Aux dires de certains journalistes, l'Ordonnance de soit-communiqué pour faits nouveaux du 17 décembre 1993, rédigée par le juge Jean-Pierre, contient des "chapitres brûlants". Cela s'est passé il y a plus de quatre lustres : les feux se sont éteints ou, plus exactement, ont été éteints. Il n'est pourtant pas inintéressant de rappeler les faits.
D'autant que si l'on en croit les 300 pages de Rose Mafia, l'ouvrage - paru en 2012 - de Gérard Dalongeville (ex-maire P.S. d'Hénin-Beaumont), les "mauvaises habitudes" des socialistes n'ont absolument pas changé - bien au contraire ; personnages volontiers donneurs de leçons, mais en fait, selon Dalongeville, "pourris jusqu’à la moelle".

 

"L'argent gagné trop facilement est pour toujours suspect et il est fait pour corrompre" (F. Mitterrand, président de la République, 12 février 1989 - défense de rire !).

 

 

Introduction

 

On ne compte plus le nombre d'affaires judiciaires en cours, pour la plupart touchant des hommes dits de droite : ainsi peut-on citer, pêle-mêle, la déclaration de patrimoine (éventuellement fausse) de Serge Dassault, les fraudes fiscales (éventuelles) de Guéant, les déclarations (éventuellement fausses) des deux experts-comptables de Bygmalion, les méandres de l'arbitrage Tapie, les écoutes téléphoniques de Sarkozy, l'évasion fiscale des Balkany, et j'en passe ! Toutes personnes vraisemblablement pas blanches comme neige, mais assurément inscrites au mur des cons, ce qui vaut chez nous condamnation préalable.

Après avoir noté que nombre d'affaires s'achèvent par des non-lieux, mais ont permis de largement salir au passage les mis en cause, force est de constater que ce tourbillon vient à point nommé pour étendre le manteau de Noé sur les incroyables turpitudes passées des socialistes et de leur Président, que certains déclarent "inoxydable" ; ce qui au vrai signifie que des chiens de garde continuent à s'opposer à ce qu'une lumière crue vienne ternir son règne - déjà si peu reluisant.
Parmi les affaires complètement tombées aux oubliettes, il convient de citer l'Affaire Pelat, dont je gage que pas un Français sur cent ne saurait avec relative exactitude tracer les grandes lignes. Et pourtant, ce fut un scandale majeur : à côté, les affaires que j'ai citées supra ne sont que roupies de sansonnet.

 

 

I. Quelques éléments

 

Pelat était un homme d'affaires avisé et plein aux as, pour parler le langage de la rue. Il était aussi, et peut-être surtout, l'ami intime de Mitterrand, en compagnie de qui il s'était jadis évadé du stalag qui les retenait tous deux prisonniers de guerre.
Il ne s'était d'ailleurs pas contenté de faire de l'argent, il tâta aussi de la politique, et fut Maire et conseiller général. Un beau jour (février 1989), le voici inculpé de recel de délit d'initié dans l'Affaire dite Pechiney-Triangle. C'est à ce moment que l'inoxydable Mitterrand eut le culot de faire la déclaration citée en exergue !
Au départ, il n'y eut pourtant qu'une banale plainte, celle du directeur général de la société Heulin, estimant injustifié son licenciement, et dénonçant l'existence d'un  système de fausses factures. Et d'investigations en investigations, le pugnace et regretté juge manceau Thierry Jean-Pierre en vint à toucher le Président (et son fils) lui-même, et jusqu'au Premier Ministre Bérégovoy. Les faits reprochés étaient gravissimes, mais les socialistes, qui ont la quasi-totalité de la Magistrature dans leur poche, surent réagir comme il se devait : les supérieurs de Jean-Pierre mirent son instruction au pilon. Tout simplement. Il est vrai que l'Affaire en avait fait frémir plus d'un. Pas question que Jean-Pierre recommençât à fouiner, il convenait de lui couper les ailes.
Car il y avait eu le fâcheux précédent de l'Affaire Urba : les socialistes, qui avaient alors senti passer le vent du boulet, devaient in petto qualifier Jean-Pierre de fouille-merde. Trop, c'était trop.

