Les archives poussiéreuses de l'Administration centrale (Ministère de l'Éducation nationale) regorgent de rapports, tous plus intéressants les uns que les autres, tous tombés dans les oubliettes, soit par paresse intellectuelle, soit parce que les syndicats firent les gros yeux, ou firent mine de faire les gros yeux : le courage civique, chez nous, n'est pas ce qui manque le moins (et on doit précisément reconnaître que J. Ferrier n'élude pas la question, lorsqu'il écrit - maniant l'euphémisme, l'ironie ou l'auto-flagellation, il est difficile de le dire - "ne pas suspendre son action à la moindre réaction des enseignants ou de leurs représentants")...
On se souvient par exemple des sarcasmes qui accueillirent le Rapport Joxe-Bataillon sur la fonction enseignante dans le second degré (en 1972), de l'ignominieuse conduite de Grenoble opposée au Rapport Couturier (1980), de la façon dont fut enterré le Rapport Bertaux sur l'apprentissage des langues vivantes (1982 : "Nos élèves sont, à 99%, incapables de faire une phrase de leur cru, incapables de lire un article de journal, incapables de s'entretenir avec un camarade de leur âge dans sa langue"), de la violente polémique excrémentielle sous laquelle le Syndicat des Instituteurs prétendit enterrer le Professeur Laurent Schwartz (un syndicaliste "laïque" osa écrire : "Schwartz a déposé sa crotte" !). Et là, il faudrait redire avec le Père Hugo :

Et ces culs de bouteille ont le dédain du prisme !

 

Au cours des vingt dernières années, au moins cent rapports ont été imperturbablement pondus... et sitôt oubliés, pour l'immense majorité. Mais aujourd'hui apparaît un fait nouveau : le développement des "technologies modernes" de type Internet permet à tout un chacun de se faire une idée personnelle, non oblitérée par le filtre syndical (ou autre), sans grand effort de recherche (essayez donc de vous procurer le Rapport Couturier !).
C'est précisément la chance que nous avons avec le Rapport Ferrier (remis à Ségolène Royal en juillet 1998 - son auteur est depuis mars 2001 Recteur de l'Académie de Poitiers) qui n'a évidemment pas échappé aux critiques, et même aux éreintements, habituels. En effet, certains pouvaient-ils laisser passer, sans cracher leur venin, des phrases du type : "à l'issue de l'école primaire, la situation est alarmante", ou des remarques sur le  sens très relatif des obligations des fonctionnaires dont font preuve certains membres du corps enseignant ? Car l'auteur a pleinement assumé son "devoir de lucidité". Mais il se trouve qu'il est un socialiste grand teint, issu du sérail des "œuvres complémentaires de l'école publique", longtemps protégé de Jospin (lorsqu'en particulier il cite le Discours de Marseille, du camarade Michel, il sait bien qu'il se cite lui-même) après l'avoir été de Delebarre : il est politiquement - si je puis dire - irrécusable. Il se trouve par bonheur qu'il l'est aussi intellectuellement (et même s'il dit que sa démarche "a été analytique", on sent partout une tension extrême vers un but plus élevé : "la démocratisation de la réussite scolaire") : si on sait aller au-delà d'un vocabulaire parfois abscons, on trouvera un texte d'une extrême rigueur et d'une information encyclopédique (Ferrier est un véritable bourreau de travail). C'est pourquoi ses jugements très solidement argumentés sont implacables, comme un placage de Jonah Lomu (là, je mets mon grain de sel personnel, car J. Ferrier m'a un jour avoué qu'il était passé de l'amour du rugby à l'amour du foot, ce qui est pour moi le péché majeur par excellence. Le péché contre l'esprit. Mais bon). J'ajoute que je suis loin de partager toutes les idées avancées (l'enfant au cœur du système éducatif est une évidente ânerie, mais peut-être fallait-il la commettre pour, justement, rappeler l'évidence ; la Loi d'orientation de 1989, œuvre maîtresse de Ferrier, passée en force dans les écoles, n'est justement pas passée du tout (sans doute faut-il rappeler ici la pétition initiée, entre autres, par les Prix Nobel français et les Présidents de parents d'élèves, toutes tendances confondues, en mars 2000, et dans laquelle on pouvait lire : "des corporatismes étroits ont empêché la loi de 1989... de s'appliquer pleinement") ; la méfiance - justifiée - à l'égard des intervenants extérieurs s'opposant explicitement à la Charte que le ministre Allègre s'efforçait de mettre en place au même moment, etc.), mais il n'empêche : si, naturellement, ce Rapport a été oublié, il mérite d'être lu et médité (et si j'ai enfin trouvé, sous la plume d'un haut responsable, une position sereine et courageuse sur l'école maternelle, j'ai été admiratif, pour ne pas dire époustouflé, devant la manière synthétique dont il a pris à bras le corps - partie 6 - le problème des "traitements spécialisés" au sein de l'école.
Au fait, parce que nous sommes en démocratie, et que la discussion doit être libre (autant que faire se peut) on pourra trouver ici un avis absolument contraire, qui certes ne me convainc nullement - et j'ai quelques compétences en ce domaine...).
On notera in fine que ce texte correspond très exactement à la commande passée par la Ministresse Ségolène Royal, dans la lettre de mission qui ouvre le Rapport (lettre qui a vraisemblablement été rédigée par J. Ferrier lui-même, car la Marie-Ségolène est bien incapable d'avoir ce type de préoccupation-là, et encore moins de le mettre en mots)

