"On ne saurait respecter un équilibre rigoureux entre mensonge 'de droite' et mensonge 'de gauche'. Ce ne serait même pas matériellement possible, car il y a beaucoup plus ample provision d'une marchandise que de l'autre. L'impartialité arithmétique deviendrait, si l'on s'y tenait, partialité morale, car, dans le monde contemporain, le mensonge de gauche se présente, par nécessité, en beaucoup plus grande quantité que le mensonge de droite.
Le mot même de gauche y est un mensonge".

(Jean-François Revel, La connaissance inutile, p. 118)

 

[Nous sommes devenus des consciences habituées. C'est pourquoi le terrorisme intellectuel qui est imposé à l'ensemble des Français par une toute petite minorité, pour l'essentiel parisienne, nous échappe quasi-totalement. Même si certains tentent de s'insurger contre la pensée unique - celle des milieux germanopratins - nous sommes devenus sacrément amorphes et prêts à tout gober. D'autant qu'en général, les victimes de ces nouveaux terroristes sont des personnes taiseuses, qui songent davantage à l'accomplissement de leur tâche terrestre, plutôt qu'à se lancer dans des polémiques quasiment perdues d'avance.
Me vient soudain à l'esprit une apostrophe relativement récente venant "naturellement" à la bouche de Nicolas Demorand, sur France-Inter. Tandis qu'il interrogeait le Procureur général Ph. Bilger, il lui asséna sèchement : "Oh, vous, vous êtes de droite !". C'est ainsi qu'on avalise ou qu'on récuse des opinions, en France, sur de supposées attitudes politiques. La validité de l'argumentation pèse peu, au regard de l'appartenance politique - réelle ou non - de celui qui la défend. Pauvre France, vraiment !

 


Il serait fastidieux de recenser tous ceux dont la carrière a été freinée, stoppée, voire brisée, sur de simples soupçons de "non-alignement" : et je pense là, immédiatement, au 'grand résistant' Sartre faisant en 44 comparaître (avec le fabuleux culot qui était le sien), devant le Comité d'épuration des écrivains, des hommes tels que Jean Giono ou Sacha Guitry. Plus près de nous, je citerai l'exemple de Pierre Chaunu (qui nous a quittés voici un an tout juste). Historien de première grandeur, il n'a jamais connu les feux de la rampe médiatique, parce que classé "à droite". Je songe encore à Georges Gusdorf, éminent philosophe, dont on n'évoquait qu'en chuchotant, et de façon gênée sinon indignée, les idées "réactionnaires". Me vient également à l'esprit - mais je pourrais citer cent et un autres exemples - le nom de Charles-Robert Ageron, autre historien de première grandeur, contemporain de Chaunu. Cet homme à l'incroyable érudition, auteur, entre autres, de "Les Algériens musulmans et la France de 1871 à 1919", n'a jamais "percé" au plan universitaire. Un de ses anciens élèves vend la mèche, vraisemblablement sans le vouloir : "il n'était jamais passé par le Parti communiste, ce qui le mettait à l'écart de la plupart de ses collègues". Fermez le ban... Il me plaît en tout cas que remarquer que nombre d'insurgés appartiennent à la "religion prétendument réformée" : la conscience huguenote est encore et toujours aux avant-postes de l'honneur de penser.
Il faut donc louer l'entreprise de débourrage de crâne, que conduit le jeune Éric Brunet - qui publie ces jours un nouvel ouvrage, "Dans la tête d'un réac" ; ce titre à lui seul constitue un sacré pied de nez aux bien-pensants. C'est pourquoi nous donnons ici quelques "bonnes feuilles" de son ouvrage précédent]

 

 

I. Être de droite dans les médias : travailler sa "gauche attitude"

 

Que sont les vraies joutes devenues ? Disparues, faute de combattants ! Les bretteurs de droite étant aux abonnés absents, ceux de gauche redoublent de férocité. Tels des Astérix privés de potion magique, ils agitent les bras et prennent des postures de résistants. Contre quoi résistent-ils ? Ils l'ignorent eux-mêmes. Ils savent que les Français leur rendront grâce d'avoir su dire non... Et peu importe à qui ou à quoi.

 

S'il faut avoir l'air résistant, il faut aussi donner l'illusion de l'impertinence. L'époque a remplacé l'irrévérence par un ersatz trompeur, un petit succédané à trois sous : la fausse insolence. Cette méthadone a l'aspect de l'insolence : une barbe mal taillée, l'œil acéré, le rictus vengeur. Maïs à la différence de celle qu'elle prétend imiter, elle est insondablement creuse... Cette fausse insolence est à la mode.