Je dois ajouter que plus d'un Ministre de la Justice de cette époque se montra également pugnace, en l'occasion. Tous ces braves gens sont aujourd'hui, bien évidemment, légionnés d'honneur. Car, contrairement à ce qu'avançait imprudemment le César de Pagnol, l'honneur, dans ce milieu, ça sert indéfiniment : il suffit d'être habile, et peu regardant. Je songe en particulier à l'un de ces messieurs, qui avait osé qualifier l'action de Th. Jean-Pierre, de "cambriolage judiciaire" ; je songe également à l'avocat Mignard, mais je ne m'étendrai pas : ça n'en vaut pas la peine. En revanche, je ne peux taire que, très récemment, la très huguenote Irène Frachon (médecin pneumologue qui, en 2012, a porté sur la place publique l'affaire du Mediator) a cru bon d'écrire au président de la République actuel (Flanby) pour lui signifier sa "stupeur et un grand désarroi" à propos de l'élévation d'un de ces sires au rang de commandeur de la Légion d'Honneur (promotion du 14 juillet 2015). Non pas à cause du zèle remarquable dont il fit montre pour éviter que les vagues de l'indignation (et de la Justice) ne submergent son président à lui, mais parce que l'individu avait aussi été, pendant plus de dix ans, salarié du groupe Servier... Et elle a osé ajouter, cette mal embouchée, que l'ancien ministre en question "a... poursuivi ses lucratives activités de conseil en lobbying auprès de Servier jusqu'?en 2013 et ce, malgré l?'éclatement au grand jour du drame du Mediator fin 2010". Elle ose terminer en pointant du doigt "une distinction qui signerait dans ce contexte le déshonneur de la République" ! Mais nom de Dieu, qu'on la fasse taire, merde, cette parpaillote qui ne représente qu'elle-même, et qu'on la foute au trou ! Je suggère, au hasard, la Tour de Constance ! Enfin, c'est vous qui voyez. Et tirez le rideau !


Bref, poursuivant sa quête, le juge en était arrivé à instruire un simple et ordinaire délit d'initié, touchant le propre directeur de cabinet du Premier Ministre (Alain B.) ; mais gagna, de là, un homme de l'ombre, Samir T., ricocha sur le dit Roger-Patrice Pelat, et semblait ne devoir jamais s'arrêter. D'autant que l'Affaire de délit d'initié se prolongea en Affaire du prêt à Pierre Bérégovoy, et fut alourdie par les nombreuses libéralités accordées par Pelat à la famille de Bérégovoy (vacances, découverts bancaires) et en particulier à la fille du Premier Ministre (billets d'avion, versements d'argent). À propos du fameux prêt, le magistrat écrivait : "De l'examen des différents relevés de compte de Roger-Patrice Pelat, il n'apparaissait pas au crédit de ces comptes des sommes pouvant laisser penser que ce prêt avait été remboursé. Curieusement, ce prêt, probablement non remboursé à la date du décès de Roger-Patrice Pelat, n'apparaissait pas à l'actif de la succession". Trois lignes plus loin, Jean-Pierre va jusqu'à accuser le Garde des Sceaux d'alors (Michel Vauzelle, l'actuel président P.S. de la région Paca) d'avoir violé "les dispositions de l'article 36 du Code de procédure pénale" ; en effet, cet article 36 dispose que le ministre de la Justice peut "enjoindre au procureur général d'engager ou de faire engager des poursuites". Mais non de les arrêter, comme le rappellent les deux journalistes auteurs de l'article dont il va être question : "Or, le ministre interdit ici au juge Jean-Pierre de continuer d'instruire sur ce prêt".   
Certaines libéralités de Tapie furent aussi mises... sur le tapis... Mais la partie "Bérégovoy" du rapport du juge Jean-Pierre est - selon moi - une simple incidente : le plat de résistance est d'une tout autre épaisseur. Et pourtant, à cet égard, Jean-Pierre s'était contenté de procéder à un contrôle simple, sinon simpliste : répertorier tous les chèques émis par Pelat supérieurs à un million de francs (soit environ 235 000 euro d'aujourd'hui)...