 

 

La Ministre déléguée

chargée de l'Enseignement scolaire

Paris, le 26 novembre 1997

Monsieur l'Inspecteur général,

L'école primaire obtient à l'heure actuelle des résultats au moins équivalents à ce qu'ils étaient il y a quelques dizaines d'années.

Cependant, l'élévation du niveau du recrutement des maîtres, la connaissance plus approfondie que l'on a de l'enfant, les progrès accomplis dans le domaine pédagogique, l'amélioration constante des taux d'encadrement, l'effort réalisé aussi bien par l'État que par les collectivités locales pour financer les projets pédagogiques, le développement de nouvelles technologies me laissent penser que les résultats de l'école primaire peuvent être encore améliorés. C'est dans cet esprit que je souhaite vous confier une mission de réflexion et de propositions sur le thème :

"Améliorer l'efficacité de l'école primaire"

Votre mission portera à la fois sur l'école maternelle et sur l'école élémentaire. Je vous demande d'être attentif à la situation de tous les élèves et de prêter une attention toute particulière aux réponses pédagogiques qui sont apportées aux besoins des élèves en difficulté ou en échec scolaire comme de ceux dont les acquis, la maturité, méritent une prise en charge différenciée.

Vous examinerez les questions d'organisation pédagogique dans les classes et les écoles, en relation notamment avec la loi d'orientation pour l'éducation de 1989, qui place l'élève au centre du système éducatif. Dans ce cadre, il me parait nécessaire de voir de quelle façon le dispositif d'évaluation mis en place en 1989 à l'entrée des classes de CE2 et de sixième pourrait être rendu plus efficient et être mieux exploité par les maîtres.

Je souhaite enfin que vous analysiez les conséquences des diverses modalités d'aménagement des rythmes de l'enfant, notamment dans leurs effets sur la réussite scolaire des enfants, sur le travail des maîtres et sur les conditions nécessaires en matière d'organisation.

Pour mener à bien cette mission, vous pourrez faire appel en tant que de besoin aux directions du ministère de l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie, à ses services extérieurs ainsi qu'aux services des deux inspections générales.

Vous me remettrez au fur et à mesure où ils seront prêts, des rapports d'étape sur chacun des sujets évoqués.

Je vous prie d'agréer, Monsieur l'Inspecteur général, l'expression de mes sentiments les meilleurs.

Ségolène Royal


Monsieur Jean Ferrier
Inspecteur général de l'Éducation nationale
40, rue Mauconseil
75001 PARIS

 

PRÉSENTATION ET RÉSUMÉ DU RAPPORT

 

Des résultats inquiétants

 

Les seules données qui traduisent des produits de la scolarisation primaire sont les performances aux évaluations nationales mises en œuvre depuis 1989. Ces évaluations concernent les deux domaines disciplinaires, français et mathématiques, auxquels les maîtres accordent un temps important, le plus souvent supérieur à celui que prescrit la réglementation ; ces domaines fournissent par ailleurs les points d'appui fondamentaux pour les apprentissages ultérieurs. Selon les années, ce sont entre 21 et 42 % des élèves qui, au début du cycle III (entrée au CE2), paraissent ne pas maîtriser le niveau minimal des compétences dites de base en lecture ou en calcul ou dans les deux domaines. Ils sont entre 21 et 35 % à l'entrée au collège.

Les protocoles d'évaluation et l'étalonnage des épreuves ne sont pas exempts de critiques et on ne peut exclure que les conditions de passation des exercices et la cotation des réponses ne soient pas toujours conformes aux indications. Il est probable cependant que toutes les erreurs ne vont pas dans le sens d'un abaissement des résultats. On doit, par ailleurs, observer que les enseignants ne se plaignent pas de la difficulté des épreuves. Ainsi, s'il convient de ne pas méconnaître la précarité des données, l'institution ne peut pas ne pas prendre très au sérieux la situation ainsi révélée : on peut estimer à environ 25 % d'une classe d'âge la proportion des élèves en difficulté ou en grande difficulté à l'entrée au collège. On connaît par ailleurs le caractère hautement prédictif de faibles résultats aux évaluations nationales à l'entrée en 6ème, associés à un retard scolaire, surtout s'il est de deux ans : les élèves concernés par cette situation ont très peu de chances, quoi qu'il soit fait au collège, d'atteindre le second cycle long des lycées.

