Plusieurs raisons me poussent à publier quelques "bonnes feuilles" de l'ouvrage à mon sens capital de Malika Sorel-Sutter. D'abord, naturellement en fonction du contexte électoral qui a donné les pleins pouvoirs à un homme ayant osé cracher sur son pays depuis le sol de l'Algérie. Mais aussi et surtout parce qu'ayant suivi avec grande attention l'émission d'Alain Finkielkraut ("Répliques") du 22 octobre 2016, j'ai été frappé par la vaste culture de cette Malika, née en Algérie, ancienne membre du Haut Conseil à l'intégration et pleinement française qui n'a cessé, depuis si longtemps de prêcher dans le désert français des citoyens gardant leurs yeux "grands fermés".
Invitée ce samedi-là pour son Décomposition française : comment en est-on arrivé là ?, elle était opposée, si je puis dire, au dénommé Magyd Cherfi ("Ma part de gaulois"), immigré de seconde génération demandant tout à la France et la tenant pour responsable de tout (ce qu'il y a de mal, bien entendu). Et là, Malika fit la leçon, et de quelle belle manière, à ce M. Cherfi, qui n'en revint pas !
Aussi je ne saurais trop conseiller, non seulement - bien évidemment - la lecture de l'ouvrage dont on trouvera ci-après quelques pages, mais aussi l'écoute en podcast de l'émission que je viens de citer. Ce ne sera pas temps perdu !

 

"En raison de la présence en France de près de quatre millions et demi de travailleurs immigrés et de membres de leurs familles, la poursuite de l'immigration pose aujourd'hui de graves problèmes. Il faut les regarder en face et prendre rapidement les mesures indispensables. La cote d'alerte est atteinte. [...] C'est pourquoi nous disons : il faut arrêter l'immigration, sous peine de jeter de nouveaux travailleurs au chômage. Je précise bien: il faut stopper l'immigration officielle et clandestine. Il faut résoudre l'important problème posé dans la vie locale française par l'immigration. Se trouvent entassés dans ce qu'il faut bien appeler des ghettos, des travailleurs et des familles aux traditions, aux langues, aux façons de vivre différentes. Cela crée des tensions, et parfois des heurts entre immigrés des divers pays. Cela rend difficiles leurs relations avec les Français [...] ; la crise du logement s'aggrave; les HLM font cruellement défaut, et de nombreuses familles françaises ne peuvent y accéder. Les charges d'aide sociale nécessaires pour les familles immigrées, plongées dans la misère, deviennent insupportables pour les budgets des communes".
(Georges Marchais, lettre adressée à Si Hamza Boubakeur, recteur de la Mosquée de Paris, publiée le 6 janvier 1981 par le journal L'Humanité et reproduite par Thierry Bouclier dans La République amnésique, éditions Remi Perrin, 2008).

"Le fait majeur, qui domine les problèmes que nous rencontrons, tient à ce que la France n'est plus une terre d'immigration. Nous ne pouvons plus, en effet, recevoir un flux massif et incontrôlé sans que cela n'hypothèque gravement et tout ensemble d'abord l'équilibre social de la Nation, ensuite les chances d'intégration des étrangers installés, enfin l'avenir même de nouvelles vagues d'arrivants et des pays d'où ils viennent [...] C'est justement pour assurer le respect de nos valeurs et préserver efficacement la dignité des étrangers eux-mêmes que nous ne devons en accueillir qu'autant que nous pouvons en intégrer".
Michel Rocard, Premier ministre, Intervention à l'Assemblée nationale, 22 mai 1990.

"[...] Quant à cet abruti de Macron, qui parle de génocide en Algérie, j'en appelle à tous les Algériens, qui n'ont aucune culture : l'Empire ottoman a colonisé l'Algérie pendant 350 ans. Et vous savez ce que c'est, l'Empire ottoman ? Ils écartelaient les Algériens comme des esclaves ! La France, elle, a apporté une civilisation à l'Algérie ; [...] L'Islam est incompatible avec nos valeurs républicaines".
(Farid Smaki)

"Ce livre se veut un appel à la raison et au retour de la responsabilité politique".
(M. Sorel-Sutter)

 

 

 

I. Introduction : des glissements sémantiques non innocents

 

Albert Einstein avait vu juste : "on ne règle pas un problème en utilisant le système de pensée qui l'a engendré".

Bien plus que d'autres, notre monde politique fonctionne sur la base de la cooptation pratiquée le plus souvent à l'intérieur d'un périmètre des plus restreints. En d'autres temps, nous aurions évoqué le "piston" pour décrire ces procédés. Aujourd'hui, nous employons le terme de "réseau". Ce glissement dans les mots n'est pas innocent. Nous verrons que, sur le sujet de l'intégration, les termes décisifs ont eux aussi glissé, et cela n'est pas innocent non plus.

Les modalités de recrutement de l'élite politique ont une incidence directe sur le sujet qui nous concerne ici, car c'est bien ce système de reproduction, générateur de clones, qui empêche de renouveler le système de pensée politique ou, à tout le moins, de le vivifier. Aussi cet univers étriqué, entièrement codifié, ne laisse-t-il qu'une place epsilonesque à l'innovation politique. Pour continuer de vivre, notre démocratie a besoin de se ré-oxygéner par une redistribution des cartes qui donnerait naissance à une nouvelle espérance. Ce blocage explique, en grande partie, pourquoi l'aveuglement a pu perdurer aussi longtemps au sujet de l'intégration. Bien pire que cet aveuglement, il y a la dissimulation de la réalité, le mensonge, ainsi que la manipulation des foules.

On peut douter qu'un pays comme le nôtre, la France, n'ait pas été capable de préparer suffisamment de matière grise apte à traiter les problématiques complexes et à élaborer une véritable vision pour relever les défis d'envergure. Le système médiatique coopère grandement à cette entreprise, puisque c'est lui qui décide de porter ou non à la connaissance du grand public les idées ainsi que les hommes et les femmes qui les défendent.

Il serait erroné d'affirmer que les citoyens n'auront joué aucun rôle dans la situation conflictuelle que nous connaissons, car ils en ont bel et bien joué un, et non négligeable. Les citoyens ne sont pas neutres ; ils sont même très actifs. Ce sont les citoyens qui permettent en effet à ce système politique, qui fonctionne en circuit fermé, de se perpétuer. Les uns pensent pouvoir tirer un peu de profit en reconduisant à leurs postes des stars du système, les autres se laissent détourner de l'essentiel par la "peopolisation" dont ils se repaissent. En témoigne la vigueur des ventes des magazines qui jettent en pâture des miettes de vie, et parfois les frasques, d'une partie du personnel politique.

Dans l'espoir qu'une rivière de lignes de crédit vienne irriguer leur territoire, les citoyens élisent souvent leur député en fonction de ses entrées dans les lieux de pouvoir de la capitale. Sans le vouloir, ils participent ainsi à bloquer toute possibilité de laisser leurs élus se concentrer vraiment sur les sujets d'intérêt national. Car ceux-ci savent que la condition de leur (ré)élection est de nature locale et réside dans leur aptitude à faire financer des projets locaux.

Nombreux sont les intellectuels, les enseignants, les citoyens de toutes origines sociales, de toutes sensibilités politiques, et aussi les élus de la République, qui tirent depuis fort longtemps le signal d'alarme ; mais, depuis trente ans, les dirigeants n'écoutent plus qu'une seule voix, celle des antirépublicains. Ces derniers, redoutables stratèges, ont parfaitement compris que, pour détruire l'idéal français et faire disparaître l'âme de la France, il leur fallait commencer par mettre la République à genoux. Ils ont remporté la première manche de leur funeste entreprise, puisqu'ils ont réussi à jeter l'opprobre, puis à les faire remettre en cause, sur chacun des principes républicains de liberté, d'égalité, de fraternité et de laïcité. Leur croisade contre la République est ingénieuse, et leur étendard porte un seul slogan : la République a failli !