 

 

II. L'article de l'hebdomadaire Le Point

 

C'est dans ce contexte particulièrement glauque que l'hebdomadaire Le Point prit le parti de publier, le 24 décembre 1993, quelques "bonnes feuilles" du travail de Jean-Pierre. Et comme protestations molles et dénégations étaient parvenues depuis l’Élysée, l'hebdomadaire décida de publier la quasi-intégralité (les lettres anonymes de dénonciation furent écartées) du fameux document (dans son n° 1112, daté du 8 janvier 1994), sous le titre "Le rapport secret", en faisant précéder l'Ordonnance de soit-communiqué pour faits nouveaux du 17 décembre 1993, d'une sérieuse enquête de deux journalistes, J. Dupuis et J.-M. Pontaut ; lesquels écrivaient : cette Ordonnance "relance spectaculairement le débat sur les rapports entre l'argent et le pouvoir. En enquêtant dans l'entourage direct du président de la République, le magistrat sarthois a soulevé cette question longtemps restée taboue en France. Au terme de deux ans d'investigations serrées et contestées, le juge Jean-Pierre demande à sa hiérarchie d'ordonner de nouvelles recherches à partir des éléments qu'il a mis au jour et développés dans son ordonnance de soit-communiqué. Ces informations dérangeantes ont déjà provoqué quelques remous jusqu'au sommet de l'État".
Tout aussitôt (le 30 décembre 1993), sous le titre "Les bonnes oeuvres de M. Pelat", l'hebdomadaire concurrent, L'Express, en rajouta une couche, en commentant la publication de son confrère : "Le rapport laissé par le juge Thierry Jean-Pierre avant de quitter son poste du Mans montre comment le très influent ami du président aurait, grâce à ses largesses, fait obtenir d'importants contrats et réalisé de juteux profits. Accablant. Prêt Bérégovoy. Vente de Vibrachoc [entreprise rachetée par Alsthom en 1982 pour 110 millions de francs, sur ordre de Mitterrand, alors qu'elle était évaluée à 60-65 millions]. Aide financière au président. À son fils Gilbert [le directeur financier de Vibrachoc devait déclarer au juge : "Les sommes portées en regard du nom de François Mitterrand ne correspondent à aucune prestation réelle... Gilbert Mitterrand, quant à lui, facturait des prestations mensuelles à hauteur de 7 500 francs hors taxe. Ces prestations étaient fictives. Il s'agissait là d'un moyen détourné pour assurer une rente amicale de Roger-Patrice Pelat à M. Mitterrand"]. Et bien d'autres choses encore... En 62 pages, le juge Thierry Jean-Pierre, qui vient de communiquer le dossier Pelat au parquet du Mans, décortique, analyse les activités multiformes de celui qui fut, pendant près de cinquante ans, l'ami intime du président jusqu'à sa mort, le 7 mars 1989, en pleine tempête Pechiney.
Document accablant, en vérité. Il confirme les entrées privilégiées de Roger-Patrice Pelat jusqu'au sommet de l'État, qui en firent un authentique homme d'influence. Mais aussi un mécène d'une rare générosité. Certes, on le savait déjà. Mais le mérite du rapport de Thierry Jean-Pierre - révélé par "Le Point" - est de donner des détails, des preuves irréfutables. À l'origine de ce fameux dossier Pelat : la commission de 25 millions de francs qu'il a perçue de l'entreprise de bâtiment CBC, en contrepartie de l'obtention d'un juteux marché en Corée du Nord. Procédé classique. En revanche, ce qui l'est moins, souligne le magistrat, c'est que Roger-Patrice Pelat n'hésitera pas à intervenir auprès du Premier ministre de l'époque, Laurent Fabius. Lequel appuiera CBC pour qu'elle obtienne un financement auprès de la Coface. Intrigué par cette confortable commission, découverte au début de 1993, le juge Jean-Pierre s'interroge : l'ami du président en aurait-il rétrocédé une partie ? Pour le savoir, une solution : procéder à une étude de "l'environnement financier" de Pelat... [...]"

[L'article auquel on a emprunté quelques phrases, ainsi qu'un autre, postérieur (10 novembre 1994), rédigé par le même journaliste (G. Gaetner) et intitulé  "Les ombres d'un règne", et particulièrement sévère pour l'ancien président et son entourage, peuvent aisément être consultés sur la Toile].