 

 

Des moyens de fonctionnement nettement améliorés en trente ans

Alors que l'école primaire a vu ses effectifs régulièrement décroître pendant plus de trente ans, elle a été dotée de moyens supplémentaires et a connu une réelle amélioration de ses conditions de fonctionnement. De 1960-1961 à 1996-1997, le nombre d'emplois du premier degré public est passé de 226 400 à 310 800. Dans le même temps, le nombre des élèves de l'enseignement public a diminué de manière sensible, de 7,1 millions en 1960-1961 à 5,5 millions à la rentrée 1997. La disparition des classes postérieures au cours moyen deuxième année et le déclin démographique ont fait perdre 2,9 millions d'élèves au niveau élémentaire. Seuls la généralisation de la scolarité préélémentaire à partir de trois ans et le fort développement de la scolarité à deux ans ont permis de limiter la perte globale à 1,6 million, le nombre des élèves relevant de la scolarité préélémentaire passant pendant la période considérée de 0,8 million à 2,1 millions et la durée de cette scolarité de 1,5 à 3,5 ans, ce qui aurait dû contribuer à améliorer l'efficacité de l'école primaire.

La croissance considérable du nombre des emplois par rapport au nombre des élèves a permis, en outre :

- de diminuer de façon spectaculaire le nombre moyen d'élèves par classe : de 1960-1961 à 1994-1995, il est passé de 42,9 à 27,1 en école maternelle et de 29,8 à 22,6 dans les écoles élémentaires,

- d'augmenter massivement le nombre des emplois consacrés à l'enseignement spécialisé dont les maîtres sont chargés, entre autres, de la prévention des difficultés scolaires (9431 emplois en 1996-1997),

- de créer les postes de conseillers pédagogiques, fonction instituée au début des années soixante (3196),

- d'attribuer des postes de soutien aux écoles en zones d'éducation prioritaires (2165).

Par ailleurs, le niveau de recrutement des maîtres a été considérablement relevé : de bac + 1 à bac + 4 au moins.

 

Un contexte et des exigences transformés

 

Des facteurs ont joué le rôle de frein à l'amélioration de l'efficacité :

- d'une part, le public scolaire a beaucoup changé : du fait de l'évolution des mentalités et des pratiques éducatives, du fait des conditions socioéconomiques, les enfants n'entretiennent pas avec l'école les mêmes relations que les écoliers des Trente Glorieuses. Les parents eux-mêmes, surtout quand ils pâtissent des situations les plus défavorables, n'expriment ni les mêmes attentes, ni les mêmes espoirs quant à la scolarisation et ne relaient pas de la même manière les efforts de l'école ;

- par ailleurs, le fait est trop méconnu et pèse pourtant lourd : les exigences scolaires ont fortement augmenté depuis que l'école primaire n'est plus à elle-même sa propre fin. Des contenus de programmes plus abstraits, des exigences méthodologiques plus complexes ont remplacé des savoirs et des savoir-faire directement en prise avec les pratiques sociales et professionnelles auxquelles les enfants se destinaient. De façon concomitante, le temps des apprentissages a nettement décru : il a été abaissé de 30 à 26 heures par semaine et il a fallu y intégrer les études dirigées et, souvent, l'enseignement des langues vivantes.

 

L'urgence d'agir

 

Aucun acteur de l'école primaire ne peut ignorer les échecs précoces qui hypothèquent l'avenir des élèves. Ces échecs ont par ailleurs un caractère socialement différentiel et affectent les élèves issus des milieux les moins favorisés. Cet état de fait ne peut pas être - ne doit pas être - considéré comme une fatalité. Au regard de la scolarité ultérieure, au regard aussi de l'image d'eux-mêmes qu'intègrent les enfants en échec ou en difficultés scolaires durables et qui, progressivement, fait d'eux des adolescents révoltés, la responsabilité de l'école primaire est importante.

Il n'est proposé ici ni solutions coûteuses, ni réforme spectaculaire. Si la loi d'orientation sur l'éducation du 10 juillet 1989 a été plutôt bien acceptée par les enseignants du premier degré et les personnels d'encadrement, sa mise en œuvre est loin d'être effective. L'objectif auquel concourent toutes les propositions de ce rapport est son accomplissement. On comprendra dans ces conditions que toute la réflexion et toutes les propositions soient centrées sur l'élève, auquel il faut permettre d'effectuer la scolarité primaire la plus efficace possible. Il s'agit de donner plus d'efficacité aux dispositifs existants, non de bouleverser. Les personnels ont besoin d'une relative continuité : ils ont été beaucoup sollicités pour des remises en question depuis les années soixante-dix.