 

Le quasi-monopole de la gauche dans les médias n'agace pas que les gens de droite. Philippe Vandel, chroniqueur historique de Canal+, s'insurge : "Sincèrement, ce manque de réciprocité dans les médias me rend malade. Si tu dis à Gérard Miller que les Chinois ont massacré des centaines de milliers de Tibétains, il te regarde comme un colleur d'affiches de Bruno Mégret.

 

Si tu parles des millions de morts du communisme, il y a encore des gens qui te reprochent de faire de la démagogie anti-gauche"(1). "Nous étions libres et dupes à la fois ", avoua Miller au journal Minoritaire. Ancien militant de la Gauche prolétarienne, élève de Jean-François Lyotard, Roland Barthes et Michel Foucault, l'élégant psychanalyste-journaliste qui "a eu vingt ans en 1968" a-t-il renoncé à ses chimères ? Dans une revue de psychanalyse, il interviewait Serge July sur la persistance du "postgauchisme". Peu de polémique dans cet échange, puisque l'un et l'autre s'accordaient à reconnaître qu'il y avait une continuité entre le gauchisme d'hier et sa forme liftée d'aujourd'hui. Serge July concluait même "Si le post-gauchisme a été pour nous positif - d'où notre efficacité dans la presse -, c'est que le gauchisme l'avait été avant." Dont acte.

Les choses peuvent parfois devenir complexes à appréhender. Une même photographie, un même article peut être considéré comme exquis ou désastreusement ringard, selon qu'il est publié dans un titre bien-pensant ou non. Franchement, un non-initié aurait de quoi s'étonner. Exemples : quand Cauet, sur TF1, montre une femme dont on voit les seins à l'antenne, les bons censeurs crient au racolage. Normal. Quand une publicité télévisée présente une femme nue pour vendre de la crème solaire, c'est encore du racolage. Normal aussi. En revanche, quand Jan Fabre exhibe des femmes nues pendant des heures au festival d'Avignon en 2005, c'est du théâtre. Pire, quand Libération consacre son cahier central de l'été 2005 au clitoris, avec une photo géante sur une double page d'un sexe de femme ouvert, c'est du journalisme...

 

Comment reconnaître la droite de la gauche dans ces situations équivoques ? Pour éviter de vous perdre dans cet univers où la moindre faute d'appréciation risque de vous transformer, aux yeux d'une assemblée choisie, en crétin définitif, je vous conseille de mémoriser ce qui suit. C'est lapidaire, mais si vous le respectez, vous ne perdrez jamais vos amis de gauche :

 


Règle première : médias de droite = racolage putassier (n'ayez pas peur de ce terme ordurier, c'est celui qu'il convient d'utiliser).

Règle seconde : médias de gauche = espace de débat intéressant ouvrant des perspectives esthétiques, démarche artistique subversive mais courageuse. Ça va en choquer certains, mais c'est inévitable dans l'art...

 

De même, les modes changent et, avec elles, les critères d'appréciation. Dans Le Grand Bazar, publié par Daniel Cohn-Bendit en 1975, Dany, plus subversif et transgressif que jamais, raconte son expérience d'éducateur dans un jardin d'enfants autogéré en Allemagne "Il m'était arrivé plusieurs fois que certains gosses ouvrent ma braguette et commencent à me chatouiller. Je réagissais de manière différente selon les circonstances, mais leur désir me posait un problème. Je leur demandais : "Pourquoi ne jouez-vous pas ensemble, pourquoi m'avez-vous choisi moi, et pas les autres gosses ?" Mais s'ils insistaient, je les caressais quand même"(2). Dans les seventies, l'approche pédagogique de Dany passe comme une lettre à la poste. [Et lui permet de ridiculiser, sur Apostrophes, un Paul Guth médusé] Quelques années plus tard, à l'occasion de la réapparition de Dany dans le paysage politique français, certains rares journalistes ressortiront timidement l'affaire. Alors que d'autres confrères défendront l'indéfendable, à l'instar de Jacques Henric, d'Art Press, qui évoquera une "nauséeuse conspiration".

