Le texte de Didier Gallot nous laissait entrevoir la trouble attirance mitterrandienne pour les repris de justice - attirance dont nous continuons à percevoir les dividendes, si j'ose dire, avec la récente affaire Cesare Battisti (c'est donc tout ce que les "zintellectuels de gauche" ont à se mettre sous la dent ? Pas d'autre grain à moudre ?).
Mais cette attirance vient de loin, et a coûté quelques attentats et quelques morts supplémentaires à la France. Comme en témoigne ce texte, en partie consacrée aux exploits de la triste troupe d'Action Directe - que le pouvoir s'apprête à élargir, pour motifs de santé... Mais qu'importe, me direz-vous. Le sang sèche vite...

 

 

[…] Au bout du compte, une question claire s'impose : peuvent-ils [les Renseignements généraux] être bons ? Oui. Et même excellents. Le problème n'étant pas qu'ils n'en soient pas capables, mais trop souvent avares du meilleur d'eux-mêmes. Disons cela ainsi. Ils savent très bien avertir 24 heures à l'avance Michel Debré et le général de Gaulle de l'imminence du putsch des généraux Salan, Jouhaud, Challe et Zeller, prévu (et ayant eu lieu) le 21 avril 1961. Ils savent travailler au long cours, sur des dossiers chauds et sensibles. Ils ont démantelé des trafics d'armes d'anciens mercenaires en 1981, capturé le chef basque de l'ETA militaire, Domingo Txomin, en juin 1983, serré les auteurs de nuits bleues corses en 1985. Ils savent pister le moindre indice pour retrouver Action directe en 1987.

Pour ce faire, dès 1978, Jean-Marc Rouillan avait été recruté par les RG comme indic ! Il était connu du service sous le surnom de " Coca ". Chaque fois que Rouillan préparait un hold-up pour financer son mouvement, Coca envoyait quelques jours avant, s'il le pouvait, une carte postale représentant la ville où l'action aurait lieu. Coca permit d'identifier 115 casses de banques, stations-service, bureaux de poste… Cela n'empêcha pas Action directe de frapper, mais les RG savaient que leur travail de longue haleine finirait par payer. Et il a payé.

Ils manipulèrent deux taupes dans l'entourage du mouvement terroriste. La première est Coca, la seconde Gabriel Chahine, qui leur permet de coincer la bande le 13 septembre 1980. Artiste peintre maigrichon, Chahine monte sur ordre des RG un rendez-vous bidon pour Ménigon et Rouillan avec le dieu des terroristes, Carlos. En parallèle, les RG laissent croire à deux ou trois journalistes que le gouvernement a été informé d'un éventuel passage à Paris de Carlos ; les journalistes publient l'info, crédibilisant le piège aux yeux de Rouillan et Ménigon qui, très flattés, ne se doutent pas de se rendre à une rencontre pour préparer un attentat contre le barrage d'Assouan en Égypte. Rien que ça. Ils tombent dans la nasse : c'est Jean-Pierre Pochon [alors chef de la section Recherches à la direction centrale des R. G.], l'arme au poing, qui les intercepte devant les journalistes conviés.

S'ensuit une des plus grandes bévues de François Mitterrand : il fait passer un accord tacite de non-agression avec les leaders d'Action directe qui sont libérés sur amnistie ! Pire encore : Jean-Marc Rouillan obtient de savoir qui l'a donné, et un Inspecteur de la section Recherches lâche le nom de Chahine ! Cet homme qui avait eu l'aplomb - pour de l'argent, certes, mais tout de même - de livrer les terroristes aurait pu espérer un silence protecteur. Le 13 mars 1982, à peine Rouillan est-il libéré que Chahine meurt de deux décharges de chevrotines en pleine face, sur le seuil de son domicile.

