Bientôt cinq lustres, pour le texte qu'on va découvrir. Et pas une ride. Tout au contraire... Revel, quel esprit pénétrant, quel guide exigeant et visionnaire !
Mais avant de passer à la lecture de son billet, procédons donc au rappel de quelques événements beaucoup plus récents que l'intempestive (?) intervention du recteur Boubakeur (encore en poste, comme Bouteflika ? S'accrochent à l'assiette au beurre, ces gars-là), analysée, parfois avec une pointe de férocité, par Jean-François Ricard, dit Revel.

 

"Les musulmans n'ont pas du tout compris, semble-t-il, que, dans notre société, la liberté pour chacun de pratiquer son culte comporte l'obligation de ne pas chercher à l'imposer à ceux qui ne le pratiquent pas, et, plus encore, l'obligation minimale de ne pas les assassiner".

J.-F. Revel

"Il faudra encore beaucoup de crimes et de souffrances pour que l’on admette que le 'vivre ensemble', cette expression inepte, indécente, derrière laquelle on camoufle l’apartheid des cultures, n’est qu’une blague, une blague sanglante.... Ajoutez à cela un phénomène nouveau, qui est la marque propre de l’islamisme, et qui contraste avec l’immigration du passé : la détestation du pays hôte. Le résultat, c’est ce cocktail détonant qui est en train de gagner toute l’Europe et que l’on appelle sommairement le populisme. Le communautarisme, c’est-à-dire la juxtaposition sur un même territoire de communautés différentes par l’origine géographique, la langue, la religion, l’histoire, la culture, la philosophie, est une immense faillite".

Jacques Julliard, in Le Figaro du 3 avril 2016

 

 

I. La terrible attaque néo-zélandaise

 

Elle a été l’œuvre d'un fou, à n'en pas douter. Puisque quasiment toutes les attaques "islamistes" perpétrées sur notre sol sont d'abord traitées, avant toute enquête, de gestes de déséquilibrés...

Mais non, l'attentat de Christchurch a aussitôt été qualifié de "terroriste", et on n'a pas manqué de mettre en cause la théorie du "grand remplacement" et même l'extrême-droite mondiale ! Jusqu'ici, de par le monde, on n'avait subi que des attaques du type "Allah Akhbar", lesquelles, il est pénible de devoir le rappeler, avaient fait bien plus de dix fois plus de victimes que le nombre des malheureux fidèles tombés dans les deux mosquées de la ville de Christchurch. Et la jeune Jacinda Ardern, Première ministre de Nouvelle-Zélande, a cru devoir y aller de ses simagrées, en allant "plaindre le deuil" (comme on dit en Provence) auprès de sa minorité musulmane (1 % de la population), la tête couverte d'un voile musulman, noir et doré (et dire qu'une pétition, sans doute initiée par d'aimables plaisantins, demande que le prix Nobel de la paix lui soit attribué)...

Alors, je vais tenir un propos scandaleux : aucun chrétien, nulle part dans le monde, ne s'est félicité de ce lâche attentat. Au rebours des musulmans qui se réjouissent, ouvertement ou in petto, des victimes "blanches" du djihad. Ouvertement ? Je me souviens des scènes de liesse, dans les pays musulmans, à l'annonce de l'attaque des Twin towers new-yorkaises. Et j'ai moi-même été témoin (c'était en Provence - pays musulman ? -, parmi les ouvriers saisonniers venus effectuer la cueillette des vendanges) de ces applaudissements nourris et de ces bruyantes congratulations. C'était mi-septembre 2001.

Quant à la "théorie du grand remplacement", risquons un seul élément de réflexion (au-delà même du tristement fameux "nous vous vaincrons avec le ventre de nos femmes", du "colonel" Boum-Boum). En 1940, la France comptait quarante millions d'habitants (Cf. "Quarante millions de pétainistes", de Henri Amouroux), et la présence musulmane y était quasiment symbolique. Cependant que la France de Louis XIV avait compris vingt millions d'habitants (Cf. "Louis XIV et vingt millions de Français", de Pierre Goubert - et je laisse de côté les "acquisitions" territoriales, et la terrible saignée de 14-18). Autrement dit, il avait fallu deux siècles pour que la France doublât sa population.

