Je me sens profondément homophobe. D'autant qu'après la contre-société du RMI (j'emprunte cette expression à un ancien ministre de l'intégration et de la lutte contre l'exclusion, Eric Raoult, qui exhortait en 1995 les RMistes à se conduire en citoyens, non en allocataires. On sait ce qu'est devenu ce vœu pieux), voilà qu'on veut maintenant nous faire avaler la contre-société du Sida, de la théorie du genre, et de la sexualité "différente". Je voudrais bien ne pas être le seul à dire non.

 

Mais une fin d'après-midi, gagnant le lieu de je ne sais plus quelle inutile réunion (je pourrais cependant encore dire dans quelle courbe de quelle voie express je me trouvais alors), je fus saisi, bouleversé au plus profond de moi-même par l'expression d'un témoignage aux accents déchirants. Et déchirés.

Je ne sus, dans l'instant, s'il s'agissait de la vérité ; je puis à tout le moins jurer que s'exprimait alors la détresse la plus profonde. Et j'appris beaucoup plus tard, de la bouche même de ce témoin déchiré, que trois cent cinquante personnes, environ, eurent la même réaction que moi : lui exprimer je ne sais quoi, peut-être l'indicible, s'exprimer en tous cas auprès de lui.

Natzweiler Struthof

 

Je puis dire le lieu, très exactement. Je puis ajouter qu'il était aux alentours de dix-sept heures. J'ai oublié la date exacte, car plusieurs années se sont écoulées depuis. Sitôt rentré chez moi, je compulsai fébrilement l'annuaire Internet de Radio-France, nettement moins étoffé et fonctionnel qu'aujourd'hui. Je réussis péniblement à dénicher l'adresse électronique de Daniel Mermet, et lui passai sur-le-champ un message. J'attendis. Près d'un an. Mais la réponse vint. L'animateur de Radio-France, ou son secrétariat, m'indiquait que ce soir-là, dans Là-bas si j'y suis, s'était exprimé un rescapé du camp nazi de Schirmeck, pensionnaire de ces lieux au titre de l'homosexualité. Pierre Séel, puisqu'il s'agissait de lui, décrivait entre autres l'atroce fin, sous ses yeux, de son ami de cœur - pour un plaisir, mille douleurs -, dévoré par des chiens, la tête emprisonnée dans un seau de fer blanc. L'accent de la détresse la plus profonde, plus d'un demi-siècle après les faits.

Je me sens profondément homophobe. Ou plutôt, je le suis devenu. Car je suis par ailleurs convaincu que la publicité faite autour des déviances de toutes sortes, pour ne pas dire en leur faveur (un Ministre de la République, de la Culture pour être précis, fameux laudateur des rave party, n'a-t-il pas en son temps osé montrer en exemple à la jeunesse le triste sire Cyril Collard ?) ne fera qu'accroître la part - dans la nature tout de même bien faible au départ, en dépit de tout le ramdam qu'on nous impose à ce sujet - des conduites déviantes en général.

Je vais aggraver mon cas : je me sentis de plain-pied avec l'ex-Député E. Chenière, lorsqu'il alertait ses collègues parlementaires au sujet du danger qu'il y avait à laisser s'installer une banalisation (pour ne pas dire une exaltation) de la déviance. Comme j'étais d'accord, dans un tout autre registre, avec la prise de position qui fut la sienne quelques années auparavant lorsque, Principal anonyme confronté à l'affaire du foulard (eh oui, c'est dans son collège de Creil que l'affaire des foulards a pris naissance), il a fait montre d'une position courageuse… que l'ensemble de la Nation n'a hélas pas épousée, préférant les atermoiements d'usage.

Et je vais l'aggraver encore : je me sens solidaire du sénateur radical de gauche François Abadie, qui vient d'être exclu, au début de juillet 2000, de son mouvement (confidentiel, je vous l'accorde) pour "avoir laissé éclater dans la presse sa haine des homosexuels", comme l'écrit la bouche en cul de poule le correspondant du Monde, dans une livraison de ce début août 2000.

Comme je me sens violemment opposé aux tristes gays, pour reprendre l'expression de Guy Konopnicki (l'Événement du 18 au 24 mars 2000) faisant allusion au chantage qu'un mouvement homosexuel souhaitait exercer sur les parlementaires (les "gays", en tous cas), menaçant de révéler leur vie privée. "Act Up, c'est le procureur Star allié au sénateur McCarthy", ajoutait Konopnicki. Parfaitement envoyé. Il s'agissait bien d'un processus fasciste, en effet.

Ceci posé, les déviances ont toujours existé, comme les cas aberrants face à la norme. Lisez la Bible, il n'y a pas là-dedans que des images pieuses, c'est le moins qu'on puisse dire. C'est pourquoi je conçois aisément que l'expression faire l'amour, qui va bien au delà du contact de deux épidermes, puisse aussi se conjuguer s'il s'agit de deux êtres de même sexe. Je souhaite seulement que cela ne soit pas claironné.

Pierre Séel - puisque c'est à propos de lui que je rédige ces lignes - a jadis "fait l'amour" avec ce jeune supplicié décédé dans d'atroces conditions, et qu'il n'a pas oublié. Je m'incline devant sa douleur, et j'admire la fidélité de son courage. Agapè se tient ici aux côtés d'Éros, et c'est bien ainsi. Pierre Séel se confie avec dignité, et avec infiniment de pudeur. Il mérite pour le moins le respect silencieux autour de son expérience, et l'hommage que je lui rends ici. Il n'a strictement rien à voir avec tous ces irresponsables qui à la fois revendiquent toutes les libertés, et refusent toute obligation.

Je serais particulièrement fier de lui serrer la main, moi qui ai si souvent, dans l'exercice de ma profession, été contraint de serrer tant de mains malhonnêtes. Et de lui dire mon admiration. Et si vous désirez en savoir davantage sur Pierre Séel et sa tragique expérience, je vous suggère de suivre ces liens :

 

 

Pierre Séel

La Guenille

 

 

 


[On trouvera ici un extrait de l'ouvrage de Pierre Séel]

 

P.S. : Toussaint 2000 : Pierre Séel m'écrit, puis nous nous téléphonons longuement. Il me dit son entier accord avec ce que j'ai écrit supra, en particulier à propos de tous les "irresponsables"...
Noël, puis le début d'un siècle nouveau (pourvu que ce ne soit pas comme l'Ordre nouveau qu'appelaient de leurs vœux tous les fascismes, bruns ou rouges...) : Pierre Séel me fait envoyer, lui le retraité aux revenus fort modestes, une magnifique corbeille de fleurs ; est-ce à peine croyable ? [à suivre...]

 20010101 Fleurs PierreSeel

 

Pierre Séel nous a quittés le 25 novembre 2005. Il a été inhumé à Toulouse, où il résidait. Il avait 82 ans. C'était un type bien. Une rue de Toulouse porte désormais son nom.