 

 

III. Extraits de l'Ordonnance

 

Naturellement, il n'est pas envisageable de publier, ici, les 62 pages du document - qui souvent tourne au fastidieux inventaire à la Prévert (le lecteur curieux pourra néanmoins se les procurer avec un peu de recherche). Mais un extrait seulement, pour donner une idée de l'ensemble, et qui concerne en gros la construction d'un complexe hôtelier luxueux en Corée du Nord. Disons tout de suite que le juge, avec le sérieux d'un pape, fait remarquer que ses investigations ont été sérieusement bâillonnées "compte tenu des dispositions de l'article 2 de la loi portant amnistie du 20 juillet 1988", ce qui donne à penser à son lecteur attentif que les faits délictueux s'étendent, en réalité, bien au-delà de ses réquisitions...

 

 Cour d'Appel d'Angers
Tribunal de grande instance du Mans
Cabinet de Thierry Jean-Pierre
Juge d'instruction Dossier n° 92/031
Ordonnance de soit-communiqué pour faits nouveaux
Nous, Thierry Jean-Pierre, juge d'instruction au Tribunal de grande instance du Mans,
Vu l'information suivie contre MM. Gilbert S., Christian P., Léon P., Daniel B., François B., José A., Roland G., Michel M., Bernard C. et Jeanny L;,
Mis en examen du chef d'abus de biens sociaux, complicité, recel,
Vu les dispositions de l'article 80 alinéa 4 du Code de procédure pénale,
Attendu que des faits non visés au réquisitoire introductif en date du 21 avril 1992, et aux réquisitoires supplétifs des 22 juin 1992, 26 février 1993, 17 mars 1993 et 8 avril 1993 apparaissent dans ce dossier ; qu'avant de les détailler il convient cependant de rappeler les faits de la procédure.

Exposé des faits et de la procédure

[...]