Or, nous voici aujourd'hui parvenus à près de soixante-dix millions en moins d'un siècle (80 ans), et l'Islam est devenue la seconde religion française, ses fidèles représentant près de 10 % de notre population : ce qui ne laisse pas de poser, quoi qu'en disent les naïfs de service, d'insolubles problèmes à notre société (Cf. François Hollande in Davet & Lhomme, "Un Président ne devrait pas dire ça" : "Je pense qu’il y a trop d’arrivées, d’immigration qui ne devrait pas être là... Qu’il y ait un problème avec l’islam, c’est vrai. Nul n'en doute". Nul n'en doute, certes. Les nombreux idiots utiles mis à part). Comment expliquer cette fulgurante augmentation, que la prétendue "crise migratoire" viendra encore massifier, alors même que le peuple français (ou son Parlement) n'a jamais été appelé à se prononcer sur le bien-fondé de ces innombrables entrées allogènes sur son sol...?

Enfin, j'ai parlé de naïveté. Pour appuyer mon propos, je me dois de faire allusion à la façon larmoyante dont la présidente de la Cimade a répondu en juin 2018 aux propos du Ministre de l'Intérieur d'alors, G. Collomb. Rappelons que ce dernier avait évoqué lors d'une séance au Sénat, peut-être sous forme de boutade, les migrants désireux d'atteindre l'Eldorado que constitue l'Europe à leurs yeux, en déclarant : "Ils font un peu de benchmarking pour regarder les différentes législations à travers l’Europe" [sous-entendu : avant de se décider pour le pays qui leur réservera l'accueil et les aides les plus favorables]. Aussitôt, Mme G. Jacques, présidente de la Cimade, se déchaîna (in Réforme n° 3757 du 7 juin 2018) : "Les mots employés par Gérard Collomb soulèvent l'indignation, provoquent un sentiment de honte. Entendre un ministre de l’Intérieur employer un terme appartenant au vocabulaire du marketing à propos des migrants est un scandale. Oublie-t-il ou feint-il d’oublier qu’il s’agit de personnes exilées qui cherchent la protection internationale, d’êtres humains qui portent en eux l’espoir de trouver un lieu où vivre dignement et non pas de trafiquants qui feraient le choix d’un pays suivant la complaisance présupposée de leur législation ? Le raisonnement, les mots que le ministre emploie traduisent une vision humiliante et méprisante des migrants".

Las, Madame, dont j'espère la confuse agitation non seulement surfaite mais encore feinte, votre tapageuse sympathie est pour le moins aventureuse : pour l'immense majorité, les dites personnes sont des "migrants économiques", elles ne sont nullement "exilées", pas plus que "réfugiées", et elles ne fuient pas des pays où leur vie même serait en danger ; peu leur chaut votre "protection internationale", elles visent seulement l'entrée par tous moyens dans l'Europe de l'ouest. Et de plus, elles appartiennent massivement à la religion musulmane (et vous n'avez certainement jamais entendu parler du massacre ou de l'expulsion des chrétiens d'Orient, entre cent autres exemples ?) : au fait, comment se fait-il qu'aucun des quelque soixante pays musulmans ne leur tende des bras fraternels ? La question dépasse peut-être votre entendement d'idiote utile ? Alors, entendez au moins la supplique d'une personne compétente, et qui a payé dans sa chair le droit de vous gueuler à la face : "Cessez d'être naïfs !" (selon le cri poussé par Mme Latifa Ibn Ziaten, mère d'un soldat tué par Merah, et décorée de la Légion d'honneur). Et je songe également à la réflexion d'un Jacques Julliard, dont la compassion et l'information valent largement celles de Madame Jacques, lorsqu'il écrivit : "Une des grandes questions posées par l'immigration est celle du nombre. La rapidité et le bon marché des transports combinés au déséquilibre démographique, notamment entre l'Europe et l'Afrique, ont rendu vaine l'évocation de Jacques Derrida à Edgar Morin des lois de l'hospitalité coutumière. Si vous recevez un soir un voyageur pour le dîner et le coucher, et qu'au matin il déclare que décidément il va s'installer définitivement chez vous en faisant venir sa femme, ses cousins et ses amis du village, chacun comprend qu'il s'agit désormais d'un problème d'une autre nature que celui des lois de l'hospitalité" (In Marianne, mi-septembre 2018).

