Un ancien éditorial (2005) d'Henri Amouroux, spécialiste des vérités solidement argumentées, mais pas toujours bonnes à dire !

 

Après la défaite du "oui" - qui était également sa défaite - Jacques Chirac a assuré aux Français qu'il n'était pas question de toucher au modèle français... ce qui est presque une garantie d'échec.

Car, enfin, si le modèle français dont on nous rebat les oreilles était une réussite, cela se saurait et il aurait, dans le monde, nombre d'imitateurs. Or les pays qui gagnent dans leur lutte contre le chômage sont précisément ceux dont le modèle est le plus éloigné du modèle français. Il y a longtemps que cette vérité est visible aux yeux de tous... sauf aux yeux de nos dirigeants. Notre nouveau Premier ministre a bien timidement déclaré qu'il ne s'interdirait pas d'aller regarder "ailleurs" le résultat de modes de gestion, très différents des nôtres. Gageons qu'il ne fera que regarder, mais n'empruntera pas.

Fallait-il d'ailleurs attendre 2005 - et l'échec du "oui" - pour faire du problème du chômage un problème prioritaire ? Deux réflexions à ce sujet. C'est bien la septième ou huitième fois que des gouvernements, de gauche ou de droite, affirment qu'ils feront leur priorité de la lutte contre le chômage. Rien de nouveau, donc, sous le soleil des intentions. On verra ce que vaudront les décisions. Mais, et c'est ma seconde réflexion - ces décisions seront prises par des hommes qui étaient, hier, au pouvoir et qui se sont simplement succédé. Alors une question... si le "oui" l'avait emporté, le nouveau gouvernement aurait-il mis la lutte contre le chômage au premier rang de ses préoccupations, le Premier ministre succédant à Raffarin - avec lequel, menée par les médias parisiens, l'opinion a certainement été injuste - se serait-il précipité dans une agence de l'ANPE ? Vous devinez la réponse.

Le modèle français est, à mon avis, responsable d'une bonne partie des problèmes français. Ce modèle combine, en effet, les impôts et les charges les plus lourds des pays industrialisés avec le plus grand nombre de fonctionnaires, plus de 25 % de la population active, là où des pays de structures semblables en emploient 15 à 16 %.

Le modèle français décourage du travail (et Mme Aubry a sa large part de responsabilité), faisant d'un "assisté", un homme ou une femme, aux ressources supérieures parfois à ceux et celles qui travaillent. Il contrarie dans les toutes petites entreprises la création d'emplois et condamne "le patron" à travailler seul, les charges et les servitudes du droit du travail interdisant à tout homme sensé, s'il débute sur ses fonds propres, d'embaucher.

Par l'ISF, cet impôt démagogique et imbécile, il a fait fuir les très riches et pénalise, non pas ceux qui possèdent bijoux et œuvres d'art, mais ceux qui, dans les grandes villes, sont logés (souvent par héritage) et donc coupables de fortune.

Il a fait des fonctionnaires des intouchables. Sanctionner l'un d'entre eux, c'est immédiatement entraîner une grève dans la corporation. Dans un monde où, à l'arrivée d'une retraite plus proche et plus substantielle que dans le privé, le fonctionnaire honnête, laborieux, efficace - il y en a beaucoup même s'ils doivent être découragés par les vices du système - se retrouve pratiquement à égalité de traitement de situation avec celui qui, durant toute sa vie professionnelle, aura "tiré au flanc", n'y a-t-il pas là scandale ?

Il y a quelques jours, les viticulteurs du Midi ont incendié et détruit des installations ferroviaires, paralysant ainsi la circulation, immobilisant et retardant des trains de voyageurs. Montant au créneau, le responsable de la communication de la SNCF, qui a d'ailleurs beaucoup de talent, a dénoncé des attentats effectivement condamnables, mais il a ajouté qu'ils constituaient "une prise d'otages". Il faut beaucoup de toupet pour parler de "prise d'otages" lorsque l'on appartient à une entreprise dont le personnel prend régulièrement en otage, non quelques milliers, mais des millions de voyageurs, non pour 24 heures, mais pour des périodes de temps qui peuvent atteindre et même dépasser la semaine.

Le modèle français... on pourrait continuer. Dans le monde d'aujourd'hui, il n'est plus viable. Est-il réformable ? Cela paraît plus que douteux. Il explosera donc pour le plus grand malheur de l'immense majorité des Français. La démagogie, qui caractérise depuis longtemps le modèle français, est possible dans les temps heureux. Elle prépare toujours des lendemains de tempête.

 

 

© Henri Amouroux, in Lyon-Figaro, 4 juin 2005

 

 

 

 

Pour compléter ce texte... des opinions de lecteurs

 

Des moyens pour l'Éducation nationale ?

 

On apprend avec surprise que 32 000 enseignants, tout en étant payés, n'enseignent pas pour des raisons diverses : absence d'élèves dans certaines matières, décharge syndicale, etc. Les calicots de récentes manifestations ne parlaient guère de cela. L'antienne sur la nécessaire "augmentation des moyens" s'en trouve quelque peu affaiblie.
P. Ch., Saint-Denis de la Réunion

 

Réformer le "mammouth"

 

La note de la Cour des comptes sur les enseignants est accablante.

Elle démontre, si besoin était, la difficulté pour tout gouvernement de réformer l'Éducation nationale, le mammouth.

Les syndicats de fonctionnaires réclament régulièrement plus de personnels, plus de moyens. Selon les calculs en "équivalent temps plein d'enseignement" (ETP), la Cour considère que 97 000 enseignants sont occupés à d'autres tâches, dont 32 000 n'ont aucune activité pédagogique. Ils sont en mission, réadaptation, affectés à des fonctions administratives, en décharge syndicale, mis à la disposition, "prêtés" à des institutions sans relation avec l'Éducation nationale, etc.

Ces 32 000 ETP non employés, payés à temps plein, soit les effectifs de la Société générale en France, coûtent 1,5 milliard d'euro par an au contribuable. Lors des récentes manifestations, les fonctionnaires réclamaient des augmentations de salaires. L'État-patron est endetté de plus de 1 000 milliards d'euro (1066 milliards), soit 17 000 euro par Français. Une augmentation de 1 % de la masse salariale des fonctionnaires entraîne une dépense supplémentaire de 1,5 milliard d'euro pour le contribuable.

Les salaires et retraites de la fonction publique absorbent près de la moitié (44 %) du budget de l'État. Si l'on ne réforme pas au plus tôt l'État, ce sera la faillite de la France.

Et tout le monde sombrera.
André L.

 

© Courrier des lecteurs, in Le Figaro Magazine, 25 mars 2005

 

 


 

 

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