La France peut-elle tenir encore longtemps ?, s'interroge Agnès Verdier-Molinié. Et elle avance une série de faits terrifiants à la vérité, dont je ne produis ici, naturellement, qu'un tout petit échantillon. Apparemment, les Français se soucient comme d'une guigne de cette dérive suicidaire, puisqu'ils viennent de faire un (relatif) triomphe à la machine de guerre électorale concoctée par le sieur Mélenchon : retraite à 60 ans, dépenses somptuaires tous azimuts, recrutement de fonctionnaires à gogo, créolisation de la France, béante ouverture à la "diversité" des cultures... et j'en passe. Les générations suivantes paieront ! Le temps n'est sans doute pas aux Cassandre, qui ne ferment pas les yeux lorsque le navire fonce droit sur l'iceberg. Il faut que l'orchestre continue à jouer ses valses ! Lorsque les lendemains déchanteront, nous ne serons plus là pour pleurer. Comme dirait Onfray, restons dignes tandis que tout tangue autour de nous ! Car selon ses expressions, nous sommes englués dans une dictature douce, nous subissons une sorte de tyrannie souriante (spécialement à travers les médias), toutes pratiques qui annihilent le bon sens du peuple...

 

"La vérité ? Nous sommes à sec. Nous vivons à crédit. Plus que partout ailleurs en Europe. [...] Nous devons tous collectivement voir les choses en face : la France n'est plus ce qu'elle était et l’État français, comme son système de soins, comme sa Sécu, comme ses collectivités ne sont plus des modèles"

A. Verdier-Molinié

 

 

La conseillère du ministre le dit crûment mais le constat est clair : "Pendant le pic de la crise sanitaire, l'État a tourné avec 80 % des agents en moins. 20 % ont suffi à faire fonctionner les administrations centrales. À quoi servent les 80 % restants ?"
Depuis le premier confinement, 100 000 agents de l'État auraient disparu des radars, selon les informations qui circulent à Bercy.

La crise sanitaire a eu le mérite, s'il faut en trouver un, de mettre un coup de projecteur sur le niveau de service apporté (ou non) par nos administrations. Après coup, c'est quand il a fallu évaluer la perte de richesse nationale liée à la crise que se sont révélés les écarts importants entre les différents pays. Pour ne pas froisser l'administration, l'Insee a dû amputer de 25 % de leur valeur les services publics, ce qui fait chuter la richesse nationale de 3,5 points, alors que l'institut de la statistique publique allemand a amputé de 0 %. Certains se sont gaussés des batailles méthodologiques, mais l'explication est beaucoup plus évidente. L'Allemagne n'a pas compté de baisse de sa richesse en 2020 à cause de l'arrêt des services publics... parce que les services publics ne se sont pas arrêtés en Allemagne.

Le triste constat, c'est que le service du courrier a été mieux assuré en France pendant la Seconde Guerre mondiale que pendant le premier confinement lié à la Covid-19. Il est clair que, lors de cette période, les agents de l'État ont continué à être payés alors que le service rendu était de moindre qualité. Voire inexistant.

Revenons sur La Poste. À l'annonce du confinement, l'entreprise n'a fait ni une ni deux : compte tenu de l'exposition des postiers, il a été décidé de réduire fortement l'activité et entre les 2 % d'agents en droit de retrait et les 25 % d'absentéisme(1), la France s'est réveillée fin mars 2020 avec seulement 1 600 bureaux de poste ouverts sur 17 000 !

Notons qu'en face, toutes les agences bancaires de France et de Navarre devaient continuer à bosser avec 75 % de leurs guichets ouverts en pleine crise sanitaire. Mais cela aurait pu être encore pire car les syndicats, FO et la CGT en tête, demandaient la fermeture pure et simple de toutes les agences postales..

Pendant ce temps-là en Allemagne, 100 % des bureaux de poste étaient ouverts. Quand on interroge maintenant La Poste pour savoir pourquoi nous avons fermé autant de bureaux de poste, la réponse donnée est incongrue : les agents n'avaient personne pour garder les enfants ! Les postiers français ne sont pas les seuls à avoir déserté leurs obligations d'intérêt général. Tous les agents publics ont compris qu'il fallait qu'ils restent chez eux et si 30 % étaient en télé travail , 50 % dans la fonction publique d'État et entre 40 à 50 % dans la fonction publique territoriale étaient payés à 100 % tout en restant chez eux sans travailler. Ce que l'on nomme poétiquement " l'autorisation spéciale d'absence" (ou ASA).

