I. Salut à Kléber Haedens

 

J'ai le souvenir d'un Principal de collège français qui nous comparait à des veaux se roulant dans un pré. Le pauvre homme ! Il se croyait bien fin avec sa grosse tête, son pince-nez et ses lectures d'Anatole France.

Je me rends compte aujourd'hui que son intelligence n'était jamais sortie de ses vingt-deux mètres, et qu'il n'aurait jamais pu toucher la balle ailleurs qu'en ballon mort.

En fait, pour quelques-uns d'entre nous, enfermés entre les murs d'un lointain lycée de province, le rugby, que nous pratiquions tous les jours, aura été la protection la plus efficace contre l'incroyable ennui des études secondaires. Il était, pour nous, la fontaine où venaient se rafraîchir le corps et se décrasser l'esprit.

 

© Kléber Haedens in Adios, 1974. Grand Prix du roman de l'Académie française, chez Grasset (à nouveau publié dans la collection Les Cahiers rouges - à signaler du même auteur, l'Eté finit sous les tilleuls, prix Interallié 1966)

 

 

II. Pays de Galles bat Irlande 20 à 16

 

"Ils jouent si bien, les Gallois, me disait dimanche Jean Dauger, qu'ils forceront les Quinze de France à bien jouer aussi le 18 mars à Cardiff". Si le grand joueur bayonnais dit vrai, quelle fête que celle qui se prépare là-bas ! On la disait vieille, cette équipe qui depuis sept ou huit ans domine, à quelques éclipses près, le rugby européen. Jamais elle ne nous a paru plus forte ou, mieux, plus équilibrée que samedi à Dublin, dans le bouillonnement furieux créé, d'entrée de jeu, par les joueurs irlandais, que tout un peuple était venu voir bousculer leurs maîtres gallois.

Bousculés, les visiteurs le furent d'abord. Et, quand souffle le vent d'Irlande, il faut s'accrocher au sol comme le trappeur sur la taïga sibérienne...

Mais ce sont bien tout de même les meilleurs qui l'ont emporté. [...] Les Gallois, on le sait, ce n'est pas par la masse qu'ils prétendent l'emporter, ni en transformant le rugby en un combat de béliers, comme leurs rivaux français frappant patiemment de leur front un mur de béton irlandais. C'est en faisant gicler le ballon des mêlées, en le faisant voler, en déroutant, démarrant, démarquant, par le galop, l'esquive, les feintes et le contrepied. En inventant constamment le jeu en fonction des situations que créent ou que vivent trente personnes à nulles autres pareilles, avec un ballon de forme improbable et à l'humeur folâtre. ...]

Voilà ce qui s'appelle bien jouer au rugby. Voilà ce qui s'appelle plus simplement jouer au rugby. [...] Le rugby, c'est une leçon d'espace, une leçon de liberté dans l'espace. Alors, en direct le 18 mars, sur l'horizon vert du gazon de Cardiff, il faut espérer plus d'espace encore et plus de liberté...

 

 

© Article paru dans Le Monde du 7 mars 1978, p. 28, sous la plume de Jean Lacouture].

 

[Peut-être sera-ce faire injure à certains de nos lecteurs, que de rappeler ici, que le 18 mars 1978 en question, la France devait s'incliner (16-7) devant le Pays de Galles ? Non ? Alors, nommons quelques-uns des joueurs de ce match : Bertranne - Rives - Gallion - Aguirre - Novès (l'actuel entraîneur de Toulouse) - Bustaffa - Bastiat (cap.) - Skrela (dont ce fut le dernier match) - Palmié - Paparemborde ; en face, naturellement, le fameux Gareth Edward, "ce perpétuel ingénieur de gestes et de risques" (dixit J. Lacouture), Fenwick, Gravell, J. P. R. Williams...]

 

 


 


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