'échanges (questions, critiques, précisions et justifications), et n'exige que peu d'interventions de la part d'un maître expérimenté.

L'entraînement oral peut faire appel à l'utilisation d'instruments (magnétophone, projecteur, appareil de radio ou de télévision). Le magnétophone permet d'enregistrer un débat, le commentaire d'une projection, un texte destiné à des correspondants. Il peut encore, hors de la classe, faciliter enquêtes ou des reportages, ainsi que des activités de mise en scène ou de dramatisation sur thème ou sur canevas. Il permet aussi le dépouillement des bandes magnétiques pour recueillir ou trier des renseignements, pour construction d'un montage sonore, voire d'une émission de type radiophonique. L'enregistrement au magnétophone présente également cet avantage, que l'enfant peut s'entendre lui-même, prendre conscience de ses défauts de prononciation et d'élocution, s'attacher à les corriger.

Bien entendu l'énumération qui précède ne présente aucun caractère limitatif, et les activités d'entraînement oral varieront de classe en classe.

Le cours préparatoire continue l'action de l'école maternelle. Il arrive encore trop souvent que des maîtres bien intentionnés s'emploient à persuader leurs jeunes élèves qu'au cours préparatoire ils doivent perdre les habitudes et la spontanéité de la maternelle, dont il importe au contraire de préserver le climat. Certains jeux dialogués ou l'observation d'animaux qu'on protège, qu'on nourrit, stimulent l'expression, et l'emploi de marionnettes encourage les timides à s'exprimer ou raconter une histoire. Si elle a été déjà dite ou lue, l'élève l'enrichira peut-être d'inventions, mais souvent il s'attachera de lui-même à reproduire des expressions devenues à ses yeux si nécessaires au récit qu'il supporterait mal qu'elles fussent modifiées : on peut voir dans ce modeste exercice une ébauche de la reconstitution de textes, dont nous aurons à reparler.

Au cours élémentaire, le dialogue se précise. Les débats et les enquêtes orales s'étoffent, des exposés apparaissent qui, avec les comptes-rendus, tiennent au cours moyen une place de plus en plus grande dans la mesure où tous les élèves sont appelés à prendre des responsabilités croissantes dans l'organisation et la préparation de leurs activités.

L'entraînement exempt d'exercices formels qui vient d'être décrit peut être regardé comme une introduction et un adjuvant aux apprentissages plus systématiques dont nous allons traiter : c'est par eux qu'il prend toute sa valeur.

 

LECTURE

 

L'entraînement oral réduit la distance entre le langage de l'enfant et celui de ses livres, il ne la supprime pas.

Indépendamment des considérations relatives aux registres de la langue et au choix des mots, l'expression écrite diffère de l'expression orale par la délimitation des mots, leur orthographe et leurs signes d'accord. Le langage parlé, qui s'aide de l'intonation et du geste, s'infléchit selon les signes de compréhension, d'intérêt ou d'inattention, d'accord ou de désaccord, que donne l'interlocuteur. Le langage écrit ne dispose pas de ces facilités ; il requiert plus rigoureusement concision, précision, clarté, et il use de conventions plus étroitement déterminées. Par la lecture, l'enfant accède à un langage nouveau pour lui. L'enseignement qui doit lui ouvrir cet accès a ses difficultés propres.

Un parti pris d'optimisme, sain dans son principe, la volonté de réagir contre les lenteurs d'une époque révolue (et maintenant déjà lointaine) où d'arides et interminables leçons se passaient à l'étude des lettres et des syllabes, bref, le sentiment que l'apprentissage ne doit pas traîner, ont conduit au postulat erroné que, très vite, tout enfant sait ou doit savoir lire. Au surplus, l'image prévaut sur le texte dans maints aspects de la vie moderne - des illustrés enfantins à la télévision. Ces circonstances, qui ne sont pas particulières à notre pays, ne favorisent pas les progrès en lecture. Sans prétendre mener ici une analyse complète des causes, il faut constater l'étendue d'un mal que met en évidence, dès le cours préparatoire, le nombre des redoublants, et qui se prolonge longtemps. Y porter remède doit être un souci majeur.

 

Débuts de l'apprentissage

 

A quelle époque convient-il de commencer l'apprentissage de la lecture ? On pose déjà la question à l'école maternelle, mais elle intéresse au premier chef le cours préparatoire. La maturité nécessaire est acquise, en effet, à un âge variable ; et il y faut plus qu'un langage parlé suffisamment évolué. D'autres conditions tiennent à la coordination des mouvements, à la perception des rapports temporels et spatiaux. Si ces rapports sont mal perçus, comment l'enfant pourrait-il suivre sur la page le texte qui se déroule de gauche à droite, ligne après ligne ?

Ces conditions ne sont pas toutes remplies, pour tous les élèves, dès l'entrée au C.P. Il faut donc recourir sans hésitation, pour ceux qui en ont encore besoin, aux exercices d'entraînement psychomoteur prolongeant les activités de la maternelle ou s'en inspirant. Quant aux élèves qui ont dès l'entrée au C.P. la maturité requise pour la lecture, les connaissances déjà acquises sont variables.

