INSTRUCTIONS RELATIVES AU NOUVEAU PLAN D'ÉTUDES DES ÉCOLES PRIMAIRES ÉLÉMENTAIRES

 


(20 juin 1923)

 

[Suite 1]

 

I. INSTRUCTION MORALE ET CIVIQUE

 

I. Objet de l'enseignement moral

 

But et caractères essentiels de cet enseignement.

 


- L'enseignement moral est destiné à compléter et à relier, à relever et à ennoblir tous les enseignements de l'école. Tandis que les autres études développent chacune un ordre spécial d'aptitudes et de connaissances utiles, celle-ci tend à développer dans l'homme, l'homme lui-même, c'est-à-dire un cœur, une intelligence, une conscience.

Par là même, l'enseignement moral se meut dans une tout autre sphère que le reste de l'enseignement. La force de l'éducation morale dépend bien moins de la précision et de la liaison logique des vérités enseignées que de l'intensité du sentiment, de la vivacité des impressions et de la chaleur communicative de la conviction. Cette éducation n'a pas pour but de faire savoir, mais de faire vouloir ; elle émeut plus qu'elle ne démontre ; devant agir sur l'être sensible, elle procède plus du cœur que du raisonnement ; elle n'entreprend pas d'analyser toutes les raisons de l'acte moral, elle cherche avant tout à le produire, à le répéter, à en faire une habitude qui gouverne la vie. À l'école primaire surtout, ce n'est pas une science, c'est un art, l'art d'incliner la volonté libre vers le bien.

Rôle de l'instituteur dans cet enseignement.
- L'instituteur est chargé de cette partie de l'éducation, en même temps que des autres, comme représentant de la société : la société a, en effet, l'intérêt le plus direct à ce que tous ses membres soient initiés de bonne heure et par des leçons ineffaçables au sentiment de leur dignité et à un sentiment non moins profond de leur devoir et de leur responsabilité personnelle.

Pour atteindre ce but, l'instituteur n'a pas à enseigner de toutes pièces une morale théorique suivie d'une morale pratique, comme s'il s'adressait à des enfants dépourvus de toute notion préalable du bien et du mal : l'immense majorité lui arrive, au contraire, ayant déjà reçu ou recevant un enseignement religieux qui les familiarise avec l'idée d'un Dieu auteur de l'univers et père des hommes, avec les traditions, les croyances, les pratiques d'un culte chrétien ou israélite ; au moyen de ce culte et sous les formes qui lui sont particulières, ils ont déjà reçu les notions fondamentales de la morale éternelle et universelle ; mais ces notions sont encore chez eux à l'état de germe naissant et fragile ; elles n'ont pas pénétré profondément en eux-mêmes ; elles sont fugitives et confuses, plutôt entrevues que possédées, confiées à la mémoire bien plus qu'à la conscience, à peine exercée encore. Elles attendent d'être mûries et développées par une culture convenable. C'est cette culture que l'instituteur public va leur donner.

Sa mission est donc bien délimitée ; elle consiste à fortifier, à enraciner dans l'âme de ses élèves, pour toute leur vie, en les faisant passer dans la pratique quotidienne, ces notions essentielles de moralité humaine, communes à toutes les doctrines et nécessaires à tous les hommes civilisés. Il peut remplir cette mission sans avoir à faire personnellement ni adhésion, ni opposition à aucune des diverses croyances confessionnelles auxquelles ses élèves associent et mêlent les principes généraux de la morale.

Il prend ces enfants tels qu'ils lui viennent, avec leurs idées et leur langage, avec les croyances qu'ils tiennent de leur famille, et il n'a d'autre souci que de leur apprendre à en tirer ce qu'elles contiennent de plus précieux au point de vue social, c'est-à-dire les préceptes d'une haute moralité.

Objet propre et limites de cet enseignement.
- L'enseignement moral laïque se distingue donc de l'enseignement religieux sans le contredire. L'instituteur ne se substitue ni au prêtre, ni au père de famille ; il joint ses efforts aux leurs pour faire de chaque enfant un honnête homme. Il doit insister sur les devoirs qui rapprochent les hommes et non sur les dogmes qui les divisent. Toute discussion théologique et philosophique lui est manifestement interdite par le caractère même de ses fonctions, par l'âge des élèves, par la confiance des familles et de l'État : il concentre tous ses efforts sur un problème d'une autre nature, mais non moins ardu, par cela même qu'il est exclusivement pratique : c'est de faire faire à tous ces enfants l'apprentissage effectif de la vie morale.

Plus tard, devenus citoyens, ils seront peut-être séparés par des opinions dogmatiques, mais du moins ils seront d'accord dans la pratique pour placer le but de la vie aussi haut que possible, pour avoir la même horreur de tout ce qui est bas et vil, la même admiration de ce qui est noble et généreux, la même délicatesse dans l'appréciation du devoir, pour aspirer au perfectionnement moral, quelques efforts qu'il coûte, pour se sentir unis, dans ce culte généreux du bien, du beau et du vrai qui est aussi une forme, et non la moins pure, du sentiment religieux.

 

II. Méthode

 

Que par son caractère, par sa conduite, son langage, le maître soit lui-même le plus persuasif des exemples. Dans cet ordre d'enseignement, ce qui ne vient pas du cœur ne va pas au cœur. Un maître qui récite des préceptes, qui parle du devoir sans conviction, sans chaleur, fait bien pis que de perdre sa peine, il est en faute : un cours de morale régulier, mais froid, banal et sec, n'enseigne pas la morale, parce qu'il ne la fait pas aimer. Le plus simple récit où l'enfant pourra surprendre un accent de gravité, un seul mot sincère, vaut mieux qu'une longue suite de leçons machinales.

D'autre part - et il est à peine besoin de formuler cette prescription - le maître devra éviter comme une mauvaise action tout ce qui, dans son langage ou dans son attitude, blesserait les croyances religieuses des enfants confiés à ses soins, tout ce qui porterait le trouble dans leur esprit, tout ce qui trahirait de sa part envers une opinion quelconque un manque de respect ou de réserve.

La seule obligation à laquelle il soit tenu - et elle est compatible avec le respect de toutes les croyances - c'est de surveiller d'une façon pratique et paternelle le développement moral de ses élèves avec la même sollicitude qu'il met à suivre leurs progrès scolaires ; il ne doit pas se croire quitte envers aucun d'eux s'il n'a fait autant pour l'éducation du caractère que pour celle de l'intelligence. À ce prix seulement, l'instituteur aura mérité le titre d'éducateur, et l'instruction primaire le nom d'éducation libérale.

 

Si, après avoir relu cet admirable morceau, nous éprouvions la tentation de formuler une critique, ce serait celle-ci : l'auteur n'est pas allé jusqu'au bout de sa pensée ; pour lui, l'éducation du caractère doit primer celle de l'intelligence et l'éducation morale doit jouer dans l'enseignement primaire un rôle prépondérant. Telle est aussi notre opinion. C'est cette primauté de la morale que le nouveau plan d'études a voulu souligner en supprimant la distinction, assez artificielle, qu'établissait l'ancien entre l'éducation physique (où l'on faisait entrer, de gré ou de force, les travaux manuels), l'éducation intellectuelle et l'éducation morale. À l'école primaire, celle-ci déborde sur celles-là. L'instruction n'aurait pas de valeur si elle ne servait qu'à former le jugement, et la culture du jugement, comme le pensait Descartes, est le meilleur moyen de cultiver la volonté. Quant à l'éducation physique, elle prend soin de l'âme autant que du corps : l'hygiène est une vertu, et ce sont des qualités de la volonté, la décision, l'énergie, l'endurance que donne la gymnastique bien comprise. Sans nier le rôle propre de l'esprit et du corps, sans vouloir tout subordonner, dans l'éducation intellectuelle et dans l'éducation physique, à la culture morale, insistons sur les liens qui unissent celles-là à celles-ci, et sur la place éminente que doit prendre dans les préoccupations de l'instituteur, la formation des consciences et des caractères.

La vie scolaire lui fournit à tout moment l'occasion de faire pratiquer à l'enfant les règles de la morale. Tant que l'élève est très jeune, au cours préparatoire, par exemple, c'est moins sur la volonté que sur les habitudes qu'il peut exercer son influence. Comme à l'école maternelle, dont il conserve les méthodes, l'instituteur (ou l'institutrice), à propos des divers exercices de la classe, de la récréation et, s'il y a lieu, de la cantine scolaire, donne aux enfants de bonnes habitudes de propreté, d'ordre, d'exactitude, de politesse ; il provoque l'éclosion des bons sentiments, il redresse sans brutalité - car elles sont fragiles. - les pousses qui tendraient à prendre une mauvaise direction. Au cours élémentaire, cette pratique du bien devient plus consciente. Comme le recommandent les programmes de 1887, on doit tendre à mettre la morale en action dans la classe même. Le régime disciplinaire, fondé sur la justice, en fournit à tout moment l'occasion, car les enfants doivent être appelés à sentir et à apprécier l'équité des actes accomplis par le maître dans le gouvernement de la classe. Il est peut-être plus aisé d'exercer leur sens moral à propos des actes de leur maître qu'à propos des actes de leurs camarades ; le pharisaïsme est un sentiment qu'il n'est pas bon d'éveiller et la maxime "Tu ne jugeras point" n'a pas moins de valeur pour le monde des enfants que pour le monde des adultes. Il faudra s'efforcer de provoquer en eux l'admiration plus souvent que le mépris, former leur jugement moral à propos des bonnes actions plutôt qu'à propos des mauvaises, les inviter à estimer l'effort patient et laborieux, la ténacité dans la lutte contre le malheur, la franchise, la droiture, la bonté plutôt qu'à se complaire dans le spectacle des vices et des passions, ce spectacle dût-il se terminer par la punition du méchant. Le mal est plus contagieux que le bien ; prohiber un acte mauvais, c'est attirer sur lui l'attention, c'est par là même pousser à l'accomplir. Sachons donner aux enfants de bonnes habitudes : c'est le meilleur moyen de leur faire perdre les mauvaises.