Évidemment, il faut de nouveau s'atteler à capturer les membres d'Action directe. Les flics tentent alors d'intercepter un sympathisant, Éric M., en octobre 1982, rue Saint-Fargeau dans le XXe, devant le réservoir de Ménilmontant. M. est, ce qui n'arrange rien, fils d'un grand Commissaire…

L'antigang est en place. Dans une 205 Peugeot garée à quelques mètres, se trouvent le patron de la BRI (au volant), à sa droite le commissaire B., et derrière eux le commissaire Jean-Paul C. des RG. La cible s'engage dans la rue et renifle le piège. Il dégaine et tire. L'antigang réplique. Le RG à l'arrière de la 205 sort son 357 Magnum et aligne M. : il tire à travers le pare-brise qui vole en éclats, la détonation crève le tympan du Commissaire qui hurle de douleur, et M., protégé par un gilet pare-balles, en réchappe. Flottement. M. bondit et disparaît. On ne le retrouvera pas.

Il faudra en fait plusieurs années pour venir à bout de cette faction. Ses membres assassinent le général Audran, puis Georges Besse, le patron de Renault, en novembre 1986. Les RG fulminent, mais ne trouvent rien. En juillet 1987, une piste infime se présente : un honorable correspondant de la DST, intrigué par le manège d'un couple d'originaux dans une ferme proche de Vitry-aux-Loges, dans le Loiret, qui lui rappellent vaguement Rouillan et Ménigon, appelle Marcel, son agent traitant, sur une ligne morte de la DST. Mais c'est Annie qui décroche : Marcel est en congé. Le contact est à deux doigts de se raviser, mais donne finalement le tuyau à Annie. Laquelle s'ennuie ferme à la DST, et ne rêve que d'une chose : retrouver son ancien job aux RG. Peut-être qu'en informant ses anciens collègues, aurait-elle une chance de briller à leurs yeux. Alors, plutôt que d'avertir sa hiérarchie, elle appelle la Brigade de recherches des RG. Le chef n'est pas là. C'est l'inspecteur principal S., qui est en ligne, un fin connaisseur d'Action directe, un spécialiste. Il était déjà de la première arrestation, rue Pergolèse. Annie lui donne le tuyau, S. en parle : la piste semble si ténue qu'elle n'intéresse personne. Il reste seul à la suivre, plutôt faute de mieux que par grand instinct. II veut aller au bout. À Vitry-aux-Loges, il planque prudemment, d'assez loin. Le couple quitte le corps de ferme qu'il occupe, mais le flic, la nuit tombant, ne les distingue pas assez pour une identification sûre. Il va à la rencontre des propriétaires, qui habitent l'autre partie de la ferme, et les met dans sa poche. Depuis la table de leur salle à manger, il mitraille au téléobjectif les voisins suspects à leur retour.

À la direction centrale, l'inspecteur examine ces photos qualité paparazzi. Il est seul à penser que ces deux gros un peu flous en survêtements sombres sont peut-être Nathalie Ménigon et Jean-Marc Rouillan. Le directeur, Philippe Massoni, et son adjoint, Claude Bardon, n'en croient rien. Le doute en vérité est permis puisque la dernière photo connue date de leur première arrestation, il y a déjà sept ans. Rouillan - si c'est lui - doit avoir pris 15 à 20 kg.

Seul à y croire, entre flair et entêtement, S. insiste et se remet en piste. Il va à la rencontre du… marchand de graines le plus proche de Vitry-aux-Loges, avec une petite idée derrière la tête. Il présente au commerçant des photos de Nathalie Ménigon, d'abord la plus récente, en survèt' :

- C'est une de mes clientes, effectivement.

S. lui tend le portait datant de son arrestation. Cette fois, le doute reprend :

- Ça lui ressemble assez, mais je ne pourrais rien affirmer…

- Que vient-elle acheter chez vous ?

Il rêve d'entendre la réponse : "des graines pour hamster". Il connaît 'sa' Ménigon sur le bout des ongles, elle ne peut se déplacer sans ses petits rongeurs. Le commerçant se souvient parfaitement :

- Des graines pour hamster, Monsieur.

 

Action directe vient de perdre la partie.

 

© Julien Caumer, Leurs dossiers RG, Flammarion, 2000, pp. 298 sq.

 

 


 

 


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