Toute une génération a, sur les bancs du Lycée, entendu (trop) parler des "puissances de l'Axe" (the Axis Powers). Pour comprendre l'extraordinaire saveur de ce texte, il faut donc avoir entendu parler, petit garçon (ou petite fille) des "Axis Powers". Mais aussi et surtout, connaître un peu le rugby.
Dès lors, on goûtera un texte d'un humour délicieux. Denis Lalanne, (Basque né à Pau le 1er avril 1926), grand connaisseur en matière rugbystique, est (entre autres) chroniqueur au Midol. Ses chroniques hebdomadaires, rassemblées sous le titre générique "Rue du Pack", sont toutes savoureuses.
Mais celle-ci l'est encore bien davantage, s'il est possible. Et Denis m'a autorisé à la reproduire. Que demander de plus ?

 

 

Quand j'étais petit garçon, j'entendais parler des "puissances de l'Axe". Le monde tournait dangereusement autour de l'axe Rome-Berlin ou de l'axe germano-soviétique Un de mes oncles parlait aussi des ennuis qu'il avait avec l'axe de son auto.

Depuis lors, quand j'entends le mot "axe", je m'attends toujours au pire. La lecture des dictionnaires n'est pas faite pour nous rassurer. Il est question dans le Littré de "l'axe d'un conoïde" ou, bien du "diamètre rectiligne d'une courbe plane, qui est perpendiculaire sur les cordes qu'il divise en deux parties égales". On voit tout de suite que la méfiance s'impose. Et l'on comprendra mon malaise quand j'entends parler aujourd'hui de la primauté d'un axe 2-8-9-10-15 pour notre équipe de France de rugby. Ça nous vient d'une réflexion de l'axe Laporte-Maso, et non pas du premier conoïde venu.

Il ne faut pas douter des puissances de l'axe 2-8-9-10-15. C'est aussi évident que "le diamètre rectiligne d'une courbe plane". Il faut éviter la comparaison plutôt désobligeante avec l'arête du poisson. La question se pose seulement de savoir à quoi l'on sert au juste entre le 2 et le 8, également entre le 10 et le 15. Dans l'intérêt évidemment exagéré que j'ai porté au jeu de rugby depuis ma tendre enfance, j'ai soudain l'impression d'avoir eu tout faux dès le départ puisque mes premiers héros ne jouaient donc qu'un rôle subalterne sous le maillot numéro 12 ou numéro 13. Ils s'appelaient Jean Dauger, André Brouat, Jep Desclaux, Auguste Lassalle, Georges Libaros. Et de même pour mes numéro 11 et numéro 14 préférés, qui s'appelaient Celhay, Dutrain, Baladié, Estrade, et surtout le phénoménal Roger Rodriguez. Par la suite, ma vision d'un rugby plus accompli s'est portée sur la fameuse équipe du FC lourdais. Mais, là encore, grande était mon erreur, puisque mes favoris ne jouaient qu'un rôle anecdotique sous le maillot numéro 6 ou numéro 7, s'agissant de Jean Prat, Félix Lacrampe, Roger Bourdeu, Henri Domec, ou encore sous le maillot numéro 12 ou numéro 13, s'agissant de Maurice Prat et de Roger Martine (là, je commets un oubli volontaire car les Français ont mis du temps à adopter la numérotation britannique donnant le maillot numéro 8 au troisième ligne centre. À ce poste, un Manterola portait encore le numéro 7, comme Guy Basquet en équipe de France).

UN ARBRE EN HIVER - Enfin, par l'entremise d'un ami auvergnat, Lucien Piquet, ce fut ma plongée au cœur du rugby gallois des années farouches, qui m'ouvrit les yeux sur les beautés du "scrummaging", par conséquent sur le rôle du numéro 1 et du numéro 3, particulièrement du pilier droit, soutien de tout l'édifice de la mêlée. Si Lucien Mias en fut l'âme et Jean Barthe le Superman, n'oublions jamais que l'énorme révolution de 1958 n'aurait pas été possible sans deux piliers de mêlée de la trempe d'Alfred Roques et d'Aldo Quaglio. Et pendant ce temps-là, mon ami Jean Béderède, le trois-quarts centre du Racing CF s'en allait répétant : "Dis-moi qui a la meilleure deuxième ligne et je te dirai qui va gagner le match". Deuxième ligne, c'est-à-dire les deux poutres de la maison, les maillots n° 4 et n° 5. En fin de compte, je viens de saluer des surnuméraires qui ont enchanté nos dimanches de rugby, et des combinaisons de second ordre comme la transversale 11-12-13-14, l'attelage 1-3-4-5-6-7 : tout si j'ai bien compris, sauf l'essentiel, l'axe 2-8-9-10-15. Ce n'est pas du mauvais esprit de ma part, peut être une mélancolie de saison, car, lorsque je contemple ma campagne à l'approche de Noël, je me dis que l'axe 2-8-9-10-15 est comparable à un arbre en hiver, un chêne pétrifié, dépouillé de tout ce qui fait sa vigueur et sa verdeur.

Comme du rugby en stand-by qui attendrait le réveil du printemps. Mais là, ma jolie métaphore se ramasse une gamelle de première car le rugby est justement cet arbre à nul autre pareil, qui donne en hiver les plus belles fleurs du Tournoi. On voit par là que le calendrier républicain n'a décidément rien à voir avec le calendrier du rugby, ses trois samedis par semaine et ses joueurs à poil en plein décembre et sur papier glacé.

TOUT S'EXPLIQUE - Hormis la pointe aiguisée de Servat, l'axe 2-8-9-10-15 ne va justement pas très fort en ce moment avec les blessures de Michalak et de Peyrelongue, le creux de Brusque et d'Harinordoquy. Comme on décore un arbre de Noël, ça serait peut-être le moment de disposer quelque ornement autour de l'axe 2-8-9-10-15. Mettre de la chair autour de l'os, je veux dire. Si ça se trouve, c'est peut-être dans ce but que Laporte, Maso, Godemet et compagnie insistent tellement pour envoyer nos trois-quarts à l'engrais.

© Denis Lalanne, rubrique "Rue du Pack", in Midi Olympique du 20 décembre 2004].

 

 


 


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Denis Lalanne, né le 1er avril 1926 à Pau, s'est en allé le 7 décembre 2019 à Anglet.
C'était une "plume", un sacré journaliste. Il nous manquera. Il nous manque déjà.