Le postulat adopté est le suivant : la réussite suppose des efforts - du travail - et de la motivation - un intérêt pour le travail - et, inversement, la réussite entretient les efforts et la motivation. Ce sont les conditions de ce cercle vertueux qu'il faut parvenir à créer dans toutes les écoles. La réussite scolaire n'est pas limitée aux bonnes performances en français et en mathématiques ; toutes les finalités énoncées par la loi sont à prendre au sérieux et c'est bien dans les trois registres de l'instruction, de l'émancipation (l'épanouissement individuel) et de la socialisation (l'accès à la citoyenneté, la capacité et le désir de s'insérer socialement) que nous entendons rechercher cette réussite. Promouvoir les élèves au centre du système éducatif, c'est se donner comme objectif, pour chacun, cette triple réussite ; cela suppose qu'à tous les niveaux, souvent, on ait plus d'ambition pour les élèves.

 

Des propositions pour l'organisation pédagogique

 

Il convient d'abord de clarifier, voire dans certains domaines de limiter, les exigences pour l'école primaire en procédant à une réécriture des programmes de telle manière que, pour chaque cycle, ils précisent les savoirs et les savoir-faire, mais aussi les compétences, dont la maîtrise doit être accomplie (on parlera d'objectifs d'apprentissage pour un cycle) et qui sont distingués de ceux qui sont en cours d'acquisition (on parlera alors d'objectifs de développement). Les premiers doivent être évalués de façon rigoureuse et régulière pour que les aides et le soutien à l'intérieur de la classe, comme les remédiations spécialisées, interviennent à temps.

De manière concomitante, il faut revoir la définition du temps scolaire qui, actuellement, fait l'objet d'une totale dérégulation. Epuré du temps des récréations, incluant un temps hebdomadaire d'études et de travail différencié et une enveloppe d'heures annuelles mise à la disposition des équipes pédagogiques, le temps scolaire doit faire l'objet d'un traitement différencié : une définition selon des quotas hebdomadaires en français et en mathématiques, une présentation sous forme d'un capital annuel d'heures pour les autres disciplines. Ce temps souplement prescrit doit donner aux enseignants de réelles marges d'initiative qui permettent la mise en œuvre de projets intéressants pour les élèves, surtout si l'organisation pédagogique privilégie les situations de production et d'interactions scolaires variées (tutorat, coopération, défi…).

Sans brider les enseignants, l'école plus efficace qui est souhaitée doit maîtriser son ouverture : l'école et ses maîtres doivent se soucier de l'efficience du temps des apprentissages, veiller à des aspects très pragmatiques et cependant fondamentaux (tels que la juste place du travail écrit, le bon usage des cahiers et des manuels). Nous proposons que le temps et la qualité pédagogique des sorties scolaires soient mieux réglés qu'ils ne le sont et que les maîtres recourent moins qu'ils ne sont tentés de le faire aux intervenants extérieurs. En revanche, ces intervenants auraient toute leur place dans un aménagement du temps péri et extrascolaire dont l'école ne peut se désintéresser ; des formules favorisant l'implication des enseignants dans cette organisation existent déjà (indemnités pour activités péri-éducatives), d'autres sont proposées (décharges partielles d'enseignement).

Conformément aux finalités de l'éducation à la citoyenneté, des recommandations sont faites pour faire de l'école primaire un univers de solidarité, de participation et de responsabilisation. Elle ne réussira à transmettre certaines valeurs que si elle parvient à les faire pratiquer, dès le plus jeune âge dans des formules pédagogiques adaptées aux possibilités des élèves. Il va sans dire que l'éducation à la citoyenneté suppose que l'École soit aussi un univers de droit et que chacun, quel que soit son statut, ait un comportement exemplaire, respectueux des textes et des règles, respectueux des droits des personnes.

De même, l'école primaire ne constituera le laboratoire qu'elle doit être pour les générations montantes que si elle sait intégrer les technologies modernes à la panoplie de ses outils, c'est-à-dire en les mettant au service des apprentissages définis par les programmes ; leurs différentes fonctions (documentation, communication, entraînement et soutien) leur confèrent une place naturelle que la recherche pédagogique devra mieux éclairer.

