Il n'est évidemment pas question, ici, de magnifier l'activité au demeurant parfaitement illégale d'associations en mal de repentance, et vouées à conforter d'authentiques délinquants. Pas davantage de plaindre ceux qui, venus en masse chez nous à cause de conditions nulle part ailleurs offertes, viennent grossir les rangs de l'immigration de rapine, et charger un peu plus la barque d'une nation non seulement au bord de la cessation de paiement, mais bientôt privée de tous ses repères traditionnels...
Non, il s'agit seulement d'illustrer l'adage "rien de nouveau sous le soleil", en marge de l'affaire Dominici... Nombre de propos qu'on va découvrir pouvant trouver leur écho dans des préoccupations actuelles...

 

 

 

 

I. En marge de l'Affaire Dominici, une lettre anonyme...

 

En effet, il faut savoir que l'affaire Dominici a excité la verve scripturale de centaines de corbeaux, champions du pendule, justiciers, policiers amateurs venant sans vergogne faire la leçon aux enquêteurs...
Toute une faune de personnages plus ou moins douteux, la plupart du temps écrivant de façon anonyme, pas pas toujours.

C'est dans ce cadre qu'une lettre, qui pour une fois n'était pas anonyme, parvint au Procureur de la République dignois, Louis Sabatier. Postée à Paris le 31 août 1952, soit trois semaines après la tuerie, elle commençait ainsi :

"Tout d'abord, le fait que l'arme du crime ait été trouvée dans un trou d'eau d'un mètre ne prouve pas forcément que l'assassin est de la région car, étranger à la région, il pouvait très bien avoir sondé le bord de la Durance avec une perche pour découvrir cette poche ; ou même avec la carabine elle-même, en se mettant à plat ventre sur le bord pour la plonger dans l'eau "[sic]
[...] Évidemment, les réparations d'armurerie coûtant cher, l'assassin en aura fait l'économie en effectuant lui-même la réparation, et grossièrement. Mais surtout, il est aisé de comprendre qu'il ne tenait pas du tout à ce que son arme soit connue (surtout d'un armurier), et encore moins à être connu lui-même... De là à penser qu'il est braconnier ou contrebandier ? Ou alors c'est un fou comme ce Marocain de l'Atlas qui, il y a un an je crois, tirait pareillement sur les campeurs et les autos, et fit mobiliser toutes les forces de police, je ne sais plus où dans le bled".

 

Suivaient de bons conseils pour retrouver l'assassin et, incidemment pour l'auteur de la lettre, Roger G. demeurant rue de Reuilly, dans le XIIe, le gain de la prime offerte par le Sunday Dispatch, à qui permettrait d'arrêter le coupable ! Ce pittoresque personnage avouait ensuite qu'il avait une vocation malheureusement rentrée, qu'il avait désiré entrer dans la Police mobile, qu'il avait dans ce but suivi les cours par correspondance de l'École universelle, qu'il aurait souhaité une affectation à Orléans, mais voilà... en dépit de l'obtention de son certificat de fin d'études délivré par l'École, "patatras, la Rue des Saussaies me répond que le recrutement est suspendu et que, par suite de la compression des cadres, les postes vacants sont réservés aux Anciens Combattants"...

 

Notre Roger poursuivait alors à partir d'une information qu'il avait entendue : les gendarmes et douaniers auraient pour tâche de vérifier les alibis des travailleurs italiens allant et venant de part et d'autre de la frontière.

"Les Chasseurs alpins sont sûrement plus aguerris pour cette tâche-là que les douaniers et les gendarmes ! Il n'est pas question de fermer systématiquement notre porte aux réfugiés politiques, notamment, mais nous avons le droit de savoir qui entre chez nous et surtout de veiller à ce qu'on entre par la porte (c'est-à-dire par les postes-frontières réguliers) et non par la lucarne du toit, c'est-à-dire les sentiers de chamois ! Nous avons bonne mine, en vérité, avec notre belle politique d'immigration et notre large, large hospitalité !"

"[...] Dans les étrangers, aujourd'hui, il faut choisir les plus intéressants : ou les immigrants, ou les touristes. Or, les immigrants qui affluent chez nous ne sont neuf fois sur dix que des résidus et des indésirables dans leur pays. Il n'y a que dans le nôtre qu'ils sont désirés et aussitôt sacrés Français avec tous les honneurs. Eh bien, cette comédie-là doit finir, et une bonne fois pour toutes".

 

 

[Cet ardent vœu du dénommé Roger G., de toute évidence, s'est avéré pieux...]

 

 

 

 

II. Étranges étrangers

 

 
Kabyles de la Chapelle et des quais de Javel
hommes de pays loin
cobayes des colonies
Doux petits musiciens
soleils adolescents de la porte d'Italie
Boumians de la porte de Saint-Ouen
Apatrides d'Aubervilliers
brûleurs des grandes ordures de la ville de Paris
ébouillanteurs des bêtes trouvées mortes sur pied
au beau milieu des rues
Tunisiens de Grenelle
embauchés débauchés
manœuvres désœuvrés
Polaks du Marais du Temple des Rosiers

Cordonniers de Cordoue soutiers de Barcelone
pêcheurs des Baléares ou du cap Finistère
rescapés de Franco
et déportés de France et de Navarre
pour avoir défendu en souvenir de la vôtre
la liberté des autres

Esclaves noirs de Fréjus
tiraillés et parqués
au bord d'une petite mer
où peu vous vous baignez

Esclaves noirs de Fréjus
qui évoquez chaque soir
dans les locaux disciplinaires
avec une vieille boite à cigares
et quelques bouts de fil de fer
tous les échos de vos villages
tous les oiseaux de vos forêts
et ne venez dans la capitale
que pour fêter au pas cadencé
la prise de la Bastille le quatorze juillet

Enfants du Sénégal
dépatriés expatriés et naturalisés

Enfants indochinois
jongleurs aux innocents couteaux
qui vendiez autrefois aux terrasses des cafés
de jolis dragons d'or faits de papier plié

Enfants trop tôt grandis et si vite en allés
qui dormez aujourd'hui de retour au pays
le visage dans la terre
et des bombes incendiaires labourant vos rizières

On vous a renvoyé
la monnaie de vos papiers dorés
on vous a retourné
vos petits couteaux dans le dos

Étranges étrangers

Vous êtes de la ville
vous êtes de sa vie
même si mal en vivez
même si vous en mourez.

 

© Jacques Prévert, La pluie et le beau temps, 1951.