En cette mi-novembre 2003, le procès-fleuve "Elf" vient de s'achever ; la "Putain de la République" bat les estrades pour se faire plaindre, l'ancien Ministre a été blanchi (sous le harnais), quelques têtes pensantes ont été découronnées. Verdict sévère, annoncent les journaux, en chœur. Bof, je veux bien détourner des sommes colossales, et être condamné, au bout du compte, à ne restituer que le centième, environ, de ce que j'aurai volé. Mais tenons-nous en à la sévérité. Car quelqu'un n'a pas été mis en cause, dans ce procès, sinon à mots couverts : il n'est plus de ce monde. Eut-il encore compté au nombre des vivants, qu'il n'en eût pas été autrement, soyons-en sûrs. Bref. En marge du procès Elf, on a pu lire dans plusieurs gazettes, et notamment dans Le Monde, l'étrange histoire de la villa du Docteur Raillard. En voici un petit résumé.

 

Sous le titre évocateur "François Mitterrand a fait racheter par Elf la villa du Dr Raillard, pour faire son golf tous les lundis", Le Monde (où l'on ne s'ennuie pas tous les jours) du 29 mai 2003 nous conte une bien édifiante affaire, qui va nettement plus loin que l'abus de biens sociaux.
Ainsi donc, au soir de sa vie, l'ancien Président de la République aimait à se délasser en jouant au golf. Il avait pour habitude de s'adonner à ce sport pour militants socialistes et ouvriers chaque lundi. Il golfait en compagnie d'un sien ami, le docteur Laurent Raillard (soixante-six ans, à l'époque des faits). Lequel possédait une propriété à peine cossue, comme en possèdent tous les militants de base : 600 m2 habitables, située dans un parc arboré (et dans un quartier pauvre des Yvelines). Ce médecin ami du Président désirait se séparer de ce bien : il n'eut qu'un mot à dire au Président, lequel n'eut qu'un mot à dire au président d'Elf, M. Loïk Le Floch-Prigent. Lequel n'eut qu'un mot à dire à M. Alfred Sirven, lequel n'eut qu'un mot à dire à M. Jean-François Pagès, le directeur du patrimoine immobilier du groupe Elf. Et en juin 1991, le groupe Elf se rendit acquéreur de la villa (pour 20 millions de francs, plus 6 millions en dessous de table). Le prétexte d'achat, était de posséder un lieu de réception à la mesure des clients africains de la compagnie pétrolière. Pourquoi pas ? Mais l'ancien propriétaire - qui avait lui-même fixé le prix d'acquisition - obtint le droit de rester dans les lieux, comme locataire - à titre gracieux, d'ailleurs, très rapidement. En outre, il adressait à Elf ses factures d'eau, d'électricité, de fuel, de téléphone... Puis exigea la prise en charge du salaire du couple de gardiens de la villa, "avec les primes d'ancienneté". Le directeur du patrimoine immobilier du groupe Elf s'explique : "quand, en 1991, on vous fait en permanence référence au président Mitterrand, c'est extrêmement difficile de dire non [...]. Si on avait le malheur de ne pas abonder dans son sens, on savait qu'il irait se plaindre le lendemain matin, au neuvième trou de son parcours [...]. Si je lui avais donné son préavis, je pouvais donner le mien en même temps !".

 

Voilà ce qui se passait sous la République socialiste. Et M. Alfred Sirven, qui confirme les propos de son directeur du patrimoine immobilier, d'ajouter : "Un jour, j'ai croisé le président de la République à Louveciennes [lieu du parcours de golf], et il m'a dit : Eh bien, Elf a encore fait une bonne affaire !"

On appréciera le "encore", et le "bonne affaire".

Dans Les vices de la vertu, ou la fin de la gauche morale, Claude Malhuret parle de "cynisme manipulateur" à propos de l'ancien Président. On se demande bien où il est allé chercher tout ça.