La pédagogie de la réussite telle qu'elle est esquissée ici repose sur l'évaluation qu'il faut considérer à la fois comme interface entre enseignement et apprentissage (elle permet de prendre des informations sur les acquis et sur les besoins pour mieux maîtriser les conditions de l'apprentissage) et comme levier pour l'éducation à la citoyenneté (elle contribue à la responsabilisation des élèves, à la clarification des règles du jeu scolaire). Cela suppose que l'élève soit associé à son évaluation. Il faut aussi en préciser, et en pratiquer la double forme : une évaluation continue (formative) pour adapter l'action pédagogique aux besoins et des évaluations sommatives rigoureuses (s'appuyant sur des bilans d'étapes avec révisions) qui confortent la représentation de la scolarité comme un processus cumulatif et structuré et non comme un permanent zapping.

Les évaluations nationales, à améliorer, constituent des outils de cette pédagogie mais ne sauraient suffire. Une évaluation au début du cours préparatoire apparaît nécessaire pour compléter le dispositif à un moment tout à fait déterminant pour les apprentissages fondamentaux. Par ailleurs, il est proposé de mettre à l'étude le principe d'un "brevet des écoles", brevet sans effet de blocage à la sortie de l'école primaire et qui porterait sur toutes les disciplines de façon à ce que toutes retrouvent une égale dignité ; à la manière de l'ancien certificat d'études primaires, il satisferait à des normes définies au plan national mais qui se concrétiseraient dans des épreuves définies au niveau local.

 

Des propositions pour le pilotage du système

 

Il est souhaitable que le sens de la mobilisation qui est attendue d'eux soit rappelé aux enseignants dont l'action ne doit pas être perturbée par des instructions nouvelles qui ne seraient pas en relation avec ce but prioritaire. Se faire un but des objectifs d'apprentissage pour tous les élèves et concilier cette exigence avec une attention à chacun, avec une attitude de compréhension sans complaisance, ce devrait être un principe éthique fondateur de l'action professionnelle. Le sens du métier d'instituteur, de professeur des écoles, c'est d'éduquer tous les enfants en les instruisant avec profit dans tous les domaines ; ce n'est pas de faire cours, c'est-à-dire juxtaposer des séquences didactiques, fussent-elles conformes aux canons des dernières recherches.

La formation doit être mise en adéquation avec les orientations prioritaires ; les approches théoriques, voire spéculatives, doivent être contrebalancées par des situations de formation plus pratiques, sous forme d'observations et de mise à l'épreuve dans des classes, mais aussi de résolution de problèmes et d'études de cas en prise avec des situations réelles de classe et prenant en compte leur grande complexité. La formation spécifique à la scolarisation préélémentaire doit faire l'objet d'une attention particulière ; il ne servirait à rien d'investir plus de moyens pour une scolarité précoce si ceux qui en ont la responsabilité ne disposent pas des compétences pour la rendre féconde.

Le travail en équipe au sein de l'école, dans le cadre d'un projet, et plus spécifiquement la collaboration avec des personnels spécialisés, doivent être plus efficaces. Le rôle des directeurs, animateurs de l'équipe pédagogique, doit être précisé à condition que l'on réexamine d'abord la définition de l'école, en particulier en milieu rural où le tissu scolaire, en de nombreux secteurs, a besoin d'une restructuration. La fonction des enseignants spécialisés doit être mise au service de cette pédagogie de la réussite pour tous ; il existe bien des réserves actuellement quant à leur réelle contribution à la prévention des difficultés et au soutien des élèves en difficulté. Plutôt que de cultiver leur différence, il conviendrait que ces personnels, qui sont d'abord des enseignants, prennent mieux en considération les problèmes qu'ont à traiter leurs collègues titulaires des classes et les aident à les résoudre, en coopérant avec eux dans le cadre défini par le projet d'école.

L'évaluation des enseignants doit prendre en compte, au-delà de leur prestation personnelle en face de leurs élèves, cette contribution à l'action collective que formalise le projet d'école. Trop souvent, l'inspection reste conçue comme l'observation de "leçons" et l'entretien entre le maître et l'inspecteur comme une leçon en retour, le tout sans grands égards pour les élèves, leur travail et leurs résultats, sans grande attention pour la dimension du travail en équipe. Il convient de faire droit aux exigences que des maîtres avaient exprimées lors d'une enquête de l'inspection générale : équité de traitement, transparence des critères, prise en considération de l'ensemble du travail effectué, tout en améliorant l'articulation entre évaluation individuelle et évaluation du travail en équipe. La relation inspection-notation, dans sa forme actuelle, est périmée ; c'est l'ensemble de la gestion des ressources humaines qu'il faut revoir en ramenant l'ancienneté à sa juste place et en donnant celle qui devrait lui revenir à la qualité du travail du maître.