Cette croisade vient enfoncer sa dague au cœur même de l'identité nationale française : "L'identité républicaine, c'est d'abord, comme l'indique bien l'expression classique, une synthèse, écrit l'historien Pierre Nora. Non seulement idéologique, mais historique, qui consiste dans l'identification définitive et absolue de la République et de l'idée nationale. Dans toutes ses conséquences. Cette identification, outre les institutions politiques et les symboles, supposait d'un côté la récupération à la conscience collective des siècles de passé monarchique et, de l'autre, la définition d'une identité à la française par rapport à l'identité nationale allemande". Et d'en conclure : "C'est ce qui a donné à l'histoire sa priorité dans la formation de la conscience civique et nationale et en a fait l'axe d'une culture des humanités, indissociable des valeurs, de la culture et de l'identité républicaines. D'où le péril en la demeure maintenant que cette culture chavire"(1).

Pour Anne-Marie Thiesse, spécialiste d'histoire culturelle, "la Révolution française a donné à la nation une souveraineté absolue et fait de la République son expression politique"(2). Si les principes républicains, tels que nous les connaissons et qui structurent notre société, sont hérités de la Révolution française, leur contenu est quant à lui la parfaite synthèse de toute l'histoire culturelle et politique du peuple français : "La Révolution française est un creuset dans lequel il y a toute l'histoire de France depuis ses origines. Un monde nouveau est né de cet événement qui a marqué profondément, par sa radicalité et sa brutalité, notre conscience nationale. Si bien qu'aujourd'hui, de nombreux comportements politiques et humains sont déterminés par la force de ce passé-là"(3), rappelle l'historien et académicien Max Gallo. Les principes, les concepts ne sont jamais abstraits : ils sont toujours ancrés dans une histoire qui leur a donné naissance.

 

1.1. Insertion, Intégration, Nation

 

Dès les années 1980, les gouvernements successifs ont élaboré, puis financé des plans fort dispendieux pour l'intégration des flux migratoires, intégration qui était de moins en moins souhaitée par les descendants de l'immigration eux-mêmes. Mais il y a bien plus grave : les gouvernants ont plié, puis cédé les uns après les autres au diktat des lobbyistes de la communautarisation de la France, sans jamais se projeter en avant pour anticiper les conséquences de leur renoncement au modèle français d'intégration. "Tous, écrit l'historien et philosophe Marcel Gauchet, revendiquent l'intégration. Tous revendiquent l'objectif, mais personne, apparemment, ne se préoccupe de comprendre le processus. Que signifie-t-elle au fond ? Quelles sont ses conditions ? Par où passe-t-elle ?"(4)

Oui, que signifie l'intégration ? Lorsqu'on prend connaissance des critères officiellement retenus pour jauger l'intégration à la communauté nationale française, on reste interdit : l'intersection de ces critères avec le contenu de l'identité française est quasi nulle !

Lorsque nous parlons d'intégration, nous confondons le plus souvent intégration dans une communauté nationale et simple insertion au sein d'une société. L'insertion correspond à l'obligation de respecter les normes collectives d'une société qui trouvent leur traduction dans les règles du "bien-vivre ensemble", même si on ne les partage pas et que l'on possède ses propres règles héritées de sa culture. C'est ce que font les Français de souche européenne lorsqu'ils sont expatriés. Ces règles et ces normes sont toujours le résultat d'un processus historique et culturel.

Est-il utile de rappeler que les lois françaises n'ont été faites ni pour, ni contre les migrants et leurs descendants ? Ces lois, qui illustrent le socle des valeurs fondamentales propres à la société française, existaient bien avant leur arrivée. Elles sont le fruit de l'immense héritage du peuple français. Aucun parent français de souche ne laisserait ses enfants se singulariser comme on le laisse faire aux enfants issus de l'immigration, lorsqu'ils rejettent des éléments essentiels du "bien-vivre ensemble" qui régit la société française.

L'intégration à une communauté nationale, c'est tout autre chose. C'est un choix purement personnel, chacun à son heure. L'intégration correspond au sentiment d'appartenance à la communauté française, au fait de se sentir concerné par le partage d'une communauté de destin avec les Français. L'intégration se joue entièrement sur le registre affectif et moral.

Cela se traduit, concrètement, par la transmission, à ses propres descendants, des fondamentaux qui composent le noyau identitaire des Français, ce que l'on nomme le legs ancestral ; des principes et valeurs de la société française, mis en forme dans le temps long, qui sont les valeurs de tolérance et d'ouverture: liberté, égalité, fraternité, laïcité.

L'intégration se produit lorsque le migrant (ou son descendant) perçoit que sa propre identité se rapproche davantage de l'identité du peuple d'accueil que de celle de son peuple d'origine.

L'intégration dans la communauté nationale, c'est l'appropriation et l'intériorisation du pacte moral et social qui lie les Français entre eux. Elle se manifeste par la volonté de s'inscrire, ainsi que ses propres descendants, dans l'arbre généalogique du peuple français, comme un descendant des ancêtres des Français. C'est ce qu'ont fait Russes, Italiens, Espagnols, Polonais, etc., lorsque, venus en France, ils ont manifesté leur volonté de partager le destin des Français. En se plaçant sur l'autre face de la pièce : la nation.

Ernest Renan avait magnifiquement décrit ce processus; il avait ainsi identifié "un certain nombre de conditions essentielles pour continuer d'exister en tant que nation : la fusion des populations ; le nécessaire oubli des pages sombres de l'histoire ; la possession en commun d'un riche legs de souvenirs; le désir de vivre ensemble; la volonté de continuer à faire valoir l'héritage qu'on a reçu indivis ; le partage d'un long passé d'efforts, de sacrifices et de dévouements; le culte des ancêtres, de tous le plus légitime"(5). L'historien et résistant Marc Bloch, lui aussi, a su merveilleusement résumer ce que ressentent ceux qui réussissent leur processus d'intégration à la nation : "La France demeurera, quoi qu'il arrive, la patrie dont je ne saurais déraciner mon cœur. J'y suis né, j'ai bu aux sources de sa culture. J'ai fait mien son passé, je ne respire bien que sous son ciel, et je me suis efforcé, à mon tour, de la défendre de mon mieux"(6).

Un processus d'intégration réussi aboutit à l'assimilation. Le concept d'assimilation a été victime d'un procès en sorcellerie : on a dépeint le peuple français sous les traits d'un ogre qui avalerait les nouveaux Français et les ferait disparaître, alors que cela n'a jamais été le cas. On l'a accusé à tort d'exiger des nouveaux Français qu'ils deviennent amnésiques.

À tout ce qui précède, il convient d'ajouter un élément de taille : l'intégration est certes une décision purement individuelle, mais elle est soumise à l'appréciation de la communauté à laquelle on souhaite être intégré. Dans l'intégration, nous sommes en effet en présence de deux parties : le postulant à l'intégration et la communauté française. Tant que le postulant ne paraîtra pas, aux yeux du peuple français, comme porteur de ses valeurs, il ne sera ni reconnu, ni coopté, ni adopté comme Français par les Français. La classe politique, les intellectuels, les médias, les associations pourront bien tempêter, le postulant pourra bien exhiber les papiers d'identité que l'administration lui aura délivrés sur la base de critères d'intégration farfelus, rien n'y fera.

Pour s'intégrer, pour rejoindre un peuple et lui appartenir, il faut être habité du désir de s'y fondre. Lorsqu'on s'est fondu dans le peuple français, un non- Français ne saura pas nous distinguer, depuis l'extérieur, de la "masse des Français". De son point de vue et dans son regard, qui sont forgés par sa culture, il retrouvera en nous les traits dominants des Français, ces marqueurs qui traduisent les principes et valeurs de l'identité française.

