On ne présente pas en Isère Roger Canac. C'est ainsi. Les heureux z'habitants des autres départements français, s'il y en a, n'auront qu'à se renseigner. Quoi qu'il en soit, le dénommé Canac, insupportable et indispensable poil à gratter, vient de publier dans le Dauphiné libéré du 6 mars dernier une Lettre ouverte à Madame la Ministre des Sports, d'une violence extraordinaire (à quelques jours de la Journée mondiale de la Femme, sont-ce des choses à faire, M'sieur Canac ?).
Nous ne connaissons à peu près rien aux choses de la montagne, et ne participerons donc pas au débat. Mais le texte de Canac n'est pas seulement une apostrophe de plus à un(e) Ministre de plus. C'est l'éclatant témoignage revendicatif d'un choix de société - qui n'est pas celle où nous vivons, dirons-nous par euphémisme - exprimé en quelques formules aussi percutantes que limpides. Tant pis pour la dite Ministre, qui nous est au demeurant sympathique dans sa lutte contre le dopage (Bonjour Sisyphe !) et parce qu'elle assiste à tous les matchs de rugby passant à sa portée : le texte de Canac mérite d'être diffusé, jusque et y compris chez les marmottes (qui ne sont pas toutes, loin de là, dans l'Oisans). Mais il suffit : écoutons Roger Canac

 

 

Lettre à Madame Buffet (ou Les noces de Canac)

 

 

"Merci, Madame la Ministre.

 

Je ne saurais jamais vous remercier d'avoir balancé un amendement par le canal d'un gogo quelconque de la Chambre des députés. Merci d'avoir testé la lucidité des moniteurs de ski, des guides de haute montagne et de toute la famille des métiers de la montagne. Elle était là. Merci d'avoir éprouvé leur réflexe de solidarité et leur capacité d'union. Il était là.

La manœuvre rampante de l'amendement (qui risque de porter votre nom) proposé dans les ténèbres de la nuit et de l'assouplissement des rares parlementaires (minuit, l'heure du crime !), sous le couvert de la pleine saison du ski, où tous les intéressés sont occupés à leur travail, a été déjouée.

Merci d'avoir élargi le cercle de l'unité aux pisteurs secouristes qui dépendent d'un ministère autre que le vôtre (formés tout de même à l'ENSA), solidaires avec leurs collègues dans le risque et la responsabilité face à la montagne.

Merci d'avoir essayé de nous diviser pour régner, ça nous unit et ça nous ragaillardit.

Merci d'avoir révélé que nos professions jouissent encore d'une belle santé. Elles sont, à mon sens, le dernier rempart d'indépendance, de fierté, d'honneur dans une société avachie dans l'assistanat généralisé et qui ne facilite guère l'ardeur au travail et à la responsabilité. Mes amis savent ce que leur coûte l'indépendance en URSSAF, assurances diverses et variées pour se garantir contre l'accident qui fait perdre le gagne-pain. Et ils ne réclament pas les trente-cinq heures.

Merci de me permettre d'être fier d'appartenir à cette noble famille de métiers de la montagne, exemplaire en Europe. Devant la préfecture de Grenoble, ces hommes et ces femmes étaient de belle tenue, pas hargneux, pas revendicatifs. Forts.

Et maintenant, qu'allez-vous faire des cartes professionnelles qu'ils ont déposées entre vos mains par l'intermédiaire des préfets ? Les mettre au placard ?

Et qu'allez-vous dire à ceux qui vont solliciter une vague qualification passe-droits (et non un métier) pour accéder à l'encadrement rémunéré, sans subir le long et coûteux itinéraire jusqu'au diplôme, accessible à tous par le travail ?

Que devient la liberté-égalité-fraternité ? De la démagogie ? du faux semblant ? J'espère que vous aurez la sagesse de rebrousser chemin en reconnaissant que vous vous êtes trop précipitée.

Avec mes sentiments républicains".

 

© Roger Canac, in Le Dauphiné libéré du 6 mars 2000

 


 


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"Roger Canac, fougueux auteur du texte qu'on vient de lire, nous a quittés, le samedi 3 octobre 2020, à l'âge de 92 ans.
Claude Muller (l'un des trois auteurs de la partie "Cent-un personnages du Graisivaudan", présente sur ce site) lui rend un hommage émouvant.

 

"Quand je rendais visite à Roger Canac, il fallait d'abord que j’aille admirer son jardin potager. C’était comme un rituel.
On parlait de la culture des fruits et légumes en montagne, de l’immense plaisir de les voir pousser, on échangeait des recettes.
Cela pouvait durer des heures. L’amitié se cultivait au bord des rangées de choux et de poireaux.
Tu te plaisais à me rappeler que nous sommes tous des Paysans Sans Terre...

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