D'hier à aujourd'hui, la brutalité bestiale de certains individus : rien de nouveau sous le soleil - hélas.

 


S'il n'a pas eu, bonnes gens,
S'il n'a pas eu, bonnes gens,
Tout son compte de vie
Tout son compte de vie ;
S'il n'a pas eu, bonnes gens,
S'il n'a pas eu, bonnes gens,
Tout son compte de vie
Et d'amour et de joie
Je sais bien qu'il l'aura.

(Père Aimé Duval, s. j.)

I. Viols d'aujourd'hui

 

 

1.

 

L'ostéo violait ses patientes - Pierre P., ostéopathe connu pour ses méthodes de bien-être et pour avoir soigné diverses personnalités (de Picasso à de Villepin, en passant par Kessel et Dassault), a été reconnu coupable de viols et agressions sexuelles (près de vingt !) vendredi à Paris. Sa femme a assuré devant la cour que son mari était impuissant depuis 2003 en raison d'un problème de prostate (!). Il a écopé d'une peine de 10 ans de prison, assortie d'une interdiction d'exercer à vie. À l'énoncé du verdict, cet homme de 72 ans a été victime d'un malaise. La cour d'assises a pourtant été plutôt clémente envers le septuagénaire, dans la mesure où il encourait jusqu'à 20 ans d'emprisonnement.

 

 

2.

 

Marseille : un chirurgien écroué pour des viols aggravés sur ses patientes. Ce chirurgien cardio-vasculaire est soupçonné d'avoir violé plusieurs de ses patientes, entre 2005 et 2011. Au cours d'une perquisition à son domicile, la police a retrouvé des vidéos : il avait filmé certains de ses "actes" (!). Il dort désormais derrière les barreaux de la prison des Beaumettes. Mais son état de santé psychologique se serait dégradé au point qu'il doive être interné dans un hôpital psychiatrique...

 

[Les journaux, octobre 2013 - février 2014]

 

 

II. Viols d'hier

 

1.

 

À Metz
Un médecin est inculpé du viol d'une mineure


Inculpé de viol sur la personne d'une mineure de moins de quinze ans, un médecin de Metz, interne dans un hôpital de la ville, M. Bernard B., marié et père de famille âgé de vingt-neuf ans, a été arrêté et écroué.
M. B. a reconnu avoir violé en octobre 1969 une fillette de quatorze ans en traitement dans un service de neurologie de l'hôpital.
L'adolescente mit au monde au mois de juin dernier un enfant qui a été confié à l'Assistance publique. Une plainte avait été auparavant déposée par les parents de la victime. [de notre correspondant]

 

[D'après Le Monde du 9 janvier 1971]

 

2.

 

Elle avait la quarantaine, à peine. J'avais un peu plus de vingt ans. Je m'étais rapproché de son foyer car dans le bourg où elle vivait, un ophtalmo dont la réputation dépassait les frontières prenait de studieuses vacances.
Il fallait s'y prendre longtemps à l'avance, pour obtenir un rendez-vous auprès de ce praticien âgé, et plus ou moins à la retraite. Et ce rendez-vous tant espéré, Luce l'avait pris pour moi.
La salle d'attente de ce cabinet improvisé, sorte de jardinet plus ou moins bien entretenu, tenait en réalité d'une véritable Cour des miracles : les aveugles, à qui le Docteur S. injectait le contenu de grosses seringues directement dans les globes, côtoyaient les borgnes et autres mal-voyants. Par bonheur, relevant d'une tout autre catégorie, mon cas était des plus bénin.
Examinant mes yeux, le Docteur S. s'écria en effet : "Voyez-vous [sic], vous avez grandi trop vite et vos yeux n'ont pas suivi. J'ai un neveu qui était dans votre cas : il est pilote d'avion, à l'heure qu'il est ! Vous allez donc faire ceci et cela, et vous finirez chef d'escadrille, vous verrez !"
J'ai vu... que sa poudre de Perlimpinpin, diluée dans de l'acide borique,  ne fit pas grand effet sur mes yeux, qui demeurèrent ce qu'ils étaient. Je me suis consolé depuis en pensant qu'il y a tant de cons sur terre, et qui volent bien bas, que ce n'est pas tellement une gloire de devenir chef d'escadrille.

