Bon, le texte qu'on va lire ne vole pas très haut - comme, peut-être, celui qui l'a écrit (ou en tous cas signé). Mais le bon sens qu'on y trouve mérite qu'on s'y arrête. Car on pourra songer à généraliser le propos : la contestation estudiantine n'est pas la seule à connaître de sacrées limites, quoi qu'elle revendique, dans cette fichue démocratie où les corporatismes de tous poils tiennent le haut du pavé... Par ailleurs, pourquoi préciser les circonstances à propos desquelles le texte est sorti ? La contestation est permanente, ou presque.

 

Une fois de plus, les lycéens et les étudiants sont descendus dans la rue. Pour réclamer le droit de poursuivre leur scolarité à leur gré (et pourquoi pas à leur rythme ?) et aux frais illimités de la collectivité. Peut-on le leur reprocher ? Depuis qu'un ministre socialiste a fixé l'objectif de 80 % de bacheliers pour chaque classe d'âge, deux impératifs sont incontournables : respecter cet engagement, fût-ce au prix de l'abaissement du niveau de l'examen ; créer les structures universitaires d'accueil au-delà d'un baccalauréat qui n'a jamais été que le sésame de l'accès à l'enseignement supérieur.

Mais ce faisant, on a pratiquement transformé en un droit égalitaire aux longues études ce qu'autorisait auparavant un examen sélectif jugeant du seul mérite des candidats. D'ores et déjà, les retombées de cette dérive apparaissent inéluctables : l'abandon par les jeunes des métiers manuels traditionnels, source d'emplois (aujourd'hui encore offerts mais non couverts), et l'émergence croissante de sous-diplômés plus enclins à prolonger leurs études sans but précis que d'entrer rapidement dans la vie active. Pressentant ce danger, l'éducation nationale, pour limiter l'accès aux filières longues et surchargées et en même temps répondre à une demande de techniciens s'intercalant entre le contremaître et l'ingénieur, avait créé au cours des années 60 les instituts universitaires de technologie (IUT) dont les titulaires n'eurent aucune peine à se faire embaucher. Dès sa mise en place, la formule avait connu un grand succès auprès des étudiants, à tel point que rapidement, pour en limiter l'accès faute de places, certains IUT ne recrutèrent plus que des titulaires de bac C et avec mention. Aujourd'hui encore, on dénombre 1000 candidats pour 100 places. Et ils sont près de 100 000 à suivre les cours, répartis dans diverses filières des secteurs secondaire et tertiaire. La moitié des diplômés trouvent un emploi dès la sortie, alors que les autres poursuivent leurs études avec un taux de succès d'autant plus élevé que le niveau des IUT est supérieur à celui du premier cycle. Pourtant, cette prolongation de scolarité, bien que de caractère dérogatoire, tendait à devenir trop fréquente, s'inscrivant en concurrence avec le schéma universitaire classique. L'IUT risquait alors d'être détourné de son objet : l'accès à une profession pour des jeunes d'une vingtaine d'années dotés d'un bon bagage intellectuel, les autorisant en outre à reprendre ultérieurement leur parcours universitaire au titre de la formation continue pour accéder au niveau ingénieur.

La campagne électorale en cours va inciter la plupart des candidats à dénoncer l'erreur pour les uns, la faiblesse pour les autres, du gouvernement. Celui-ci sera d'autant plus sensible à ces critiques que les Français ont généralement beaucoup d'indulgence pour les étudiants, même s'ils ne leur donnent pas forcément raison.

La société bloquée s'installe lorsque les élus n'osent plus rien modifier de peur d'être incompris et acceptent de reculer sous la pression de la rue. Dans le cas présent, la révolte n'est pas née d'un changement de politique mais de la confirmation d'une disposition ancienne des IUT conforme à l'esprit qui a présidé à leur création, comme elle s'est nourrie d'un rapport Laurent simplement destiné à éclairer les décisions ministérielles. Aussi l'immobilisme est-il désormais une certitude si on se refuse un regard critique sur les pratiques anciennes que rien ne permettrait désormais d'ajuster aux défis actuels. Comme si la seule réponse à leur apporter consistait à ne rien modifier, sauf à accroître les moyens de financement des politiques antérieures.

 

© François Guillaume, ancien ministre, est député (RPR) de Meurthe-et-Moselle. in Le Monde, 9 mars 1995

 

 


 


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