Lorsque l'enfant entre au cours moyen, sa volonté commence à se former; il ne s'agit plus seulement de diriger ses habitudes, il y a lieu de lui apprendre à user de sa liberté. Non seulement on continuera à pratiquer une discipline libérale, c'est-à-dire une discipline qui ne laisse aucun de ses décrets sans justification devant l'esprit des enfants, mais, au moins à certains moments et dans certains domaines de l'activité scolaire, on fera place au "self government". Sous réserve de l'approbation du maître, les écoliers seront appelés à régler eux-mêmes, par une entente concertée, certains détails de leur vie commune ; ils éliront ceux d'entre eux qui seront chargés de remplir de menues fonctions : "les officiers sanitaires", qui doivent veiller à l'aération et à la propreté des locaux, les dignitaires des "coopératives", des mutualités scolaires, des sociétés de gymnastique ou de tir, des sociétés des amis des arbres ou des amis des oiseaux, des "ligues de bonté, de toutes les associations qui se constituent dans les écoles avec l'autorisation de l'instituteur. Sans que l'autorité du maître perde un seul de ses droits, on multipliera les circonstances où l'enfant aura l'occasion de prendre une décision soit par lui-même, soit de concert avec ses camarades ; l'éducation de la volonté individuelle et de la volonté collective ne pouvait pas commencer plus tôt, mais il n'est pas trop tôt pour l'entreprendre. Elle sera continuée, suivant le même mode, pendant les deux années du cours supérieur.

 

III. Programmes et procédés

 

Non contente de favoriser des pratiques morales, l'école primaire tient à honneur de concentrer l'attention de ses élèves, presque chaque jour durant de brefs instants, sur les idées et les sentiments qui doivent diriger leur conduite. En quoi consiste cet enseignement de la morale ?

Au cours préparatoire, c'est à peine si l'on peut parler d'un enseignement. La leçon, si l'on peut employer ce mot, ne doit comporter ni livre, ni cahier, ni exposé didactique, ni résumé. Le maître se borne à éveiller la conscience de l'enfant par des récits susceptibles de poser de petits problèmes moraux. Ces récits peuvent être empruntés à la fable et à la légende pourvu qu'ils ne présentent pas aux jeunes esprits un monde trop artificiel. On remarquera que, dans les nouveaux programmes, l'histoire ne figure pas au cours préparatoire. Ce n'est pas un oubli. Le conseil supérieur a estimé que les élèves de ce cours sont trop jeunes pour situer avec précision les événements dans la durée. Mais il a pensé que l'image des héros de tous les pays et de tous les temps pourrait être présentée à ces enfants pendant les entretiens de morale. On prendra seulement la précaution de choisir des héros dont la vertu simple puisse être décrite sans altération devant ces esprits candides.

Le programme du cours élémentaire n'est pas plus didactique que celui du cours préparatoire. Aux récits que lui faisait son maître, l'enfant joint maintenant, puisqu'il sait lire, ceux qu'il trouve dans son livre. Mais le quart d'heure quotidien consacré à la morale demeure un entretien plutôt qu'une leçon, une "élévation" de l'âme vers l'idéal, une exhortation à bien agir plutôt qu'une dissertation sur le bien. Pas plus qu'au cours préparatoire, nous ne voudrions ici de livres ni de cahiers, d'exposés ni de résumés. Tout au plus une maxime serait-elle notée, à la fin de l'entretien, pour fixer le souvenir d'une émotion ressentie, d'une résolution prise en commun. Encore ne faudrait-il choisir que des maximes lapidaires, saisissantes pour l'imagination et s'imposant à la mémoire, et non ces phrases banales et diluées que l'on trouve trop souvent sous le nom de "maximes", dans les manuels à l'usage de nos écoliers.

Au cours moyen, l'enseignement moral prend un caractère sinon plus abstrait, du moins plus intellectuel. Il s'agit d'amener les enfants à réfléchir méthodiquement "sur les principales vertus individuelles et sur les principaux devoirs de la vie sociale". On ne manquera pas de remarquer que ce programme est très bref. Celui de 1887 était beaucoup plus long : non seulement il énumérait une dizaine de chapitres : (I. - L'enfant dans la famille. Devoirs envers les parents et les grands-parents. Devoirs des frères et des sœurs. Devoirs envers les serviteurs. L'enfant dans l'école. La patrie. - II. - Devoirs envers soi-même. Le corps. Les biens extérieurs. L'âme. Devoirs envers les autres hommes. Devoirs envers Dieu), mais il distinguait, dans chacun de ces chapitres, plusieurs articles. Nous avons déjà indiqué, dans notre Introduction, pour quels motifs d'ordre général nous avons abrégé les anciens programmes. Mais on pourra se demander si, en cette matière, abréviation n'est pas altération. On pourra se demander, par exemple, si, en négligeant de mentionner expressément les devoirs envers Dieu, les auteurs du nouveau programme n'ont pas abandonné l'attitude prise sur la question par les fondateurs de l'école laïque.

Quelle était cette attitude ? Elle consistait à recommander à l'instituteur d'éviter, en cette matière, toute discussion métaphysique. "L'immense majorité des enfants lui arrive ayant déjà reçu ou recevant un enseignement religieux qui les familiarise avec l'idée de Dieu auteur de l'univers et père des hommes". L'instituteur n'a donc pas à prouver devant ces enfants l'existence de Dieu et il n'a pas davantage à la prouver devant les enfants des incrédules. D'autre part, "il n'est pas chargé de faire un cours ex professo sur la nature et les attributs de Dieu". Sur ces problèmes, l'État n'a pas le droit d'imposer une solution. À quoi se réduit donc l'enseignement que doit donner l'instituteur public ? À deux points :

"D'abord, il leur apprend à ne pas prononcer légèrement le nom de Dieu; il associe étroitement dans leur esprit à l'idée de la cause première et de l'être parfait un sentiment de respect et de vénération et il habitue chacun d'eux à environner du même respect cette notion de Dieu, alors même qu'elle se présenterait à lui sous des formes différentes de celles de sa propre religion.

"Ensuite, et sans s'occuper des prescriptions spéciales aux diverses communions, l'instituteur s'attache à faire comprendre et sentir à l'enfant que le premier hommage qu'il doit à la divinité, c'est l'obéissance aux lois de Dieu, telles que les lui révèlent sa conscience et sa raison".

Ces conseils n'ont rien perdu de leur sagesse. En les suivant, nos instituteurs et nos institutrices prendront soin d'éviter tout ce qui risquerait d'apparaître comme une violation de la neutralité. Et ils n'oublieront pas qu'en ces matières la conscience publique est devenue, depuis quarante ans, de plus en plus scrupuleuse.

Comme le programme du cours moyen, celui du cours supérieur (classe de fin d'études) est, en morale, très bref. Pourtant, il est plus complet que l'ancien. Celui-ci n'insistait guère que sur la morale sociale. Le cours supérieur étant celui où, pour la première fois, on esquisse une théorie des devoirs, nous avons pensé que la réflexion de l'enfant devait être attirée sur les principes des devoirs individuels aussi bien que sur les principes des devoirs sociaux. Sans doute, cette théorie des devoirs, cette réflexion sur les principes est encore très modeste. Il serait hors de propos d'inviter des enfants de douze ans à choisir entre Épicure et Zénon, entre Bentham et Kant. Mais on s'efforcera de coordonner les notions morales, de montrer qu'elles se relient les unes aux autres et que, en partant de certaines idées centrales, on peut apercevoir à leur plan, plus ou moins éclairées selon leur importance relative, les diverses fins de l'activité humaine ; on peut commencer à dresser dans la conscience des enfants une table rationnelle des valeurs. Peu à peu, soit en analysant la conscience, soit en approfondissant les notions de justice et de solidarité, on arrivera à montrer que l'obligation morale s'impose à l'homme comme une loi de sa nature individuelle et sociale ; on fera reposer la morale enseignée à l'école primaire sur les principes les plus solides de notre constitution mentale**.

À l'enseignement de la morale est rattaché, au cours supérieur, celui de l'instruction civique. Alors que l'ancien plan d'études prévoyait dès le cours élémentaire une initiation à cet enseignement, nous en reculons de quatre années l'introduction dans nos programmes. S'il est vrai qu'aucun enseignement ne doive être donné avant d'être désiré, l'instruction civique devrait être réservée pour le moment où les jeunes gens, approchant de la majorité, vont avoir à faire acte de citoyens. Si l'éducation des adolescents était organisée, c'est dans les cours post-scolaires, devenus obligatoires, que devrait être enseignée l'instruction civique. Du moins ne l'imposons pas à des enfants de sept à dix ans. Bornons-nous, si l'occasion s'en présente, à leur expliquer, d'une manière aussi concrète que possible, les termes empruntés au langage administratif ou politique (citoyen, soldat ; commune, canton, département, mairie, préfet, député, sénateur, ministre, république, etc.). En revanche, au cours supérieur, pendant les dernières classes que l'entant suivra avant de devenir électeur, des renseignements précis doivent lui être donnés sur le mécanisme et le fonctionnement de nos institutions.