L'encadrement, laissé pour compte, voire malmené, ces dernières années, ne demande qu'à être de nouveau associé aux projets institutionnels ; il est très attentif aux problèmes de démocratisation de la réussite scolaire. Il convient qu'il soit précisément informé des orientations de la politique éducative, voire consulté sur les modalités de mise en œuvre, et pris au sérieux quand il fait part de ses analyses. Mobilisé dans un pilotage d'ensemble de l'action éducative, pilotage par le sens (finalités de l'action, principes éthiques incontournables) et par des objectifs de progrès définis pour chaque unité du système, l'encadrement de l'école primaire saurait aider à l'amélioration nécessaire de l'efficience scolaire. Si la formation et l'évaluation doivent, pour eux aussi, faire l'objet d'aménagements pour entraîner le plus grand nombre et favoriser la rénovation de certaines pratiques, des équipes ont, d'ores et déjà, su trouver des modes de mobilisation productifs qui doivent être encouragés.

Dix ans après la loi d'orientation, l'année 1998-1999 pourrait être une année de bilan et de relance de toutes les initiatives en faveur d'une pédagogie de la réussite scolaire. Un bilan des effets de cette loi pourrait être élaboré dans chaque département et une synthèse nationale établie à l'automne 1999.

Il est grand temps de se préoccuper de cette période décisive de la scolarité que constitue l'école primaire pour que la destinée scolaire de ses élèves ne soit pas tristement scellée dès avant la fin de leur enfance. Principe de précaution car l'école primaire est responsable de l'invention du futur scolaire des jeunes enfants qui lui sont confiés, souci évaluatif car l'exercice de la responsabilité éducative ou administrative suppose d'examiner les effets de son action et d'en tirer les conclusions qui s'imposent, mise en cohérence des actes avec les discours et des pratiques avec les textes, ce sont là des ressorts essentiels de l'action pour une école de la citoyenneté qui ferait ce qu'elle dit : œuvrer à la démocratisation de la réussite scolaire.

 

INTRODUCTION

 

L'efficacité d'un système est avérée si les objectifs qui lui sont assignés sont atteints. Réfléchir à l'amélioration de l'efficacité de l'école primaire suppose donc d'identifier les objectifs que vise cette école - quitte à en critiquer la pertinence - avant de proposer des voies possibles d'amélioration.

L'école primaire est un ensemble plus complexe qu'il n'y paraît : on y distingue deux entités, l'école maternelle et l'école élémentaire mais dans un grand nombre de cas, l'éducation préélémentaire est dispensée dans de petites écoles comprenant les trois cycles de la scolarité primaire qui peuvent même être rassemblés dans une seule classe dite "classe unique". Quelle commune mesure avec les grosses écoles urbaines dont certaines peuvent compter jusqu'à vingt classes élémentaires ?

Bien que l'obligation d'instruction ne s'applique qu'à partir de six ans, la fréquentation de l'école maternelle s'est généralisée. En 1960, la moitié des enfants de deux à cinq ans étaient scolarisés ; aujourd'hui c'est la quasi totalité des enfants de trois à cinq ans et la moitié de ceux de deux ans susceptibles d'être accueillis qui constituent les effectifs de l'enseignement préélémentaire. Cette généralisation, conséquence de l'évolution du travail féminin et des conceptions de la petite enfance ainsi que de l'espérance mise en une scolarisation précoce, n'est sans effet, ni sur les finalités, ni sur le fonctionnement de l'enseignement préélémentaire. Celui-ci a changé de nature mais il n'est pas sûr que ce soit clair aux yeux de tous.

Quant à l'école élémentaire, première étape de la scolarité obligatoire, sa fonction s'est transformée dans les années 1960 et elle a, depuis lors, réformé ses contenus de formation à plusieurs reprises. Sans s'attarder longuement sur des références et analyses historiques, il convient cependant d'examiner brièvement l'ampleur des bouleversements que les propos convenus ont fâcheusement tendance à ignorer alors que ces mutations ne cessent de produire leurs conséquences.

L'école primaire a changé de fonction : amputée de sa fonction certificative, sommée d'être un temps propédeutique dans une scolarité prolongée où les études secondaires sont désormais la règle, elle est devenue une école de l'obligation sans sanction. Aujourd'hui, conformément aux dispositions législatives, ses élèves accèdent de droit au collège, sauf cas particuliers qui exigent une admission dans des structures ou établissements spécialisés (1). L'école primaire n'opère pas de sélection : c'est une chance mais c'est aussi une responsabilité d'autant plus complexe à exercer qu'il n'y a pas de niveau précis exigible pour l'entrée en sixième, même si des références ont été établies pour la fin de la scolarité élémentaire conformément aux dispositions de la loi d'orientation sur l'éducation du 10 juillet 1989. La conscience des exigences, autrefois concrétisées dans les épreuves du certificat d'études, du concours des bourses ou de l'examen d'entrée en sixième, s'est émoussée chez certains acteurs ; d'autres, au contraire, tiennent un cap rigoureux, avec des attentes disproportionnées pour la majorité de leurs élèves de 11 ans, comme si le collège d'aujourd'hui était encore celui des années soixante.