 

Mais passons, cet incident me permit de demeurer quelques jours de vacances auprès de Luce et son mari. C'étaient des gens de peu, selon l'expression de Sansot, et elle n'est absolument pas péjorative : les pauvres, les anonymes ont leur noblesse, toute de retenue. Ce couple ne disposait pas d'une automobile : ce fut à moi de leur faire découvrir certains des vertigineux points de vue de leur région, du côté de Sainte-Énimie.

Pourquoi, ce jour-là, Luce s'est-elle confiée à moi ? Et d'abord, dans quelle circonstance avons-nous pu nous retrouver tout seuls ?
Mais le fait est. Et je ne saurai jamais ce qui lui fit lâcher la bonde, peut-être une parole que j'avais prononcée, sans m'en rendre compte, et qui avait résonné en elle. Ou peut-être une certaine confiance dont elle m'honorait, et que j'espère avoir toujours été en mesure de mériter.

20101027-molbias

 

Née dans les gorges du Tarn, au sein d'une nombreuse famille dont elle était l'aînée, si ma mémoire est exacte, elle avait dû avec vaillance s'occuper de la marmaille que son père, instituteur, n'avait guère le temps de gérer. Elle avait aussi suppléé la mère, de santé particulièrement fragile. Bref, tandis que ses cadets étaient partis "aux écoles", comme on disait à l'époque, elle était restée à la maison, ce qui ne posait aucun problème dans les années quarante.

 

Et puis un jour, patatras, elle avait été victime, Dieu sait pourquoi, d'une sévère dépression nerveuse. On avait été contraint de l'hospitaliser. À Montpellier. En neurologie. Elle avait dix-huit ans.

Là, elle fut soignée énergiquement, et même davantage. Car le chef de service lui fit comprendre qu'il ne fallait pas gâcher si fraîche marchandise, et qu'elle devait être "gentille".

"Je te jure, je ne voulais pas, bien sûr, je me suis défendue comme j'ai pu, débattue jusqu'au bout de mes forces. Mais il m'a forcée, il était plus fort que moi, et il n'y avait personne pour me venir à mon secours", me dit-elle en pleurant toutes les larmes de son corps. Et je fus moi-même fort ému, car je reconnus dans sa détresse la sincérité des humbles, ceux qui, comme dit Bernanos dans, je crois, sa Lettre aux Anglais, ne peuvent que délivrer la vérité lorsqu'ils l'écrivent sur un modeste cahier d'écolier ("On ne confie pas de mensonges à un cahier de deux sous. Pour ce prix là, je ne peux vous donner que la vérité").

"Tu sais, avant le mariage, je l'ai bien dit à Daniel, je lui ai tout avoué. Mais il m'a consolée, tu es pure, tu es pure, m'a-t-il doucement murmuré à l'oreille".
Et elle sanglotait. Je la pris dans mes bras ; je lui ai demandé pardon au nom de la gent masculine, qui renferme il est vrai tant de brutes.

À mon tour, je lui ai murmuré "tu es pure, Luce, tu es pure, Daniel a eu parfaitement raison de te dire cela, puisque c'est la vérité".

Je ne sais si mes paroles lui firent du bien. Sans doute, sur le moment. Mais son calvaire montpelliérain avait laissé en elle d'indélébiles séquelles. Elle souffrait des nerfs, selon l'expression consacrée, et faisait souvent appel à la médecine (la médecine de campagne, dans ce cas) afin que son humeur fût davantage étale.

 

lu-67Pauvre Luce ! Bonne à tout faire dans sa famille, bête à plaisir d'un salopard diplômé, elle se dévoua ensuite corps et âme au service d'un conjoint handicapé, et l'union de ces deux solitudes permit à ces êtres que la vie avait injustement maltraités de retrouver de la dignité et un part de bonheur.

Pauvre Luce P. ! Je pense souvent à toi, à toi qui m'as fait connaître le miel de calune, et je me demande comment on pourrait aider à armer celles et ceux qui sont sans défense. Mais je n'ai pas de réponse sûre.
Je n'ai que le souvenir de cette jeune femme, marquée par la vie, et que je pris un jour, brièvement, dans mes bras. Sans aucune arrière-pensée.

Voilà, Luce. C'est pour toi que j'écris. Et j'irai sur ta tombe, sans doute mal entretenue, déposer une rose. Et de la bruyère. Tu partageras ces modestes présents, je te prie, avec ton époux. Dans mon souvenir, vous êtes à jamais réunis.