Texte certes fort pessimiste (et dont la langue aurait mérité d'être davantage travaillée…) ; on n'en retiendra peut-être pas la totalité. Mais s'il contenait une part non négligeable de vérité ?

 

 

Faillite de l'assimilation des immigrés

 

L'immigration est inévitable, les flux migratoires peuvent être ralentis, ils ne peuvent être supprimés.

Cependant quand les experts de l'ONU [Le Monde, 5 janvier 2000] souhaitent que s'établissent en Europe dans les 20 ans à venir 160 millions d'immigrés, dont 25 en France, ils illustrent la folie de la bien-pensance abstraite. À ce niveau, l'immigration ne serait pas un renfort, mais une substitution de population.

Quand l'immigration s'assimile à la population indigène, elle est source d'enrichissement pour le pays d'accueil, même si, toujours, il y eut des tensions entre nouveaux arrivants et anciens occupants. L'immigration est en général sans retour, les immigrés ne retournent pas dans leur pays d'origine, sauf en vacances, ou pour y faire construire des maisons que leurs enfants n'occuperont pas.

L'exil est dur à l'homme, les Grecs le considéraient comme peine capitale. On ne s'exile pas plusieurs fois dans sa vie, même quand on est exilé politique. Les Espagnols anti-franquistes sont restés en France après la mort de Franco ; les Chiliens ne sont pas retournés au Chili après la chute de Pinochet.

Pour peu que son exil dure (la situation des expatriés, exilés temporaires et professionnels est très différente psychologiquement), l'exilé doit considérer son pays d'accueil comme une nouvelle patrie. En tout cas, ce sera la patrie de ses enfants. C'est seulement si cela se produit que les premiers occupants en viennent à intégrer, assimiler les enfants des nouveaux arrivés.

Ainsi ont fonctionné aux XIXe et XXe siècles l'Amérique et la France, les deux grands pays d'immigration du monde. Ils transformaient, chacun selon son génie propre, les immigrés, ou du moins leurs enfants, en Américains ou en Français.

Quatorze millions de Français sont ainsi d'origine étrangère, et jusqu'aux sommets de la société : Balladur, Premier ministre, est fils de l'immigration ottomane et né à Smyrne ; avant lui Bérégovoy, Premier ministre également, était l'enfant de l'immigration slave.

L'assimilation suppose qu'existe une patrie à aimer en commun, une patrie commune aux anciens installés et aux nouveaux arrivants. Si la patrie d'accueil est trop close, l'intégration ne se fait pas. S'il n'y a plus de patrie, elle ne se fait pas non plus. La France et les États-Unis ont pu réaliser l'intégration parce que ni l'une ni les autres n'ont été des nations ethniques. C'étaient des nations fondées sur un mode de vie (way of life), un rêve commun, le rêve américain, le rêve républicain, et un pouvoir politique fort et proche. Devenir américain est encore, devenir français était il y a peu, ressenti comme un privilège. Gambetta, fils d'Italien, considérait le jour de sa naturalisation comme le plus beau de sa vie.

Aujourd'hui, l'État-nation est critiqué, la décision politique s'éloigne vers Bruxelles ou Francfort. Nos bien-pensants tournent en dérision l'assimilation et prêchent la fidélité aux origines : dans nos écoles publiques, où le français est si mal appris, on persiste à enseigner dans le primaire les langues et cultures d'origine.

Ici comme ailleurs, bien-pensants se conduisent en apprentis sorciers.

Si, en effet, l'assimilation ne se produit pas, l'immigration, qui était une "immigration de renfort", devient alors en pratique une véritable  "substitution de populations". Les ghettos ne se résorbent plus. Les immigrés restent prisonniers de leurs origines - et pourtant, ils ne retourneront pas dans leurs pays ; leurs origines se transforment ainsi en prisons.

Il faut avoir parcouru ces cités-ghettos où des populations étrangères vivent dans la misère ou le trafic, où les adolescents sont acculés à l'ennui, à la violence, pour comprendre qu'il s'agit d'une grave menace envers la cohésion sociale. L'Éducation nationale, en poussant vers un enseignement au rabais, faussement nommé "professionnel", la grande partie des adolescents issus de ces milieux, a créé de son côté une espèce de purgatoire scolaire où se désespèrent ensemble de jeunes profs épuisés et des adolescents sans avenir. La responsabilité de l'État est ici directement impliquée.

Pour avoir le plaisir d'annoncer qu'on scolarise tout le monde, on a transformé un enseignement professionnel (dont le pays, qui manque d'ouvriers qualifiés, d'électriciens, de plombiers, aurait pourtant bougrement besoin) en garderie de la misère.

On a même créé un concours spécial pour recruter les profs qui seront sacrifiés à une tâche sans espoir. J'appelle les professeurs des lycées professionnels, admirables et abandonnés, à la révolte. Évidemment, le chômage, le malthusianisme économique aggravent le problème.

Mais, au-delà de la misère économique et du chômage, il y a le fait : la constitution de ghettos ethniques.

Il y a aussi les idées plus puissantes encore que les faits : on a renoncé à faire de ces enfants de vrais Français avec leurs droits, certes, mais aussi leurs devoirs.

Quand j'étais prêtre-ouvrier, il y avait la haine sociale. Contre les riches et les flics, exprimée par le célèbre chant : "Mort aux vaches, mort aux condés". Mais tous les loubards se sentaient Français.

Aujourd'hui, certains des jeunes grandis dans nos banlieues ne se sentent plus Français. Ils parlent de "leur race" en l'opposant à la France. Ils écrivent des tags impensables il y a vingt ans. "Fuck la France". Comme le montre une étude de la revue Mouvement (juin 1999), être Français, pour eux, c'est être blanc !

Plus grave, les anciens occupants, les indigènes, ressentent alors les nouveaux arrivés comme des conquérants et se disent entre eux : "On n'est plus chez soi".

Dans cette anomie, personne ne se sent plus chez soi, ni les immigrés ni les indigènes.

Un jeune d'origine maghrébine, turque, malienne, pouvait, peut encore, rêver d'être Français. Que signifie pour lui devenir européen ? Quelle langue parlera-t-il ?

Si les jeunes bourgeois français n'aiment plus la France, comment les jeunes immigrés l'aimeraient-ils ?

Nulle part davantage qu'en ces questions d'immigration n'éclate la vacuité des discours libéro-libertaires.

Tout cela, on l'a vu au Kosovo, est lourd de risques et de conflits.

 

 

© Jean-Claude Barreau, in La destruction de la France, Plon, 2000, pp. 98-103.

 

 

 


 

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