Le refus souvent observé dans les derniers flux migratoires de partager l'héritage indivis du peuple français, et la volonté de remettre en cause ses principes et ses valeurs, auraient dû alerter les élites politiques sur le fait que la donne avait changé, et que la France ne se trouvait plus du tout confrontée à une problématique d'intégration telle qu'elle avait pu la connaître avec les précédents flux migratoires d'origine européenne. Face aux difficultés de l'immigration extra-européenne à s'intégrer - processus qui doit mener à terme à son assimilation -, un glissement sémantique s'est produit, ce qui est bien le signe d'un recul de l'État et de la dénégation de la réalité : on confond insertion et intégration. Aujourd'hui, sous la plume de la plupart des journalistes et, pire, dans la bouche des élus de la République - ceux qui sont censés représenter le peuple français -, le terme "intégration" est employé pour parler de simple insertion ! La communauté nationale se trouve de la sorte ravalée au rang d'une quelconque entreprise, dans laquelle le salarié "s'insère" au sein d'une équipe. Ce recul de l'État traduit, concrètement, son renoncement à faire respecter l'identité du peuple français. Non seulement l'État a baissé les bras, mais c'est maintenant aux Français qu'il demande d'"intégrer" la culture des nouveaux entrants, y compris les éléments qui entrent en contradiction avec les principes républicains. C'est ainsi que les accommodements dits raisonnables se sont peu à peu invités à la table de la République et qu'ils ont fait le lit du multiculturalisme. C'est parce que le peuple français inspirait à l'État, et plus largement à la classe politique, moins de crainte que les nouveaux entrants que nos gouvernants ont fait du peuple leur variable d'ajustement ! Il n'y a pas que dans le monde du travail que les Français ont été sommés de devenir flexibles.

Il est fondamental de préciser que l'insertion dans une société est un impératif absolu qui s'impose à tous. Nul refus d'insertion ne saurait être toléré, pour la simple raison qu'aucune vie commune n'est possible lorsque les règles qui régissent la société, autrement dit ses normes collectives, ses lois, sont contestées. En revanche, l'intégration-assimilation ne peut jamais être imposée. Elle ne peut être que le fruit d'un choix personnel. Elle se produit lorsqu'on se sent personnellement faire corps avec les autres concitoyens, et qu'on se sent pleinement concerné par un destin commun, solidaire avec eux.

L'intégration forcée à la communauté française, c'est ce à quoi le peuple algérien fut soumis de 1830 à 1962, et c'est ce que subissent aujourd'hui les populations de l'immigration extra-européenne qui rejettent le contenu de l'identité française. Les explosions de violence, qui débordent désormais des banlieues, relèvent davantage de ce placage artificiel et superficiel d'une identité sur une autre, que de problèmes d'ordre économique. Ce qui a été détruit lors des émeutes de 2005, c'était, entre autres, des écoles, des infrastructures culturelles et sportives... c'est-à-dire des équipements construits par l'État pour aider les enfants issus de l'immigration eux-mêmes !

Il y a une grave méprise au sujet de l'intégration, et c'est ce qui explique le mur d'incompréhension qui s'élève désormais, de plus en plus haut, entre les Français de souche européenne et un nombre croissant de personnes issues de l'immigration extra-européenne qui possèdent, certes, les papiers d'identité, mais pas l'identité française. Le plus tragique, et c'est aussi ce qui rend la situation des plus dangereuses, c'est que ces personnes sont dans l'incapacité de saisir les contours de la problématique qui les concerne ici. Elles ne comprennent pas ce que la société française attend d'elles. Souvent, elles expriment la conviction qu'elles n'ont pas à s'intégrer puisqu'elles sont françaises, car détentrices de papiers français. Elles sont, dans une certaine mesure, dans la situation qui a été celle des pieds-noirs du Maghreb au début des années 1960 : les pieds-noirs avaient été convaincus par les pouvoirs publics qu'ils étaient chez eux au Maghreb ; ils étaient d'ailleurs convaincus qu'eux-mêmes et les habitants de ces pays constituaient la même communauté. Or, ils ne partageaient pas le legs indivis de ces peuples. Dans cette histoire, ni les pieds-noirs, ni les Arabes, ni les Français de la métropole ne sont coupables. L'Histoire a ceci d'implacable que les politiques ont beau décréter qu'il y a appartenance à la communauté nationale, rien n'entravera jamais la marche d'un peuple qui s'éveille, d'un peuple qui réalise que la chose publique devient l'affaire de chacun. Ainsi en a-t-il été du peuple algérien, qui a choisi son destin.

Cette question centrale de l'identité se pose à présent, et dans les mêmes termes, dans chacun des pays européens.

 

1.2. Ces médias qui entravent le fonctionnement de la démocratie

 

Même si Internet prend une ampleur croissante dans l'information des citoyens, les médias traditionnels demeurent (encore) les véritables faiseurs de rois. En s'appliquant à sélectionner très soigneusement les idées, les personnes et les personnalités qu'ils souhaitent voir promues, les médias modèlent constamment l'opinion publique. Les médiacrates s'emploient à l'orienter. Ils la représentent à leur guise, à longueur de pages et d'heures d'émissions, ce qui contribue à la façonner. Comme l'a très bien développé Élisabeth Lévy, ce ne sont pas les journalistes, en tant qu'individus, pris un à un, sur lesquels il convient de s'interroger, mais sur le cheminement "qui a conduit des jeunes gens au cerveau fécond et aux idées généreuses à se muer tout à la fois en faiseurs de l'opinion et en juges des opinions pour en arriver à proscrire toute pensée véritablement divergente, tout postulat un tant soit peu embarrassant, c'est-à-dire critique"(7). Ce sont eux, qu'elle qualifie de "maîtres censeurs" et qui sont "investis du pouvoir d'énoncer ce qui est tolérable et ce qui ne l'est pas, ce qui est discutable et ce qui ne l'est pas". De ce fait, les médias entravent très régulièrement le débat démocratique. Et l'une de leurs principales fonctions est de mettre en scène l'agenda gouvernemental ou présidentiel [...].

 

 

II. Les parents de l'immigration, ces grands oubliés

 

2.1. L'absence de socle de reconnaissance de la France

 

Les parents des précédentes vagues d'immigration, d'origine essentiellement intra-européenne, construisaient un socle de reconnaissance à leurs enfants, c'est-à-dire qu'ils leur transmettaient la reconnaissance qu'ils éprouvaient envers la France qui les avait accueillis. Lorsque les Polonais, les Russes, les Espagnols, les Italiens, etc., arrivaient dans le pays, ils rendaient hommage à la France qui les avaient accueillis et ils veillaient à communiquer à leurs enfants une image positive, alors même que, à l'époque, aucune solidarité nationale n'existait pour favoriser leur insertion dans la société française. Cette reconnaissance aidait leurs enfants à s'inscrire dans le projet français. Pour faciliter l'adoption de leurs enfants par la communauté française, ils s'évertuaient malgré la souffrance qui était la leur, car il y a. toujours souffrance à laisser ses propres enfants devenir dissemblables à ne surtout pas contrarier le travail de l'école de la République, mais, bien au contraire, ils le facilitaient en imposant à leurs enfants le respect des représentants de la société française que sont les enseignants de la République. Bien que leur culture possédât les mêmes racines que la culture française, ils francisaient les prénoms de leurs enfants. D'instinct, ils comprenaient et acceptaient cette nécessité de minimiser les différences afin que l'adoption ou la cooptation, par toute communauté autre que la sienne, puisse se produire.