L'enseignement doit s'adapter à cette diversité. Il ne faut pas s'attendre à voir tous les élèves apprendre à lire au même rythme. Ne pas sacrifier les plus lents, sans retarder personne, exige beaucoup de soin et d'attention. Au début du C.P., c'est une erreur que de vouloir emmener tous les élèves à la même allure. Cette tentative n'égalise pas les chances, mais diminue celles des plus faibles, qui subissent des échecs répétés jusqu'au moment où leur retard devient à peu près irrémédiable. Il faut donc que le maître commence par observer ses élèves, pour les répartir bientôt en groupes relativement homogènes auxquels seront demandées les tâches qui leur conviennent. Ces groupes ne doivent pas être rigides. Le passage d'un groupe à un autre plus avancé ou inversement, dès lors qu'il paraît avantageux, doit s'opérer de manière souple et naturelle. Les activités collectives qui s'accommodent de la diversité des élèves sans causer de dommage à aucun d'eux les rassembleront tous.

 

Méthodes

 

Elles ont été l'objet d'une querelle célèbre, dont la virulence s'est heureusement atténuée. L'expérience dément abondamment qu'une règle uniforme s'impose dans la succession des exercices d'analyse (décomposition d'un mot en syllabes et lettres) et de synthèse (construction de mots par groupement de syllabes). Des résultats également bons peuvent être obtenus par des démarches différentes ; et en voulant suivre une même démarche, certains maîtres échoueront alors que d'autres réussiront à merveille. Les enfants sont trop différents les uns des autres pour qu'une même méthode soit la meilleure pour tous ; mais pour tous, les pires méthodes sont celles qui découragent le désir de lire.

Il est capital de créer dans la classe un climat de sécurité et de confiance, d'éveiller et de soutenir l'appétit de lecture des élèves, de conduire les leçons avec entrain et vivacité, d'être attentif aux difficultés de chacun, sans trop s'y arrêter si elles ne paraissent pas essentielles.

Il importe cependant que le maître soit averti des précautions à prendre pour éviter les risques de toute méthode, quelle qu'elle soit, - risques dont le recours à un ouvrage qui se réclame d'une méthode mixte ne le préservera pas nécessairement. Le maître qui veut donner la priorité à l'enseignement des syllabes pour les faire ensuite assembler en mots doit se souvenir que c'est dans le mot et mieux encore dans la phrase que réside le sens. Il faut donc qu'au plus tôt il éveille l'esprit et délivre d'épeler selon la formule d'Alain. Quant au maître que séduisent les méthodes improprement appelées «globales», il doit savoir qu'il est très difficile de les manier sans déformations graves. Il n'est pas besoin de décrire les diverses formes authentiques de ces méthodes, qui n'ont guère été reçues en France sous leur forme «pure», pour rappeler que leur objet est de ne pas dissocier sens et graphie, tout au long d'un processus analytique mobilisant constamment intelligence, attention et mémoire. Elles s'opposent ainsi aux contrefaçons involontaires et étourdies qui entretiennent et favorisent la tendance - habituelle chez l'enfant dans tout apprentissage de la lecture - à deviner plutôt qu'à lire. Ces méthodes n'opèrent pas la décomposition des mots en syllabes avant que les enfants aient d'eux-mêmes reconnu des éléments identiques dans des mots différents ; mais l'analyse systématique de la composition des mots appelle ensuite une attention prolongée.

L'emploi d'une méthode qualifiée de naturelle par ses utilisateurs exige des précautions analogues.

 

Compréhension

 

Énoncer sans erreur, mentalement ou à haute voix, les sons correspondant aux signes d'un écrit, cela peut se faire sans rien comprendre : on sait lire quand on saisit en même temps le sens du texte écrit. On lit d'autant mieux que cette compréhension est plus rapide, plus précise, plus souple et plus sensible aux qualités du texte. Il y a bien des degrés dans le «savoir lire».

On avait recours naguère de manière à la fois abusive et insuffisante à la lecture à haute voix : on répétait trop longtemps le même trop court passage d'un texte dont l'intérêt était vite épuisé. Cette lecture constitue pourtant une activité importante dans la vie de la classe comme dans la vie quotidienne. En classe, elle permet au maître de contrôler et de faire préciser la prononciation et l'articulation ; elle entraîne l'élève à percevoir et suivre le rythme de la phrase ; elle peut contribuer à lui donner aisance et assurance. Elle joue le rôle qui lui est propre quand elle sert à communiquer des informations à des camarades ou à leur faire part d'un texte que l'on aime. Mais la grande affaire est la conquête de la lecture silencieuse. Dans la lecture courante, la compréhension devance l'énonciation mentale ou sonore. Or la lecture silencieuse peut rendre cette anticipation plus aisée. Elle n'intimide pas le jeune lecteur. Elle est spontanée et d'usage constant pour qui sait lire. Enfin elle permettra une initiation aux techniques de la lecture rapide, si nécessaire aujourd'hui.

Ces diverses remarques infirment l'ancienne distinction entre un premier « savoir lire » qui serait acquis au bout de trois mois, la « lecture courante » qui serait obtenue à la fin du C.P. et cultivée au C.E., enfin la « lecture expressive », qui garantirait, au C.M., la compréhension par l'intonation. L'apprentissage de la lecture au C.P. serait aussi inutile que pénible si l'enfant ne comprenait pas ce qu'il lit ; c'est donc bien dès cette classe qu'il faut s'attacher à obtenir la compréhension et autant que possible l'intonation. Quant à une lecture courante qui ne bronche pas, il faudrait un fort grand progrès pour qu'elle fût commune à tous les élèves sortant du C.M. Ils auront de toute manière à continuer d'apprendre à lire, et l'action de l'école élémentaire doit s'approfondir tout au long du premier cycle du second degré.