Car même le pape François, naïf parmi les naïfs, en était revenu, de sa touchante candeur, lorsqu'il avait fini par déclarer, début novembre 2016, "le migrant doit être traité avec certaines règles parce que migrer est un droit mais un droit très encadré. À l’inverse, être réfugié est dû à une situation de guerre, d’angoisse, de faim, une situation terrible, et le statut de réfugié nécessite plus d’attention, plus de travail", avant d'inciter les gouvernements à faire preuve de "prudence", et de procéder à des études préparatoires afin d'évaluer au plus juste le nombre de migrants pouvant être intégrés... sous peine de le "payer politiquement". Peut-être d'ailleurs, avait-il procédé à ce discret rétropédalage en observant les résultats électoraux dans le land de Mecklembourg-Poméranie-Occidentale : deux mois auparavant, la chancelière allemande Angela Merkel, et son parti (la CDU) y avaient été devancés par le parti d’extrême droite Alternative pour l’Allemagne (Alternative für Deutschland )... Combien le François était loin, alors, de la "mondialisation de l’indifférence" qu'il avait cru bon de dénoncer en juillet 2013 !
Et notons enfin, avant de passer à la lecture du billet de Revel, que la lecture de "L'Étrange suicide de l'Europe" (The Strange Death of Europe, d'abord paru en Grande-Bretagne le 4 mai 2017), de Douglas Murray, pourrait puissamment contribuer à dessiller de nombreux yeux aveugles ou aveuglés....

 

 

II. Le révélateur Rushdie

 

En protestant contre la venue en France de Salman Rushdie, le recteur de la mosquée de Paris s'est-il rendu compte qu'il jetait par terre des années d'efforts déployés par les musulmans modérés pour essayer de démontrer que l'islam est une religion tolérante ? Je ne dis pas qu'elle ne le soit pas. Je dis que ses représentants ne le sont guère.

Le recteur Dalil Boubakeur, donc, a écrit au président de France Télévision pour lui signaler l'émotion soulevée dans la communauté musulmane par la présence à l'émission "Bouillon de culture", 16 février, de l'auteur des "Versets sataniques". On connaît l'ordre donné en 1989 par l'imam Khomeyni à tous les musulmans d'assassiner l'écrivain pour cause de blasphème.

La question est de savoir si les musulmans "modérés" considèrent cette "fatwa", qui est toujours en vigueur, comme légitime ou non. Apparemment, oui. Le recteur invoque le flot de coups de téléphone dont l'ont inondé les musulmans téléspectateurs de France 2 pour dénoncer en ce programme une provocation d'autant plus intolérable, précise-t-il, que coïncidant avec le mois sacré du ramadan. M. Boubakeur demandait donc qu'au moins on la retarde.

Une aussi persistante inconscience dans la prétention à exiger le viol des lois de la République est à désespérer de l'avenir. Imagine-t-on le cardinal-archevêque de Paris réclamer qu'on bannisse de la télévision tout auteur antichrétien et que l'on retire des librairies tous les livres anticléricaux pendant la période de carême ?

Les musulmans n'ont pas du tout compris, semble-t-il, que, dans notre société, la liberté pour chacun de pratiquer son culte comporte l'obligation de ne pas chercher à l'imposer à ceux qui ne le pratiquent pas, et, plus encore, l'obligation minimale de ne pas les assassiner.