Aujourd'hui, la donne a complètement changé. Malgré les efforts financiers considérables que l'État consent aux populations de l'immigration que l'État soit incarné par la gauche ou par la droite -, de nombreux parents de l'immigration construisent dans l'esprit de leurs enfants l'image d'une France hideuse, une France excluante qui n'en fait jamais assez à leurs yeux, et donnent des Français une image dont ils ne doivent en aucun cas s'inspirer. Ces parents refusent de construire à leurs enfants ce socle de reconnaissance sans lequel aucune intégration, ni même insertion, ne peut être obtenue. La démarcation est de plus en plus forte, que ce soit par le rejet de la pratique de la langue française et le recours à la langue de leur pays d'origine, ou bien au travers du style vestimentaire. Dans le même temps, les parents éduquent leurs enfants dans un respect quasi religieux de leur pays d'origine, de ses m?urs et coutumes. Le pays d'origine devient le vrai pays de leurs enfants, alors que c'est l'incapacité de ce pays à leur offrir des perspectives d'avenir qui les a poussés à l'exil. Leur pays n'a rien fait pour eux ni pour leurs enfants. Pourtant tous l'adulent, et ils ne se privent pas de saisir chaque occasion pour le signifier de manière souvent ostentatoire. La France leur a donné tout ce qu'ils possèdent. La France les prend en charge lorsqu'ils en sont incapables. La France finance les études de leurs enfants, et pourtant combien la respectent et respectent ses principes et ses valeurs ? Preuve s'il en fallait encore que jamais l'amour ne se décrète, ni ne s'achète !

Devant la très grande difficulté d'insertion des personnes d'origine maghrébine et africaine - puisque ce sont ces vagues migratoires qui posent désormais question à la France ainsi qu'à tous les pays de culture européenne -, notre classe politique s'est appliquée à venir régulièrement menacer les valeurs et symboles de la République. Dans ces circonstances, pourquoi les immigrés ou leurs descendants consentiraient-ils à respecter les valeurs qui fondent l'identité du peuple français si le signal de leur inadéquation, voire de leur abandon, leur est envoyé? Là encore, le comportement des populations de l'immigration est rationnel. C'est celui des élites qui ne l'est pas. Un enseignant réussirait-il à transmettre les savoirs à ses élèves s'il leur répétait régulièrement que les examens pourraient être allégés de manière à laisser de côté les sujets qui ne leur plaisent pas ou qui leur posent difficulté ? (Par parenthèse, c'est aussi la pente prise par l'Éducation nationale.)

La seule voie qui peut conduire à ce que les immigrés et leurs descendants finissent un jour par respecter les valeurs qui structurent la vie en société en France, c'est d'affirmer définitivement que ces valeurs ne bougeront pas et qu'il faudra les respecter, faute de quoi leur transgression entraînera des sanctions. Dans l'intérêt de leurs enfants, et aussi dans l'intérêt supérieur de la nation, les parents de l'immigration doivent être placés face à leur responsabilité, d'autant plus qu'ils sont porteurs de cultures dans lesquelles le groupe les a déresponsabilisés en les dépouillant de la maîtrise de leur destin. Les responsabiliser individuellement, c'est les obliger à construire, peu à peu, la dimension individuelle qui leur fait défaut et qui est au cœur de l'échec d'insertion que nous observons.

 

2.2. La condition de la femme, reflet de l'identité

 

Aucun autre sujet que celui de la femme, du regard que l'on porte sur elle, du degré de liberté qu'on lui consent, de la place qu'on lui octroie au sein d'une communauté, ne peut mieux mettre en lumière le ressort de l'identité d'un groupe. Aucun autre sujet ne peut mieux illustrer la difficulté du processus d'intégration qui doit conduire un non-Européen à s'intégrer à un peuple de culture européenne. La condition faite à la femme dessine, de manière concrète, le gouffre qui sépare une majorité des personnes issues de l'immigration récente et les Français de culture européenne. Aucun autre sujet ne peut mieux mettre en lumière la capacité de la personne à s'émanciper de la tutelle de son groupe pour développer l'effort que commande toute insertion dans une société culturelle autre que la sienne. Aucun autre sujet que celui de la femme ne peut aussi facilement mettre en évidence la réussite ou l'échec de l'intégration à la communauté française. Selon l'anthropologue Emmanuel Todd, "au cœur du système familial, le statut de la femme, bas ou élevé, est essentiel. D'abord, parce qu'il définit en lui-même un aspect de l'existence sur lequel les peuples ne sont guère prêts à transiger. Ensuite, parce que l'échange des femmes est, lorsque deux groupes humains entrent en contact, un mécanisme anthropologique fondamental : s'il se produit, il implique une dynamique d'assimilation; s'il est refusé, une trajectoire de ségrégation"(8).

C'est la question de la femme qui révèle tout de la construction sociale, du regard qui est porté sur l'être humain et du contenu des valeurs de liberté, d'égalité, de fraternité et de laïcité. Comme l'ont observé les sociologues Horia Kebabza et Daniel Welzer-Lang, "dans le contexte migratoire, les parents émigrés-immigrés exigent de leurs enfants une rigueur comportementale relativement forte, mais cette rigueur s'exerce différemment et ne produit pas les mêmes effets pour les filles et les garçons, en raison de la différence des rôles sexués et de l'investissement différencié des espaces publics et privés [ ... ]". Les deux sociologues mettent en lumière le fait que "la question du contrôle des femmes par les hommes n'est pas seulement une affaire privée, c'est un acte social dont les hommes ont à répondre devant leur communauté tout entière. Il existe une pression sociale sur les hommes qui ne savent pas "tenir leurs femmes", et par ricochet sur les mères qui ne savent pas "tenir leurs filles". Ce sont les mères, véritables agents de "dressage", qui sont chargées de ce travail"(9)..

La démographe Maryse Jaspard, qui a conduit une large enquête sur les jeunes de 18-21 ans en Seine-Saint-Denis, a observé que le cadre familial est dur pour les filles et qu'"il n'y a pas de liens significatifs entre les niveaux de violences subies et l'appartenance sociale. A contrario, il semble qu'il y en ait un avec le pays de naissance des filles et de leurs parents'"(10).

Ce que nous observons au sein des sociétés européennes n'est pas le produit d'une évolution intrinsèque de ces sociétés, mais bien d'une importation de modèles de société, qui n'aurait jamais pu voir le jour sans le concours d'élites politiques, intellectuelles ou médiatiques qui ont déployé une énergie phénoménale pour étouffer cette réalité dans un débat qui n'a, depuis fort longtemps, plus rien de démocratique. À défaut de débat sur cette inquiétante évolution sociale, nous avons eu droit aux bons offices de quelques idiots utiles, des stars du cinéma ou de la chanson, exploitant honteusement leur notoriété à des fins supposées d'humanisme, alors qu'elles participaient en réalité à installer les conditions d'un repli, puis d'un enfermement de ces populations dans leur communauté culturelle d'origine. Les racistes sont ceux qui ont menti à ces populations, évitant soigneusement de leur transmettre, ainsi qu'à leurs enfants, les codes qui permettent la réussite dans notre société. Ils ont de ce fait largement contribué à maintenir ces populations dans une position d'infériorité sociale et de vulnérabilité.

Dans son étude en Seine-Saint-Denis, Maryse Jaspard relève le rôle décisif que jouent les mères dans ce processus d'asservissement des femmes. Loin de n'être que de simples courroies de transmission, elles deviennent à leur tour des agents actifs. Ce sont aussi les femmes qui perpétuent la tradition de barbarie à l'état pur que constitue l'excision. C'est sur elles que repose, au sein du groupe, la responsabilité de faire subir à leurs propres filles le sort qu'elles ont elles-mêmes eu à subir. Le comportement de ces femmes est malheureusement parfaitement rationnel. Il s'agit, pour elles, de maintenir leur propre statut au sein du groupe. Cette volonté surpasse les sentiments qu'elles peuvent éprouver pour leur progéniture. Mais une autre raison, bien plus terrifiante, est que beaucoup, sous l'effet d'une éducation qui s'apparente à un lavage de cerveau, ont fini par intérioriser, puis par s'approprier tout à fait les conceptions de la femme qui leur sont hostiles. Quel regard la société française porterait-elle sur des femmes de souche européenne qui maltraiteraient ainsi leurs filles ? Pourquoi cette différence dans le regard et dans les exigences ?