Quand un texte est compris à la lecture, une association se fait entre les images écrites des mots, leur énonciation mentale ou sonore et leur signification. Cette association peut être hésitante et fugace. Apprendre à lire, c'est la rendre rapide et sûre. Or l'image écrite du mot sera plus nettement perçue et mieux retenue si l'enfant s'applique à la reproduire. Il serait d'ailleurs bien paradoxal, au moment où l'on conduit l'enfant à la découverte de la chose écrite, de remettre l'écriture à plus tard. L'expérience montre qu'au C.P. les deux apprentissages, bien menés, sont étroitement complémentaires, et que l'entraînement à l'expression orale en est également indissociable. Il ne faut donc pas négliger dans cette classe, où la lecture joue le rôle central, ces deux autres aspects de l'enseignement du français.

 

Progression

 

Il faut renoncer à une séparation rigoureuse entre le cours préparatoire et la première année du cours élémentaire : si l'on apprend à lire au C.P., on continue cet apprentissage au C.E.l. Un « décloisonnement » de ces classes s'impose, comme il est souhaitable entre la grande section d'école maternelle et le C.P. C'est la solution raisonnable, puisqu'il est avéré que l'aptitude à la lecture se manifeste chez les enfants normaux à des âges variables. Aussi l'école ne commence-t-elle qu'à sept ans dans divers pays fort évolués ; et si nous tenons à commencer bien plus tôt, c'est en sachant que de grandes différences entre élèves de la « grande section » de maternelle, puis du C.P. doivent être acceptées. Elles doivent l'être encore à l'issue du C.P., et ne pas conduire à multiplier les redoublements. Il s'agit beaucoup moins de faire franchir plus tôt l'étape de la lecture courante que de préparer un meilleur avenir scolaire.

Ne pas forcer le pas : cette recommandation - comme il a été déjà indiqué - ne signifie nullement qu'il convienne de ralentir ceux qui sont en mesure d'avancer vite. En graduant l'enseignement de la lecture selon la maturation des élèves, on se propose d'obtenir de chacun, au C. P. et au C.E. 1, tout le progrès qu'il est en mesure d'accomplir. C'est assurément la méthode la plus propre à éviter, dans le cours des études scolaires, un retard que le redoublement du C. P. rend, lui, irréversible.

Au début du C.E. 1, le maître observera (sans s'étonner des changements survenus au cours des vacances par rapport à la situation constatée à la fin du C.P.), comment ses élèves lisent à haute voix, comment ils donnent le sens d'un texte simple après lecture silencieuse, comment ils déchiffrent des mots qui présentent des difficultés particulières, comment ils transcrivent les sons, et quelles sont leurs possibilités d'expression écrite. Les renseignements qu'il obtiendra seront précieux tant pour la formation des groupes que pour le choix des exercices.

Si l'élève lit sans comprendre ou combine mal lettres et syllabes, le maître, sans manifester trop d'inquiétude, se montrera particulièrement attentif. Les confusions ou interversions de lettres seront encore assez fréquentes. Aussi est-il bon pour nombre d'élèves de reprendre méthodiquement au C.E. 1 l'analyse syllabique des mots, quelle qu'ait été la méthode de lecture antérieurement utilisée. Cette récapitulation fait habituellement apparaître certaines lacunes qu'elle permet de combler comme il est nécessaire de le faire.

La lecture courante et intelligente étant mieux assurée pour l'ensemble de la classe grâce à l'apprentissage prolongé du C.E. 1, maîtres et élèves lui donneront plus volontiers, au C.E. 2 et au C.M., la place importante qui lui revient. Il restera beaucoup à faire, en effet, pour que la pratique aisée de la lecture et le goût de lire se généralisent dans la classe.

On ne lit beaucoup que si on lit avec plaisir ; et pour lire avec plaisir, il faut lire facilement : d'où les précautions à prendre afin que le travail encore si nécessaire au C.E. 2, au C.M. et au-delà, pour perfectionner la lecture courante, ne s'enferme pas dans un cercle vicieux. En pratiquant cette lecture, il sera bon de l'interrompre le moins possible pour des explications et des rectifications. Les exercices systématiques destinés à vaincre les difficultés de graphie, de vocabulaire, de rythme et de débit se situeront hors de la lecture courante, tout en s'y rattachant autant que possible.

 

Motivations

 

L'enfant ne lit guère de lui-même pour mieux lire, pour perfectionner son langage, pour se mettre en mesure de réussir ses études, pour se préparer à recevoir une culture littéraire : de telles motivations appartiennent au maître. Quant à celles de l'enfant, c'est d'elles que le succès dépend du C. P. au C. M. 2. Elles varient avec l'âge.

Une curiosité naturelle, l'attrait du nouveau, le plaisir d'imiter, d'essayer ses forces, et bientôt celui de retrouver des phrases qui ont plu dans une histoire ou de connaître la suite du récit, tout cela sert dès le C. P., pourvu que les textes étudiés dans cette classe soient aisément compréhensibles, qu'ils aient du naturel et puissent plaire à l'enfant. Ces qualités, que l'on trouvera souvent dans des phrases dites en classe, reprises et écrites au tableau par le maître, ne sont pas très fréquentes dans les textes combinés à l'avance pour l'apprentissage de la lecture. Si le maître suit un livret, il lui appartient de le choisir avec soin et de ne pas s'y asservir, car il est presque impossible qu'un texte préétabli soit vraiment en rapport avec la vie de la classe. II sera bon en tout cas d'éviter les mots rares et compliqués, les phrases factices qui ne viendraient jamais dans la conversation de personne, les textes artificiels ou prétentieux, les niaiseries pseudo-enfantines.