Pourtant, il s'agira moins d'en décrire en détail les rouages que d'en montrer les principes. C'est pour ce motif que l'instruction civique, au lieu de demeurer rattachée à l'histoire (dont, en fait, elle s'était d'ailleurs séparée), a été annexée par le nouveau plan à l'enseignement moral. Droits et devoirs des citoyens, obligation scolaire, obligation militaire, obligation fiscale, suffrage universel, rapports réciproques des pouvoirs publics, organisation de la justice, de l'assistance, toutes ces questions soulèvent des problèmes moraux. Et c'est sur des idées morales, c'est sur des idées de justice et de solidarité que reposent les institutions démocratiques. Enseigner à l'enfant ce qu'il doit savoir pour jouer son rôle de citoyen, c'est compléter son éducation morale.

 

* On pourra, si l'on préfère, donner cet enseignement en quatre séances d'une vingtaine de minutes.

** L'enseignement moral et civique sera donné, au cours supérieur, en trois leçons hebdomadaires d'une demi-heure.

 

 

II. LECTURE

 

À l'école primaire, l'enseignement de la lecture sert à deux fins. Il met entre les mains de l'enfant l'un des deux outils - l'autre étant l'écriture - indispensables à toute éducation scolaire. Il lui donne le moyen de s'initier à la connaissance de la langue et de la littérature françaises.

C'est d'abord la première de ces deux fins qui est visée. L'enfant ne peut rien apprendre s'il ne sait pas lire ; il n'apprend rien volontiers s'il ne sait pas lire aisément. Il faut donc lui donner le plus vite possible l'habitude de lire sans effort, et l'on ne peut pas lui donner cette habitude sans multiplier les exercices. Voilà pourquoi nous exigeons qu'au cours préparatoire l'enfant consacre à la lecture le tiers de son temps, dix heures par semaine, deux heures par jour, soit quatre séances d'une demi-heure, deux le matin et deux l'après-midi.

Nous ne préconisons aucune méthode la meilleure sera celle qui donnera les résultats les plus rapides et les plus solides. Entre la méthode d'épellation et la méthode syllabique ou la méthode globale, nous ne faisons aucun choix ; des expériences se poursuivent qui décideront. Toutefois, les procédés qui nous paraissent devoir l'emporter sont ceux qui amènent l'enfant à s'intéresser à cette tache ingrate qui consiste à associer des sons et des formes sans rapport apparent. Par suite, ceux qui font appel à son besoin de mouvement ont les plus grandes chances d'être féconds. Et telle est probablement la raison du succès de la méthode phonomimique, malgré sa bizarrerie. L'essentiel est que l'enfant prenne plaisir à cet apprentissage difficile. S'il y prend plaisir, en y consacrant le temps fixé par le programme nouveau, au bout de trois mois il saura lire et au bout de l'année il saura lire couramment.

Au cours élémentaire, la tâche principale est encore d'entraîner l'enfant à lire sans effort. Aussi le nombre des exercices de lecture est-il encore considérable. Ils occupent sept heures dans l'emploi du temps des garçons et, s'ils n'en occupent que six et demie dans celui des filles, c'est qu'il fallait réserver pour les travaux manuels des filles, c'est-à-dire pour la couture, une demi-heure de plus que pour ceux des garçons. Au surplus, le conseil supérieur a entendu des témoins autorisés déclarer que les petites filles arrivent à lire avec aisance plus vite que les petits garçons, et que, par suite, la réduction opérée sur leur horaire de la lecture ne présenterait pas pour elles de trop graves inconvénients.

Pendant cette période, le caractère essentiel de la lecture est d'être "courante" et l'on se gardera d'en arrêter trop souvent le cours par des questions ou des explications. L'enfant est encore trop préoccupé des difficultés qui viennent de la complication des combinaisons de lettres pour trouver plaisir à élucider le sens des mots. Les questions qui interrompent son effort de déchiffrage ne sont pas de nature à lui donner le goût de la lecture. Et c'est ce goût qu'il faut avant tout lui inculquer. Seuls les termes les plus difficiles seront expliqués. Encore faut-il souhaiter qu'ils soient rares.

Grâce à l'entraînement intensif auquel ils auront été soumis pendant trois années, nos élèves, dès le début du cours moyen, posséderont le mécanisme de la lecture. Dès lors, on peut réduire la place de cet enseignement dans l'emploi du temps : nous ne lui laissons plus que trois heures par semaine. C'est encore plus d'une demi-heure par jour de classe. Et si l'on réfléchit que l'enfant devra lire, en dehors des leçons de lecture, dans la plupart de celles qui sont consacrées aux autres disciplines, on ne jugera pas excessive cette réduction. Pendant ces trois heures, on continuera à pratiquer la lecture "courante", mais on multipliera les questions et les explications relatives au sens des mots, des phrases et des morceaux. L'enfant n'ayant plus à surmonter les obstacles qui tiennent aux bizarreries de l'orthographe, on peut et on doit appeler son attention sur les rapports de l'idée et de l'expression. C'est maintenant de ces rapports que viennent les difficultés qui l'arrêtent ; il serait dangereux d'attendre plus longtemps pour résoudre avec lui les petits problèmes d'exégèse qu'il est amené à se poser. Loin de gâter le plaisir qu'il prend à la lecture, les questions relatives au sens des détails et de l'ensemble sont maintenant de nature à l'accroître. Par suite, on peut exiger de lui qu'il prouve par sa manière de lire, qu'il comprend ce qu'il lit. La lecture devient "expressive". Ce mot n'apparaissait, dans l'ancien plan d'études, qu'au cours supérieur ; mais, en augmentant la place de la lecture au cours préparatoire et au cours élémentaire, nous espérons à cet égard gagner deux ans. C'est dès le début du cours moyen, à neuf ans, que l'écolier doit lire avec expression.

Dès ce moment, la leçon de lecture est une leçon de langue française. Au cours supérieur, elle va devenir une modeste leçon de littérature. Les explications données à l'enfant ne porteront plus seulement sur le sens, elles devront "tendre à faire sentir la beauté des morceaux". Très simplement, l'instituteur éveillera le sens littéraire, fera discerner les différences qui existent entre les expressions choisies par de grands écrivains et celles qui viendraient à l'esprit d'auteurs sans style. Très simplement, il suscitera l'émotion esthétique, sans théories abstraites, sans expressions tirées du vieux jargon de la rhétorique, par un simple appel au goût virtuel d'enfants dont les impressions sont naïves et dont le jugement n'a pas été déformé. Il ne saurait être question d'instituer à l'école primaire un exercice qui, sous le nom de "lecture expliquée", risque ailleurs de revêtir un caractère artificiel et mécanique. Il ne s'agit pas, à propos de chaque morceau, de faire une leçon d'histoire littéraire sur l'ouvrage et sur l'auteur. Il ne s'agit pas davantage, sous prétexte de chercher le plan, de faire subir au texte une dissection pénible. Il ne s'agit pas non plus de fournir sur chaque mot une explication complète littérale, grammaticale, historique et littéraire. L'instituteur commencera par lire lui-même à haute voix, en indiquant par les variations de l'intonation les nuances de la pensée et du sentiment, le morceau qu'il veut faire expliquer. Il en fera trouver rapidement les intentions principales. Par des questions alertes et des explications sobres, il fera comprendre le sens des détails et sentir la beauté des expressions. Alors seulement il fera lire le texte à haute voix par des élèves, afin de s'assurer qu'ils en comprennent la signification et en apprécient la valeur. Il va de soi que cette valeur doit être incontestable. Si l'on n'exige pas d'un syllabaire qu'il soit rédigé par un grand écrivain, on a le droit d'exiger que les recueils placés entre les mains d'enfants de douze ans - et même de dix ans - ne contient que des morceaux écrits par de grands prosateurs et de grands poètes.

 

 

III. ÉCRITURE

 

Ce n'est pas sur le chapitre de l'écriture que l'on constatera, entre l'ancien plan d'études et le nouveau, les plus grandes différences. Il en est cependant qui demandent explication.

Tout d'abord, on a prévu deux leçons d'écriture par jour au cours préparatoire. Comme la lecture, l'écriture est un outil scolaire dont l'enfant ne saurait se passer. Il ne peut faire aucun progrès tant qu'il n'a pas cet outil bien en main. Tant qu'il n'en possède pas parfaitement le mécanisme, il faut donc multiplier les exercices d'écriture. Au surplus, on pourra combiner les leçons de lecture et les leçons d'écriture ; les deux enseignements sont solidaires, et il y a souvent intérêt à les donner simultanément.

Afin de graduer les exercices on se contentera au cours préparatoire, de faire connaître aux enfants les lettres minuscules. Il est inutile de charger leur mémoire de plusieurs jeux de lettres différentes, d'autant que la nécessité de faire connaître à la fois les lettres manuscrites et les lettres imprimées complique déjà l'enseignement. Que notre écolier sache écrire sans hésitation, d'une manière imperturbable, les mots simples qu'il aura appris à lire sans hésitation, d'une manière imperturbable ; que cette double acquisition soit si solide qu'elle soit définitive. Nous n'en demandons pas plus à un enfant de sept ans.

À partir de sept ans, notre écolier n'aura plus qu'une séance quotidienne d'écriture. L'ancien plan d'études prévoyait une heure. Bien que nous ne soyons pas disposés à déprécier, aux yeux des maîtres et des élèves, l'importance de cet enseignement, nous estimons qu'une demi-heure suffit. Mais il est bien entendu que, en dehors de cette demi-heure, l'enfant aura de nombreuses occasions d'écrire (il fera de petites dictées, de courts exercices de langue française) et que, dans aucun de ces devoirs on ne tolérera qu'il néglige son écriture.

