Présente-t-on encore Bala ? Superflu, n'est-ce pas ?

 

Je me souviens de l'après-guerre et de la reprise du Tour de France avec Jean Robic, Gino Bartali, Fausto Coppi... Je me souviens des images fortes que procure le Tour, des duels d'homme à homme, d'Anquetil et de Poulidor, de ces muscles bandés, des gros plans sur les mécanismes du vélo ou la minceur du boyau.

Je me souviens avoir joué avec l'école de rugby en lever de rideau un match entre l'US Dax et le Stade Toulousain, qui comptait dans ses rangs Yves Bergougnan, l'un des plus grands demis de mêlée au monde. Je me souviens de l'émotion éprouvée dans les vestiaires à l'idée de me retrouver si près de tous ces monstres sacrés. Joueur, je me souviens avoir gagné quatre tournois des cinq nations avec l'Équipe de France, et avoir perdu quatre finales de championnat de France avec Dax, le seul club où j'aie jamais joué.

Je me souviens que sitôt finie ma carrière de joueur je suis devenu consultant pour Europe 1. Un métier de privilégié qui m'a permis de rencontrer les idoles de mon enfance, qui prenaient de l'âge, puis de voir arriver toutes les générations de rugbymen de ces trente dernières années.

Je me souviens de mon ami Roger Couderc et du chewing-gum avec lequel un commis noir avait rafistolé notre liaison téléphonique cinq minutes avant un test-match de l'Équipe de France en Afrique du Sud, quand tous les techniciens s'affairaient en vain depuis une heure ! Avec Roger, nous avons toujours regretté de ne pas lui avoir demandé la marque...

Mais si je devais garder qu'un seul souvenir, c'est celui de Nelson Mandela portant le maillot des Springboks lors de la finale de la Coupe du Monde de rugby, en 1995 à Johannesburg. En Afrique du Sud, le rugby est le sport des Blancs, et voir cet homme-là, qui venait de prendre les rênes du pouvoir après des années de prison, revêtir ce maillot pour montrer à ses concitoyens qu'il fallait faire un grand pas les uns vers les autres, cela dépassait de très loin le simple cadre du sport.

 

© Pierre Albaladéjo, in En jeu, n° 337, mars 2000, p. 29].