Tout au long de la scolarité élémentaire, la vie de la classe offre toutes sortes d'occasions de lire. On lit un énoncé à communiquer, une consigne à exécuter, une légende accompagnant un dessin, un message auquel on répondra, une lettre adressée aux correspondants.

La partie est gagnée lorsque l'enfant en vient ainsi à concevoir et à pratiquer la lecture comme un moyen simple et habituel de satisfaire ses désirs de découverte, de connaissance, d'enchantement. Mais pour la plupart des enfants, ce résultat n'est pas aisément obtenu. Or toute la peine prise pour qu'ils puissent lire n'aura guère été profitable si, en fait, ils ne lisent pas pour eux-mêmes, en silence, en classe et surtout hors de la classe.

Quand l'enfant lit de lui-même, c'est pour s'informer, ou se divertir, ou se divertir en s'informant. En deçà de la poésie, l'enfant lit «pour savoir». Il va au bout d'une histoire pour savoir comment elle continue et finit. Pauvres de contenu ou trop difficiles à comprendre, la phrase, le texte détournent du désir de lire.

Il a été depuis longtemps recommandé aux instituteurs de constituer une bibliothèque de classe comprenant des textes de difficultés, de genres et de sujets aussi variés que possible, et d'utiliser en outre les possibilités de prêt dont les enfants peuvent disposer (bibliothèque municipale, bibliobus, etc.). Les livres ainsi réunis ne seront lus par les enfants que s'ils leur plaisent ; mais cette règle qui écarte bien des ouvrages, en particulier ceux dont le style est trop savant, ne dispense pas le maître d'un choix qui exige de sa part beaucoup de discernement. S'il est bien vrai que les enfants peuvent nourrir leur sensibilité et leur imagination d'une « substance qui n'est plus assimilable pour nous », comme l'observaient les instructions de 1958, le maître est néanmoins fondé à écarter les livres qu'il estime malsains, mal écrits, mal illustrés, et c'est même son devoir. Il ne se trouve pas ramené pour autant aux recueils platement moralisants qui ont autrefois abondé.

Des enquêtes diverses ont permis d'établir - comme il est noté dans le document, déjà cité, de l'I.N.R.D.P. (Recherches Pédagogiques, nº 47) - que les enfants «préfèrent ce qui est amusant, tonifiant», les récits «où l'amitié, la sympathie, la générosité, la solidarité jouent un grand rôle, les livres riches en aventures qui donnent des informations vraies ou vraisemblables». Ces indications peuvent aider à faire le tri qui s'impose dans la littérature et dans la presse enfantines. A côté de publications médiocres et vulgaires, cette presse offre à présent de bons textes. Ajoutons que les élèves se plaisent à lire des textes écrits par des enfants de leur âge : si les copies des meilleures rédactions forment un recueil, si la classe publie son journal, ce qui est de toute manière à recommander, la bibliothèque s'enrichira d'elle- même au fil des ans. Elle réunira également les éléments de documentation rassemblés au cours des années antérieures et qui valent d'être conservés.

L'usage de la littérature pour adultes pose d'autres problèmes. Il est normal que les enfants ne comprennent pas ou n'aiment pas des livres qui n'ont pas été écrits pour eux. Un livre fait pour les adultes offre d'ordinaire peu de passages qui conviennent à l'enfance : d'où la tentation de récrire des chefs-d'œuvre consacrés et d'utiliser ces adaptations. Ce procédé réussit peu. Cependant, composée avec goût, une suite d'extraits reliés par de brèves explications n'est pas à exclure.

Quant aux «morceaux choisis», ils ne suffisent pas : tant que l'enfant ne lit pas des livres entiers, son goût pour la lecture n'est que faiblement attesté. Mais on se limiterait trop en voulant qu'il lise seulement des livres entiers ; il est donc légitime et utile de se servir aussi de fragments isolés - ceux qui forment un tout ayant évidemment la préférence - ou de fragments successifs.

En somme, les ouvrages bons pour la bibliothèque de classe et pour l'étude en classe répondent aux mêmes critères, avec cette différence importante que le temps fait généralement défaut pour lire tout un livre en classe, inconvénient auquel remédie précisément la bibliothèque.

Enfin, nous n'étonnerons pas les anciens maîtres en recommandant une pratique qui a fait ses preuves : celle de la lecture hebdomadaire, dont la présentation peut être variée et enrichie par les techniques audio-visuelles, à condition que le texte lui-même garde l'importance capitale qui doit être la sienne en l'occurrence. Si l'œuvre est choisie conformément aux critères définis par le document évoqué à l'instant, si le maître a le dessein de la mettre en valeur avec simplicité et enthousiasme, la lecture hebdomadaire engendre chez les enfants le besoin d'autres lectures et de lectures personnelles, elle contribue au développement de leur sensibilité, à la formation de leur goût et même à l'éveil de leur sens littéraire.