Pour aider ces femmes à sortir d'un enfer qu'elles contribuent elles-mêmes à perpétuer, il est indispensable de les responsabiliser et non de les victimiser. Chaque être humain doit être considéré comme un individu à part entière et répondre de ses actes devant les lois françaises. C'est la seule voie qui mènera ces femmes, puis leurs groupes, à respecter la signification d'être humain au sens où l'entend la société française. C'est en considérant que l'autre est libre, même s'il ne l'est pas, qu'il s'astreindra à briser ses chaînes pour devenir un être libre et responsable de ses actes. C'est dans ce sens qu'il nous faut penser le chemin d'accès à la liberté, et certainement pas par le biais d'une approche victimaire qui conforte l'individu dans son statut de soumis ou d'esclave. Qu'est-ce qu'un esclave, sinon un être privé de liberté et privé des clés de son propre destin ? L'esclavage est loin de se résumer à la seule exploitation physique.

 

2.3. Le tabou de la natalité

 

Cocorico, les Françaises sont les championnes européennes de la natalité. Ce cri de joie, que lancent les journalistes à chaque publication annuelle de l'Insee sur la démographie française, augure-t-il un accroissement des problèmes d'insertion et d'intégration ? À quels enfants allons-nous laisser la France ?(11) Cette interrogation est légitime au vu des difficultés croissantes d'insertion et d'intégration que nous observons sur le terrain.

"Parmi les familles très nombreuses de quatre enfants ou plus, le taux de pauvreté progresse très vite avec le nombre d'enfants, pour dépasser les 20 % avec cinq enfants et approcher les 40 % lorsqu'il y a six enfants. L'on sait moins que parmi les familles pauvres de quatre enfants et plus, près de la moitié est d'origine étrangère non européenne, et, comme le relève aussi le rapport du CERC (2004), "dans près de la moitié de ces ménages aucun adulte n'a d'emploi ; trois chefs de ménage sur quatre sont sans diplôme"'.(12)

"La proportion de jeunes issus de l'immigration atteint 37 % en Île-de-France, 23 % en Alsace, 20 % en Rhône-Alpes".(13)

"En 2005, les plus fortes concentrations départementales sont donc en Île-de-France avec en tête, la Seine-Saint-Denis (57 %), puis Paris (41 %), le Val-de-Marne (40 %) et le Val-d'Oise (38 %) [ ... ]. L'implantation de jeunes d'origine subsaharienne était quasi inexistante à la fin des années 1960 (toujours moins d'un demi-point de pourcentage). Elle a beaucoup augmenté, particulièrement en Seine-Saint-Denis où plus d'un jeune sur six en est originaire en 2005"(14). [...]

Cette question de la natalité révèle beaucoup du gouffre culturel qui sépare les familles européennes, chez qui la décision d'enfanter est devenue, avec le temps, une décision de couple prise le plus souvent de façon autonome, et les familles de cultures du Sud. Peut-on parler de décision 100 % individuelle lorsque la liberté individuelle n'existe pas ? Le regard du groupe n'exerce-t-il vraiment aucune influence dans cette décision ? Pas si sûr ! Les enfants permettent très souvent de s'assurer le respect du reste du groupe et par là même une reconnaissance au sein du groupe lui-même. Ils permettent, tout comme le voile, de fournir aux femmes de certaines populations une plus grande possibilité ou permission de sortie. Comme l'écrivent les sociologues Isabelle Clair et Virginie Descoutures dans leurs travaux : "Le port du voile fait en réalité partie des multiples stratégies que les filles mettent en place pour sortir des contraintes sociales dans lesquelles leur sexe les cantonne, à savoir faire la preuve continuelle de leur vertu en mettant le corps des hommes à distance tout en étant continuellement suspectées de ne pas y parvenir"(15). La conviction transmise de génération en génération selon laquelle c'est l'ordre divin qui pourvoirait aux besoins des enfants n'est pas toujours étrangère à la décision d'enfanter, même lorsque les conditions pour assurer le bien-être et le bonheur des enfants eux-mêmes ne sont manifestement pas réunies. La famille est-elle vraiment seulement une affaire privée ? Au vu des conséquences de la non-insertion, il est temps que l'État se saisisse de cette question essentielle qui concerne l'avenir de la cohésion sociale.

Dans les sociétés développées, l'attention et les moyens dévolus par les parents au projet éducatif de leurs enfants sont considérables, et une part non négligeable du budget familial lui est consacrée. C'est rarement le cas dans les familles de l'immigration, dont le référentiel n'est pas le même. De ce fait, il est nécessaire de sensibiliser les parents de l'immigration à la réalité des exigences de la société française et à l'ambition du projet éducatif. De façon incontournable, un travail devra également être entrepris sur la question de la natalité au sein de ces familles. L'État devra impérativement se pencher sur cette question centrale de la natalité et mettre en place des mesures sociales qui favorisent le renouvellement des générations, mais pas davantage.

Avec tous les problèmes intrafamiliaux dont les problèmes identitaires auxquels les enfants de l'immigration sont confrontés, comment peut-on continuer de rendre responsables de leur échec scolaire l'école de la République et ses enseignants ? Que ne s'est-on posé la question de la capacité d'absorption de la société française, qui continue encore aujourd'hui, comme nous le verrons plus loin, de laisser entrer chaque année sur son territoire plusieurs centaines de milliers de personnes issues des mêmes régions du monde ?

Si l'État était véritablement habité par l'ambition de réduire un peu du gouffre qui sépare les enfants de l'immigration du Sud des autres enfants, alors il devrait en faire la démonstration en révisant les circuits d'aides sociales : il veillerait à ce qu'une partie de ces aides ne passe plus par les familles, mais soit directement versée aux organismes culturels et de suivi scolaire qui s'investiront auprès de ces enfants affectés de monumentales carences. Il faut en effet cibler au plus près le projet éducatif et culturel des enfants afin de les aider à réussir, les aider aussi à briser le cercle infernal de la reproduction de leur propre asservissement.

L'État devrait également rompre avec l'aberration qui consiste à faciliter les transferts d'argent de ces familles vers leur pays d'originel. Il est en effet totalement absurde et inconséquent d'inciter fiscalement les familles de l'immigration à délocaliser leur épargne vers leur pays d'origine lorsqu'elles ont des enfants scolarisés en France. Les fonds transférés sont autant de ressources ôtées au projet éducatif de l'enfant. Quelle hypocrisie alors que d'oser prétendre qu'il existe la moindre possibilité d'égalité des chances !

Cette question de la natalité met également en lumière la terrifiante responsabilité des élites politiques dans le processus de substitution de peuples que l'on observe actuellement en Europe. Elles participent en effet activement au remplacement de leurs peuples par des flux migratoires dans le but de pallier l'insuffisance de la natalité européenne. Elles auraient pourtant pu opter pour la mise en œuvre de politiques actives de relance de cette natalité. Les idées ne manquent pas dans ce domaine : les aides sociales aux familles et pour la garde d'enfants ; les politiques salariales et surtout la protection des femmes dans un monde économique qui se révèle souvent impitoyable pour les mères en devenir. Pour preuve que les élites n'ignorent rien de ce processus de remplacement de peuples, voici les propos tenus en 2006 par le ministre de l'Emploi, de la Cohésion sociale et du Logement du gouvernement de Dominique de Villepin, Jean-Louis Borloo : "Il faut bien que les Français, on ait en tête une chose, c'est que l'avenir du pays se joue là, dans les banlieues. Pourquoi ? Parce que le taux de natalité de ces quartiers est deux fois plus élevé que sur le reste du territoire national"(16).