Le programme de la leçon quotidienne sera plus étendu au cours élémentaire qu'au cours préparatoire : l'enfant abordera l'étude des majuscules ; il s'essayera à deux types d'écriture (en "gros" et en "moyen"). On s'est demandé si l'enfant de sept ans n'a pas la main trop petite pour écrire "en gros" et une première rédaction du nouveau programme, réduisant celui de 1887 qui prescrivait, au cours élémentaire, l'écriture "en gros, en moyen et en fin", n'avait retenu que les deux derniers types. Mais, en fait, nos enfants commencent toujours par tracer sur leurs ardoises des caractères de grande dimension ; les plus petits écrivent donc "en gros". Et nous devons nous en féliciter, car, dés qu'ils se mettent à écrire fin, ils risquent de tomber dans un excès qui leur vaut une myopie prématurée. C'est donc par raison d'hygiène que nous avons ajourné l'écriture "en fin" et conservé pour le cours élémentaire l'écriture "en gros".

Au cours moyen, les trois types d'écriture sont pratiqués, et trois séances d'une demi-heure sont consacrées à cet enseignement. Au cours supérieur, une séance hebdomadaire de trois quarts d'heure a paru suffire, bien qu'à la cursive s'ajoutent ici la ronde et la bâtarde. Ces deux écritures, qui demeurent nécessaires en mainte profession, n'exigent ni un trop long apprentissage, ni un effort hors de proportion avec leur utilité.

Le nouveau plan d'études ne manifeste de préférence pour aucune méthode d'écriture. L'écriture droite et l'écriture penchée demeurent également autorisées*. L'essentiel est que la méthode adoptée permette à l'enfant de se placer, pour écrire, dans les meilleures conditions hygiéniques. Qu'il se tienne bien droit devant son cahier, le torse vertical, les deux avant-bras également appuyés sur la table, les yeux à trente centimètres environ du papier. Trop souvent, ces conditions ne sont pas réalisées : trop souvent, nos écoliers se courbent et se tordent devant leur page d'écriture, au grand dommage de leur colonne vertébrale, de leurs poumons et de leurs yeux. Mais, trop souvent, le mal vient, soit de la construction défectueuse des tables et des bancs, soit de la mauvaise disposition du cahier, soit d'une sorte de paresse physique qui laisse fléchir le corps. Du moins faut-il éviter qu'à ces causes, contre lesquelles on ne saurait trop énergiquement réagir, ne vienne s'ajouter l'emploi d'une mauvaise méthode.

* Voir l'avis inséré dans le numéro du 18 novembre 1893 du Bulletin administratif du Ministère de l'Instruction publique.

 

 

IV. LANGUE FRANÇAISE

 

Nul n'ignore les difficultés que rencontre l'instituteur dans l'enseignement de la langue française. Lorsque les enfants lui sont confiés, leur vocabulaire est pauvre et il appartient plus souvent à l'argot du quartier, au patois du village, au dialecte de la province qu'à la langue de Racine ou de Voltaire. Le maître doit se proposer pour but d'amener ces enfants à exprimer leurs pensées et leurs sentiments, de vive voix ou par écrit, en un langage correct. Enrichir leur vocabulaire, habituer les élèves à choisir exactement et à prononcer distinctement le mot propre, puis les amener peu à peu à grouper logiquement leurs pensées et leurs expressions, voilà un programme qui, en dépit de sa modestie, n'est pas de réalisation facile. Nos instituteurs affronteront, pour le remplir, tous les obstacles, car ils sentent bien que donner l'enseignement du français, ce n'est pas seulement travailler au maintien et à l'expansion d'une belle langue et d'une belle littérature, c'est fortifier l'unité nationale.

Les moyens mis à la disposition de l'instituteur pour enseigner le français sont nombreux. Pourtant, ils n'ont pas encore révélé toute leur efficacité, et il n'est pas de domaine où l'on doive davantage s'efforcer de trouver des méthodes plus fécondes. C'est dans cette intention que nous avons réformé l'enseignement de la lecture et hâté le moment où notre élève sera en pleine possession de cet instrument nécessaire. Délivré plus tôt des difficultés matérielles de lecture, l'enfant pourra lire davantage et consacrer plus de temps à l'étude de la langue. Mais cette étude elle-même devra être faite par des procédés plus actifs.

 

I. Exercices de récitation

 

On accordera plus d'importance, dès le cours préparatoire, aux exercices de récitation. Lorsqu'on visite une école, le regard est attiré, près de la chaire du maître, par le tableau, réglementairement affiché des morceaux de récitation appris pendant l'année solaire. Mais il est rare que ce tableau soit très rempli. L'exercice de récitation est cependant l'un des meilleurs moyens d'enseigner aux enfants l'usage correct des mots et des tours de notre langue. Il a, en outre, l'avantage de leur être agréable, si les morceaux sont, par leur nature et par leur taille, adaptés à leur âge. Au cours préparatoire, on leur fera apprendre, par audition, de courtes poésies, mais on exigera d'eux une prononciation distincte et une diction correcte. À partir du cours élémentaire, ils apprendront eux-mêmes, dans leurs livres de lecture, des poésies un peu moins brèves. Au cours moyen, la mémoire ayant moins besoin d'être aidée par le rythme, le programme, sans abandonner la poésie, prévoit des morceaux de prose. À tous les cours, il est recommandé de ne choisir, pour les confier à la mémoire des enfants, que les morceaux d'une indiscutable valeur. Toutefois, il serait difficile d'emprunter aux classiques tous les textes destinés à des enfants de neuf ans : La Fontaine lui-même n'a pas toujours pour leur esprit l'attrait et la portée que nous lui attribuons. Mais, au cours supérieur, de même que l'enseignement de la lecture doit faire sentir aux élèves la beauté des expressions, de même l'exercice de récitation doit prendre un caractère littéraire, et c'est à nos grands classiques que le programme nouveau prescrit de faire appel. En un mot, d'un bout à l'autre des études primaires, l'exercice de récitation doit être en honneur : apprendre un plus grand nombre de morceaux et des morceaux d'une plus grande valeur littéraire, tel doit être, à cet égard, le mot d'ordre.

 

II. Exercices de vocabulaire

 

Le Conseil Supérieur a tenu à graduer avec soin les exercices de vocabulaire : au cours préparatoire, ils ne doivent avoir trait qu'aux mots les plus simples de la langue usuelle, à des mots qui désignent des objets ou des êtres parfaitement connus des élèves. Au cours élémentaire, où la lecture permet déjà d'élargir l'horizon de l'enfant, ils portent sur les mots des textes placés sous ses yeux. Au cours moyen, on commence à lui faire sentir les nuances qui séparent des expressions en apparence synonymes ; on commence aussi à grouper les mots de manière à lui faire comprendre leur filiation. Enfin, au cours supérieur (classe de fin d'études) l'exercice peut aborder des questions plus délicates : on montrera la filiation des divers sens d'un même mot. Dans toutes ces leçons, il faudra se garder de l'érudition et de la subtilité. Trop souvent, à coups de dictionnaire, maîtres ou élèves introduisent, dans les familles de mots qu'ils étudient, des expressions rares ou même absolument inusitées. On ne devra, à aucun moment, dépasser les limites de la langue courante : elle est assez riche pour fournir matière à des exercices variés. On s'abstiendra de rechercher l'étymologie des mots (c'est à dessein que ce terme a été effacé du programme) : on s'expose, dans cette recherche, à de trop fréquentes erreurs. Mais surtout on s'efforcera de rendre tous ces exercices intéressants pour les élèves : s'il est un domaine où il est non seulement utile, mais nécessaire de recourir à la méthode attrayante, c'est celui-ci. Par lui-même, l'effort indispensable pour trouver des expressions, en définir le sens, les comparer à d'autres, les grouper en familles, ne présente pas pour l'enfant d'âge scolaire un vif intérêt. Il faut donc s'ingénier pour découvrir les moyens, même artificiels, de transformer ces exercices en véritables jeux. C'est à cette condition qu'ils seront efficaces.

 

III. Exercices d'élocution

 

De même que les exercices de vocabulaire, les exercices d'élocution ont été gradués avec soin. Au début, on guide l'élève ; on lui demande simplement de répéter ce qu'il vient d'entendre. Mais, peu à peu, on lui laisse plus de liberté : ce sont ses impressions personnelles qu'on lui demande de traduire après les lectures et les promenades qu'il a faites, les leçons et les expériences auxquelles il a assisté. Nous ne verrions d'ailleurs aucun inconvénient, si des enfants montrent de bonne heure un certain goût pour l'invention, à les laisser raconter à leur guise les histoires dues à leur imagination. Comme les exercices de vocabulaire, les exercices d'élocution ne seront féconds que s'ils apportent aux enfants de la joie.

 

IV. Grammaire et orthographe

 

L'enseignement de la grammaire et de l'orthographe ne commencera désormais qu'au cours élémentaire. Tandis que l'ancien plan d'études prévoyait, dès le cours préparatoire, de petites dictées, à la vérité très rudimentaires, le Conseil supérieur a préféré réserver la dictée pour le cours élémentaire ; au cours préparatoire, on se bornera à attirer l'attention des enfants, pendant la lecture, sur l'orthographe de certains mots ; on pourra d'ailleurs les leur faire copier, lorsqu'ils ne s'écrivent pas comme ils se prononcent, afin d'associer très étroitement dans les esprits leur représentation motrice à leur représentation visuelle et à leur représentation auditive : ce sera le moyen le plus sûr de fixer dans la mémoire l'orthographe de ces mots difficiles. Mais ces exercices modestes ne constituent qu'une "initiation" à l'orthographe et une sorte de parenthèse dans l'enseignement de la lecture.

Au contraire, l'enseignement grammatical a sa place à part dans le programme du cours élémentaire. Mais il doit être extrêmement simple. Il ne doit porter que sur les éléments essentiels de la proposition. Pas de syntaxe. Pas d'analyse. Pas de leçons sur les mots invariables. Dans l'étude du verbe, laisser de côté la forme passive et la forme pronominale ; se contenter de la forme active. Dans la forme active elle-même, laisser de côté les temps désuets ; s'abstenir de faire apprendre par cœur ces passés antérieurs, ces futurs antérieurs, ces plus-que-parfaits du subjonctif que l'enfant, selon toute vraisemblance, n'aura jamais l'occasion d'employer. La première année, ne parler que des verbes du premier groupe (infinitif en er). Jamais nous ne répéterons assez qu'il faut simplifier l'enseignement grammatical.