 

 

ÉCRITURE

 

L'apprentissage de l'écriture met en jeu de façon si complexe des facteurs si divers, que des instructions spéciales en traiteront. Quelques indications sont toutefois nécessaires.

L'écriture-dessin peut mener à la calligraphie, qui a sa valeur propre comme travail d'ornementation ; mais son étude doit être bien distinguée de l'apprentissage courant, auquel nous limiterons notre propos, et qu'il serait absurde de mépriser. L'enfant qui apprend à écrire, à bien conduire les mouvements de sa main, s'exerce au contrôle de soi. La liaison, la sûreté, la légèreté des gestes qu'exige une «bonne écriture» sont des éléments de l'éducation que l'on ne peut négliger sans dommage ; l'élève qui écrit péniblement sera gêné dans ses études, et dans sa vie.

Le progrès de l'écriture dépend des possibilités psychomotrices de l'enfant. La préparation déjà reçue à l'école maternelle ou dans la classe enfantine est d'un grand secours au C.P. ; mais il arrive qu'elle doive y être prolongée.

Associé à l'enseignement de la lecture, qui fait apparaître les mots comme des assemblages autonomes de caractères déterminés, celui de l'écriture apprend à bien former les caractères manuscrits ; l'enfant s'aperçoit vite que leur déformation l'empêche de se relire et de retrouver le sens de ce qu'il vient pourtant d'écrire.

L'enseignement au C.P. de l'écriture dite «script» restera facultatif. Le script, imitant les caractères d'imprimerie, facilite la lecture ; le dessin de ses lettres est simple ; il ajourne les difficultés, nombreuses pour le débutant, de la liaison des lettres. En revanche, il impose une étape supplémentaire, à laquelle il peut être paradoxal de soumettre ceux des enfants qui, à l'école maternelle, ont déjà appris l'écriture liée. Au surplus, il présente les inconvénients d'une écriture hachée : les intervalles entre les lettres, qui doivent être plus petits que les intervalles entre les mots, font difficulté. C'est pourquoi tout en recourant au script pour des titres ou des étiquettes, les maîtres peuvent juger bon d'économiser l'étape du script dans l'apprentissage de l'écriture.

Le crayon à bille et la pointe mousse seront les instruments préférés. Des instructions de 1965 ont déjà signalé les avantages du premier dans l'apprentissage d'une écriture cursive «qui ne nécessite à aucun moment une pression différenciée de la main. Les traits sont d'une largeur uniforme et sont tracés d'un mouvement continu». Mieux vaut désormais s'épargner les difficultés de la plume à bec.

On rappellera enfin que les écritures droite et penchée sont autorisées l'une comme l'autre depuis longtemps.

Si les occasions d'écrire ne sont saisies qu'à l'occasion d'exercices appelant l'attention sur d'autres soins que celui de l'écriture - travaux d'expression écrite, d'orthographe, etc. - on ne s'attendra pas à des chefs-d'œuvre de graphisme. Or, il est nécessaire que l'écriture devienne aisée, régulière et bien lisible. Le goût du dessin et le désir de produire un travail propre et plaisant pourront faire aimer les exercices spéciaux auxquels il faut recourir, sans mépriser les modèles ni les surimpositions.

Ce qu'il faut éviter dans ce travail, c'est que l'enfant, en s'efforçant à la régularité, perde cette aisance sans laquelle la lisibilité ne tarde pas à disparaître. L'exercice a des effets négatifs si l'enfant se crispe. La raideur, l'attitude contrainte, les contorsions trahissent une pédagogie qui éveille la répugnance de l'élève. Le remède sera souvent de reprendre les exercices d'initiation graphique de l'école maternelle dont l'exécution sera progressivement accélérée.

Les exercices spéciaux seront continués au C.E. 1. Mais les soins apportés à l'écriture dans les deux premières années de la scolarité élémentaire ne dispenseront pas d'en prendre d'autres dans les trois années suivantes. Le geste, il est vrai, devient plus rapide et plus vigoureux, mais ce peut être au détriment de la précision et de la propreté auxquelles le maître doit veiller. Il ne comptera pas trop sur l'efficacité des réprimandes : celle d'exercices de transcription bien faits est meilleure. En revanche, les «lignes» à titre de pensum sont - en toute classe - fatales à l'écriture. Les pensums ne sont d'ailleurs pas autorisés.

 

 

EXPRESSION ÉCRITE

 

L'enfant qui, en lisant, se familiarise avec le langage écrit a encore beaucoup à faire pour s'exprimer lui-même par écrit avec assez d'habileté. La majorité des collégiens, des lycéens, des adultes, n'y parvient qu'avec peine, tant sont tenaces la maladresse et la répugnance à rédiger.

Assurer avec succès les premiers apprentissages de l'expression écrite, c'est l'une des tâches les plus importantes, mais aussi l'une des plus difficiles qui incombent à l'école élémentaire. En s'efforçant de l'accomplir elle a connu beaucoup de déceptions, comme l'attestent les instructions antérieures.

Celles de 1923 voulaient mettre en jeu la motivation. Elles faisaient l'éloge de la «rédaction libre» dont le sujet est choisi par l'élève :

« De même que le dessin libre révèle chez maints enfants des qualités insoupçonnées (...), de même la rédaction libre mettra en valeur tantôt la spontanéité et la fraîcheur des sentiments, tantôt le goût littéraire, tantôt l'ingénuité intellectuelle de nos élèves. Et surtout elle leur inspirera le désir d'écrire, sans lequel tous nos efforts demeureraient vains ».