Au sein de toutes les institutions européennes, au sein de tous les gouvernements d'Europe, on assiste à une robotisation de la réflexion politique. Peut-on d'ailleurs encore évoquer une quelconque réflexion, lorsque c'est la calculette des économistes et des démographes qui tient lieu d'organe de décision, dicte la marche à suivre au personnel politique et que la seule réponse au vieillissement et à la faiblesse de la fécondité devient l'importation de populations ? Les êtres humains se trouvent réduits à l'état de pions sur l'immense échiquier mondial d'intérêts qui leur sont étrangers. Lorsqu'on y réfléchit bien, l'indifférence des élites à l'existence ou à la disparition de leurs peuples a quelque chose de proprement glaçant !

 

2.4. Lutter contre le sentiment d'impunité, prévenir la délinquance

 

Tout en affirmant que les violences sont inexcusables, la plupart des membres de la classe politique les justifient, arguant qu'elles seraient la conséquence de causes telles que le chômage, la pauvreté, l'habitat ou encore les discriminations dont les Français se rendraient coupables. Leur discours, qui laisse entendre la nécessité de la repentance de la France et l'obligation de corriger les effets du supposé racisme des Français, a pour très grave conséquence de venir renforcer la détermination de ceux des enfants issus de l'immigration qui rejettent la société française. Ces derniers sont à présent profondément convaincus que la France est coupable ; cela les incite à la braver, voire à la rébellion continuelle. L'abandon de la théorie de la victimisation-repentance est une absolue nécessité.

Les personnes issues de l'immigration ne bénéficieraient pas, dans notre pays, des mêmes droits que les Français de souche ? Non seulement c'est totalement faux, mais cela fait même trente ans que, par le biais de mesures territoriales ciblées, l'État leur accorde davantage de moyens qu'aux autres. Ce ne sont pas les territoires majoritairement peuplés par les populations de l'immigration extra-européenne qui sont aujourd'hui les plus démunis dans notre pays. Parmi les territoires les plus pauvres, "les départements ruraux de la Creuse, de l'Aude et du Cantal (entre 13 830 et 13910 euros). Un fort taux de chômage entraîne en effet les revenus à la baisse. Dans la Creuse, l'Aude et le Cantal, la forte proportion de personnes retraitées, aux revenus en moyenne plus bas que ceux des actifs, induit une baisse globale du niveau de vie"(17), note une étude de l'Insee. Mais qui s'intéresse aux habitants de la Creuse, de l'Aude ou du Cantal ?

Les yeux et l'attention sont rivés sur les territoires soumis à la forte pression migratoire du Sud. Les familles y sont pauvres, et pour cause, puisqu'elles arrivent de pays où elles étaient misérables et que la réussite scolaire de leurs enfants, qui pourrait leur permettre une progression sociale, s'avère très difficile pour toutes les raisons déjà évoquées. Les inclure dans les panels comparatifs français n'a guère de sens. En ce qui les concerne, ce qu'il convient d'analyser est la progression entre le niveau de vie qu'elles avaient dans leur pays et celui qu'elles ont en France. Cette progression est fulgurante. Dans les Cahiers français, Benoît Normand nous livre une information très précieuse : "L'enquête nationale sur le logement, réalisée en 2006 par l'Insee, fait apparaître que les conditions de logement des immigrés, en comparaison des autres populations, sont satisfaisantes pour ce qui concerne le confort, mais non pour ce qui concerne le peuplement du logement, du fait de la plus grande taille des ménages [ ... ]. Le taux d'immigrés propriétaires de leur logement est passé de 34 % en 1992 à 40 % en 2002, les personnes nées françaises étant 56 % à être propriétaires à cette dernière date"(18). 40 % de propriétaires ! Voilà une réalité que les Français ignorent, et dont les médias prompts à fustiger la France se gardent bien de faire état !

On peine à comprendre ce qui amène les observateurs à nier cette réalité et, pire, à répéter en boucle à ces populations que leur niveau de vie devrait atteindre instantanément la moyenne française. La loi Dalo(19), ainsi que l'ensemble des avantages sociaux et la manière dont ils sont présentés, donne aux migrants et à leurs descendants la conviction profonde que tout leur est dû. Ne pas obtenir ce qu'ils considèrent comme un droit sans aucun devoir crée un sentiment de frustration, qui se mue parfois en haine de la France et des Français.

En fermant les yeux sur des comportements qui consistent à réclamer toujours davantage ; en accédant à ces demandes par crainte des représailles ; en laissant sans réaction les outrages faits à la République, à ses représentants et à ses principes, l'État a implicitement accordé un droit de déroger à la Loi. Les responsables politiques ne perçoivent pas à quel point ils ont participé à créer une image déplorable des populations de l'immigration. Très régulièrement, ils se succèdent dans les médias pour expliquer aux Français qu'il est nécessaire que l'État donne encore davantage, sous peine de voir se reproduire des émeutes et autres rébellions. Tout comme les médias, ils ont accrédité l'idée selon laquelle ces populations ne sont pas capables de vivre de manière calme et digne sur le territoire français, et cela accroît encore le sentiment de défiance des Français. Que se passerait-il si la France entrait en récession économique sévère ou si la note de la France était dégradée par les agences de notation, contraignant l'État à réduire de manière drastique les perfusions financières sous lesquelles sont placées les familles ? Devrions-nous alors nous attendre à ce que la France soit brûlée et mise à sac ? Souvent, dans le même discours, les responsables politiques exhortent les communes à appliquer la loi SRU, autrement dit à implanter sur leur territoire 20 % de logements sociaux; ce que les citoyens traduisent aussitôt par "20 % de population qui ne sait pas s'insérer ni respecter les règles de la République", Quel parent responsable accepterait spontanément de voir ses propres enfants potentiellement soumis à des comportements asociaux ?

C'est parce que certains se sont plu à toujours tout minimiser et à tout justifier, même l'injustifiable, que nous en sommes arrivés là : une situation où notre société a fini par engendrer des fauves. Une société qui en vient à légitimer la violence ne pourra qu'être un jour balayée par cette violence [...].

 

 

 

 

Notes

 

(1) Pierre Nora, "Les avatars de l'identité française", Le Débat, n" 159, Gallimard, mars-avril 2010.
(2) Anne-Marie Thiesse, La Création des identités nationales, Le Seuil, 1999.
(3) Max Gallo, "Il suffit de quelques jours pour que la barbarie rejaillisse", propos recueillis par Saïd Mahrane, site Internet du Point, 25 février 2009.
(4) "Penser l'intégration". Le Débat, n° 151, Gallimard, septembre 2008.
(5) Ernest Renan, "Qu'est-ce qu'une nation ?", conférence prononcée en 1882 à la Sorbonne. Mille et une nuits, coll. "La Petite Collection", 1997.
(6) Marc Bloch, L'Étrange Défaite, Gallimard, 1990.
(7) Élisabeth Lévy, Les Maîtres Censeurs, Jean-Claude Lattès, 2002.
(8) Emmanuel Todd, Le Destin des immigrés, Le Seuil, 1994.
(9) Horia Kebabza, Daniel Welzer-Lang, "Jeunes filles et garçons des quartiers : une approche des injonctions de genre", Rapport réalisé pour la Délégation interministérielle à la Ville, septembre 2003.
(10) Maryse Jaspard, "Enquête en Seine-Saint-Denis" pour le Conseil général de Seine-Saint-Denis, 2007.
(11) Inspiré de Jaime Semprun, "À quels enfants allons-nous laisser le monde?", dans L'abîme se repeuple, éditions de l'Encyclopédie des nuisances, 1997.
(12) Michel Godet, Évelyne Sullerot, La Famille : affaire privée et publique, La Documentation française, 2007.
(13) Bernard Aubry, Michèle Tribalat, "Les jeunes d'origine étrangère", revue Commentaire, juin 2009.
(14) Michèle Tribalat, Les Yeux grands fermés. L'immigration en France, Denoël, 2010.
(15) Isabelle Clair, Virginie Descoutures, "Filles et garçons d'un quartier populaire de Paris", Centre de recherches sociologiques et politiques de Paris, novembre 2009.
(16) Émission "Complément d'enquête" : "Banlieues : le feu est-il éteint ?", France 2, 13 mars 2006.
(17) Laurent Auzet, Magali Février, Aude Lapinte, "Niveaux de vie et pauvreté en France", Insee Première, n° 1162, octobre 2007.
(18) Benoît Normand, "Quelle efficacité pour les politiques d'intégration ?", in Cinquante ans de politiques publiques d'intégration, Cahiers français, n° 352, La Documentation française, septembre octobre 2009.
(19) Loi n° 2007-290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale.