De même qu'il doit être simple, l'enseignement grammatical doit être concret. Le maître doit partir des textes placés sous les yeux des enfants pour leur faire comprendre la fonction habituelle du nom, de l'article, de l'adjectif, du pronom et du verbe. Il ne s'agit pas de formuler des définitions abstraites dont une connaissance plus approfondie de la langue ferait vite apparaître le caractère artificiel. Il s'agit d'amener les enfants, par la pratique du langage parlé ou écrit, à classer avec une suffisante précision les formes verbales sous les rubriques que les grammairiens ont imaginées pour mettre un peu d'ordre dans le chaos des réalités linguistiques. Puis, une fois que les élèves auront ces connaissances, on les priera d'en faire l'application et d'accorder entre eux les articles, les adjectifs et les noms, verbes et les sujets.

Entre autres exercices, on leur donnera des dictées. Mais ces dictées seront des dictées préparées : on n'obligera pas les enfants à inventer ou à deviner l'orthographe de mots inconnus, on la leur fera connaître d'avance ; on ne laissera d'autre soin à leur intelligence que celui d'appliquer les règles qu'ils ne doivent pas ignorer. On évitera ainsi le reproche qui a été fait, non sans raison, à l'antique dictée, d'enraciner dans la mémoire motrice de l'écolier de mauvaises habitudes graphiques et de le condamner, la faute une fois commise par le fait d'une ignorance excusable, à la répéter à perpétuité.

Au cours moyen, la méthode de l'enseignement grammatical ne change pas : on va toujours de l'exemple à la règle et de la règle à l'application. Mais la matière des leçons devient plus copieuse : toutes les espèces de mots sont étudiées, toutes les formes du verbe (sans qu'il soit nécessaire de parler, plus qu'au cours élémentaire, des temps désuets). On étudie non seulement la proposition mais la phrase, non seulement les éléments constitutifs de la phrase, mais, si l'on peut dire, ses silences : les signes de ponctuation. Il ne s'agit toujours que d'une étude succincte, sans subtilité d'analyse, et c'est à dessein que le programme ne reproduit pas la traditionnelle distinction entre analyse logique et analyse grammaticale. Mais, si simple qu'elle soit, l'étude est maintenant assez complète. Aussi, à côté des dictées préparées peut-on recommander les dictées de contrôle qui permettent de voir si l'enfant a bien appris et bien retenu les principales règles de la grammaire.

La méthode ne change pas plus au cours supérieur qu'au cours moyen : elle demeure concrète et inductive. Mais, jusqu'à présent, on s'était contenté d'indiquer les règles. Voici maintenant les irrégularités. Sans doute, on s'en tiendra aux exceptions les plus usuelles ; on se gardera d'insister sur celles qui, encore usitées, tendent à disparaître. Loin d'être abrogé, l'arrêté du 26 février 1901 sur les "tolérances grammaticales" doit être rigoureusement appliqué. Mais il faut l'appliquer selon son esprit. Trop souvent, il n'a servi qu'à compliquer l'enseignement, l'enfant étant obligé d'apprendre par cœur, non seulement la règle et l'exception, mais "la tolérance". Il doit être bien entendu que, lorsqu'on tolère qu'une exception disparaisse, il ne doit rester dans l'enseignement que la règle. "Tous les adjectifs s'accordent avec le nom auquel ils se rapportent" : si nous admettons qu'on ne fait pas de faute en appliquant cette règle, même aux adjectifs placés immédiatement avant le nom (exemple feue la reine), il est inutile de faire apprendre aux enfants que, dans ce cas, l'ancienne grammaire obligeait à laisser l'adjectif invariable. Même au cours supérieur, l'enseignement grammatical doit demeurer simple. Non seulement l'arrêté de 1910 sur la nomenclature doit être respecté, mais on ne fera grief à personne d'aller plus loin dans la voie de la simplification. Et si, dans le nouveau plan, la syntaxe passe du cours moyen au cours supérieur, ce n'est pas pour qu'elle soit enseignée avec plus de détails. Peu de notions, mais des notions précises, si bien assimilées que l'enfant les applique inconsciemment lorsqu'il parle ou lorsqu'il écrit, voilà tout ce que nous demandons à l'enseignement grammatical.

 

V. Exercices de composition

 

Reste un exercice important, celui qui permet de vérifier l'efficacité des autres, celui qui, maintenant et plus tard, permettra le mieux d'apprécier la culture de l'enfant, celui qui lui rendra le plus de services dans la vie, la composition française. Cet exercice apparaît au cours élémentaire, mais il n'y apparaît que timidement. Il ne saurait être question de faire composer à des enfants de sept ans de véritables rédactions. Nous ne leur demandons pas même un paragraphe. Nous ne leur demandons que de petites phrases. Si nous n'avons pas encore obtenu dans l'enseignement du français tous les résultats que nous souhaitons, c'est peut-être parce que, trop ambitieux, nous avons eu le tort de faire commencer trop tôt les exercices de rédaction. L'enfant ne peut rédiger que lorsqu'il possède non seulement une assez riche collection d'idées, mais une assez riche collection d'expressions. Il faut que toutes les autres disciplines (littéraires, historiques et scientifiques) aient accumulé dans son esprit des faits et des notions ; mais il faut aussi que tous les autres exercices (la lecture et la récitation, les exercices de vocabulaire et d'élocution, les leçons de grammaire et d'orthographe) aient assoupli son langage et aplani les difficultés matérielles que rencontre tout écrivain novice. Il faut donc procéder par étapes. Que l'enfant apprenne d'abord à exprimer une idée, c'est-à-dire à assembler les éléments d'une proposition, à écrire correctement une phrase simple. Si, au terme du cours élémentaire, il est rompu à cet exercice, il n'aura pas perdu son temps.

Au cours moyen, il apprendra à combiner des phrases. Moins exigeant à cet égard que l'ancien plan d'études, le nouveau conseille aux instituteurs de borner l'effort des enfants de dix ans à la construction d'un paragraphe. Après avoir imaginé quelques phrases sur un sujet déterminé, les grouper logiquement en un développement d'une douzaine ou d'une quinzaine de lignes, voilà tout ce qu'on demande à ces enfants. C'est tout ce qui sera demandé à la première partie de l'examen du certificat d'études primaires, à celle qui sanctionnera les études faites au cours moyen. L'épreuve qui suivra la dictée comportera "trois questions relatives, l'une à la connaissance de la langue, et les deux autres à l'intelligence du texte dicté" : le candidat qui aura répondu à ces trois questions en quelques phrases simples et correctes sera assuré de recueillir une bonne note.

La véritable rédaction n'apparaîtra qu'au cours supérieur. À ce moment, l'enfant possède un assez grand nombre d'idées, tient à sa disposition un assez grand nombre d'expressions, et il a suffisamment développé ses facultés de jugement et de raisonnement pour pouvoir coordonner logiquement ses idées et ses phrases. Quels sujets lui seront proposés ? Peut-être s'est-on, au cours des vingt dernières années, trop étroitement enfermé dans les sujets de pure description. Peut-être a-t-on cru trop volontiers que l'entant est un être exclusivement sensoriel ou qu'il était nécessaire de faire avant tout l'éducation de ses sens. En réalité, il possède une vive sensibilité, une fraîche imagination, et l'on ne saurait, sans risquer d'atrophier ces précieuses facultés, l'emprisonner dans le monde de ses sensations immédiates. Dans ce monde même, ce qui l'intéresse le plus, c'est l'activité des êtres, le mouvement des objets ; aussi préfère-t-il la narration d'un drame à la description d'un spectacle inanimé. Même fictive, la lettre lui plaît parce qu'elle donne une apparence de vie au sujet qu'il traite. Aussi le Conseil supérieur a-t-il tenu à ne pas restreindre la liberté des maîtres dans le choix des sujets : c'est le sens de l' "etc." qui suit la liste des exercices de rédaction qui pourront être faits au cours supérieur.

Cette liberté doit aller jusqu'à laisser, au moins de temps à autre, les enfants eux-mêmes choisir leurs sujets de rédaction. La méthode qui, depuis 1909, produit dans l'enseignement du dessin des résultats si appréciables, doit être, sans hésitation, appliquée à l'enseignement du français. Le dessin libre doit avoir pour pendant la rédaction libre. De même que le dessin libre révèle chez maint enfant des qualités insoupçonnées : le sens de l'observation, du pittoresque, de l'humour, de même la rédaction libre mettra en valeur tantôt la spontanéité et la fraîcheur des sentiments, tantôt le goût littéraire, tantôt l'ingéniosité intellectuelle de nos élèves. Et surtout, elle leur inspirera le désir d'écrire, sans lequel tous nos efforts demeureraient vains.

Que le sujet soit libre ou non, il conviendra d'éviter qu'une préparation collective trop directe et trop précise enchaîne, au moment où ils auront à le traiter, la liberté des écoliers. Quels qu'ils soient, les sujets doivent être à la portée de l'entant ; il doit posséder, soit dans son expérience personnelle, soit dans son imagination, soit dans sa mémoire, soit dans ses livres, les matériaux nécessaires pour bâtir son petit édifice. Il est donc inutile - et il est dangereux - de faire à sa place sa besogne, de lui tracer avec trop de minutie le chemin qu'il aura à parcourir. Toujours prêt à donner des conseils individuels, s'ils sont requis ou s'ils paraissent indispensables, le maître s'abstiendra de tracer d'avance un plan détaillé qui interdirait aux enfants de révéler toutes leurs aptitudes et même d'exprimer leurs véritables sentiments. Fournir aux enfants des idées et des expressions toutes faites, c'est refouler leurs pensées personnelles, dont nous avons le devoir de favoriser l'éclosion : c'est stériliser leur esprit, que nous avons le devoir de féconder.