« Nous obtiendrons de meilleurs résultats quand non seulement nos leçons de français, mais toutes nos leçons, feront plus que par le passé appel à l'activité et confiance en la liberté de l'écolier ».

« II ne semble pas que de très grands progrès aient été réalisés », constataient néanmoins les instructions de 1938. Elles s'attachaient à lever l'obstacle que celles de 1923 avaient involontairement posé lorsqu'elles prescrivaient,

« dans le souci de "procéder par étapes" (...), d'exercer d'abord les enfants à assembler les éléments d'une proposition, puis à écrire correctement une phrase simple, pour passer ensuite à la construction d'un paragraphe, "la véritable rédaction" n'apparaissant qu'au terme de cette progression ». Signalant le caractère artificiel de cette méthode, les instructions ne 1938 ouvraient la voie à une pédagogie différente :

« Dans la parole et dans la rédaction comme dans le dessin, la démarche de la pensée va nécessairement du tout à la partie, c'est-à-dire de la rédaction au paragraphe et à la phrase, de la phrase à la proposition et au mot. Une ligne et une surface ne sont que des abstractions sans réalité, de même que la phrase n'a de sens que dans le paragraphe, le mot et la proposition dans la phrase. Dans la rédaction on commence par une idée d'ensemble du sujet ; c'est en cherchant à se préciser que l'idée se divise, s'analyse et trouve par là même son expression ».

Grâce à ces conceptions nouvelles et à beaucoup d'efforts, les résultats remarquables ont cessé d'être rares, mais il faut bien avouer que l'échec reste encore trop fréquent.

Succès ou insuccès dépendent de tout l'enseignement du français et de toutes les activités de la classe, grâce auxquelles s'enrichissent et s'organisent les informations, les idées, les moyens d'expression dont l'enfant dispose. Mais dans le travail spécialement consacré à la rédaction, une ambiguïté continue de peser sur la signification de ce terme. Dans son acception scolaire la plus courante, il désigne un exercice caractérisé par certains types de sujets (narratifs, descriptifs, etc.), des exigences de développement, d'ordre, d'enchaînement des idées, et bien entendu d'expression claire et correcte. Pour l'enfant, c'est une montagne à gravir. Or, d'évidence, quiconque donne forme écrite à sa pensée, rédige ; et tout texte écrit que l'enfant a conçu lui-même - donc tout texte qu'il écrit sans le reproduire ni l'enregistrer sous dictée - est une rédaction. C'est en ce sens général que nous emploierons le terme, réservant celui de «narration» ou de «composition française» pour l'exercice qui sur un sujet donné, réclame des idées à trouver et à ordonner dans un développement de quelque ampleur - sans que le rédacteur dispose, comme dans le résumé d'un texte à transposer, ou se borne, comme dans le compte rendu, à présenter des faits.

La narration ou composition, exercice complexe de rédaction peut bien être regardée comme le couronnement de l'enseignement. Les exercices plus simples ont pourtant leur valeur propre. Le compte rendu, par exemple, exige la relation claire et fidèle d'une série de faits bien discernés. Il n'a donc pas pour seul objet d'accoutumer l'élève à des difficultés qu'il devra surmonter dans la composition. Tous les travaux de rédaction à l'école, du plus modeste au plus ambitieux, ont pour but de munir l'élève des moyens de l'expression écrite et de le rendre habile à s'en servir dans toutes les circonstances où il sera porté à le faire par obligation ou par goût.

Pour apprendre à écrire, il faut écrire beaucoup et souvent. Heureusement, des activités très diverses apportent l'occasion de rédiger. Il serait aisé de reprendre à ce propos l'énumération non limitative qui a été donnée pour les échanges oraux et d'y ajouter la mise en forme de raisonnements mathématiques, les résumés de discussions ou de textes, les réponses qu'appelle n'importe quel enseignement. Dans tous les cas, la tâche de l'élève est de trouver et d'agencer de façon intelligible les termes appropriés à sa pensée, laquelle se précise en prenant forme.

Les occasions de rédiger seront fréquemment saisies ; les tentatives faites pour obtenir une formulation orale satisfaisante seront souvent reprises par écrit ; et la rédaction se verra progressivement dépouillée de tout caractère exceptionnel et intimidant. Encore faut-il que l'enfant puisse essayer librement ses propres formulations. Il en sera empêché si l'intervention du maître est inopportune : elle n'aura d'efficacité que si le maître sait résister à la tentation, si commune chez l'adulte, de devancer l'enfant et de lui donner la solution toute faite.

Pour l'expression écrite, il peut encore paraître hasardeux à bien des maîtres, malgré les instructions qui les y invitent depuis cinquante ans, de faire confiance à la liberté de l'écolier : maints textes dits «libres» sont largement fautifs sans pour autant briller par l'originalité. Cependant, comme on peut invoquer aussi, et même dès le C.P., des exemples de réussite remarquables, on aura intérêt à se demander dans quelles situations pédagogiques ont été produites les rédactions tenues pour décevantes. Dans un texte enfantin que l'on était prêt à rejeter à première lecture, il arrive qu'on trouve, à mieux y regarder, l'ébauche d'une idée juste ou la trace d'un sentiment vrai. Une fois la ponctuation mise et l'orthographe corrigée, ce que l'enfant «voulait dire» apparaîtra plus nettement, encore qu'une mise au point puisse être nécessaire, qui respectera la pensée et l'apport de l'enfant.