 

 

© Malika Sorel-Sutter, in Immigration-Intégration : le langage de la vérité, Essai, Mille et une nuits, avril 2011.

 

 


 

 

Texte soumis aux droits d'auteur - Réservé à un usage privé ou éducatif.

 

 

 

 

Comme un fait exprès, le jour même de la mise en ligne de cet extrait, le quotidien Le Figaro interviewe Mme Tribalat (citée supra dans les notes 13 et 14) sous le titre : "Une immigration illégale incontrôlable détruit toute idée de maîtrise". Deux petits extraits :
Question posée :
Il y a sept ans vous aviez publié "Les Yeux grands fermés" pour dénoncer l'aveuglement des élites sur le phénomène de l'immigration en France. Est-ce toujours le cas ?

Je dénonçais un aveuglement volontaire. Avoir les yeux grands fermés nécessite un effort pour ne pas voir ce que l'on sait parfaitement exister. C'est un exercice de déni conscient. Le livre "Un président ne devrait pas dire ça" a révélé que cette attitude était toujours d'actualité au plus haut sommet de l'État [...].
Question posée :
Diriez-vous que les migrants sont une chance économique pour l'Union européenne ?
Comment les politiques pourraient-ils faire croire qu'ils maîtrisent quoi que ce soit quand l'immigration illégale n'a été réduite qu'en confiant notre destin à un autocrate qui finira bien par exiger la contrepartie non financière du deal - la suppression des visas pour les Turcs - et qui a des projets bien à lui sur l'avenir de l'Europe lorsqu'il recommande aux Turcs d'Europe d'avoir cinq et pas seulement trois enfants.


Accéder à la totalité de l'article mentionné

 

 

 

Complément : une interview donnée par Malika Sorel-Sutter au Figaro Magazine (27 novembre 2015)

 

Ce texte prend une étrange résonance, le jour même (22 juin) où je décide de le mettre en ligne. En effet, la dénommée Danielle Obono d'origine gabonaise, jeune (36 ans) nouvelle députée (France Insoumise) de Paris, vient d'expliquer qu'elle continuait, au nom de la liberté d'expression à soutenir le groupe ZEP ("Nique la France"). Par ailleurs, elle a été réticente lorsqu'on lui a demandé si elle pouvait dire : "Vive la France", entraînant des cascades de réactions indignées, dont la plus mesurée sans doute - mais cinglante - est celle du journaliste politique Jean-Michel Aphatie : "Entendre Nique la France la gêne moins que dire Vive la France. Elle est pas mal l'Insoumise..."
Vous avez parlé de décomposition française ?

 

 

Malika Sorel-Sutter : L’étrange défaite de nos élites face à l’immigration

 

Spécialiste de l’intégration, Malika Sorel-Sutter a observé de l’intérieur la démission de nos élites en matière de politique de l’immigration. "Nous voici, explique-t-elle, au cœur de la décomposition française". Elle détaille pour nous un processus amorcé depuis plusieurs décennies.

 

- Voyez-vous un lien entre le terrorisme qui vient de nous frapper et cette décomposition que vous dénoncez ?

 

– Malika Sorel-Sutter – Voilà des années que les défis exigeaient de rompre avec les approches superficielles pour comprendre la réalité du processus de décomposition qui était à l’œuvre. Au lieu de cela, la plupart de ceux qui exercent une influence sur l’opinion publique n’ont eu de cesse de l’anesthésier et même de l’intoxiquer. À présent, les langues commencent à se délier et le grand public peut enfin accéder à une part de la vérité, à savoir que la menace à laquelle nous sommes confrontés ne trouve pas sa source dans des problèmes sociaux-économiques mais dans la question complexe de l’identité. Sur la base des personnes signalées, l’Unité de coordination de la lutte anti-terroriste (Uclat) révèle que 67 % des jeunes candidats au djihad sont issus des classes moyennes, 17 % sont même issus de catégories socioprofessionnelles supérieures. Est également pointée l’implication notable de femmes dans les filières djihadistes. L’Uclat vient éclairer d’une lumière crue la monstruosité des accusations portées contre les Français depuis plus de trente ans, opération qui n’a eu de cesse de semer les graines du ressentiment contre la France et d’élever toujours plus haut des murs d’incompréhension entre les hommes. Les adeptes de la repentance ont fait perdre aux Français leurs repères et leur ancrage dans leur propre histoire politique et culturelle. C’est ainsi qu’on en arrive à assister à la propagation sur les réseaux sociaux du slogan "Je suis un chien", en référence au pauvre chien envoyé en éclaireur par le Raid sur le théâtre d’opérations de Saint-Denis tandis que la progression de robots était impossible.

Progressivement, et cela a commencé dès le début de l’ère Mitterrand, il est devenu de plus en plus difficile, voire impossible, de traiter sereinement de tout ce qui touche à l’immigration et à l’intégration. L’hystérisation du débat, entretenue par l’ensemble de l’échiquier politique, de l’extrême droite à l’extrême gauche, chacun pour des raisons de purs intérêts électoralistes, nous a empêchés de réfléchir en profondeur sur ce qui nous arrive et qui ne tombe pas du ciel. De nombreuses alertes existaient. Mais voilà, la défense d’intérêts à court terme a pris le pas sur l’intérêt général. Nul n’avait intérêt à ce que les sujets de fond soient traités à une époque où le peuple lui-même préférait cultiver son hédonisme. Nous avons été les victimes consentantes d’une volonté d’abolition de toute liberté de pensée et de jugement. En 1946, l’historien Marc Bloch montrait dans son livre posthume, L’Étrange Défaite, comment l’absence de liberté de pensée et de jugement ainsi que la dilution des responsabilités avaient abouti à la débâcle de 1940. Notre époque emprunte bien des traits à celle de Marc Bloch.

Il était manifeste que les remises en cause récurrentes des principes républicains témoignaient d’un malaise identitaire qui allait croissant. Les élites ont fait le choix de tourner le dos au modèle français d’intégration au moment même où elles constataient que, sur le terrain, l’intégration culturelle avait de plus en plus de mal à s’accomplir, pour jeter la France dans la gueule du multiculturalisme.

Dans les faits, cela fait longtemps qu’une partie des élites a entraîné la France sur la pente dangereuse de la racialisation et de l’ethnicisation des rapports sociaux parfois habilement maquillée en "diversité". Elles ont continuellement cédé sur tout ce qui touche de près ou de loin aux normes de la société française. Lors de la victoire à la Coupe du monde de football de 1998, on parle d’une France black-blanc-beur. Jacques Chirac évoque une "équipe tricolore et multicolore". En 2005, alors que l’on sort de trois semaines de violentes émeutes des banlieues, le Conseil représentatif des associations noires de France (Cran) se constitue. Les hommes et femmes politiques de tous bords se bousculent pour participer à ses États généraux. Christiane Taubira, qui se félicite pourtant de la création d’une association placée sous le sceau de la couleur de peau, pressent le danger : "C’est un sujet qui peut nous revenir en boomerang. Et il ne faut pas contribuer à des segmentations". C’est exactement ce qui s’est produit.

Tous ceux qui continuent à surfer sur la race, l’ethnie, la diversité au travers des demandes de statistiques ethniques, de la discrimination positive, des actions de groupe anti-discrimination, des accommodements travaillent à scinder encore plus le corps social, quand l’urgence est de travailler au maintien de la cohésion nationale et de la paix civile.