Il faut dire que cette fameuse ASA cumule de nombreux avantages.

Qu'ils soient en télé travail ou en ASA, les agents publics continuent d'accumuler des congés payés. En revanche, pas de RTT. Les syndicats ont bien fait pression sur le gouvernement pour que tous les agents continuent à cumuler des RTT pendant le premier confinement mais cela a été, à juste titre, écarté. Plusieurs syndicats, dont la CFDT, ont déposé un recours contre l'ordonnance permettant de décompter aux agents dix jours de leurs congés ou de leurs RTT dans le cadre de la période d'urgence sanitaire. Heureusement, le Conseil d'État leur a donné tort !

 

Une autorisation spéciale d'absence difficile à arrêter

 

Le retour des agents publics au travail est maintenant très difficile.

Résultat ? Voyant que dans beaucoup de collectivités et d'administrations centrales, les agents en ASA ne voulaient pas revenir au travail, le gouvernement a dû prendre les choses en main et faire passer un texte qui stipule bien que les agents ne peuvent plus invoquer ce statut si leurs enfants sont rentrés à l'école. Il faut dire que, fin mai 2020 (alors que le déconfinement a commencé le Il), dans certaines communes, même les mieux gérées, plus de 30 % des agents étaient encore chez eux et nombre de ceux qui étaient en télétravail n'effectuaient que très peu d'heures " pour ne pas perdre leurs RTT ", explique un maire désemparé qui souhaite rester anonyme. Il confesse : " Je n'arrive pas à les faire revenir (mais ne me citez pas !). " Gaël Perdriau, le maire de Saint-Étienne, exposait le même problème à l'heure du rappel des troupes : "Il est très dur d'évaluer qui sera là ou non. Potentiellement, ce sont 2 380 agents de la ville sur 3 800 et 412 agents de la Métropole sur 900 qui pourraient faire valoir une autorisation spéciale d'absence (ASA). " À partir du 1er septembre 2020, les agents publics étaient censés ne plus pouvoir être (JO Les services publics ne sont pas à notre service en autorisation d'absence et patatras, le gouvernement annonce mi-septembre avec effet rétroactif au 1er septembre que les parents d'enfants dont les classes ou écoles sont fermées peuvent retourner à la maison ! Une catastrophe pour les managers du public qui s'arrachent les cheveux. Les collectivités, dont beaucoup n'arrivaient toujours pas à faire revenir leurs agents en autorisation d'absence, étaient en train de battre le rappel des troupes mais, avec cette nouvelle annonce, le travail de remobilisation des équipes tombe à l'eau. La réponse a d'ailleurs été immédiate dans certaines administrations après l'annonce de la ministre pour le chômage partiel et l'ASA pour garde d'enfants, nombre d'agents demandant immédiatement à retourner en télé-travail à 100 %, 5 jours sur 5.

 

L'école sans les profs ...

 

On le voit, la garde d'enfants a donc été centrale dans le " décrochage" des agents publics. Le problème, c'est que l'Éducation nationale n'a pas suivi. La continuité du service public des crèches et des écoles n'a pas été mise au centre de la stratégie du gouvernement pour préserver l'activité présentielle de ceux qui ne pouvaient pas télé-travailler, qu'il s'agisse du secteur public comme du secteur privé. Or cette absence de service minimum assuré par l/5e des fonctionnaires français en dehors de l'accueil des enfants des personnels de soins ou des agents prioritaires a eu nécessairement un impact déterminant sur l'activité.

Pourtant l'instruction est obligatoire en France et depuis la rentrée 2020 elle est même obligatoire jusqu'à 18 ans (et non plus 16). Mais il semblerait que, pour beaucoup de professeurs, obligatoire soit devenu facultatif. Un mois après la réouverture progressive des écoles, collèges et lycées (avec des classes réduites limitées à 15 élèves en rotation), 45 % des professeurs n'avaient pas regagné leur établissement et poursuivaient l'enseignement à distance entamé durant le confinement. Et 5 % d'entre eux, soit 40 000 professeurs, demeuraient selon leur ministre en dehors des radars et n'avaient pas contacté leurs élèves pendant toute la durée du premier confinement. Le ministre a bien annoncé qu'il y aurait des sanctions pour ces professeurs "décrocheurs" mais en réalité, rien n'a été fait. Si beaucoup se sont étonnés de la reprise de l'école à la normale (ce qui n'a pas été vraiment le cas) décidé en catastrophe à la demande du Président pour les deux dernières semaines de l'année scolaire, c'est peut-être qu'ils n'ont pas compris les enjeux sous-jacents : si les profs ne reprenaient pas en juin, il y avait de grandes chances que nombre d'entre eux ne veuillent pas revenir enseigner dans les classes en septembre 2020.