Cette mise au point peut se faire par un dialogue direct entre le maître et l'auteur du texte, ou bien prendre une forme collective et s'élaborer au sein d'un groupe ou de la classe entière grâce à l'impulsion et aux suggestions du maître. Ce dernier veille à ce que les élèves reconnaissent eux-mêmes les défaillances du texte initial et à ce qu'ils proposent eux-mêmes des amendements. S'il s'agit d'une phrase de raisonnement, d'une brève réponse, d'un court résumé, voire d'un compte rendu plus étoffé, les rectifications ou les compléments nécessaires seront assez vite repérés. S'il s'agit déjà d'une tentative de narration, le travail de mise au point est plus délicat. L'essentiel est qu'il ne substitue pas à la pensée de l'enfant une pensée étrangère, qu'il ne la surcharge pas d'ornements empruntés, mais qu'il la conduise au but vers lequel l'enfant était porté par son élan, et qu'il avait manqué, faute de moyens suffisants ou d'une réflexion assez soutenue.

Si l'enfant voit son intention faussée par les interventions de l'adulte, la narration lui apparaîtra bientôt comme un exercice dépourvu de sincérité, exigeant qu'il se guinde, qu'il simule, qu'il use d'expressions artificielles, arbitrairement réservées pour ce genre de circonstances. Voilà perdu l'élan qu'il aurait été si précieux de sauvegarder. Bientôt s'entendra le triste refrain : «Je ne sais pas quoi dire». Cette impuissance regrettable s'explique aussi - et le fait est trop évident pour que l'on y insiste - par l'abus des sujets imposés, mal motivés. Et si l'on cherche, un peu tard, réveiller l'intérêt chez l'élève en sollicitant ses souvenirs, en faisant appel à son expérience personnelle (mais pourquoi n'avoir pas mis à profit celle dont il était plein et dont il désirait parler ?), que l'on ne s'étonne pas de trouver un enfant réticent à livrer ses confidences.

En ce qui concerne le texte libre authentique, précisons qu'il a des caractères propres qui le distinguent sensiblement de la rédaction à sujet libre. Sa fonction essentielle est de faciliter la communication au moyen de l'écriture, et en même temps de faire bénéficier la langue écrite du même élan naturel et spontané que la langue parlée. Non seulement l'enfant choisit le sujet, mais il choisit aussi le moment ; il produit le texte quand il le souhaite, de sa propre initiative, sans être obligé de le montrer ensuite au maître - ce qu'il fait souvent, néanmoins, mais en dehors de toute contrainte.

Le texte libre prend toute sa valeur en rapport avec un ensemble d'activités à caractère coopératif : journal scolaire, correspondance et échanges scolaires, imprimerie à l'école... Il importe que le maître, avant de mettre en œuvre cette pédagogie, s'informe avec soin de ses techniques et ait le souci de travailler en équipe avec des collègues expérimentés.

Comme pour la lecture, il se peut bien que par divers moyens on arrive à pareille fin. De très bons résultats ont été obtenus par des maîtres qui, au C.P. ou au C.E. 1, suivent une gradation qui leur permet d'assurer à l'élève des moyens accrus ou affermis à mesure que s'ouvre un champ plus large à son expression écrite ; autrement dit, d'armer sa liberté à mesure que s'en développe l'usage. La démarche est donc au début très prudente. Le court texte d'une historiette, qui a été lu, écrit, étudié, donne lieu à des questions très précises, appelant de brèves réponses, d'abord orales, puis écrites. Peu à peu les questions laissent davantage de jeu aux réponses. Puis viennent - inspirés par telle illustration du livre de lecture, tel épisode de l'histoire qu'il raconte - des légendes, de courts récits. Des réussites significatives ont confirmé que l'on peut même - sans dommage pour l'orthographe et la syntaxe dont ces textes enfantins montrent au contraire les progrès - obtenir au C.E. 1, voire avant la fin du C.P., de brèves rédactions qui résument une histoire en quelques mots.

Dans les classes ultérieures, les travaux de rédaction peuvent être particulièrement facilités par certains exercices auxiliaires.

La mise en ordre de séries d'images, photographies, documents, questions pour une enquête ou résultats d'enquêtes entraîne à percevoir des rapports de succession et de liaison. A cet égard, l'élaboration individuelle ou collective de récits en images assortis de légendes n'est pas à négliger, à condition de ne pas s'attacher plus aux dessins qu'aux formulations qu'ils appellent.

La reconstitution de texte offre un plus grand intérêt. Il s'agit de retrouver l'énoncé exact d'un texte, dont la classe aura d'abord pris connaissance. Ce texte n'est pas appris par cœur ; s'il était tout constitué dans la mémoire, il n'y aurait plus à proprement parler reconstitution, mais autodictée. Selon un procédé éprouvé, le maître le lit très clairement à plusieurs reprises, s'assure qu'il est entièrement compris, puis place éventuellement quelques jalons au tableau : après quoi, la classe retrouve le texte par un travail oral qui, suffisamment poussé, aboutit à une reconstitution littérale. Il y a souvent avantage à écrire le texte au tableau à mesure qu'il est restitué.

