La lecture des traditionnelles promotions de la Légion d'honneur laisse plus d'un honnête homme songeur. C'est que la société du spectacle et de ses illusions batifole dans ces allées primitivement réservées aux plus méritants, et désormais sans aucune signification. Peut-être est-ce donc le moment de relire deux opinions politiquement incorrectes, mais si droites !

 

 

"Catherine-Nicaise-Elisabeth Leroux, de Sasseto-la-Guerrière, pour cinquante-quatre ans de service dans la même ferme, une médaille d'argent - du prix de vingt-cinq francs !...
Alors, on vit s'avancer sur l'estrade une petite vieille femme de maintien craintif, et qui paraissait se ratatiner dans ses pauvres vêtements... Ainsi se tenait, devant ces bourgeois épanouis, ce demi-siècle de servitude".

(Gustave Flaubert, Madame Bovary, VIII).

 

 

I. Le mal des grimpeurs

 

Les promotions saisonnières de la Légion d’Honneur, où les petits créanciers des grands de ce monde forment le réseau serré de la France notable, où l’influence, l’intrigue, le mérite et le talent trament le tissu mélancolique des vanités vieillissantes...

 

© J. Julliard, “Le mal des grimpeurs”, in Le Nouvel Observateur, 8-14 mai 1987, p. 44.

 

 

II. La légion d'honneur de Bernard Clavel

 

Distingué fin décembre 1997, l'écrivain Bernard Clavel a fait savoir qu'il refusait de recevoir la Légion d'honneur, préférant rester "dans le clan de ceux qui l'ont refusée". Le vendredi 2 janvier 1998, il déclarait dans un communiqué : "J'ignore qui a pu me proposer, mais c'est à coup sûr quelqu'un qui me connaît mal. J'ai refusé cette décoration il y a fort longtemps lorsque Jacques Duhamel, alors ministre de la Culture, voulait me la remettre.
Quelques années plus tard, Roland Dorgelès, qui m'accueillait à l'académie Goncourt, me pressait de l'accepter : Vous serez le seul à ne pas l'avoir. J'ai répondu : Ce sera une distinction !
Je n'ai pas changé d'avis. Si j'acceptais aujourd'hui, ce serait me renier".

Bernard Clavel a ajouté que son oncle Charles avait reçu la Légion d'honneur "parce qu'il avait abondamment versé son sang pour son pays dans la pire boucherie qu'ait connue l'humanité. Je pense qu'il se retournerait dans sa tombe en me voyant porter le même ruban que lui.
Que celui qui a cru me faire plaisir en me proposant cette médaille me pardonne, mais je tiens à rester dans le clan de ceux qui l'ont refusée, où je côtoie Berlioz, George Sand, Littré, Courbet, Daumier, Maupassant, Eugène Le Roy et l'un des écrivains que j'admire le plus, Marcel Aymé.
Je ne me sens pas mal du tout dans l'ombre de ces géants. Beaucoup mieux en effet que dans la foule immense où ceux qui ont mérité qu'on les distingue se mêlent à ceux, innombrables, qui ont payé leur place"
.

 

 

Dans le même registre, on citera ses propos rapportés dans un entretien avec un journaliste suisse : "J’ai dans mon bureau des photographies d’hommes qui ont beaucoup marqué ma vie : Dorgelès, Casamayor, Louis Lecoin, Pierre Mac Orlan. Ils sont là parce que c’est une espèce de conscience et je me dis qu’en présence de ces gens-là, je ne pourrai pas commettre une saloperie.
Je crois que l’on devrait tous avoir des gens qui vous regardent et qui vous disent : attention, là tu vas faire une chose qui n’est pas tout à fait correcte".

© Le Journal Français n° 38

 

 


 

 


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