L'Allemagne, dont la levée des mesures de restriction des déplacements a été actée le 20 avril 2020 (soit 3 semaines avant nous), a montré une stratégie plus efficace. Pour la réouverture des écoles, le pays a d'abord, lui aussi, procédé par niveaux, mais, à la différence de la France, les décisions décentralisées ont été prises par les ministres de l'Éducation des Länder. L'Autriche aussi affichait de meilleures statistiques en matière de retour à l'école puisque 90 % des élèves étaient de retour en classe à temps complet dès le mois de mai 2020.

 

Pendant ce temps-là, les obligations de sortie du territoire ne sont pas respectées...

 

Le confinement a ralenti la mécanique de la chaîne pénale. Il a pratiqué un effet de loupe sur les dysfonctionnements de la sécurité intérieure en France: impossibilité d'expulser puisque les pays destinataires étaient eux-mêmes confinés, allègement des peines pour désengorger les prisons, baisse de la surveillance des banlieues pour ne pas mettre d'huile sur le feu, alors que les trafics se réduisent, etc. Et pourtant, les "ratés" ne datent pas d'hier.

En matière de service public livré à lui-même, on se demande au service de qui bossent l'aide sociale à l'enfance et les juges qui ne facilitent pas les choses à la police. Dans le cas du Pakistanais de vingt-cinq ans soi-disant mineur isolé, auteur de l'attentat terroriste devant les anciens locaux de Charlie Hebdo le 25 septembre 2020, on voit toutes les limites de nos services publics. L'aide sociale à l'enfance avait un doute sur l'âge du futur terroriste mais le juge des enfants de Cergy-Pontoise a refusé de lui faire passer des tests osseux pour vérifier son âge... Combien sont-ils, ces soi-disant mineurs isolés, pas mineurs du tout, que la collectivité doit prendre en charge, nourrir et vêtir, mais dont on n'a pas le droit de connaître l'âge osseux sous prétexte qu'ils ont des papiers ? Que se serait-il passé si le test osseux avait été pratiqué sur Ali H. ? Où est passé le respect des lois en la matière ?

On estime à partir des fichiers des bénéficiaires de l'AME (Aide médicale d'État) que les étrangers entrés en clandestinité en France pourraient avoir dépassé les 318 106 en 2018, même si l'ensemble des populations en situation irrégulière ne sollicite pas ou n'est pas éligible au bénéfice de cette prestation. Ces statistiques peuvent être complétées par celles du nombre de personnes étrangères contrôlées en situation irrégulière, soit 110 800 personnes en 2018, ou des personnes " régularisées" (admissions exceptionnelles) pour motif humanitaire, soit 30 000 personnes chaque année. Mais il s'agit encore sans doute d'une estimation basse : un récent rapport parlementaire estime entre 150 000 et 400 000 les personnes en situation irrégulière rien que dans le département de la Seine-Saint-Denis, loin des 57 000 bénéficiaires de l'AME dans ce département. Les demandes d'asile s'élèvent à 123 625 en 2018, provenant de 139 pays différents dont 46 838 satisfaites (réfugiés, protection subsidiaire, apatrides), soit 38 %. En moyenne, le pays prononce 90 000 retours à la frontière par an... mais en 2018 seulement 15 677 retours ont été effectifs depuis la métropole. Pourquoi ne pas faire respecter toutes les obligations de quitter le territoire ?

La question qu'on peut légitimement se poser est la suivante : malgré tous les impôts que nous payons, nos services publics sont-ils toujours à notre service ? À l'évidence, non.

Note

(1) Sources internes de La Poste, L'Opinion, 31 mars 2020.

 

© Agnès Verdier-Molinié, in La France peut-elle tenir encore longtemps ?, Albin-Michel, 2021

 

 


 

 

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