"Les 15 et 18 janvier 1993, M. Simonet [PDG de CBC, dont l'avocat était Me Jean-Marc Varaut] faisait joindre au dossier les documents qui pouvaient intéresser l'enquête concernant la conclusion du marché avec la Corée du Nord. Après examen de ces documents, il était décidé d'un certain nombre d'investigations qui permettaient de mieux analyser l'opération CBC/Corée du Nord qui semble s'être déroulée de la façon suivante :
- début 1981, avant l'élection présidentielle, M. François Mitterrand s'était rendu en Corée du Nord et il aurait été question, au cours de son séjour, de la reconnaissance diplomatique de la Corée du Nord par la France. Une fois élu, le nouveau président de la République avait reçu, rue de Bièvre, avec "un énorme bouquet de fleurs", les félicitations de la délégation de la Corée du Nord à Paris. M. François de Grossouvre, alors chargé de mission auprès du président de la République, recevait cette délégation au nom du Président, et devenait l'interlocuteur habituel des Coréens du Nord à l'Élysée, lesquels reprenaient chaque mois contact avec lui "avec toujours le même leitmotiv : la reconnaissance de leur pays par la France". En novembre 1982, M. de Grossouvre entreprenait, à l'invitation du président de la République nord-coréenne et avec l'agrément du président de la République française, un voyage en Corée du Nord au cours duquel il remettait à Kim Il Sung un message de félicitations à l'occasion de l'anniversaire de ce dernier de la part de François Mitterrand. Un peu plus tard, il recevait la visite du délégué de la Corée du Nord à Paris qui lui soumettait l'idée de créer une sorte de centre culturel et touristique à Pyong-Yang. M. de Grossouvre organisait alors une réunion à l'Élysée avec les membres de la délégation nord-coréenne et plusieurs chefs d'entreprise, dont M. Simonet, et proposait, logiquement, d'organiser un appel d'offres international, puis, d'après ses dires, ne se préoccupait plus de ce dossier.
- Selon M. Simonet, Roger-Patrice Pelat lui aurait demandé (probablement début 1983) si CBC était intéressé par la construction d'un hôtel de grand standing en Corée du Nord. Dès lors, l'analyse de M. Simonet était la suivante : la Corée du Nord réclamant à la France une reconnaissance diplomatique que Paris pouvait difficilement lui accorder sans provoquer une dégradation des relations avec la Corée du Sud, seul un geste de diplomatie économique de Paris vers Pyong-Yang était susceptible de satisfaire les trois parties.
M. Simonet ajoutait : "C'est à ce moment précis que l'intervention de M. Pelat a été utile, il est en effet bien évident que nous ne pouvions pas nous lancer dans l'étude de cette opération (dont le coût était d'environ 5 millions de F) sans avoir quelques assurances quant à sa faisabilité".
En juin 1983, CBC prenait contact avec la délégation générale nord-coréenne, puis envoyait en Corée du Nord un de ses cadres, M. G. Celui-ci négociait dans un premier temps la signature d'un protocole d'accord portant sur une opération d'un montant global d'un milliard 100 millions de francs et indiquait aux Coréens du Nord qu'il "fera son possible de façon à trouver un financement de 450 millions de francs". La Corée du Nord faisant partie de la liste des pays interdits à la COFACE, les responsables de cet organisme ne souhaitaient pas encore ajouter à la dette de ce pays envers la France. Suivaient une série de contacts et la signature de plusieurs protocoles. En novembre 1983, un contrat de marché d'études était signé à hauteur de 50 millions de francs, les Nord-Coréens payant 15 millions de francs en contrepartie d'une caution bancaire de CBC de 3 millions de francs. Cette caution devait être payée à la Corée du Nord si CBC ne commençait pas réellement les travaux et si le financement partiel de l'opération n'était pas trouvé. Après de multiples contacts tant avec la COFACE qu'avec les représentants des différents départements ministériels concernés, et qu'avec des parlementaires membres du groupe d'amitié franco-coréen, MM. Louis Perrein, sénateur, et Alain Vivien, député, un crédit acheteur de 440 millions de francs (garanti par la COFACE à 95 %) était mis en place, son tirage étant lié au paiement régulier du moratoire accordé aux Coréens par les Français, en rééchelonnement de leur dette antérieure. Ainsi, CBC se trouvait dégagée du paiement de sa caution en cas de non-paiement d'une des échéances du moratoire. De fait, les Coréens, après avoir payé deux échéances de ce moratoire, ne payaient pas la troisième, et le contrat liant CBC à Pyong-Yang était résilié en décembre 1986. Peu après. les travaux ayant commencé dès novembre 1985, de nouvelles négociations entre CBC et les Coréens reprenaient et douze contrats particuliers étaient signés correspondant aux tranches des travaux restant à réaliser, les Coréens payant par avance chacune de ces tranches. En juillet 1991, le chantier de l'hôtel était stoppé (pour un montant total de 550 millions de francs) et un protocole d'accord portant décompte définitif était signé en octobre 1991,
- Roger-Patrice Pelat était informé par M. Simonet de toutes les démarches effectuées par CBC et il lui était demandé "s'il pouvait faire obtenir ce prêt aux Coréens", il aurait alors répondu "qu'il verrait ce qu'il pouvait faire". En tout état de cause, il ne semble pas que Roger Patrice Pelat ait à ce moment-là précisé à M. Simonet qu'il demanderait une quelconque commission. Pourtant, M. Louis P., revenant d'un voyage en Corée du Nord avec M. Simonet, indiquait qu'il avait demandé à ce dernier de faire un "geste financier" pour l'Institut méditerranéen de communication qu'il présidait. M. Simonet lui aurait alors répondu : "J'ai déjà trop donné pour l'Élysée". Convoqués à l'Élysée par M. de Grossouvre, MM. P. et Simonet confirmaient ces propos, M. Simonet précisant seulement qu'il avait "agi très largement... pour un proche du Président". Confrontés le 10 décembre 1993, MM. P., Simonet et de Grossouvre présentaient des versions sensiblement différentes les unes des autres. M. Simonet niant, avec beaucoup de conviction, avoir indiqué à qui que ce soit avoir versé une commission à un proche du président de la République. Restait à déterminer comment MM. de Grossouvre et P. auraient, dans ce cas, appris qu'il s'agissait bien d'un proche de l'Élysée.
En tout état de cause, il apparaissait :
- que l'intervention de Roger-Patrice Pelat dans le processus de conclusion du marché de construction de l'hôtel Yanggakdo entre CBC et la Corée du Nord s'était apparemment limitée à fort peu de chose, puisque même la garantie à l'exportation accompagnant le marché (garantie qu'il devait faire obtenir) était soumise à des conditions si draconiennes qu'elle ne devait jamais être mise en oeuvre,
- qu'il avait perçu grâce à un jeu de fausses factures une commission occulte versée par CBC de 24 655 462,60 F.
Dès lors, il restait à répondre à trois interrogations :
1) Roger-Patrice Pelat n'a-t-il pas perçu en réalité une commission d'un montant supérieur, et dans l'affirmative, à quelle hauteur et de quelle manière ?
2) L'intervention de Roger-Patrice Pelat a-t-elle, en réalité, consisté à actionner d'autres intermédiaires, institutionnels ou non, afin de faciliter la conclusion du marché et, dans ce cas, leur a-t-il rétrocédé une partie de sa commission ?
3) D'autres intervenants ont-ils recelé tout ou partie de la commission ainsi versée ?
Afin de répondre à ces questions, il devenait nécessaire de procéder à l'environnement financier complet de Roger-Patrice Pelat et pour ce faire :
- de faire la liste de tous les comptes détenus par l'intéressé dans les établissements financiers,
- de déterminer ses participations et ses activités effectives dans toute société civile ou commerciale,
- de dresser l'état de son patrimoine et son évolution et de reconstituer l'ensemble des mouvements de fonds ayant affecté celui-ci.
Roger-Patrice Pelat possédant une propriété en Sologne, dans le Loiret, il était demandé au service de fiscalité immobilière de la recette d'Orléans-Sud la déclaration foraine de succession correspondante. Il était remis le 26 janvier 1993 aux enquêteurs copie de cette déclaration ainsi que la copie de l'acte de vente du château de l'Écheveau, acte signé en l'étude de Me Agier. Il était donc décidé de se rendre le même jour en l'étude du successeur de ce dernier, Me Rochelois, à Paris.
En présence d'un représentant de la Chambre départementale des notaires, il était demandé à Me Rochelois de remettre copie de la déclaration de la succession de Roger-Patrice Pelat et copie d'une traite de 2 170 380,00 F tirée au bénéfice de l'entreprise JAF, traite figurant au passif de la succession. [...]"