D'une manière générale, toute méthode est mauvaise si elle n'inspire pas à l'enfant le désir de traduire ses impressions et de chercher, pour cette traduction, l'expression adéquate. Toute méthode est bonne si elle lui inspire ce double désir. Elle est parfaite si ce désir croît, chez l'écolier, jusqu'à la passion ou l'enthousiasme. Or, nul n'éprouve le besoin de traduire ses impressions s'il ne les ressent vivement. Il importe donc que les impressions de l'enfant soient vives. L'intérêt qu'il prendra aux autres leçons rejaillira sur l'enseignement du français. Si l'on sait, en histoire, faire vivre sous ses yeux Charlemagne ou Bayard, il éprouvera le besoin de raconter à sa manière leur vie et d'exprimer ses sentiments à leur égard. Si, en promenade scolaire, il s'enthousiasme pour la beauté d'une fleur, il éprouvera le besoin soit de la dessiner, soit de la décrire, soit de la dessiner et de la décrire. Si, en lisant des vers, il est amené à admirer la qualité des images et l'harmonie des sons, il ne pourra plus s'abstenir d'imiter le poète et il cherchera tout au moins à éviter les banalités et les cacophonies. À la condition qu'il soit vivant, qu'il intensifie les impressions de l'enfant en le faisant activement participer à la recherche de la vérité, tout enseignement collabore à l'enseignement du français. Nous obtiendrons en cette matière de meilleurs résultats quand non seulement nos leçons de français, mais toutes nos leçons feront plus que par le passé appel à l'activité et confiance en la liberté de l'écolier.

 

 

V. HISTOIRE ET GÉOGRAPHIE

 

On s'est parfois demandé quel devrait être, à l'école primaire, le caractère de l'enseignement historique et géographique : on a voulu opposer le point de vue scientifique et le point de vue civique, les uns soutenant que l'historien, même à l'école primaire, ne doit avoir d'autre souci que de dire toute la vérité, les autres estimant que l'instituteur doit surtout s'attacher à cultiver, par le récit des gloires et par la description des beautés de notre pays, le sentiment patriotique.

Nous nous refusons à poser le problème en ces termes. Nous nous refusons à opposer les droits de la science et les droits de la France. Le patriotisme français n'a rien à craindre de la vérité. Ce ne sont pas seulement les gloires communes, ce sont aussi, ce sont surtout les souffrances communes qui scellent l'unité nationale. L'instituteur n'a pas à les dissimuler. Certes, l'enfant de l'école primaire est trop jeune pour qu'on étale devant lui et qu'on livre à sa libre discussion tous les documents sur lesquels pâlissent les historiens. Mais l'instituteur peut, sans hésiter, lui raconter l'histoire de notre pays telle qu'elle résulte des recherches impartiales des savants. La place de la France dans le monde est assez grande, son rôle assez noble pour qu'un enseignement sincère, soucieux de vérité jusqu'à l'intransigeance, favorise l'éclosion et l'épanouissement du sentiment patriotique. Et tel doit être le but de l'enseignement historique et géographique à l'école primaire.

Ce but étant ainsi défini, quelle place devons-nous faire à l'histoire et à la géographie dans notre emploi du temps ?

"L'enseignement de l'histoire et de la géographie, auquel se rattache l'instruction civique, disait l'ancien article 19 de l'arrêté du 18 janvier 1887, comportera environ une heure de leçon tous les jours".

En fait, l'instruction civique a le plus souvent été détachée de l'enseignement historique et géographique pour être rattachée à la morale, et nous venons de sanctionner cet usage. En fait, on ne consacre guère à l'enseignement historique et géographique qu'une leçon d'une demi-heure par jour (trois leçons d'histoire et deux de géographie par semaine). Et ce temps parait suffisant. Le Conseil supérieur a estimé qu'il était inutile de réserver une classe spéciale, à l'histoire et à la géographie dans la section préparatoire : à six ans, les enfants ne peuvent pas encore acquérir les notions de temps et d'espace, de distance dans le temps et dans l'espace, qui sont indispensables pour qu'une leçon soit vraiment une leçon d'histoire ou de géographie. Il a été entendu que, dans les entretiens de morale, on n'oublierait pas de raconter la vie des grands hommes, que, dans les leçons de choses, on ne négligerait pas de montrer aux enfants - et de leur commenter - des images représentant différents pays, différents sites, des caps et des golfes, des végétations tropicales et des glaces polaires. À cela se réduiront, pour les petits, l'histoire et la géographie. En revanche, aux cours moyen et supérieur, l'horaire comportera trois heures par semaine (et non deux heures et demie) ; chaque leçon durera un peu plus d'une demi-heure - ou bien l'on fera chaque semaine six leçons d'une demi-heure au lieu de cinq - de manière à pouvoir donner un peu plus d'ampleur aux exposés sans négliger les interrogations.

 

I. Histoire

 

En histoire, l'ancien plan d'études (arrêté du 4 janvier 1894) répartissait ainsi qu'il suit le temps à parcourir : au cours élémentaire, l'histoire de France jusqu'à la fin de la guerre de Cent ans ; au cours moyen, l'histoire de France depuis la fin de la guerre de Cent ans. Une autre répartition a paru mieux équilibrée, celle qui fixe à l'année 1610 la limite des deux cours. Dans les écoles où le cours élémentaire comprend deux classes, on pourra d'ailleurs subdiviser le programme de telle façon que la première division étudie l'histoire de France depuis les origines jusqu'en 1453 et la seconde de 1453 à 1610. Il n'est pas douteux que les problèmes posés par la Renaissance et la Réforme exigent plus de maturité que n'en peuvent avoir les enfants de huit ans. Mais il ne s'agit pas de poser ces problèmes sous leur aspect philosophique. Il s'agit exclusivement de planter dans la mémoire des enfants des jalons qui leur permettront de se reconnaître au milieu des faits et de se représenter les événements à leur plan respectif dans le passé.

De même, dans les écoles où le cours moyen comprend deux classes, on devra subdiviser le programme de telle manière que la première division aille de 1610 à 1815, et la seconde de 1815 à 1918. Le Conseil supérieur estime qu'on ne saurait accorder trop d'importance aux événements rapprochés de nous ; leur connaissance précise est l'un des moyens les plus puissants dont nous disposions pour former les futurs citoyens français.

Comme l'ancien plan d'études, le nouveau a tenu à donner aux élèves du cours supérieur une idée des civilisations anciennes et une idée de l'histoire générale. L'étude de l'histoire générale sera faite en fonction de l'histoire de France ; elle fournira l'occasion de réviser l'histoire nationale, mais cette révision ne risquera pas de paraître fastidieuse à l'écolier, car elle sera faite à un point de vue nouveau pour lui. Les notions d'histoire ancienne seront très succinctes ; il n'y aura pas lieu de raconter la suite des événements, mais de citer les grands noms et les grands faits et de présenter un tableau sommaire des civilisations de l'antiquité. Si simples que doivent demeurer ces leçons, elles sont indispensables pour que l'éducation donnée aux petits Français soit une modeste, mais véritable culture.

Le Conseil supérieur n'a pas eu à délibérer sur la méthode à suivre dans l'enseignement historique, et, ici comme ailleurs, il laisse aux maîtres une grande liberté. Il a cependant tenu à réagir contre la tendance de certains pédagogues qui, pour éviter de faire un appel excessif à la mémoire, en viendraient à éliminer de l'enseignement historique les dates sans lesquelles il n'y a pourtant pas d'histoire puisque, sans elles, il n'y a pas d'ordre dans le temps. Le Conseil supérieur a précisé qu'il faudrait faire connaître aux enfants non seulement les principaux faits de notre histoire nationale, mais leurs dates. Ces dates ne doivent pas être nombreuses ; si l'écolier du cours élémentaire en retenait une trentaine, ce serait suffisant. Et l'écolier du cours moyen n'aurait guère besoin d'en retenir davantage Mais il importe que ces dates soient reliées aux faits par une association indissoluble, que le fait évoque immédiatement dans l'esprit la date à laquelle il s'est produit. C'est à cette condition seulement que l'écolier saura repérer les faits dans la durée et aura une idée de l'évolution historique.

