Avec F. de Closets, comme toujours, ça décoiffe... et ça fait réfléchir !

 

"Parler vrai, c'est affaire de fond et non pas de forme, ce n'est pas parler "comme tout le monde", c'est même le contraire. C'est dire ce qui ne se dit pas, c'est parler contre son intérêt et s'attirer la réprobation de son propre camp, pas seulement celle du camp adverse… Les grand-messes politiques poussent à la caricature cette jubilation dans les certitudes partagées.
Quel que soit le sujet traité, chacun connaît les choses à dire, les mots à éviter pour recueillir l'approbation de ses amis et supporters. Attention, danger ! Ce sont toujours les phrases les plus creuses qui sont applaudies par les militants. L'orateur a calculé son effet, il lance la formule, puis s'interrompt, la mine satisfaite, pour recevoir en écho la vague des vivats. Un rituel de célébration au service de l'erreur. Le parler-vrai fait plus souvent l'effet d'une douche glacée que d'une douche chaude. Silence, étonnement, inquiétude et, pour finir, irritation. Les visages se ferment. La réalité s'est invitée dans le débat, elle a rompu le sortilège des mots. Instant privilégié.
Dans notre jeu politique manichéen, le retour au réel ne se fait jamais qu'en empruntant à l'adversaire. Celui qui ne prend pas le risque de décevoir et de choquer les siens, celui-là ne dira jamais la vérité".

(F. de Closets, Le divorce français, conclusion).

 

 

 

Vivre avec le nucléaire : la confiance à l'ombre des centrales

 

La science est capable de faire naître la plus haute sécurité du plus grand danger. Tel est le postulat du nucléaire. Aucune démonstration a priori ne peut le démontrer. Seule la constatation a posteriori permettra de dire qu'effectivement cette technique est parfaitement maîtrisée, depuis l'extraction du minerai jusqu'au confinement des déchets. Le nucléaire est fondé sur cette confiance dans l'expertise qui cimente une société d'organisation et se fissure dans une société d'opinion.

Pour l'avoir trop facilement obtenue dans un premier temps, l'industrie: nucléaire est désormais paralysée par la méfiance. Elle a beau se targuer des plus grands succès, multiplier les assurances et les garanties, élever sans cesse son niveau de sécurité, elle peine à reconquérir les esprits.

En ce XXIe siècle, les centrales nucléaires font partie du paysage français au même titre que les clochers et les châteaux d'eau. Elles fournissent les trois quarts de notre électricité et leur bon fonctionnement dément les prédictions de toutes les Cassandre. L'électronucléaire s'impose comme un fait irréversible. Cette démonstration, effective et non pas prévisionnelle, devrait valoir acceptation. C'est loin d'être le cas. Les Français ne se sont toujours pas réconciliés avec le nucléaire, ils n'ont jamais conclu qu'un armistice.

Ils pensent à 81 % qu'il s'agit d'une technique à risques, mais les deux tiers d'entre eux ont confiance dans la sûreté des installations nucléaires. Les voisins des centrales se sont accoutumés à voir les panaches de vapeur sortir des énormes tours de réfrigération. Ils dorment paisiblement sans craindre un Tchernobyl à leur porte. Bref, la population a fini par adopter les installations existantes. Mais elle conserve toute sa méfiance à l'égard des nouvelles. À 88 %, elle refuserait que l'on installe un cimetière pour déchets radioactifs près de son domicile.

Cette acceptation traduit plus de résignation que de véritable adhésion. Elle prend acte de ce qui existe tout en refusant de l'étendre et en rêvant de s'en passer. En 2000, la construction de centrales nouvelles ne recueillait que 18 % d'approbation, tandis qu'une dénucléarisation progressive, à l'instar de l'Allemagne, recevait un soutien majoritaire à 51%.