 

– Comment expliquez-vous une telle évolution ?

 

- MS le terrain, les élites ont déjà fait le constat que l’assimilation ne s’opérait plus qu’à la marge. Aussi, elles ont entrepris, depuis fort longtemps, de faire disparaître des pans entiers de l’identité des Français, et cela continue avec la réforme en cours des programmes scolaires. Ces élites pensent qu’il sera alors possible de réussir à intégrer culturellement les enfants de l’immigration extra-européenne, non pas à la communauté culturelle française telle qu’elle existe, mais telle qu’elle sera une fois que son identité aura été expurgée de tout ce qui peut gêner les nouveaux entrants qui ne possèdent pas la même identité que les Français. C’est ce qui s’est joué ces dernières années avec l’emploi systématique, par la plupart des élites, du seul mot de "République", faisant naître la France avec la République. En annihilant les valeurs fondamentales du peuple français, nées bien avant la République – l’identité d’une nation n’est pas un régime politique mais un vécu quotidien, des mœurs et traditions séculaires, et en faisant disparaître les mots France, nation et patrie, on a basculé dans une nouvelle vie hors-sol où chacun est appelé à devenir nomade, avec la morale du tout se vaut. Dès lors, c’est sur cette table rase historique, spirituelle et morale que pourra s’opérer l’assimilation des extra-Européens. Les élites politiques ont considéré qu’on ne pourrait contourner l’obstacle de l’assimilation qu’en opérant à la marge, d’où l’impératif de réduire le pays à une simple entité, la République, dotée d’un certain nombre de lois ­modifiables à volonté. Ce pénible état de relativisme culturel explique le divorce entre des élites déterritorialisées et le peuple auquel on assiste aujourd’hui.

 

- Quelles sont les valeurs et principes de la France qui vous apparaissent incontournables pour l’intégration culturelle des extra-Européens ?

 

- MS On néglige systématiquement le fait que nous avons affaire à des êtres humains et non à des machines. Les migrants et leurs enfants ne peuvent être réduits à leur seul corps. Ils possèdent une identité à laquelle ils sont attachés. Ils sont régis par un référentiel de principes et de valeurs, tout comme les Français le sont. L’assimilation est un choix personnel et ne peut être imposée. Mais pour que la question même de l’assimilation puisse se poser, il est nécessaire que le migrant soit libre de ses choix. Or, la plupart sont issus de sociétés où la liberté individuelle telle que nous la connaissons n’existe pas. J’ai vécu un grand nombre d’années en Algérie où la communauté se perpétue, quasi à l’identique, au prix de l’amputation de la liberté individuelle. Mutatis mutandis, c’est ce qu’a connu l’Europe à l’époque des procès de l’Inquisition contre des scientifiques qui avaient osé penser librement. Pour ce qui est de l’égalité, la pierre de touche est le statut de la femme, or ce qui est acquis en France ne l’est ni dans le monde musulman, ni en Chine, ni en Inde. Quant à la fraternité, elle ne va pas de soi. Elle reste à construire. Les Français considèrent par ailleurs la laïcité comme le principe organisateur de la cité. Ce n’est nullement le cas dans la plupart des pays sources de l’immigration.

 

- Qui, à votre sens, porte la responsabilité de la décomposition française ?

 

- MS La priorité est à la gauche qui, dominant le monde des idées depuis plusieurs décennies, et s’estimant représenter le camp du bien, intente les procès en sorcellerie. Le projet européen commençant à prendre l’eau, il lui fallait trouver de nouveaux damnés de la terre pour remplacer les ouvriers qui commençaient à lui tourner le dos. C’est pourquoi elle s’est tournée vers les immigrés et leurs descendants. Ce n’est là que tactique politicienne.

Le corps enseignant s’est laissé embarquer dans cette aventure dont il est aujourd’hui la principale victime avec la réforme du collège, laquelle n’est rien d’autre que la continuité de ce que nous vivons depuis les années 80, et qui s’est accéléré avec la refondation de la politique d’intégration depuis que François Hollande est arrivé au pouvoir. Quand vous transmettez une histoire dépouillée de grandes figures qui ont sculpté l’identité de la nation, noyez les langues anciennes dans des enseignements interdisciplinaires, quand vous négligez les pages d’histoire où l’Église exerçait un pouvoir considérable sur la société – ce qui a participé à façonner en profondeur l’identité du peuple français -, quand vous rendez optionnel l’enseignement des Lumières, vous faites en sorte que les Français oublient d’où ils viennent. Le but est d’expurger la France de son âme même.

 

- On vous taxera de complotisme…

 

- MS S’il y avait complot, ce serait trop simple. Ce n’est qu’au fil du temps, prenant conscience de leur échec en matière de politique d’immigration que, refusant de reconnaître leur impéritie, les élites ont opté pour la fuite en avant. Il leur reste maintenant à reconnaître qu’elles se sont trompées et à modifier la trajectoire ! Si la gauche est au sommet de la pyramide, la droite, opportuniste sur le plan des idées et pratiquant le marketing politique, ne saurait être exemptée de ses responsabilités. Depuis le début des années 80, la droite a autant gouverné que la gauche. De nombreuses réformes scolaires qui ont participé à mettre à mal le projet de transmission de l’école ont été menées par la droite. Il est essentiel que chacun fasse son examen de conscience car au-delà des responsabilités, le but est de renouer les fils de l’histoire et d’aller de l’avant, cette fois-ci dans la bonne direction.

 

- Comment appréhendez-vous la vague des migrants qui se dirige vers l’Europe ?

 

- MS Contrairement aux apparences, l’afflux n’a pas pour raison première la situation dans les pays sources de l’immigration, mais le comportement des États des pays d’accueil. Ce sont eux qui ont créé des appels d’air avec leurs politiques irresponsables. En accordant des titres de séjour à la plupart de ceux qui foulent le sol européen – même illégalement – ; en permettant l’auto-engendrement des flux migratoires par le biais des mariages ; en distribuant à tour de bras des papiers d’identité sans jamais poser l’assimilation comme préalable, ce sont les États européens qui ont créé une incitation au départ des migrants qui affluent désormais massivement vers l’Europe. En France, c’est la droite qui porte une écrasante responsabilité dans ce domaine. Elle aurait dû faire, en priorité, la réforme du code de la nationalité. Elle s’y est refusée. Voilà longtemps que la sagesse commandait que l’on se retirât unilatéralement des accords de Schengen. Elle ne l’a pas fait. Quant au débat sur l’identité nationale, elle l’a très vite arrêté : on avait peur que les Français se pensent de nouveau en tant que peuple et réclament des décisions en conséquence.

Il y a un autre acteur qui exerce une influence de premier plan dans ce sujet, c’est la hiérarchie de l’Église. On ne peut que s’interroger sur les conseils dispensés par le pape François qui tance régulièrement les Européens en les accusant d’être égoïstes, alors qu’il est le premier à observer l’exode des chrétiens d’Orient. On pourrait s’imaginer avec un certain irénisme qu’au bout de quatorze siècles des ethnies si semblables auraient pu coexister, or il n’en est rien. C’est bien la preuve que la fraternité reste encore à construire. Ce n’est pas la première fois que l’Église se trompe : fidèle à sa politique du pouvoir, elle n’a rien vu venir au moment de la Révolution, en demeurant du côté des puissants. Aujourd’hui, c’est la même myopie. Dire que la France est grande, belle et généreuse, n’induira pas ipso facto les nouveaux arrivants à l’aimer. Cela dépasse de loin le simple verbe évangélique. Quel père, quelle mère imposerait à ses enfants l’élargissement continu de la fratrie par adoption, sachant que la cohabitation sera difficile du fait de la différence des mœurs et qu’elle subdivisera les biens et l’héritage ? C’est exactement la situation dans laquelle nous sommes placés.

 

© [Propos recueillis Par Patrice de Méritens – Le Figaro Magazine, 27 novembre 2015]