 

Pour mener une carrière, il est donc recommandé de justifier d'un engagement à gauche, fût-il ancien. Fort de ce laissez-passer, quoi qu'on puisse écrire, on ne sera jamais un con. Écrire sans ce paratonnerre, c'est prendre un risque. D'Ormesson est reçu par Mitterrand mourant pour d'ultimes confessions ? Roger Hanin peut clamer sans risque : "Il a choisi le plus con".
Même les journaux de droite ont leurs plumes de gauche - le contraire est assez rare. L'écrivain chroniqueur vedette du Figaro, Patrick Besson, ne fait aucun mystère de ses sympathies communistes. C'est au moment de son adolescence passée à Montreuil, en Seine-Saint-Denis, qu'il est devenu un jeune compagnon de route du PC. Mais que dire de ce grand écart idéologique que Besson réalisa en signant, dans une simultanéité parfaite, des articles dans L'Humanité et au Figaro ? Tour de force imputable à son seul talent ? Non. Bien sûr, on pourra toujours observer que la plume de Besson se savoure aussi bien dans les deux camps. Ou que son impertinence est universelle... Mais la vérité, c'est que Le Figaro applique le vieux principe snob et munichois qui consiste à considérer que la culture est la chasse gardée des journalistes estampillés "de gauche". Le Figaro s'offre donc un proto-communiste très "cachemire". Désormais, Besson ne pige plus pour L'Huma, préférant VSD, Le Point et Le Figaro. Plein de tendresse, Philippe Tesson l'excuse : "Ce n'est pas un idéologue ! Besson distille une pensée de gauche à la façon d'un écrivain de droite"(3).

 

 

II. Les communistes contre Tarzan

 

Après 1945, l'emprise du Parti communiste sur la société française est immense. Il régimente, règlemente, nationalise... En 1947, le groupe communiste à l'Assemblée nationale dépose une proposition de loi pour protéger la presse enfantine. On parle de moralité, de patriotisme...

"En fait, explique Robert Ménard, le fondateur de Reporters dans frontières, derrière ces louables intentions, il s'agit d'en finir avec les publications nord-américaines qui ont le tort de faire de l'ombre aux titres dépendants du Parti. Mais à la tribune de l'Assemblée, on préfère se cacher derrière des cocoricos ronflants(4)".

Le député communiste André Pierrard lance : "Toutes les publications malsaines pour notre jeunesse viennent d'Amérique, et exclusivement d'Amérique !"

Le PCF est puissant. Dans la joute idéologique qui s'ensuit, au Palais-Bourbon, comme dans les gazettes, il ne tarde pas à faire triompher ses idées. La loi sur "les publications destinées à la jeunesse" est adoptée le 16 juillet 1949, "sous le fallacieux prétexte, reprend Robert Ménard, d'empêcher qu'on présente "sous un jour favorable le banditisme, le mensonge, le vol, la paresse, la lâcheté, la haine, la débauche, ou tous les actes qualifiés de crimes ou délits de nature à démoraliser l'enfance ou la jeunesse".

Il s'agit en fait d'ouvrir un boulevard aux revues du Parti, Vaillant puis, plus tard, Pif Gadget. Tarzan disparaît donc de France en 1952, chargé de tous les péchés de la terre : on fustige sa nudité, son univers d'asocial, la jungle. À l'époque, la revue L'Éducation nationale explique : "Tarzan apparaît comme une formidable révolte contre la domination rationnelle de nos civilisations, c'est la nostalgie de l'animalité primitive. Nous avons de bonnes raisons de tenir pour suspect Tarzan, l'homme singe". D'autres BD étrangères subiront le même sort. Pendant des années, Tarzan sera lu dans le monde entier (dont l'URSS), à l'exception de la France.

Peu de baby-boomers savent aujourd'hui que c'est aux communistes qu'ils doivent le droit de ne pas avoir lu leurs BD préférées pendant des années... On sait désormais que l'argutie de la morale était bidon. C'est bien pour le fric-roi que le PC a interdit Tarzan, avec la complicité de l'Éducation nationale.

 

© Éric Brunet, Être de droite : un tabou français, Albin Michel, 2006, 272 p. [cit. pp. 108-111 et 75-77]

 

 

 

Notes

 

(1) Interview de Philippe Vandel réalisée par l'auteur en juillet 2005.
(2) Daniel Cohn-Bendit, Le Grand Bazar, entretiens avec Michel Lévy, Jean-Marc Salmon, Maren Sell, Belfond, 1975.
(3) Interview de Philippe Tesson réalisée par l'auteur en novembre 2005
(4) Emmanuelle Duverger et Robert Ménard, La censure des bien-pensants, Albin-Michel, 2003.

 

 


 

 

Texte soumis aux droits d'auteur - Réservé à un usage privé ou éducatif.