Ce qui est moins communément perçu, c'est que, changeant de fonction, l'école primaire a changé de registre d'exigences. Dispensant antérieurement des savoirs et des savoir-faire en prise directe avec les pratiques sociales et professionnelles auxquelles les élèves se destinaient, elle enseigne aujourd'hui des disciplines scolaires définies pour être en continuité avec le modèle du second degré, c'est-à-dire beaucoup plus complexes quant à la nature des connaissances attendues faites de savoirs plus abstraits et de méthodes de travail plus subtiles. C'est sans doute dans le domaine de la lecture que les conséquences ont été le mieux analysées sans que cela soit, pour autant, entendu de ceux qui font l'opinion publique. La lecture exigée n'est plus seulement la lecture fonctionnelle, courte le plus souvent, ou celle des morceaux choisis ; elle est devenue, pour tous, celle des lecteurs lettrés, une lecture polyvalente, longue éventuellement et silencieuse, une lecture qui permet de faire seul des apprentissages et d'accéder à la culture, une lecture qui requiert des attitudes critiques. On doit avoir présent à l'esprit ce déplacement des exigences quand on juge de l'efficacité de l'école aujourd'hui.

L'enseignement de l'école primaire a changé de contenus quatre fois depuis 1968. Ce n'est pas dire que chaque étape a fondamentalement bouleversé les habitudes, même si la rénovation totale des enseignements à partir de 1969 a provoqué une forte déstabilisation. Cela concourt vraisemblablement à certaines hésitations chez les maîtres ; il ne semble pas que le corpus de l'école primaire soit bien identifié dans son extension et dans son exacte définition.

Enfin, l'école primaire est aujourd'hui organisée en fonction de finalités et d'un impératif énoncés par la loi du 10 juillet 1989, à fortes conséquences pédagogiques et éthiques :

"Article 1 - Le service public de l'éducation est conçu et organisé en fonction des élèves et des étudiants. Il contribue à l'égalité des chances. Le droit à l'éducation est garanti à chacun afin de lui permettre de développer sa personnalité, d'élever son niveau de formation initiale et continue de s'insérer dans la vie sociale et professionnelle, d'exercer sa citoyenneté."

"Article 4 - Pour assurer l'égalité et la réussite des élèves, l'enseignement est adapté à leur diversité par une continuité éducative au cours de chaque cycle et tout au long de la scolarité".

Ainsi, le premier des droits de l'élève, celui que lui garantit la loi, est le droit d'être considéré pour lui-même et non comme un être abstrait ; les difficultés scolaires plus ou moins grandes, l'échec scolaire, attentent d'abord au principe d'égalité, mais aussi à celui de fraternité.

Plus spécifiquement, le texte réglementaire(2) qui organise l'école primaire dispose, dans son article premier :

"L'école favorise l'ouverture de l'élève sur le monde et assure, conjointement avec la famille, l'éducation globale de l'enfant. Elle a pour objectif la réussite individuelle de chaque élève en offrant les mêmes chances à chacun d'entre eux. L'objectif de l'école maternelle est de développer toutes les possibilités de l'enfant, afin de lui permettre de former sa personnalité et de lui donner les meilleures chances de réussir à l'école élémentaire et dans la vie en le préparant aux apprentissages ultérieurs. L'école maternelle permet aux jeunes enfants de développer la pratique du langage et d'épanouir leur personnalité naissante par l'éveil esthétique, la conscience du corps, l'acquisition d'habiletés et l'apprentissage de la vie en commun. Elle participe aussi au dépistage des difficultés sensorielles, motrices ou intellectuelles et favorise leur traitement précoce. L'école élémentaire apporte à l'élève les éléments et les instruments fondamentaux du savoir : expression orale et écrite, lecture, mathématiques. Elle lui permet d'exercer et de développer son intelligence, sa sensibilité, ses aptitudes manuelles, physiques et artistiques. L'école permet à l'élève d'étendre sa conscience du temps, de l'espace, des objets du monde moderne et de son propre corps. Elle permet l'acquisition progressive de savoirs méthodologiques et prépare l'élève à suivre dans de bonnes conditions la scolarité du collège."

Depuis ce texte, les programmes de l'école primaire ont été modifiés. S'ils présentent le plus souvent une grande continuité avec les programmes antérieurs, ils font apparaître de manière très explicite une exigence seulement latente en 1990 : l'éducation à la citoyenneté.