Ces outrances sanguinaires ne seraient, paraît-il, selon l'objection rituelle, le fait que d'une minorité d'intégristes. L'immense majorité des musulmans de France les désapprouverait. C'est ce dont la fâcheuse initiative du recteur nous incité à douter.

Au lieu de tancer ses ouailles pour leur fanatisme, il s'en est fait le porte-parole. De la part d'un interlocuteur que plusieurs ministres de l'Intérieur successifs ont promu et décoré, c'est déconcertant.

Dalil Boubakeur, est - il est vrai - l'interlocuteur moins de l'État français que de l'État saoudien.

On veut bien admettre que la majorité des musulmans français ou résidant en France est modérée. Mais alors on souhaiterait que parfois cette majorité supposée se prononce de façon plus ouverte, se manifeste de façon plus massive contre l'intolérance des extrémistes. Son silence est accablant.

Faits en main, Philippe Aziz, dans "Le paradoxe de Roubaix" (Plon), livre qui restera comme une base de vraie sociologie, en rupture avec la sociologie ambiante, bavarde et idéologique, démontre cette vérité : l'acquisition de la nationalité française n'est en rien un facteur d'intégration si ceux qui l'acquièrent - ou la possèdent par droit du sol - n'acceptent pas le pacte culturel et juridique qu'implique cette citoyenneté.

On ne comprend rien aux problèmes de l'immigration musulmane si l'on attribue les échecs actuels de l'intégration sociale et scolaire aux seules difficultés économiques. Nul être humain ne s'intègre à la seule dimension économique d'une civilisation s'il en refuse tous les autres aspects, institutionnels, moraux, intellectuels...

Depuis le Moyen Age, l'histoire de l'Europe, et de la France en particulier, accumule les immigrations réussies. Mais elles le furent parce que les immigrés comprirent toujours qu'ils devaient s'adapter au pays d'accueil, et non exiger que le pays d'accueil s'adapte à eux.

 

© Jean-François Revel, in Le Point n° 1224 du 2 mars 1996.

 

 


 

 

Dernière minute - Beautés du communautarisme et du 'vivre ensemble' : À la Sorbonne, la guerre du "blackface" gagne la tragédie grecque.

 

Une représentation des "Suppliantes" d’Eschyle a été empêchée par des manifestants qui protestaient contre l’usage de masques et maquillages noirs par des acteurs blancs.

Lundi 25 mars à la Sorbonne, dans le cadre du festival Les Dionysies qu’il organise depuis quelques années à Paris et dont le programme est consacré à la tragédie grecque, sa passion, Philippe Brunet devait présenter Les Suppliantes, le premier volet des Danaïdes d’Eschyle. Une cinquantaine de militants de la Ligue de défense noire africaine (LDNA), de la Brigade anti-négrophobie, et du Conseil représentatif des associations noires (CRAN) en ont décidé autrement, bloquant l’entrée de l’université pour protester contre un spectacle qu’ils jugeaient racialiste. En cause : l’utilisation par la troupe de maquillages sombres et de masques pour personnifier les Danaïdes, ce qu’ils apparentent au "blackface".

[Tiré du Monde, 27 mars 2019]

 

Un éditorialiste de Marianne a pris l'affaire plus rondement, usant d'un humour dévastateur. Après avoir cloué au pilori de la bêtise ("Bonnet d'âne") l'Unef-Sorbonne, qui a publié un "communiqué de victoire" après l'annulation dont il est question supra, il a poursuivi ainsi :
"Il reste à interdire la Série noire, dont la majorité des auteurs sont blancs, un nombre considérable de films usurpant la couleur, dont La mariée était en noir, de François Truffaut, et à revoir toutes les partitions de piano, afin de réserver les touches noires aux musiciens de couleur. Ce qui évitera bien des bémols !"

 

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