Sévère, mais tellement pesée et méditée, cette critique d'un western-spaghetti mythique !

 

D'une intrigue complexe, aux fils multiples et savamment mêlés qui, à un moment ou à un autre, finissent par se nouer, émergent au premier plan quelques figures, lesquelles s'évanouissent parfois, à peine apparues, expédiées à coups de revolver dans un monde qu'on dit meilleur. Soit donc trois hommes aux mines patibulaires, couverts de longs cache-poussière, étranges voyageurs dans une gare isolée ; Mc Bain, un fermier irlandais et ses trois enfants, attendant la jeune femme qui remplacera la maman disparue ; un inconnu aussi prompt à dégainer, à ajuster un tir précis qu'habile à moudre les notes d'un petit air lancinant sur son harmonica ; un tueur aux yeux couleur d'acier, tout en longueur, froid et méthodique, qui répond au nom de Frank ; "Cheyenne", un outlaw moustachu, à la prunelle émouvante, philosophe à ses heures, un cœur tendre pour tout dire ; Jill, fille célèbre à la Nouvelle-Orléans, mais lasse des lupanars et désireuse de refaire sa vie dans l'Ouest, avec un brave homme de fermier ; enfin, puisqu'il faut nous en tenir aux principaux personnages, Morton, un constructeur de chemin de fer miné par une tuberculose osseuse et dénué de tout scrupule qui, nonobstant les obstacles, veut relier les côtes est et ouest, dans la course angoissante qu'il a engagée contre la mort, car il se sent condamné. Au fur et à mesure que progresse l'intrigue de ce très long film - et compte tenu des coupures qui n'en facilitent pas la lecture - les comportements des personnages reçoivent en temps opportun l'éclairage nécessaire, que ce soit, comme dans la plupart des cas, d'une manière directe, ou à l'aide d'un retour en arrière explicatif (l'harmonica de l'inconnu...).

Remarquablement réalisé, avec toute l'ampleur et le souffle souhaitables, mais aussi avec cette verve cruelle qui caractérisait Le Colosse de Rhodes ou Le bon, la brute et le truand, II était une fois dans l'Ouest est sans aucun doute l'œuvre la plus ambitieuse, mais également la plus réussie de Sergio Leone. Cela dit, ses incontestables qualités ne font que davantage ressortir ses faiblesses profondes, qui tiennent précisément à l'auteur et à son prétentieux propos ou à celui qu'on lui prête et qu'il n'a pas démenti, bien au contraire : renouveler le western en le démystifiant. Car enfin, et pour nous en tenir à ces dix dernières années, d'autres s'y sont employés sans faire de déclarations aussi tapageuses que publicitaires. La modestie, la ferveur, la générosité qui caractérisent par exemple Sam Peckinpah (Coups de feu dans la sierra), Monte Hellmann (The shooting) ou Tom Gries (Will Penny le solitaire) font totalement défaut à Sergio Leone. Ce qui, chez les premiers, loin des vieux mythes poussiéreux, marque un retour à la réalité quotidienne du vieil Ouest, par exemple cette précision d'historien ou d'ethnographe dans le choix des mots prononcés par les personnages, des objets qu'ils utilisent, des étoffes dont ils sont vêtus, n'est rien d'autre chez le second que l'érudition d'un maniaque qui, ayant lu tous les livres et vu quantité de films concernant l'histoire, petite ou grande, de l'Amérique, croit connaître intimement tout ce qui s'y rapporte... Ainsi, tandis que le village de toile miteux des chercheurs d'or et le bordel rutilant de Coups de feu dans la sierra ont le même merveilleux parfum d'authenticité qui imprègne les images du documentaire de Colin Low, La capitale de l'or, la gargote-relais de poste et la ferme des Mc Bain ressemblent, dans Il était une fois dans l'Ouest, à des cavernes d'Ali-Baba.

Ce qui nous paraît le plus contestable dans l'entreprise de Leone, ce ne sont point tant les emprunts éventuels dont il serait fastidieux de dresser le catalogue (des cache-poussière du Brigand bien-aimé de Ray à la cruauté d'un Walsh ou d'un Ray Enright) - après tout Mann et Kurosawa ont bien reconnu leur dette envers John Ford - que la sauce personnelle, et à vrai dire fort indigeste, à laquelle Sergio Leone accommode son film. Dès les premières images, le réalisateur donne le la : la roue d'une éolienne qui grince - et Dieu sait si elle grince ! - la mouche agaçante qui s'acharne sur le visage mal rasé de Jack Elam, la goutte d'eau tombant à un rythme régulier sur le chapeau de Woody Strode, le motif lancinant de Ennio Moricone modulé sur son harmonica par Charles Bronson, et qui reviendra au long du film, tous les effets sonores et visuels sont constamment et pesamment soulignés d'un air entendu et complice. La direction d'acteurs va dans le même sens : silences calculés, mimiques appuyées, regards lourds de sens, renforcés par de très gros plans, etc. Dans la critique qu'il consacrait à Et pour quelques dollars de plus (Saison 67), Jacques Zimmer parlait "d'excès de violence" et de "l'amoralité foncière de tous les personnages"... Ces deux traits caractérisent fort bien Il était une fois dans l'Ouest, une œuvre habile certes, menée de main de maître, mais lourde et complaisante dans la peinture des vices et des crimes, en un mot profondément malsaine : s'agit-il de montrer une mort ? Leone prend un plaisir glouton à prolonger l'agonie du personnage, sans inspirer chez le spectateur le moindre effroi, bien au contraire (cf. la pendaison d'un inconnu, dont les pieds reposent sur les épaules de son jeune frère, qui n'est autre que le joueur d'harmonica...). Était-il au surplus nécessaire, pour tourner cette scène, de planter le décor indigent d'un campanile dans le cadre grandiose d'un désert rocheux ? À ce gadget de luxe mystifiant qui prétendait démystifier, dernier avatar du bluff qui ne cesse de sévir dans le cinéma, manque en fin de compte l'essentiel : la sympathie pour les êtres, l'attention aux lieux où ils vivent.

© Philippe Haudiquet (in Image et Son, ancienne revue laïque de cinéma, année 1969)].

 

Du même auteur, on pourra savourer un ouvrage sur John Ford (Collection Cinéma d'aujourd'hui n° 46, chez Seghers, 1966) ; on n'est en revanche pas obligé de trop apprécier son film Gardarem lo Larzac (réalisé en 1974)

 


 


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