La liberté du maître dans le choix des méthodes est encore limitée par les lois de la psychologie enfantine. Certaines méthodes ont été mises à la mode qui sont contraires à ces lois. Telle est celle qui, croyant s'appuyer sur une règle pédagogique certaine (aller du connu à l'inconnu), conseille de remonter du présent au passé. Tout d'abord, cette méthode est, à la lettre, impraticable ; il est impossible de raconter les événements en renversant rigoureusement leur ordre, c'est-à-dire en exposant leur terme comme s'il était leur début : il est impossible de retourner le temps comme un gant. En fait, les partisans de cette méthode commencent par la dernière période de l'histoire prise à partir d'un certain moment et l'exposent en suivant l'ordre du temps ; puis, ils attaquent l'avant-dernière période et l'exposent jusqu'au début de la dernière en suivant l'ordre du temps. Et ainsi de suite. Ils ne remontent pas le cours du temps. Ils le descendent, mais ils font de temps à autre un saut en arrière. Cette méthode n'a pas seulement l'inconvénient d'être bizarre. Elle fausse dans l'esprit des enfants le sens du temps et le sens de l'histoire. Pour nos écoliers - les instituteurs s'en aperçoivent bien, et on l'a dit fort justement au Conseil supérieur - ce qui s'apprend en premier lieu s'est passé en premier lieu ; ce qui s'apprend en dernier lieu s'est passé en dernier lieu. Si l'on parlait de Vercingétorix après avoir parlé de Clovis, les enfants croiraient que Vercingétorix est venu après Clovis. La connaissance même des dates serait impuissante à réagir contre cette croyance, d'autant plus solide qu'elle serait plus spontanée. Ou plutôt, cette croyance lutterait contre la connaissance des dates et jetterait le trouble dans l'association que nous voulons indissoluble entre le fait et sa date. Il existe, d'ailleurs, un autre moyen, plus sûr, d'appliquer en histoire la règle qui conseille d'aller du connu à l'inconnu. C'est, à chaque période, de saisir toutes les occasions pour comparer le passé au présent, en faire sentir les oppositions, les différences ou les analogies, marquer les points sur lesquels l'humanité a évolué, ceux sur lesquels elle reste fidèle à elle-même. Il est même utile, lorsqu'on emploie cette méthode comparative, de remonter le cours du temps. Mais c'est après l'avoir descendu. Lorsqu'on a raconté l'histoire d'un siècle, on peut demander aux enfants de faire effort pour se représenter l'état de la civilisation pendant ce siècle, les moyens qui étaient à la disposition des hommes pour subvenir à leurs besoins matériels et moraux, leur habitation, leur vêtement, leur alimentation, leurs routes, leur gouvernement, leurs connaissances et leurs croyances. On peut leur demander surtout de faire effort pour se représenter les lacunes de la civilisation ancienne par rapport à la nôtre, de faire effort pour rechercher, parmi nos ressources économiques et intellectuelles, celles qui faisaient défaut à nos devanciers. L'enfant a peine à concevoir que les hommes aient vécu sans les commodités dues à la science du dix-neuvième et du vingtième siècles. Et l'on ne peut, sans ces espèces de retours sur le passé, lui faire sentir, lui faire "réaliser" le progrès accompli. Mais encore faut-il qu'il ait d'abord commencé par fixer dans son esprit l'ordre exact des événements historiques.

La comparaison du passé et du présent sera l'un des moyens de rendre vivant l'enseignement historique. Tous les moyens que l'on pourra employer pour obtenir ce résultat seront bons, à la condition que l'on ne tombe pas dans des exagérations puériles. Sous prétexte de nouveauté pédagogique, gardons-nous de fausser la réalité historique. Autant il est recommandable de placer sous les yeux des enfants des documents authentiques (pièces de monnaie, vieux papiers, etc.), de leur montrer et de leur commenter les monuments ou les débris de monuments de chaque époque, d'illustrer l'histoire générale grâce aux souvenirs pris dans l'histoire locale, autant il est dangereux de les faire assister ou participer à des "reconstitutions" où la vérité historique est fatalement violée. Le cinéma lui-même, si utile lorsqu'il s'agit de reproduire des scènes réelles, le mouvement et la vie des objets ou des êtres actuels, risque de transformer l'histoire en un roman à la Dumas père et de créer, par suite, dans l'esprit de nos écoliers, de déplorables erreurs. L'histoire est une résurrection, soit. Mais le passé n'en est pas moins le passé. Et c'est donner de lui une idée fausse que de faire croire qu'il est le présent.

 

II. Géographie

 

En arrivant au cours élémentaire l'enfant possédera dans sa mémoire visuelle de nombreuses images, mais il n'aura pas encore acquis de notions géographiques. Celles qu'on lui donnera dans ce cours seront les plus simples, celles sans lesquelles il ne pourrait pas aller plus avant. Les leçons de géographie seront d'abord des leçons de choses. Elles se donneront de préférence dans la cour de l'école ou mieux en promenade. C'est sur le terrain qu'on enseignera aux enfants ce que c'est que l'horizon, les accidents du sol, les points cardinaux, et aussi ce que c'est qu'un cap ou un golfe, un isthme ou un détroit : même loin de la mer, les eaux et les terres fournissent des images approchées de ces faits géographiques.

Lorsqu'il sera en possession du langage géographique, et que ce langage ne sera plus pour lui pur verbiage, lors qu'il saura mettre une réalité sous les mots parce qu'il n'aura pas appris les mots sans avoir vu ces réalités ou leurs représentations figurées les plus parfaites, l'enfant commencera à étudier la description de la terre. Le programme du cours élémentaire est très vaste (puisqu'il embrasse la terre entière - Europe comprise - en insistant légèrement sur la France), mais il est très simple. L'écolier devra se rendre compte non seulement de la forme de la terre, de ses zones climatiques, de la répartition des continents et des océans, mais de l'importance relative des diverses parties du monde, des races qui les habitent, des pays qu'on y distingue. Il ne sera pas interdit de faire connaître quelques-unes des principales villes où les hommes se rassemblent, quelques-unes des grandes chaînes de montagnes, quelques-uns des grands fleuves qui donnent à chaque continent sa physionomie. Mais il serait abusif de faire retenir aux élèves, dans cette première année du cours élémentaire, plus d'une cinquantaine de noms propres de cette nature.

De même, la description de la France, pendant la deuxième année (dans les écoles où ce cours comprend au moins deux classes) doit demeurer sommaire. C'est ici tout particulièrement qu'il faut savoir se borner. Pour prendre un exemple, nous serions parfaitement satisfaits si l'élève de cours élémentaire à qui l'on demanderait d'indiquer les villes que rencontrent nos fleuves se bornait à citer sur la Seine, Paris, Rouen et le Havre ; sur la Loire, Orléans et Nantes ; sur la Garonne, Toulouse et Bordeaux ; sur le Rhône, Lyon. Nous n'exigerions pas de lui la connaissance des affluents de ces fleuves, à moins qu'ils ne fussent - telle la Saône - presque aussi importants que les fleuves eux-mêmes. Nous n'exigerions pas de lui la connaissance des chefs-lieux de départements, ni peut-être même celle des départements. Qu'il possède une représentation vivante des grandes régions de la France, qu'on lui en montre des images variées (c'est ici que le cinématographe et la projection fixe feront merveille), et qu'il groupe ces souvenirs concrets autour de quelques noms propres, bien choisis et parfaitement retenus, associés à des réalités géographiques exactement localisées ; c'est assez. Plus tard, il brodera sur ce canevas. Il exécutera des variations sur ce thème. Ce qui est indispensable pour l'instant, c'est que le thème soit parfaitement su, puisse être récité sans une faute ; c'est que l'idée de la Seine appelle immédiatement, par une association indissoluble, dans l'esprit, l'idée de Paris, Rouen, le Havre, et devant les yeux la vue de ces villes à leur place exacte sur la carte. Ce qui est indispensable, c'est que le canevas soit solide.

Le cours moyen est exclusivement consacré à la géographie de la France. On s'est demandé si ce programme ne serait pas trop court ; beaucoup d'enfants, qui ne dépassent pas le cours moyen, seront-ils condamnés à ignorer le reste du monde ? Mais nous devons observer que le reste du monde est, très sommairement il est vrai, étudié dans le cours élémentaire ; doit-on, pour des enfants qui ne passeront pas au cours supérieur, obliger les mieux doués à piétiner sur place, à ressasser perpétuellement les mêmes programmes ? D'autre part il ne faut pas oublier que la France est une puissance mondiale, qu'elle possède des colonies dans toutes les parties de la terre, que l'étude de ces colonies est inscrite au programme du cours moyen, et qu'on ne peut les étudier sans les situer au milieu des autres pays, sans dire un mot, par conséquent, du reste du monde. N'ayons donc aucun scrupule à retenir pendant deux années l'attention des jeunes Français sur la France. Donnons-leur de leur pays, de la mère patrie et de ses filles lointaines, une image aussi riche que possible. Ce qui ne veut pas dire qu'il faille confier à leur mémoire une énorme quantité de noms propres et de termes techniques. Bannissons au contraire les énumérations devenues inutiles et n'attendons pas la suppression des sous-préfets pour proscrire la récitation de la liste des sous-préfectures. Ce sont des faits, des faits rattachés à leurs causes, des faits coordonnés et systématisés, ce sont des faits et des idées, ce ne sont pas des mots qu'il faut déposer dans les esprits.

Même méthode au cours supérieur : mais ici, de même qu'en histoire, nous étendons l'horizon de nos élèves au delà de la France, et, tout en révisant la géographie de notre pays, nous leur faisons connaître, avec plus de détails qu'au cours élémentaire, l'Europe et les grands pays du monde. Avec plus de détails, mais sans abuser des noms propres et des mots techniques. L'enfant de l'école primaire peut entendre parler d'un grand nombre de villes ; il n'a pas à en retenir tous les noms ; même pour les grands pays, il lui suffira de retenir celui de la capitale. Inutile de charger sa mémoire de noms qu'il oubliera fatalement, que nous oublions tous, que nous avons raison d'oublier, qu'il suffit de savoir retrouver à l'occasion grâce aux livres et aux atlas. Et de même l'enfant de l'école élémentaire n'a pas besoin de connaître les théories géographiques, ni les termes, empruntés aux autres sciences, dont se sert le géographe moderne. Il est inutile de lui parler de synclinaux et d'anticlinaux ; il n'est peut-être pas nécessaire de lui parler d'isothermes et d'isobares. Les faits représentés par ces mots peuvent s'expliquer en langage courant. Et, s'ils sont utiles pour abréger les discussions des savants, il n'est pas nécessaire de les imposer à la mémoire des enfants.