Ce cadre législatif et réglementaire étant rappelé, on tiendra pour établi que l'élève quittant l'école primaire doit avoir effectué les acquisitions fondamentales dans les domaines instrumentaux (français et mathématiques) et en matière de méthodes de travail ; il doit avoir pu, par ailleurs, épanouir toutes les facettes de sa personnalité et avoir découvert les éléments de la connaissance du monde humain, social, naturel et technique.

Exigence minimale, chaque enfant doit entrer au collège en possession d'un bagage qui lui permette de s'adapter à ce nouveau milieu et à ses exigences intrinsèques : il doit avoir construit un statut d'élève et élaboré les outils adéquats. Il doit avoir fait l'expérience d'un mode de socialisation qui a développé la conscience de ses droits et de ses obligations, c'est-à-dire avoir acquis une première conscience citoyenne. Les objectifs d'attitudes ne sont en effet pas adventices, pas purement incidents.

S'intéresser à l'efficacité de l'école primaire, c'est donc porter attention à des résultats et, aussi, porter attention à la pratique d'activités diverses, formatrices pour la personnalité et fécondes pour la vie collective, ainsi qu'aux bénéfices qu'en ont tirés les élèves.

Aux yeux de l'opinion et des parents en premier lieu, mais sans doute aussi aux yeux des enseignants, ces objectifs ne sont pas tous perceptibles car les propos publics valorisent plus souvent des manières de faire que les effets à produire. Quelle est "la bonne école" aujourd'hui ? Selon l'actualité, il s'agit :

- soit de l'école efficace, mais entendue le plus souvent de manière restrictive comme celle qui apprend à lire, voire celle qui éduque le citoyen,

- soit de l'école ouverte, ouverte aux problèmes de société, à des acteurs divers et susceptible de se dérouler ailleurs que dans ses murs,

- soit enfin de l'école innovante, celle qui s'ajoute de nouvelles disciplines (les langues vivantes) et fait siennes les technologies modernes.

L'ouverture et l'innovation garantissent une plus grande visibilité ; elles n'hésitent pas à se donner à voir de manière promotionnelle. Le travail de fond, celui qui garantit ce que l'on appelait "les bases ", ne peut se faire qu'au prix d'exigences moins spectaculaires ; il y faut de l'exercice, de la répétition et des efforts... Il n'y a pas forcément contradiction avec l'ouverture et la modernisation de l'école mais il n'y a pas nécessairement non plus conciliation. De l'obligation de conformité à des standards sans cesse changeants ou de l'obligation d'efficacité, la priorité est confuse. Et il faut choisir : c'est l'obligation d'efficacité qui doit être absolument prioritaire.

La réflexion sur l'efficacité de l'école ne peut être que globale : elle ne peut seulement prendre en considération les contenus de l'école ou les stratégies pédagogiques ; elle doit aussi se soucier des formes de mobilisation des acteurs et des modalités d'accompagnement et de valorisation, voire de sanction, que le système propose. On a l'habitude d'un traitement juxtaposé des questions et l'on a ainsi constitué un empilement hétéroclite de dispositifs et dispositions. Toute décision de politique éducative devrait faire pièce dans un ensemble ; elle ne peut être imposée sans égards, ni pour les conséquences qu'elle génère, ni pour les réquisits qu'elle suppose. C'est une approche intégrée des divers aspects qui concourent à l'efficacité de l'école primaire qui est ici proposée.

Si le discours semble parfois sévère, il ne saurait être lu comme l'expression d'une nostalgie. La lucidité oblige à reconnaître que le mythe de l'école de la troisième République a fonctionné comme un modèle abstrait mais cette école, même quand les effets de promotion sociale de quelques enfants de familles humbles ont été mis en évidence de manière spectaculaire, n'a jamais mieux qu'aujourd'hui garanti l'égalité des chances.

C'est cette visée fondamentale qui oriente la réflexion : comment faire pour que l'école primaire progresse dans cette voie de l'égalité des chances, encore insuffisamment garantie, qui est celle de la démocratisation de la réussite scolaire ?

Notes

(1) Les élèves relevant de l'enseignement spécialisé représentent un peu moins de 2 % des effectifs du premier degré et un peu plus de 2 % des effectifs du second degré. Les garçons y sont toujours majoritaires (autour de 60 %) et les enfants de familles d'origine étrangère sur représentés (le double, dans l'enseignement spécialisé, de ce qu'ils représentent dans l'enseignement ordinaire).
(2) Décret n° 90-788 du 6 septembre 1990 - Organisation et fonctionnement des écoles maternelles et élémentaires.

 

 


 

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