Plus surprenant : le jugement des Français est très peu lié à la conjoncture. Il avait été fortement influencé par le premier choc pétrolier, devenu le meilleur avocat du plan Messmer ; il n'est guère sensible au troisième, et pas même au danger des gaz à effet de serre. Entre 2000 et 2005, la majorité qui souhaite sortir du nucléaire s'est confortée, passant de 51 à 54 %. Et à peine un tiers des Français voient dans le recours au nucléaire une réponse possible à la crise climatique et pétrolière ! En 1974, le renchérissement du baril avait dédouané l'atome ; en 2007, le réchauffement climatique, combien plus angoissant, n'y suffit pas. Comment expliquer que l'évidence des faits ait si peu de prise sur l'opinion ?

À tort ou à raison, les Français n'ont jamais porté une attention particulière à l'industrie nucléaire. Ils ont suivi l'air du temps, qui lui était favorable dans les années 1960-1970 et qui, depuis lors, s'est retourné. Seule une petite minorité s'est résolument engagée sur ce terrain. Elle voit dans le nucléaire un mal à éradiquer et jamais une réalité à corriger. La majorité accepte le statu quo nucléaire, mais ne souhaite pas le voir s'étendre. Tout le "Grenelle de l'environnement" a été construit sur cette analyse de l'opinion.

La réponse est dans le vent

L'opposition au nucléaire est devenue une idéologie, presque une religion, en France et, plus encore, à l'étranger. Elle pouvait faire illusion dans les années 1970-1980 en se fondant sur des arguments rationnels, mais cette prétention n'a pas résisté à l'état d'urgence climatique. Le péril avéré d'un réchauffement lié à l'effet de serre, d'une part, le bon fonctionnement du parc électronucléaire depuis des décennies, d'autre part, ont pourtant changé les données de notre avenir énergétique.

Dans les années 1970, les risques écologiques du nucléaire s'opposaient aux risques économiques du pétrole. Il n'était pas déraisonnable de préférer une hausse des prix à une fuite radioactive. Au tournant du siècle, le risque d'une catastrophe climatique provoquée par l'accumulation du gaz carbonique est unanimement admis et les antinucléaires ne sont pas les moins ardents à dénoncer ce péril. Nous voilà pris en tenaille entre les déchets atmosphériques de l'énergie fossile, que l'on ne sait ni réduire ni contenir, et les déchets radioactifs de l'énergie nucléaire, que l'on doit finir par confiner. Choix dramatique, car les premiers représentent une menace immédiate et certaine, et les seconds, une menace hypothétique à long terme. Par malheur, nous ne saurions faire l'impasse sur les deux, car l'électricité représente pour l'humanité la voie obligée du progrès. Une voie que deux milliards de Chinois et d'Indiens empruntent désormais à grande allure. S'en remettre aux seuls combustibles fossiles pour assurer ce surcroît de production, c'est doubler notre couverture chauffante au C02. Ne reste qu'à miser sur l'électronucléaire pour réduire la part de l'électro-carbone.

Cette nouvelle donne n'a en rien modifié les positions des antinucléaires. Menace du C02 ou pas, la diabolisation reste la même. Ils ont donc postulé que les énergies renouvelables pourraient dans une large mesure prendre la relève du fossile et du nucléaire. Champion de cette "autre solution" : l'éolien.

Cette énergie peut-elle assurer une part significative de notre consommation électrique et réduire d'autant les gaz à effet de serre ? Le Conseil européen, dont pas mal de sièges sont tenus par des écologistes, a choisi de le croire. Dans sa résolution de mars 2002, il s'est fixé pour objectif 20 % d'énergies renouvelables en 2020. S'agissant de centrales hydroélectriques, ce serait parfait. Malheureusement, les meilleurs sites sont déjà équipés, le solaire est toujours hors de prix, la biomasse, marginale ; ce sont donc les éoliennes qui devront fournir ce surcroît d'électricité "douce". Certains pays, notamment le Danemark, les Pays-Bas, l'Allemagne, se sont lancés à corps perdu dans la construction d'aérogénérateurs. Cédant à l'air du temps, au propre comme au figuré, la France a entrepris de les suivre. Sur fond de subventions, il va de soi. Dans la France du XXIe siècle, la construction-exploitation d'une éolienne assure une rente de situation plus juteuse que le monopole des moulins à vent dans la France d'Ancien Régime !