En résumé, les faits poursuivis jusqu'à présent dans cette procédure sont les suivants :

[...]

Attendu, en conséquence, qu'il résulte de l'examen du dossier l'existence de présomptions graves de commission de faits nouveaux semblant pouvoir revêtir les qualifications suivantes : [...]

5°) l'abus de biens sociaux prévu par les mêmes dispositions ainsi que le recel (le paiement de faux honoraires par Vibrachoc à MM. François et Gilbert Mitterrand : respectivement 293 000,00 F de 1972 à 1980 et 579 429,92 F de 1981 à 1989),

[...]

PAR CES MOTIFS

Ordonnons la communication de la procédure à Monsieur le Procureur de la République pour ses réquisitions...

 

 

IV. Conclusion

 

Comme on l'a indiqué en commençant, aucune réquisition ne fut prise, et le travail acharné du juge Jean-Pierre trouva le chemin de la corbeille à papier : belle République irréprochable, pensera-t-on. Il est équitable de rappeler que Pelat vint, involontairement, au secours des personnes poursuivies : inculpé le 20 février 89, il est aussitôt hospitalisé, et décède le 7 mars : Jean-Pierre n'avait pas eu le temps de l'entendre.
Ainsi sera-t-on soulagé d'apprendre que la totalité, ou presque, des mis en cause ont continué leur bonhomme de chemin, comme si de rien n'était. CGE est devenu Vivendi, un promoteur sacrément visé par le juge est toujours aux affaires, et on le retrouve dans l'histoire de la "Chambre du Président".
Le maire P.S. d'une importante commune du Loir-et-Cher est toujours maire, et même sénateur. Tel autre est devenu ingénieur divisionnaire des travaux publics de l'État. L'un des fils de Pelat est le patron d'Euroéquipements. Je ne vois guère qu'un sous-fifre qui ait été condamné à de la prison ferme en 2009 pour corruption.

 

Par conséquent, la gauche morale a parfaitement fait le ménage : motus et bouche cousue, circulez, il n'y a rien à voir. Sauf à penser qu'un jour, les lanceurs d'alerte à la Irène Frachon finiront par avoir leur mot à dire.

 

 

Note janvier 2016 : sur ce sujet, on pourra consulter avec fruit l'édifiant "Un si cher ami", de Jean-Marie Pontaut, aux Éditions Michel Lafon