À tous les cours, la leçon de géographie doit être accompagnée de croquis exécutés par les enfants. Un croquis leur sera demandé à l'examen du certificat d'études. C'est un exercice indispensable pour graver dans l'esprit les faits géographiques et leurs relations essentielles. Mais ici encore on se gardera de tomber dans l'exagération et d'exiger des enfants des cartes trop détaillées : ces exercices, outre qu'ils prennent un temps excessif, ont l'inconvénient de retenir l'attention sur le travail matériel de dessin plus que sur la signification géographique du pays dessiné. Et ils ont surtout l'inconvénient d'encombrer la mémoire de mots inutiles. Rendons vivant et concret l'enseignement de la géographie. Mais n'hésitons pas à le simplifier. Nulle part, ce mot d'ordre n'est plus opportun qu'en ce domaine où les résultats répondraient mieux aux efforts si l'on consentait à lui obéir.

 

VI. CALCUL, ARITHMÉTIQUE ET GÉOMÉTRIE

 

L'ancien horaire prévoyait, "pour l'arithmétique et les exercices qui s'y rattachent", trois quarts d'heure ou une heure par jour de classe. Nous n'avons guère modifié ces proportions, puisque nous prévoyons :

Au cours préparatoire, deux heures et demie par semaine, soit en moyenne une demi-heure par jour de classe ;

Au cours élémentaire, trois heures et demie par semaine, soit en moyenne plus de quarante minutes par jour de classe ;

Au cours moyen, quatre heures et demie par semaine, soit en moyenne plus de cinquante minutes par jour de classe ;

Au cours supérieur, cinq heures par semaine, soit en moyenne une heure par jour de classe.

Les idées directrices de l'ancien programme ne sont pas davantage abandonnées. Si nous avons modifié le texte de 1887, c'est pour en mieux marquer l'esprit. On s'en rendra nettement compte en juxtaposant les deux rédactions.

Par exemple, le texte de 1887 : "Premiers éléments de la numération orale et écrite" a été traduit, en 1923, par "Compter des objets, en écrire le nombre".

Le texte de 1887 : "Les quatre opérations sur des nombres" est devenu : "Ajouter ou retrancher des groupes d'objets ; additionner ou soustraire les nombres correspondants. - compter par 2, par 3, par 4 ; multiplier par 2, par 3, par 4.... "

Ainsi est consacrée la méthode qui consiste, au cours préparatoire, comme à l'école maternelle, à placer entre les mains des enfants des objets (boutons, graines, bûchettes, etc.) qu'ils ont à grouper, séparer, combiner de diverses manières pour se rendre compte, par les yeux et par la main, de la signification réelle des calculs les plus simples.

Partout l'opération manuelle précède l'opération arithmétique ; l'expression du langage courant précède l'expression du langage mathématique. Partout le souci de marquer que l'enseignement doit être concret, simple, progressif. C'est sur les faits qu'il faut appuyer les calculs, les idées.

Dans les programmes d'aujourd'hui, pas plus que dans ceux d'hier, on ne craint d'aborder des notions inscrites sous le titre, un peu effrayant, de "géométrie", mais il faut entendre par là "forme des champs, mesures sur le terrain". Il s'agit d'opérations réellement exécutées avec un ruban gradué, avec une règle graduée, accessibles en pratique à de jeunes enfants. Le texte porte, en effet, "mesurer des longueurs, apprécier les distances par l'œil et contrôler par la mesure directe". On opérera dans la cour, dans la salle de classe, parfois sur le pupitre.

Il faut signaler (pour le cours élémentaire) une intention qui se manifeste dès la première ligne : "Numération décimale, le mètre, le gramme...". Quand on donnera en classe le principe de la numération décimale, après l'exemple des nombres ordinaires (dix unités valent une dizaine), on ajoutera aussi, sans retard, les exemples tout à fait pareils : dix mètres valent un décamètre, dix grammes valent un décagramme. .- Ainsi le système légal des mesures, système décimal, appuiera la leçon sur la numération.

L'étude des sous-multiples du mètre, du gramme, se fera plus tard, quand on aura à parler des nombres décimaux. Et ici, plus encore que dans le cas précédent, le système décimal servira de base, et de base presque unique aux études des nombres. Les élèves comprendront ce qu'est un dixième de mètre, un dixième de gramme, avant de comprendre ce qu'est un dixième d'unité.

Ainsi le système légal des mesures ne se distingue pas de la numération décimale, au moins à l'origine. Mais on remarquera que le programme, dans sa rédaction actuelle, sépare en trois parties l'étude du système légal : "Système des mesures légales à base dix, à base cent, à base mille".

On a vu au cours élémentaire le mètre, le gramme et leurs multiples, et voilà commencé le système légal à base dix ; il suffit, pour en finir, de parler des sous-multiples du mètre, de sous-multiples du gramme, ce que l'on fera au cours moyen.

Remarquons que, de cette manière, on épuise d'abord les grandeurs que l'on mesure avec ce qu'on appelle parfois des unités effectives.

Mais, les surfaces, on ne les mesure pas effectivement ; on les calcule, en appliquant des formules. On les exprime en se plaçant dans un système de numération à base cent. Les volumes, ensuite, on ne les mesure pas non plus ; on les calcule, on les exprime en se plaçant dans un système de numération à base mille.

Voilà qui justifie la modification adoptée dans la rédaction actuelle. Mais le nouveau texte implique un simple changement dans l'ordre des leçons et non dans leur étendue. Il y a là un effort de simplification et non une modification radicale.

Un autre changement de même nature, simple interversion de deux chapitres, se présente au sujet des fractions.

Pratiquement, l'étude des sous-multiples dans les mesures légales à base dix conduit aux nombres décimaux. Rien, logiquement, ne distingue les nombres décimaux des nombres entiers : aussi leur étude, suite immédiate de ce qu'on sait déjà, les calculs où ils interviennent, analogues à ceux qu'on a souvent exécutés, n'embarrassent guère les élèves.

Or, ces nombres décimaux peuvent s'écrire comme fractions décimales, presque immédiatement. Et c'est ce que demande le programme actuel, en vue de sérier les difficultés. On écrira ces nombres comme fractions :

0,1                              1/100,01                              1/100

On aura des fractions à dénominateur 10, 100, 1000. On fera sur ces fractions particulières tous les exercices de réduction au même dénominateur, d'addition, de soustraction, etc. Dans la suite pour les fractions ordinaires, selon toute vraisemblance, les élèves seront moins surpris, mieux préparés. La voie inclinée sera plus aisée que la voie abrupte.

Mais voici maintenant un changement plus marqué, une suppression qui provoquera peut-être des regrets chez certains maîtres. Le programme du cours supérieur ignorera désormais l'étude des nombres premiers, les caractères de divisibilité, le plus grand commun diviseur, en un mot tout ce qui est arithmétique pure. Faut-il le déplorer ?

Évidemment ces questions font la joie de quiconque a du goût pour les mathématiques. Elles continueront d'ailleurs à faire la joie de ceux qui, à l'école normale par exemple, poursuivront leurs études. Mais dans nos écoles élémentaires, pour des enfants qui n'ont pas treize ans, pouvons-nous, en toute tranquillité, laisser subsister des enseignements de luxe ? Des vœux unanimes, répétés, réclamaient des programmes allégés et pratiques. Un sacrifice a paru nécessaire. Il faut bien se résigner à ce qu'on a souhaité et exigé. Qui serait assez insensé pour réclamer l'inscription au programme de tout ce qui est la fleur des disciplines variées ? Les mathématiques ont bien d'autres chapitres aussi élégants ; l'histoire, la philosophie, les lettres, les sciences de la nature, l'astronomie, n'offriraient-elles pas, sans fin, des chapitres rivalisant de charme avec les nombres premiers ? Mais hélas ; l'art est long et les années sont brèves.

Ajoutons qu'il sera permis de faire faire en classe des problèmes, des exercices de calculs, où les mots "nombres premiers", "diviseurs communs", "caractères de divisibilité" pourront être employés. Ce qui est supprimé, c'est le "cours", "l'étude théorique" de cette arithmologie. Il est permis, en histoire, de parler de self-government ; ce n'est pas une raison pour que les historiens réclament l'enseignement de l'anglais à l'école primaire.

Il reste encore, après la suppression de cette arithmologie, assez de calculs au cours supérieur, assez de formules, assez de problèmes, assez de géométrie pour meubler l'esprit de connaissances utiles et pour lui donner souplesse et vigueur. Nous devons même signaler une addition qui, si soucieux que nous fussions d'alléger le programme, nous a paru nécessaire ; l'algèbre pénètre à l'école primaire. Il ne saurait être question, naturellement, de théories algébriques. Il s'agit simplement d'habituer les élèves à l'emploi des lettres, des signes et des solutions algébriques les plus élémentaires. N'oublions pas que l'algèbre est, à certains égards, une arithmétique simplifiée. Il n'est donc pas contraire à notre principe général d'initier nos élèves à la pratique de cet incomparable instrument de calcul.

Calculer, calculer rapidement et exactement, tel est l'objectif principal de l'enseignement mathématique à l'école primaire. La théorie ne doit intervenir que dans la mesure où elle est nécessaire pour justifier la pratique du calcul, la rendre plus agréable à l'enfant qui cherche à s'expliquer ce qu'il fait, la rendre plus féconde en la rendant plus intelligible. Durant le temps assigné à cet enseignement, les exercices de calcul ne sauraient être trop fréquents ; en particulier, aucune classe d'arithmétique ne devrait s'écouler sans que des exercices de calcul mental aient été proposés aux élèves. C'est peut-être dans l'enseignement mathématique que nos instituteurs ont remporté jusqu'à présent leurs succès les plus incontestés. Ils ne doivent pas s'en contenter. De nouveaux progrès seront accomplis si l'on s'efforce de rendre cet enseignement de plus en plus concret et de plus en plus pratique.

 

Paris, le 20 juin 1923. Le ministre de l’instruction publique et des beaux arts, Léon Bérard

 

Accéder à la fin du texte des Instructions de 1923