Au C. E., et davantage au C. M., les sujets possibles de rédaction se multiplient au point qu'il est difficile d'en présenter un classement par types.

Certains sujets procèdent de l'organisation coopérative de la classe ; une délibération donne lieu à un court compte rendu mentionnant son objet, les options examinées, les principaux arguments échangés. Une décision doit être enregistrée. «Le journal de la classe», où ces documents sont insérés, peut aussi rendre compte d'incidents qui ont retenu l'attention des élèves. Il prend plus d'importance si des textes libres se rapportant à la vie de la classe sont jugés dignes d'y figurer.

Le journal scolaire imprimé en classe et diffusé dans le voisinage de l'école exige, tout comme la correspondance inter-scolaire, un travail d'équipe et met en jeu des motivations très stimulantes. Elles avivent l'attention portée à l'écriture, à l'orthographe, aux illustrations, à une belle présentation, à une rédaction claire et intéressante.

Mais les grandes sources de sujets sont les travaux de la classe, collectifs et individuels, actuels, passés ou en projet, les lectures, les enquêtes, les découvertes des activités d'éveil, les performances sportives ; ce sont les activités et distractions hors de l'école, les congés, les vacances, les voyages, les fêtes, les spectacles, les émissions de télévision ; c'est tout ce qui intéresse, émeut, intrigue, et que le maître connaît par ses entretiens avec la classe ; bref, tout ce qui est vécu ou imaginé par les enfants.

S'il arrive que des élèves ne saisissent aucune de ces multiples occasions de rédiger, le maître ne sera pas en peine de leur proposer des thèmes : le sujet est alors suggéré, sans que la façon de le traiter soit strictement imposée. Toutefois, dans la description d'un dessin ou d'un objet, le résumé d'un document, d'un épisode, l'exposé d'une observation, et en général dans les textes qui ont pour objet de donner des informations, le maître exigera de l'exactitude. Mais comme l'enfant, plus que l'adulte, est porté par la découverte du réel à franchir les frontières de l'imaginaire, il faudra, dans d'autres textes, accepter et même encourager leur alliance. Le maître n'aura pas seulement recours, dans ce domaine, aux grands thèmes de l'évasion (voyages, aventures, fictions) ; il saura également faire appel à des thèmes plus profonds, comme ceux qu'a décrits Bachelard et pour lesquels l'imagination enfantine montre une si remarquable prédilection : l'air, l'eau, la terre, le feu, la maison.

Quant aux textes d'argumentation, qui posent, développent, défendent ou réfutent une thèse, ils n'appartiennent pas à l'école élémentaire. Toutefois, au fil de la rédaction, l'écolier peut être amené à justifier des préférences, une opinion. Dans ces textes comme dans les procès-verbaux mentionnés plus haut, une argumentation s'ébauche : l'enfant apprend à s'expliquer.

On voit qu'à aucun moment, dans la progression décrite, la narration ne se propose d'une façon abrupte ; les travaux de rédaction y mènent presque insensiblement, et il n'y aura pas de difficulté à introduire au C. M. 2 la narration traditionnelle à sujet imposé, à condition de ne pas lui donner l'exclusivité et de toujours laisser un choix entre plusieurs propositions intéressantes.

Qu'il s'agisse de texte libre, de rédaction à sujet libre ou de narration à sujet imposé mais avec variantes, le maître n'est jamais dans l'obligation de faire part à la classe du travail d'un élève. Il peut avoir de bonnes raisons de s'en abstenir, ne serait-ce que parce que l'enfant aurait apporté sur des tiers ou sur sa famille des révélations pénibles ; mieux vaut alors ne parler de l'écrit qu'à son auteur, en se gardant de prendre une allure mystérieuse. Sans prétendre au rôle de psychiatre, le maître saura discerner ce que l'enfant peut avoir écrit par bravade, par détresse, par hantise, et faire preuve de tact et d'humanité.

Il évitera enfin de donner un «corrigé», qu'il l'ait écrit lui-même ou qu'il l'ait trouvé dans quelque «livre du maître». Sa tâche n'est pas de faire prévaloir devant les élèves une seule manière de voir, de sentir, de s'exprimer. La meilleure façon de corriger une rédaction est de partir du texte produit par son auteur et d'essayer de mieux répondre à l'intention de celui-ci. Toutefois, le cas échéant, il peut être bon de présenter ensuite aux élèves un texte d'écrivain sur un sujet analogue. Ils découvrent ainsi, sans y voir nécessairement un modèle à imiter, qu'il y a manière et manière de dire. Et c'est pour eux un enrichissement.

Ces précautions, ces soins n'empêcheront pas que l'école élémentaire ne laisse beaucoup à faire à l'enseignement du second degré. Les exigences que doit remplir dans notre langue l'expression écrite sont fines et multiples. La phrase française n'est pas aisément maîtrisée, encore moins la composition française. Pour presque tous les élèves, les qualités de clarté, d'aisance et de précision que l'on reconnaît à notre prose ne peuvent être acquises qu'après avoir été longuement cultivées, et des exigences prématurées de pureté et de rigueur les flétriraient. Ce qui importe surtout, c'est d'éveiller chez l'élève le goût et de créer l'habitude d'écrire, et de bien écrire ; c'est, en lui apprenant l'usage de moyens appropriés, de sauvegarder, dans son expression écrite, l'élan et la fraîcheur.