Peut-on espérer que le vent va dissiper la menace du gaz carbonique ? Nos politiciens feignent de le croire, mais ils savent pertinemment qu'il n'en est rien. Il y a belle lurette que la démonstration en a été faite par les énergéticiens les plus sérieux, comme Jean-Marc Jancovici(1). L'électricité ainsi produite sera beaucoup plus chère que celle du charbon ou du nucléaire, mais ce n'est rien encore. Le vent souffle quand il veut, pas quand on en a besoin. Les éoliennes ne produisent guère que le tiers ou le quart du temps, et, bien souvent, à contretemps, une électricité qui ne se stocke pas. Elles ne peuvent donc venir qu'en appoint d'un réseau. Pour suppléer leurs défaillances, il ne faut pas compter sur des centrales nucléaires qui produisent en continu, mais sur des centrales au charbon ou au gaz, que l'on module à la demande. Il faut donc doubler tout champ d'éoliennes d'une bonne centrale classique bien polluante ! Et voilà pourquoi les champions de cette "énergie propre", comme l'Allemagne ou le Danemark, sont aussi les plus gros pollueurs par émanations de gaz carbonique. Conclusion de Jean-Marc Jancovici : "Si notre première priorité est de minimiser notre impact sur l'environnement, penser qu'il suffit de mettre des éoliennes partout pour y parvenir est hélas un rêve [...]. Cette solution n'apparaît dans les bons ordres de grandeur ni pour lutter efficacement contre les émissions de gaz à effet de serre, ni pour concourir de manière significative à notre consommation d'énergie actuelle". Un avis qui remonte à 2001, mais dont nos antinucléaires n'ont tenu aucun compte.

Les faits sont ignorés, l'expérience aussi. Christian Gérondeau(2), rappelant l'extraordinaire développement de cette technique au Danemark, montre l'impasse où se trouve ce pays, incapable de gérer son double pari sur le vent et sur le charbon : "Le Danemark vient de décider de tout arrêter, car il est désormais confronté à des problèmes insolubles". En Allemagne, les partis de gouvernement, prisonniers des Verts, ont dû renoncer à l'atome et tout miser sur le vent. Leurs éoliennes deviennent les grands arbres qui cachent la forêt de centrales au charbon dont ils couvrent le pays.

La position des antinucléaires radicaux est à ce point irréaliste que, même dans l'ambiance favorable du "Grenelle de l'environnement", ils n'ont pu imposer leur point de vue. Seule concession de Nicolas Sarkozy : l'engagement de ne pas ouvrir de nouveaux sites pour construire des centrales. Une promesse conforme aux souhaits des Français et qui, pour le coup, ne mange pas de pain. Les gouvernements sont assurés de trouver sur les sites des centrales actuelles, la place nécessaire pour en construire de nouvelles et, chez les populations avoisinantes, une acceptation acquise d'avance contre redevance.

En revanche, le gouvernement se devait de céder au conformisme du moment sur l'éolien. La France s'engage donc à "rattraper son retard" dans cette voie sans avenir. Autant de milliards gaspillés et qui auraient dû être consacrés à intensifier les recherches pour capter et fixer le C02 dégagé par les centrales à charbon. Heureux encore que nous n'ayons pas, à l'image de l'Allemagne, décidé de "sortir du nucléaire" !

 

[A propos de l'insensé rejet des OGM, l'auteur développe le même raisonnement. Il aurait pu envisager, également, le gaz. Et parler de C. Allègre, homme sensé et raisonnable, voué aux gémonies de vitupérateurs professionnels, car il soutient l'exploration des gaz de schistes].

 

 

François de Closets, Le divorce français, 2008, Arthème-Fayard, pp. 87-93.

 

 


 

 

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Notes

 

(1) Jean-Marc Jancovici, "Quelle surface faut-il couvrir d'éoliennes pour fournir à la France le courant dont elle a besoin ?", juin 2000 [texte révisé en janvier 2012], consultable sur http://www.manicore.com/documentation/eolien.html.
(2) Christian Gérondeau, Écologie, la grande arnaque, Paris, Albin-Michel, 2007.